Texte intégral
Monsieur le Président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les conseillers, vous voudrez bien qu'avant toute chose, je vous remercie de m'offrir l'occasion de parler de l'esclavage contemporain, un mois après ma communication en conseil des ministres sur le thème des violences faites aux femmes.
Vous accepterez, Madame la rapporteure, chère Michèle Monrique, que je vous félicite pour le travail présenté aujourd'hui, qui permet de poursuivre la réflexion sur des phénomènes que l'on considère à tort comme relevant d'un passé révolu et dont les pouvoirs publics et le gouvernement ont pris toute la mesure.
La mission que m'a confiée le Premier ministre inclut la lutte contre la prostitution, la traite des êtres humains, l'esclavage domestique et toutes les violences envers les femmes. Je suis donc particulièrement satisfaite d'aborder cette question dans ce cadre et devant vous.
Avant le prochain élargissement de l'Union européenne, et alors que la Charte européenne des droits fondamentaux pourrait devenir le préambule d'une future constitution européenne, il est nécessaire de rappeler l'acquis communautaire en matière d'égalité hommes-femmes. Mais il est encore plus indispensable de rappeler le respect qui est dû à tout être humain, au nom du droit à la dignité et à l'intégrité. Nul ne devrait plus pouvoir être vendu, exploité, contraint à la prostitution ou à la mendicité, séquestré, privé de ses droits les plus élémentaires, battu, logé dans des conditions indignes, au siècle où nous vivons.
Ces valeurs communes aux Quinze membres actuels de l'Union européenne devront le rester dans la future Union à 25, les pays candidats à l'adhésion étant parfois ceux où se développent les réseaux du proxénétisme, du trafic de drogue et du trafic d'armes. Dans les pays de l'ex-bloc soviétique, souvent dépourvus d'économie productive et en proie au chômage de masse, la prolifération de ces réseaux peut s'expliquer par la différence de revenus entre les trafiquants et leurs compatriotes restés honnêtes. En effet, le revenu journalier des uns est supérieur aux revenus mensuels des autres et la tentation de la corruption a été grande.
Mais l'attrait de l'occident et de ses métropoles pousse bien des jeunes à y tenter leur chance, sans imaginer une seconde que le sort qui les attend est loin de leurs espérances et parfois bien pire encore que celui qu'ils cherchent à quitter. Misère, désoeuvrement, faiblesse, vulnérabilité ou crédulité ont attiré des millions de personnes dans l'exploitation par le travail forcé, l'esclavage domestique ou la prostitution.
Plus généralement, l'enlisement de l'Afrique, l'affrontement entre les riches et les pauvres et la crise financière en Asie du Sud-est ont permis la création, par des réseaux mafieux, de filières mondiales reposant sur l'esclavage et finançant on ne sait quelles entreprises pouvant menacer la stabilité et la paix. Notre approche doit donc être universelle, et c'est d'ailleurs une telle approche que votre rapporteure a retenue.
L'organisation internationale des migrations chiffre ainsi à 120 000 le nombre annuel de femmes et d'enfants qui font l'objet de trafics à destination de l'Union européenne. Ceci doit nous inciter à réfléchir sur les fondements d'une mondialisation plus humaine, plus respectueuse de l'environnement et qui nous conduise graduellement à des échanges internationaux effectués sur des bases plus équilibrées.
S'il y avait moins de migrations forcées du fait des guerres, des épidémies, des catastrophes écologiques ou tout simplement de la misère, et plus de migrations résultant d'un choix individuel libre et éclairé, le problème de l'esclavage contemporain et de ses réseaux serait aux trois quarts résolu.
Un combat sans merci contre cette abomination doit s'engager. Et c'est ce à quoi le ministre de l'Intérieur s'est attelé sans tarder, dès la formation du gouvernement. J'ai accompagné le processus d'élaboration de la loi sur la sécurité intérieure, en présentant un plan d'action comprenant prévention et soutien à la réinsertion professionnelle et sociale des personnes désireuses de quitter l'activité prostitutionnelle, afin de les soutenir dans leur tentative de saisir une deuxième chance.
Une des questions clé est celle de l'hébergement sécurisé, par l'anonymat et la distance, des prostituées qui dénoncent leurs proxénètes et qui collaborent avec la police et la justice pour les mettre hors d'état de nuire. Ce dispositif peut également s'appliquer aux victimes d'esclavage domestique ou économique.
Il est très choquant de parler d'esclavage contemporain. L'esclavage est un mot hérité du passé, qui ne devrait pas être qualifié de contemporain, en particulier dans les pays développés. C'est cependant à cela que nous sommes confrontés, et ceux qui en sont les responsables ou les complices ne sont pas tous de nationalité étrangère, loin s'en faut. Il y a aussi des proxénètes français, des trafiquants français, des réseaux mafieux qui peuvent avoir des responsables étrangers mais leur siège en France. Il faut que nous soyons mobilisés pour combattre tous ces réseaux et ces filières avec les armes les plus adaptées.
A Paris, les estimations les plus crédibles font état de 6 000 à 7 000 personnes prostituées sur les trottoirs, auxquelles s'ajoutent 3 000 personnes dans les bars à hôtesse et les salons de massage. Ce sont des chiffres très certainement sous-estimés. Mais on observe déjà les premiers effets bénéfiques des mesures prises par le gouvernement et des mesures à venir lorsque la loi sera votée, en ce qui concerne le nombre de jeunes femmes de l'Est sur les trottoirs parisiens. Les réseaux mafieux internationaux ont d'ores et déjà compris le signal et que désormais, la France ne représentera plus pour eux un marché " d'avenir.
En ce qui concerne la pénalisation du client, le gouvernement a voulu se donner le temps d'évaluer les résultats des mesures adoptées dans certains pays comme la Suède avant de s'y engager à son tour, si les résultats apparaissent concluants. Mais les cas de poursuites pénales envers les clients, actuellement réservés aux mineurs, auront déjà notablement augmenté dès l'adoption définitive de la loi pour la sécurité intérieure. Il reviendra aux juges d'apprécier, au cas par cas, l'état de " particulière vulnérabilité connue du client " contenu dans la loi.
Quant à l'esclavage domestique, grâce à la détermination d'associations dont le travail est remarquable, comme le Comité Contre l'Esclavage Moderne, il commence seulement à apparaître au grand jour. Compte tenu de la proportion importante d'affaires concernant le domicile privé de diplomates, il faut à l'évidence tout faire afin que la Convention de Vienne de 1961, organisant leur immunité pénale, soit réformée dans un sens plus restrictif. En particulier, cette immunité ne doit plus pouvoir s'appliquer à des actes détachables de la fonction diplomatique. En pareil cas, les crimes et délits commis sur notre territoire devraient être poursuivis selon des règles de droit commun. Il y va du principe fondamental de l'égalité devant la loi.
Je voudrais également souligner que si l'esclavage économique frappe indifféremment les hommes et les femmes, dès lors qu'ils ont une force de travail, l'esclavage domestique et l'exploitation sexuelle frappent en grande majorité les femmes. Ce sont donc les femmes et les enfants qui paient le plus lourd tribut à ces trafics honteux, dont le seul objectif est mercantile, au mépris de toutes les valeurs fondatrices de toutes les civilisations. Parmi ces valeurs, affirmées par les chartes et les traités internationaux, figurent, en effet la fraternité et la solidarité. Dès lors, utiliser des êtres humains avec des concepts commerciaux ou comptables telle qu'offre, demande, stock ou capital à amortir, représente un déni d'humanité qui appelle la révolte, mais aussi des sanctions. La France a toujours réprimé le proxénétisme de manière très forte et de fait, les peines prévues par le code pénal figurent déjà parmi les plus lourdes. Mais elle est restée beaucoup plus tolérante envers certaines formes d'esclavage ou de servitude économique qui perdurent encore trop souvent dans certains secteurs économiques. Ces secteurs sont souvent caractérisés par une faible qualification, des emplois saisonniers, des horaires atypiques et un fort recours à la main d'oeuvre étrangère.
Le gouvernement auquel je suis fière d'appartenir a entériné le plan de lutte contre la traite et l'exploitation sexuelle des êtres humains que j'avais présenté le 28 octobre 2002 à Strasbourg. Ce plan est fondé sur la dignité de la personne humaine ainsi que la sécurité individuelle et collective, et se décline en trois volets. D'abord, part, la prévention par l'information et la sensibilisation du public, notamment des jeunes dès l'école. Ensuite, la répression envers les trafiquants, proxénètes et autres auteurs et complices de la traite. Enfin, et surtout, le soutien et l'aide à la réinsertion sociale et professionnelle des victimes, que ce soit dans leur pays d'origine ou en France.
A ce sujet, il ne faut pas commettre de contresens. Si le racolage doit devenir un délit puni d'une amende et autorisant une garde à vue de la personne prostituée, cela devra permettre aux travailleurs sociaux et aux avocats de lui faire connaître ses droits et les lieux où elle pourra trouver de l'aide. Outre l'autorisation provisoire de séjour et de travail qui pourra lui être donnée, sauf cas particulier, la victime de la traite pourra bénéficier du programme d'action du ministère de la Justice en faveur des victimes. Elle sera informée à tous les stades de la procédure pénale et pourra obtenir l'aide juridictionnelle sans condition de ressources. C'est donc le double souci de l'autorité et de l'humanité qui a guidé notre action.
Pour compléter ce dispositif, le Garde des Sceaux présentera le 26 mars prochain en Conseil des ministres un projet de loi visant à renforcer les moyens de la justice, pour lutter contre la criminalité organisée. Il s'agira d'une part de moderniser les structures de la justice et le droit pour lutter contre les mafias internationales, et d'autre part de créer des juridictions spécialisées au niveau régional sur le modèle des juridictions antiterroristes.
Nous n'aurons donc pas perdu de temps en mettant au point un dispositif de grande envergure moins d'un an après la prise de fonction du gouvernement. Ce plan fait en outre largement appel aux échelons déconcentrés de l'Etat et aux collectivités locales.
Je m'emploierai pour ma part, avec la plus grande vigilance, à dynamiser l'ensemble des acteurs de ce programme d'action en réunissant périodiquement la cellule interministérielle placée sous ma responsabilité, qui comprend des représentants d'une quinzaine de ministères. Je compte d'ailleurs la réunir très prochainement.
Quant aux associations - Mme Monrique a cité à juste titre le Bus des femmes - qui font un travail remarquable et indispensable, elles seront soutenues tant pour l'aide concrète et psychologique qu'elles apportent aux victimes de la traite que par les conseils et les avis qu'elles apportent aux pouvoirs publics. Permettez-moi d'évoquer à ce sujet la mémoire du Père Patrick Giros, fondateur et président de l'association " Aux captifs la libération ", disparu à la fin de l'année dernière et que j'avais reçu à maintes reprises. Notre sujet d'aujourd'hui, témoigne que son oeuvre se poursuit.
Je sais que la lutte contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle, domestique ou par le travail forcé sera longue et la route difficile. Mais les dernières tendances enregistrées sont encourageantes. La prise de conscience que l'impensable peut se produire sous nos yeux ou à notre porte progresse dans l'opinion. La réponse des pouvoirs publics se construit peu à peu, de façon déterminée. Et par-dessus tout, il y a l'immense chantier de la construction et de l'élargissement de l'Union européenne qui devrait permettre de faire en sorte que ces principes d'égalité, de dignité et de respect des êtres humains deviennent une forme de gène organisateur de notre future Europe.
En attendant, les pays européens devront s'ouvrir à tout échange d'informations, de bonnes pratiques ou d'expériences réussies sur ce thème, pour mieux adapter les réponses nationales et forger progressivement une réponse européenne, une éthique européenne face aux réseaux criminels que nous combattons. C'est le combat de tous, le combat contre toutes les violences et contre leurs auteurs, et surtout le combat pour l'égalité et pour la dignité.
Je vous remercie. "
(source http://www.social.gouv.fr, le 10 avril 2003)
Vous accepterez, Madame la rapporteure, chère Michèle Monrique, que je vous félicite pour le travail présenté aujourd'hui, qui permet de poursuivre la réflexion sur des phénomènes que l'on considère à tort comme relevant d'un passé révolu et dont les pouvoirs publics et le gouvernement ont pris toute la mesure.
La mission que m'a confiée le Premier ministre inclut la lutte contre la prostitution, la traite des êtres humains, l'esclavage domestique et toutes les violences envers les femmes. Je suis donc particulièrement satisfaite d'aborder cette question dans ce cadre et devant vous.
Avant le prochain élargissement de l'Union européenne, et alors que la Charte européenne des droits fondamentaux pourrait devenir le préambule d'une future constitution européenne, il est nécessaire de rappeler l'acquis communautaire en matière d'égalité hommes-femmes. Mais il est encore plus indispensable de rappeler le respect qui est dû à tout être humain, au nom du droit à la dignité et à l'intégrité. Nul ne devrait plus pouvoir être vendu, exploité, contraint à la prostitution ou à la mendicité, séquestré, privé de ses droits les plus élémentaires, battu, logé dans des conditions indignes, au siècle où nous vivons.
Ces valeurs communes aux Quinze membres actuels de l'Union européenne devront le rester dans la future Union à 25, les pays candidats à l'adhésion étant parfois ceux où se développent les réseaux du proxénétisme, du trafic de drogue et du trafic d'armes. Dans les pays de l'ex-bloc soviétique, souvent dépourvus d'économie productive et en proie au chômage de masse, la prolifération de ces réseaux peut s'expliquer par la différence de revenus entre les trafiquants et leurs compatriotes restés honnêtes. En effet, le revenu journalier des uns est supérieur aux revenus mensuels des autres et la tentation de la corruption a été grande.
Mais l'attrait de l'occident et de ses métropoles pousse bien des jeunes à y tenter leur chance, sans imaginer une seconde que le sort qui les attend est loin de leurs espérances et parfois bien pire encore que celui qu'ils cherchent à quitter. Misère, désoeuvrement, faiblesse, vulnérabilité ou crédulité ont attiré des millions de personnes dans l'exploitation par le travail forcé, l'esclavage domestique ou la prostitution.
Plus généralement, l'enlisement de l'Afrique, l'affrontement entre les riches et les pauvres et la crise financière en Asie du Sud-est ont permis la création, par des réseaux mafieux, de filières mondiales reposant sur l'esclavage et finançant on ne sait quelles entreprises pouvant menacer la stabilité et la paix. Notre approche doit donc être universelle, et c'est d'ailleurs une telle approche que votre rapporteure a retenue.
L'organisation internationale des migrations chiffre ainsi à 120 000 le nombre annuel de femmes et d'enfants qui font l'objet de trafics à destination de l'Union européenne. Ceci doit nous inciter à réfléchir sur les fondements d'une mondialisation plus humaine, plus respectueuse de l'environnement et qui nous conduise graduellement à des échanges internationaux effectués sur des bases plus équilibrées.
S'il y avait moins de migrations forcées du fait des guerres, des épidémies, des catastrophes écologiques ou tout simplement de la misère, et plus de migrations résultant d'un choix individuel libre et éclairé, le problème de l'esclavage contemporain et de ses réseaux serait aux trois quarts résolu.
Un combat sans merci contre cette abomination doit s'engager. Et c'est ce à quoi le ministre de l'Intérieur s'est attelé sans tarder, dès la formation du gouvernement. J'ai accompagné le processus d'élaboration de la loi sur la sécurité intérieure, en présentant un plan d'action comprenant prévention et soutien à la réinsertion professionnelle et sociale des personnes désireuses de quitter l'activité prostitutionnelle, afin de les soutenir dans leur tentative de saisir une deuxième chance.
Une des questions clé est celle de l'hébergement sécurisé, par l'anonymat et la distance, des prostituées qui dénoncent leurs proxénètes et qui collaborent avec la police et la justice pour les mettre hors d'état de nuire. Ce dispositif peut également s'appliquer aux victimes d'esclavage domestique ou économique.
Il est très choquant de parler d'esclavage contemporain. L'esclavage est un mot hérité du passé, qui ne devrait pas être qualifié de contemporain, en particulier dans les pays développés. C'est cependant à cela que nous sommes confrontés, et ceux qui en sont les responsables ou les complices ne sont pas tous de nationalité étrangère, loin s'en faut. Il y a aussi des proxénètes français, des trafiquants français, des réseaux mafieux qui peuvent avoir des responsables étrangers mais leur siège en France. Il faut que nous soyons mobilisés pour combattre tous ces réseaux et ces filières avec les armes les plus adaptées.
A Paris, les estimations les plus crédibles font état de 6 000 à 7 000 personnes prostituées sur les trottoirs, auxquelles s'ajoutent 3 000 personnes dans les bars à hôtesse et les salons de massage. Ce sont des chiffres très certainement sous-estimés. Mais on observe déjà les premiers effets bénéfiques des mesures prises par le gouvernement et des mesures à venir lorsque la loi sera votée, en ce qui concerne le nombre de jeunes femmes de l'Est sur les trottoirs parisiens. Les réseaux mafieux internationaux ont d'ores et déjà compris le signal et que désormais, la France ne représentera plus pour eux un marché " d'avenir.
En ce qui concerne la pénalisation du client, le gouvernement a voulu se donner le temps d'évaluer les résultats des mesures adoptées dans certains pays comme la Suède avant de s'y engager à son tour, si les résultats apparaissent concluants. Mais les cas de poursuites pénales envers les clients, actuellement réservés aux mineurs, auront déjà notablement augmenté dès l'adoption définitive de la loi pour la sécurité intérieure. Il reviendra aux juges d'apprécier, au cas par cas, l'état de " particulière vulnérabilité connue du client " contenu dans la loi.
Quant à l'esclavage domestique, grâce à la détermination d'associations dont le travail est remarquable, comme le Comité Contre l'Esclavage Moderne, il commence seulement à apparaître au grand jour. Compte tenu de la proportion importante d'affaires concernant le domicile privé de diplomates, il faut à l'évidence tout faire afin que la Convention de Vienne de 1961, organisant leur immunité pénale, soit réformée dans un sens plus restrictif. En particulier, cette immunité ne doit plus pouvoir s'appliquer à des actes détachables de la fonction diplomatique. En pareil cas, les crimes et délits commis sur notre territoire devraient être poursuivis selon des règles de droit commun. Il y va du principe fondamental de l'égalité devant la loi.
Je voudrais également souligner que si l'esclavage économique frappe indifféremment les hommes et les femmes, dès lors qu'ils ont une force de travail, l'esclavage domestique et l'exploitation sexuelle frappent en grande majorité les femmes. Ce sont donc les femmes et les enfants qui paient le plus lourd tribut à ces trafics honteux, dont le seul objectif est mercantile, au mépris de toutes les valeurs fondatrices de toutes les civilisations. Parmi ces valeurs, affirmées par les chartes et les traités internationaux, figurent, en effet la fraternité et la solidarité. Dès lors, utiliser des êtres humains avec des concepts commerciaux ou comptables telle qu'offre, demande, stock ou capital à amortir, représente un déni d'humanité qui appelle la révolte, mais aussi des sanctions. La France a toujours réprimé le proxénétisme de manière très forte et de fait, les peines prévues par le code pénal figurent déjà parmi les plus lourdes. Mais elle est restée beaucoup plus tolérante envers certaines formes d'esclavage ou de servitude économique qui perdurent encore trop souvent dans certains secteurs économiques. Ces secteurs sont souvent caractérisés par une faible qualification, des emplois saisonniers, des horaires atypiques et un fort recours à la main d'oeuvre étrangère.
Le gouvernement auquel je suis fière d'appartenir a entériné le plan de lutte contre la traite et l'exploitation sexuelle des êtres humains que j'avais présenté le 28 octobre 2002 à Strasbourg. Ce plan est fondé sur la dignité de la personne humaine ainsi que la sécurité individuelle et collective, et se décline en trois volets. D'abord, part, la prévention par l'information et la sensibilisation du public, notamment des jeunes dès l'école. Ensuite, la répression envers les trafiquants, proxénètes et autres auteurs et complices de la traite. Enfin, et surtout, le soutien et l'aide à la réinsertion sociale et professionnelle des victimes, que ce soit dans leur pays d'origine ou en France.
A ce sujet, il ne faut pas commettre de contresens. Si le racolage doit devenir un délit puni d'une amende et autorisant une garde à vue de la personne prostituée, cela devra permettre aux travailleurs sociaux et aux avocats de lui faire connaître ses droits et les lieux où elle pourra trouver de l'aide. Outre l'autorisation provisoire de séjour et de travail qui pourra lui être donnée, sauf cas particulier, la victime de la traite pourra bénéficier du programme d'action du ministère de la Justice en faveur des victimes. Elle sera informée à tous les stades de la procédure pénale et pourra obtenir l'aide juridictionnelle sans condition de ressources. C'est donc le double souci de l'autorité et de l'humanité qui a guidé notre action.
Pour compléter ce dispositif, le Garde des Sceaux présentera le 26 mars prochain en Conseil des ministres un projet de loi visant à renforcer les moyens de la justice, pour lutter contre la criminalité organisée. Il s'agira d'une part de moderniser les structures de la justice et le droit pour lutter contre les mafias internationales, et d'autre part de créer des juridictions spécialisées au niveau régional sur le modèle des juridictions antiterroristes.
Nous n'aurons donc pas perdu de temps en mettant au point un dispositif de grande envergure moins d'un an après la prise de fonction du gouvernement. Ce plan fait en outre largement appel aux échelons déconcentrés de l'Etat et aux collectivités locales.
Je m'emploierai pour ma part, avec la plus grande vigilance, à dynamiser l'ensemble des acteurs de ce programme d'action en réunissant périodiquement la cellule interministérielle placée sous ma responsabilité, qui comprend des représentants d'une quinzaine de ministères. Je compte d'ailleurs la réunir très prochainement.
Quant aux associations - Mme Monrique a cité à juste titre le Bus des femmes - qui font un travail remarquable et indispensable, elles seront soutenues tant pour l'aide concrète et psychologique qu'elles apportent aux victimes de la traite que par les conseils et les avis qu'elles apportent aux pouvoirs publics. Permettez-moi d'évoquer à ce sujet la mémoire du Père Patrick Giros, fondateur et président de l'association " Aux captifs la libération ", disparu à la fin de l'année dernière et que j'avais reçu à maintes reprises. Notre sujet d'aujourd'hui, témoigne que son oeuvre se poursuit.
Je sais que la lutte contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle, domestique ou par le travail forcé sera longue et la route difficile. Mais les dernières tendances enregistrées sont encourageantes. La prise de conscience que l'impensable peut se produire sous nos yeux ou à notre porte progresse dans l'opinion. La réponse des pouvoirs publics se construit peu à peu, de façon déterminée. Et par-dessus tout, il y a l'immense chantier de la construction et de l'élargissement de l'Union européenne qui devrait permettre de faire en sorte que ces principes d'égalité, de dignité et de respect des êtres humains deviennent une forme de gène organisateur de notre future Europe.
En attendant, les pays européens devront s'ouvrir à tout échange d'informations, de bonnes pratiques ou d'expériences réussies sur ce thème, pour mieux adapter les réponses nationales et forger progressivement une réponse européenne, une éthique européenne face aux réseaux criminels que nous combattons. C'est le combat de tous, le combat contre toutes les violences et contre leurs auteurs, et surtout le combat pour l'égalité et pour la dignité.
Je vous remercie. "
(source http://www.social.gouv.fr, le 10 avril 2003)