Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, en réponse à une question sur le coût de l'élargissement de l'OTAN à l'Europe de l'Est et sur la contribution française, à l'Assemblée nationtale le 20 janvier 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Q.- Monsieur le ministre de la défense, je vous remercie de vous être déplacé en cette fin de matinée pour répondre à une question de l'opposition mais qui intéresse, je crois, l'ensemble de la représentation nationale.
Je m'interroge, en effet, sur le coût de l'élargissement de l'Alliance atlantique. Les estimations que j'ai vu circuler ces derniers mois portent sur des chiffres très élevés. Ainsi, la Rand Corporation évoque un coût de l'ordre de 100 à 110 milliards de dollars sur la période 1996-2010. Il s'agit du coût lié à l'entrée de nouveaux membres de l'ex-Europe de l'Est qui viendra s'ajouter aux frais de fonctionnement normaux de l'Alliance. Selon l'estimation du bureau du budget du Congrès, il serait question de 61 à 125 milliards de dollars.
Pour la France, compte tenu de la clé de répartition du département d'Etat, dont je rappelle qu'elle est de 15 % pour les Etats-Unis, de 35 % pour les nouveaux membres et de 50 % pour les membres actuels de l'OTAN, mis à part les Etats-Unis, l'estimation du Congrès ferait donc peser un coût total de 13,8 milliards de francs jusqu'en 2010, soit 924 millions de francs par an, soit un peu plus que l'ensemble du budget prévu pour la simulation nucléaire. Ce n'est donc pas rien ! Une autre estimation du ministère de la défense américain, relayée par le bureau des affaires politico-militaires du département d'Etat en date du 24 février dernier table, elle, sur un coût compris entre 27 et 35 milliards de dollars, ce qui, pour la France, équivaudrait à 320 millions de francs supplémentaires et, au total, à 4,2 milliards de francs, soit le prix d'un deuxième porte-avions nucléaire. Ces sommes sont considérables.
Compte tenu de ces estimations, monsieur le ministre, et sans revenir sur l'élargissement, même si je doute toujours de son utilité stratégique, ni sur ce qu'il faut bien appeler, et je le regrette, l'échec des tentatives françaises de réformer l'Alliance atlantique, j'aimerais interroger le Gouvernement sur plusieurs points.
Premièrement, quelle est votre analyse du coût de cet élargissement, notamment pour la France ? Quelle est votre estimation personnelle ? Y a-t-il des études françaises sur le sujet ?
Deuxièmement, quel est l'impact de ces dépenses sur la réforme future de l'Alliance atlantique selon le vieux principe: "qui paye commande" ? Y a-t-il corrélation entre ce que nous allons payer et nos ambitions à l'intérieur de la future Alliance atlantique ?
Troisièmement, comment concilier ces coûts avec le montant inscrit dans le bleu budgétaire du ministère de la défense pour 1997: 110 millions de francs au chapitre 55-40. D'autres crédits sont-ils prévus ?
Enfin, ces sommes, à supposer que nous les payions, sont-elles budgétées et compatibles avec les coupes claires opérées ces derniers mois sur le budget de votre ministère ?
Je précise que ces questions sont tellement importantes qu'aux Etats-Unis, par exemple, des auditions visant à informer le congrès américain ont lieu depuis des semaines, voire des mois. Notre assemblée, elle, n'a reçu aucune espèce d'information, et je le regrette. Je demande donc au Gouvernement de bien vouloir activer la discussion parlementaire sur ce sujet.

R.- Monsieur le député, comme vous m'y conviez, je m'abstiendrai d'entrer dans la discussion de fond sur le contexte stratégique de l'élargissement de l'Alliance atlantique. En tout cas, les plus hautes autorités de ce pays ne partageraient pas l'appréciation d'échec que vous portez sur le processus de réforme de l'Alliance atlantique, puisque le Président de la République s'est exprimé à plusieurs reprises à ce sujet pour en noter au contraire les éléments positifs. Quant à l'opposition de principe à l'élargissement de l'Alliance atlantique, elle a été défendue par beaucoup de partenaires estimables sur le plan stratégique, mais le débat est clos: le processus d'élargissement de l'Alliance atlantique est désormais en marche.
La contribution française aux budgets militaires de l'OTAN a effectivement connu une hausse de 14 % entre 1994 et 1996, mais elle est liée à notre participation à l'IFOR en ex-Yougoslavie. Il s'agit donc d'un coût opérationnel et non de structure. En revanche, le plafond des ressources des budgets militaires de l'Alliance fixé chaque année par le Conseil atlantique - donc le conseil des ministres des affaires étrangères - n'a pas varié et les contributions initiales des nations correspondant aux coûts permanents sont restées constantes. En terme de budget exécuté, les paiements effectués par les nations sont susceptibles de légères variations en raison des écarts rencontrés entre la prévision et la réalisation, d'une part, des programmes d'investissement au service de la sécurité et, d'autre part, des dépenses liées aux opérations en Bosnie.
S'agissant de la contribution française aux budgets communs militaires de l'Alliance - vous le savez, nous ne contribuons qu'aux budgets communs n'étant pas membre de la structure militaire - l'évolution attendue pour 1998, selon notre ambassadeur auprès de l'OTAN, est une hausse de 2,7 % liée à la mise en oeuvre de programmes d'investissement. Elle est donc parfaitement cohérente avec la provision budgétaire figurant au "bleu" que vous avez examiné sinon approuvé.
S'agissant des besoins financiers de l'élargissement, la position de la France est toujours en cohérence avec l'affirmation d'un principe du Président de la République le 9 juillet dernier à Madrid: "L'élargissement à trois ou même à cinq, compte tenu de la contribution qu'apportent les pays entrants, pourrait se faire à coût nul et par redéploiement de la dépense". "Pour ce qui concerne la France, elle n'a pas l'intention d'augmenter sa contribution à l'OTAN du fait de l'élargissement". En effet, l'environnement stratégique actuel du centre et de l'est de l'Europe ne nous semble plus justifier des infrastructures et des moyens considérables, puisque nous ne travaillons plus dans un contexte de guerre froide. Et à nos yeux, les coûts d'élargissement à supporter par les Etats membres et même par les nouveaux adhérents devraient rester limités.
Cette position de la France qui a, par ailleurs, fait partager à certains de ses partenaires le principe d'un redéploiement des budgets actuels, a été sérieusement confortée par les travaux des comités compétents de l'Alliance elle-même. Ceux-ci contrastent, heureusement de façon massive, avec les estimations extrêmement élevées issues de certains débats publics américains, qu'il s'agisse de consultations de l'exécutif ou de discussions au sein du Congrès.
Les comités compétents de l'Alliance ont fait apparaître que les coûts de l'élargissement pesant sur le financement commun représenteront environ 9 milliards de francs sur une période de dix ans, dont 7,8 milliards liés au programme d'investissement au service de la sécurité.
Une délégation de la chambre des représentants, conduite par le président de la commission des relations internationales, M. Benjamin Gilman, et comprenant également des membres de la commission de budget est aujourd'hui à Paris. Le Premier ministre, mon collègue Hubert Védrine et moi-même les avons reçus hier et ils rencontrent, ce matin, le Président de la République. Tout au long de l'échange très complet que nous avons eu hier après-midi avec ces parlementaires américains, la controverse sur le niveau du coût de l'élargissement de l'Alliance n'a pas rebondi. Ils semblent donc admettre désormais que l'évaluation des coûts donnée par les services de l'Alliance est réaliste.
Dans ces conditions, nous n'en sommes que plus décidés à défendre la formule de l'absorption de ces coûts par un redéploiement des dépenses, d'autant que ce processus s'inscrit dans la durée et que les nouveaux membres, pour des raisons à la fois politiques, économiques - puisque cela leur permet de faire fonctionner certaines de leurs activités industrielles - et internationales, sont disposés à apporter leur contribution aux charges de l'élargissement. Il convient néanmoins d'introduire une nuance en ce qui concerne la République tchèque, dont la situation économique est gravement perturbée par les catastrophes naturelles qu'elle a subies. Les autres membres européens de l'Alliance partagent avec nous l'idée que l'on doit pouvoir absorber le coût de l'élargissement par redéploiement des dépenses. Nous restons donc convaincus que la contribution de la France au budget commun de l'Alliance devrait rester pratiquement stable, sauf variations liées à des engagements opérationnels de l'Alliance, mais nous aurions alors à y consentir, phase par phase. A cet égard un débat est ouvert en ce qui concerne la prochaine force de l'OTAN en Bosnie.

(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 14 novembre 2001)