Texte intégral
Q - Le Chancelier allemand soutient et appuie le projet de fédération européenne de son ministre des Affaires étrangères. Comment la France accueille-t-elle ce projet ?
R - Avec beaucoup d'intérêt. C'est une contribution importante. Ce n'est pas la première sur ce thème. Aujourd'hui, nous nous posons une question. Nous sommes en train d'élargir l'Europe. Elle va passer de 15 Etats membres, très homogènes, à une trentaine plus hétérogènes, en s'ouvrant aux pays d'Europe centrale et orientale. Et la question est : "Vers où va-t-on ?", "Quelle est la finalité de cette Europe nouvelle ?", "Comment cela fonctionne-t-il ?" Ce n'est pas une mince question. Il s'agit de l'avenir de l'Europe. Aujourd'hui, il y a eu plusieurs propositions. Il y a eu celle de Jacques Delors, qui proposait une fédération d'Etats-nations. Il y avait eu, dans les années 1990, celle de parlementaires de la CDU qui proposaient un noyau dur. L'idée est toujours un peu la même : comment faire en sorte qu'à 30, on ait à la fois un espace commun, et, en même temps, que quelques-uns puissent avancer plus vite que les autres ? La réponse de Joschka Fischer c'est la fédération. On peut discuter sur le point d'arrivée, mais en attendant c'est un texte très intéressant qui a le mérite d'ouvrir cette grande question.
Q - Il fixe justement le point d'arrivée, en disant "fédération avec une constitution" qui fixera, de façon claire, précise et, de manière à ce que chacun s'y retrouve, la répartition des pouvoirs entre l'Europe et les Etats-nations.
R - Avant de parler du point d'arrivée, je préférerais parler du cheminement, qui est intéressant. Il dit que nous devons, en premier, commencer par réussir la Conférence intergouvernementale sous la présidence française. Je crois que c'est très important, car l'enjeu est que l'Europe continue à fonctionner. Sinon, elle est absolument en crise. Il dit, en deuxième lieu, qu'il faut accentuer la flexibilité au sein de l'Europe. C'est ce que l'on appelle les coopérations renforcées entre quelques pays qui peuvent aller de l'avant. Troisièmement, c'est important aussi et c'est un peu nouveau sous la plume d'un Allemand, il insiste sur le rôle des Etats-nations. Je crois que, notamment pour un Français ou un Anglais, c'est quelque chose qui est rassurant. Le cheminement, la méthode vont plutôt dans le bon sens. Ensuite, ayons le débat sur la fédération. Personnellement, je m'interroge, non pas tant sur les finalités elles-mêmes que sur l'appétit que vont manifester nos grands partenaires - les Espagnols, les Italiens, les Belges et les Luxembourgeois, et je ne parle pas des Britanniques - pour un système fédéral qui suppose effectivement d'avoir un gouvernement unique, une Commission qui existe déjà, et un Parlement européen unique. Je crois que cela se fera peut-être, mais petit-à-petit. Là-dessus, je suis assez fidèle à la méthode des pères fondateurs de l'Europe, la méthode Monnet, qui est une méthode pragmatique, qui suppose qu'on avance pas-à-pas dans ces matières. Mais le premier pas est celui qui compte.
Q - Vous parlez des partenaires, mais néanmoins, M. Fischer nous dit que le moment est venu pour que, de nouveau, l'Allemagne et la France, ensemble, soient les initiateurs, les leaders, les moteurs, les locomotives de l'Europe.
R - C'est un point positif. On a beaucoup parlé, ces derniers temps, de panne du moteur franco-allemand. Ce n'était pas totalement faux, même si c'était dû à des circonstances tout à fait explicables : changement de leader en Allemagne, changement d'époque aussi. M. Schröder est le premier qui soit né après la deuxième guerre mondiale, et cela fait 50 ans que nous sommes ensemble. Et donc, le moment est venu d'une nouvelle impulsion, d'une relance. Cela ne se fera pas forcément sur ce projet, ou, en tout cas, pas uniquement sur ce projet. Je crois que ce qui est important, dans la perspective de la présidence française, qui est très importante, c'est que les Français et les Allemands prennent d'abord une position commune sur la réforme des institutions européennes, pour que d'une part, ces institutions fonctionnent mieux et d'autre part, pour que les voies de l'avenir soient balisées.
Q - Alors que la France va prendre la présidence de l'Europe au 1er juillet prochain, on a le sentiment que l'ambition européenne vient de Berlin.
R - Je crois qu'il ne faut pas trop s'attacher à cela.
Q - Vous parliez d'une présidence modeste.
R - Une présidence modeste au sens où il ne faut pas que la France apparaisse, comme elle l'est trop souvent, arrogante et disant aux autres : "Voilà, nous sommes là. Avant, c'était l'ombre. Après, ce sera la lumière." Elle sera modeste, pragmatique. Mais en même temps, elle est ambitieuse, tout simplement parce que l'époque l'exige. Encore une fois, cette réforme des institutions est à un carrefour. Si nous ne la faisons pas, je suis persuadé que l'Europe ne pourra pas s'élargir dans de bonnes conditions, qu'elle ne fonctionnera pas. Nous avons aussi des chantiers comme l'élargissement, qui est considérable, la défense et toute une série de chantiers sociétaux sur la santé des consommateurs, la sécurité alimentaire, la sécurité des transports et, derrière tout cela, la perspective de la reconquête du plein emploi. Modeste sans doute mais quand même terriblement chargée. Nous avons besoin d'un profil haut.
Q - Vous dites "réforme des institutions". C'est la pondération des voix, la majorité qualifiée, la réforme de constitution. Comment convaincre les citoyens de s'intéresser à tout cela, qui est purement technique, s'ils ne connaissent pas la finalité ?
R - Le discours de Joschka Fischer est important. Mais je crois que, pour le coup, il ne faut pas mettre la charrue avant les bufs. Si on ne commence pas par avoir le débat sur la finalité, alors forcément on disqualifie déjà ce qu'on est en train de faire, qui est dans un ordre beaucoup plus simple, pratique et concret. Comment cela marche-t-il ? Je crois qu'il faut d'abord rétablir le fonctionnement de la machine qui, effectivement, est paralysée, puis aller vers ce débat.
Q - Ce n'est pas la peur de l'échec qui vous empêche d'être plus ambitieux ?
R - Non pas du tout, c'est aussi autre chose. L'Europe marche bien quand le couple franco-allemand marche bien. Donc, c'est à lui de donner l'impulsion. En même temps c'est un peu comme une course cycliste, si on fait une échappée et qu'on lâche les autres prématurément, à ce moment là, il y a peu de chance qu'ils veuillent nous rejoindre. Et n'oublions jamais que dans cette Europe, s'il est important que la France et l'Allemagne montrent le chemin, il y a les autres. Nous sommes 15.
Q - Et puis, il y a la cohabitation aussi.
R - Sur l'Europe, cela marche bien. Sur le fond, sur l'Europe, nous n'avons pas le droit de parler autrement que d'une seule voix et nous parlons, et nous ne parlerons que d'une seule voix. Cette présidence se passera bien de ce point de vue-là, d'autant que sur l'essentiel, nous sommes en phase.
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(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mai 2000)
R - Avec beaucoup d'intérêt. C'est une contribution importante. Ce n'est pas la première sur ce thème. Aujourd'hui, nous nous posons une question. Nous sommes en train d'élargir l'Europe. Elle va passer de 15 Etats membres, très homogènes, à une trentaine plus hétérogènes, en s'ouvrant aux pays d'Europe centrale et orientale. Et la question est : "Vers où va-t-on ?", "Quelle est la finalité de cette Europe nouvelle ?", "Comment cela fonctionne-t-il ?" Ce n'est pas une mince question. Il s'agit de l'avenir de l'Europe. Aujourd'hui, il y a eu plusieurs propositions. Il y a eu celle de Jacques Delors, qui proposait une fédération d'Etats-nations. Il y avait eu, dans les années 1990, celle de parlementaires de la CDU qui proposaient un noyau dur. L'idée est toujours un peu la même : comment faire en sorte qu'à 30, on ait à la fois un espace commun, et, en même temps, que quelques-uns puissent avancer plus vite que les autres ? La réponse de Joschka Fischer c'est la fédération. On peut discuter sur le point d'arrivée, mais en attendant c'est un texte très intéressant qui a le mérite d'ouvrir cette grande question.
Q - Il fixe justement le point d'arrivée, en disant "fédération avec une constitution" qui fixera, de façon claire, précise et, de manière à ce que chacun s'y retrouve, la répartition des pouvoirs entre l'Europe et les Etats-nations.
R - Avant de parler du point d'arrivée, je préférerais parler du cheminement, qui est intéressant. Il dit que nous devons, en premier, commencer par réussir la Conférence intergouvernementale sous la présidence française. Je crois que c'est très important, car l'enjeu est que l'Europe continue à fonctionner. Sinon, elle est absolument en crise. Il dit, en deuxième lieu, qu'il faut accentuer la flexibilité au sein de l'Europe. C'est ce que l'on appelle les coopérations renforcées entre quelques pays qui peuvent aller de l'avant. Troisièmement, c'est important aussi et c'est un peu nouveau sous la plume d'un Allemand, il insiste sur le rôle des Etats-nations. Je crois que, notamment pour un Français ou un Anglais, c'est quelque chose qui est rassurant. Le cheminement, la méthode vont plutôt dans le bon sens. Ensuite, ayons le débat sur la fédération. Personnellement, je m'interroge, non pas tant sur les finalités elles-mêmes que sur l'appétit que vont manifester nos grands partenaires - les Espagnols, les Italiens, les Belges et les Luxembourgeois, et je ne parle pas des Britanniques - pour un système fédéral qui suppose effectivement d'avoir un gouvernement unique, une Commission qui existe déjà, et un Parlement européen unique. Je crois que cela se fera peut-être, mais petit-à-petit. Là-dessus, je suis assez fidèle à la méthode des pères fondateurs de l'Europe, la méthode Monnet, qui est une méthode pragmatique, qui suppose qu'on avance pas-à-pas dans ces matières. Mais le premier pas est celui qui compte.
Q - Vous parlez des partenaires, mais néanmoins, M. Fischer nous dit que le moment est venu pour que, de nouveau, l'Allemagne et la France, ensemble, soient les initiateurs, les leaders, les moteurs, les locomotives de l'Europe.
R - C'est un point positif. On a beaucoup parlé, ces derniers temps, de panne du moteur franco-allemand. Ce n'était pas totalement faux, même si c'était dû à des circonstances tout à fait explicables : changement de leader en Allemagne, changement d'époque aussi. M. Schröder est le premier qui soit né après la deuxième guerre mondiale, et cela fait 50 ans que nous sommes ensemble. Et donc, le moment est venu d'une nouvelle impulsion, d'une relance. Cela ne se fera pas forcément sur ce projet, ou, en tout cas, pas uniquement sur ce projet. Je crois que ce qui est important, dans la perspective de la présidence française, qui est très importante, c'est que les Français et les Allemands prennent d'abord une position commune sur la réforme des institutions européennes, pour que d'une part, ces institutions fonctionnent mieux et d'autre part, pour que les voies de l'avenir soient balisées.
Q - Alors que la France va prendre la présidence de l'Europe au 1er juillet prochain, on a le sentiment que l'ambition européenne vient de Berlin.
R - Je crois qu'il ne faut pas trop s'attacher à cela.
Q - Vous parliez d'une présidence modeste.
R - Une présidence modeste au sens où il ne faut pas que la France apparaisse, comme elle l'est trop souvent, arrogante et disant aux autres : "Voilà, nous sommes là. Avant, c'était l'ombre. Après, ce sera la lumière." Elle sera modeste, pragmatique. Mais en même temps, elle est ambitieuse, tout simplement parce que l'époque l'exige. Encore une fois, cette réforme des institutions est à un carrefour. Si nous ne la faisons pas, je suis persuadé que l'Europe ne pourra pas s'élargir dans de bonnes conditions, qu'elle ne fonctionnera pas. Nous avons aussi des chantiers comme l'élargissement, qui est considérable, la défense et toute une série de chantiers sociétaux sur la santé des consommateurs, la sécurité alimentaire, la sécurité des transports et, derrière tout cela, la perspective de la reconquête du plein emploi. Modeste sans doute mais quand même terriblement chargée. Nous avons besoin d'un profil haut.
Q - Vous dites "réforme des institutions". C'est la pondération des voix, la majorité qualifiée, la réforme de constitution. Comment convaincre les citoyens de s'intéresser à tout cela, qui est purement technique, s'ils ne connaissent pas la finalité ?
R - Le discours de Joschka Fischer est important. Mais je crois que, pour le coup, il ne faut pas mettre la charrue avant les bufs. Si on ne commence pas par avoir le débat sur la finalité, alors forcément on disqualifie déjà ce qu'on est en train de faire, qui est dans un ordre beaucoup plus simple, pratique et concret. Comment cela marche-t-il ? Je crois qu'il faut d'abord rétablir le fonctionnement de la machine qui, effectivement, est paralysée, puis aller vers ce débat.
Q - Ce n'est pas la peur de l'échec qui vous empêche d'être plus ambitieux ?
R - Non pas du tout, c'est aussi autre chose. L'Europe marche bien quand le couple franco-allemand marche bien. Donc, c'est à lui de donner l'impulsion. En même temps c'est un peu comme une course cycliste, si on fait une échappée et qu'on lâche les autres prématurément, à ce moment là, il y a peu de chance qu'ils veuillent nous rejoindre. Et n'oublions jamais que dans cette Europe, s'il est important que la France et l'Allemagne montrent le chemin, il y a les autres. Nous sommes 15.
Q - Et puis, il y a la cohabitation aussi.
R - Sur l'Europe, cela marche bien. Sur le fond, sur l'Europe, nous n'avons pas le droit de parler autrement que d'une seule voix et nous parlons, et nous ne parlerons que d'une seule voix. Cette présidence se passera bien de ce point de vue-là, d'autant que sur l'essentiel, nous sommes en phase.
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(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mai 2000)