Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, sur les conséquences de la monnaie unique, la poursuite de la construction communautaire et sur les relations Europe-Etats Unis, Washington le 13 mai 1998.

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Circonstance : Toast du ministre lors du dîner à la résidence de France, à Washington, le 13 mai 1998

Texte intégral

Permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'être venus dîner ce soir à la résidence de France, et permettez-moi aussi de remercier l'ambassadeur de France, François Bujon de l'Estang, d'avoir organisé cette rencontre, quelques heures après mon arrivée à Washington.
Comme vous le savez sans doute, je suis en charge, au sein du gouvernement français, des questions européennes. Les occasions de dialogue entre la France et les Etats-Unis sur ces questions, et de manière plus générale sur les relations transatlantiques, ne sont sans doute pas assez fréquentes. Elles sont donc précieuses.
J'entame un voyage trop bref - deux journées et demie - mais qui s'annonce bien rempli, et qui est destine :
- tout d'abord à exposer à mes différents interlocuteurs américains les vues de la France sur les principales questions qui occupent en ce moment les Européens - réussir l'Union économique et monétaire ; accueillir de nouveaux membres au sein de la famille européenne -,
- ensuite à expliquer nos positions et nos attentes dans le domaine crucial des relations transatlantiques,
- et enfin, et surtout, à écouter les points de vue des Américains que je rencontrerai, à commencer par vous ce soir, sur la façon d'améliorer et de renforcer les liens entre nos deux continents, lies par l'histoire, qui ont en partage ce qu'on appelle justement une communauté de valeurs, mais aussi des intérêts considérables. A eux deux, l'Europe et les Etats-Unis représentent par exemple plus de 50 % du commerce mondial.
Avant de vous laisser continuer dîner tranquillement, je tenais à vous faire part des dernières bonnes nouvelles en provenance d'Europe :
- la monnaie unique va voir le jour, dans les délais prévus, au 1er janvier 1999, et en englobant un nombre de participants - onze - que nul n'eut pu raisonnablement imaginer ou espérer il y a encore un an. En dépit des difficultés, surmontant des réticences de toutes provenances et le scepticisme d'autres - dont celui au départ de nos amis américains -, les Européens disposeront à partir de l'an prochain d'une seule monnaie, l'euro, qui se substituera complètement et définitivement aux devises des Etats participants le 1er juillet 2002. L'événement est historique, et il n'a guère de précédent dans l'histoire. La presse en a abondamment rendu compte ces derniers temps, à l'occasion notamment du Conseil européen de Bruxelles des 2 et 3 mai, même si elle a trop insiste à mon goût sur les discussions qui ont conduit a la désignation du président de la future Banque centrale européenne, omettant parfois de bien cerner les enjeux des décisions en train de se prendre. Depuis la signature du traité de Rome en 1957, les Européens sont devenus familiers des négociations longues, âpres et difficiles. Nous parvenons presque toujours par finir à nous mettre d'accord. Ce fut aussi le cas a Bruxelles il y a dix jours. L'euro offrira aux citoyens européens et aux entreprises européennes et présentes en Europe des avantages considérables en terme de simplification des transactions, de disparition des coûts de change... Nous pouvons aussi en espérer un regain de l'activité, une croissance supplémentaire et partant des créations d'emplois. La monnaie unique ne sera pas construite "contre" les autres devises ou les autres partenaires ou ensembles économiques et monétaires, en particulier les Etats-Unis et le dollar. Je crois très sincèrement, comme le vice-Secrétaire au Trésor, Larry Summers, l'a lui-même déclaré à l'automne dernier, que la création de l'euro est de l'intérêt de tous, des Européens, des Américains et des autres.
- l'Europe continue a s'élargir. C'est, si j'ose dire, la rançon de son succès et la démonstration de l'attrait et du bien-fondé du projet que nous avons lancé il y a plus de quarante ans. "We must have done something right !". Nous étions six, puis neuf, puis dix, douze et enfin quinze. Nous franchirons sans doute la barre des vingt à l'aube du prochain millénaire, en commençant à intégrer les anciens pays satellites de l'ex-URSS et Chypre. L'Union européenne, par le jeu de ses mécanismes de solidarité, mais aussi par l'encouragement à se moderniser qu'apporte en général la perspective d'une adhésion, a puissamment aidé dans un passé récent au développement rapide de certains partenaires, je pense en particulier à l'Irlande, au Portugal, à l'Espagne et à la Grèce Il ne fait guère de doute à mes yeux qu'elle pourra avoir les mêmes effets bénéfiques dans la période qui s'ouvre à présent.
Au moment où l'Union européenne franchit avec l'UEM une étape supplémentaire et à proprement parler révolutionnaire dans son intégration, et qu'elle poursuit en même temps l'élargissement du champ de ses participants, il est naturel et logique que l'on songe a progresser encore dans la structuration du lien transatlantique. Les Etats-Unis demeurent le partenaire majeur de l'Union européenne, et la France reste le plus vieil allié des Etats-Unis. La France est donc fermement attachée au renforcement et à l'intensification du lien transatlantiaque. C'est presque un syllogisme. Il correspond à l'exacte réalité, ce qui n'empêche pas mon pays de ne pas hésiter à défendre vigoureusement et à haute voix ses intérêts et ceux de l'Europe, quand nous estimons que ceux-ci sont menacés ! Même si les arbres ne doivent jamais cacher la forêt, et que les relations entre l'Europe et les Etats-Unis sont fondamentalement bonnes, des contentieux existent. Je pense en particulier aux lois extra-territoriales adoptées par votre Congrès. Résolvons ces différends, plutôt que de chercher à les contourner ou à les enfouir sous un nuage de fumée, comme proposait de le faire le projet heureusement défunt de "New Transatlantic Marketplace". L'Union européenne et les Etats-Unis ont arrêté il y a deux ans et demi a Madrid un ambitieux programme de travail et de coopération, qui a déjà porté quelques fruits, et qui peut sans le moindre doute permettre d'en voir éclore de nombreux autres. Soyons pragmatiques, et poursuivons dans cette voie.
Le fonctionnement de l'Europe, de ses structures, de ses mécanismes de décision échappent souvent aux Béotiens, et la plupart du temps à nos concitoyens, qui s'en plaignent, et qui ont raison. Sachons mieux l'expliquer et mieux en faire valoir les mérites. Je ne sais pas si l'histoire est vraie, mais on dit que Madeleine Albright, qui présentait un projet à un interlocuteur français, se serait vu répondre : "c'est intéressant sur le plan pratique, mais cela ne marchera jamais sur un plan théorique". Nous avons donc la réputation d'être trop abstraits. Je ne crois pas que le reproche soit entièrement fondé. L'histoire démontre surtout que nous devons nous parler davantage sur le plan bilatéral, et multiplier les occasions de nous expliquer. C'est la seule méthode que je connaisse pour prévenir et résoudre les désaccords qui peuvent légitimement survenir et pour progresser ensemble.
Pardonnez-moi d'avoir été un peu long. Je vous remercie et vous souhaite une bonne fin de soirée./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2001)