Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF à France-Inter le 15 janvier 2003, sur les relations du patronat et du Gouvernement, la réforme des retraites et le dialogue social.

Prononcé le

Média : France Inter

Texte intégral

STEPHANE PAOLI : Est-ce une lune de miel, voire la sainte alliance, pour reprendre les titres des quotidiens nationaux et parisiens ce matin, entre le MEDEF et le gouvernement ? Le partenariat, mot employé par Jean-Pierre Raffarin n'implique-t-il pas des contreparties ? Contre les baisses d'impôts, de charges et les simplifications administratives, la favorisation du dialogue social. Invité de Questions directes, Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, réélu hier pour un deuxième et dernier mandat de trois ans. Bonjour.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bonjour.
STEPHANE PAOLI : Partenariat, mais chacun pour soi ? Chacun chez soi ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Chacun, bien entendu, dans son rôle. L'un gouverne, représente l'ensemble des Français et nous, nous représentons les entrepreneurs. Ce qui est important hier, ce qui s'est passé hier, c'est évidemment que ceux qui gouvernent ont reconnu que ceux qui produisent dans la société sont importants, ont un rôle central, comptent lourd pour l'avenir de notre pays et de ce fait doivent être pris en considération, c'est-à-dire entendus et écoutés, ce qui n'était pas le cas précédemment où, au contraire, je dirais, on construisait un peu la politique sur un antagonisme avec ceux qui produisent. Alors, ça, je crois que c'est un vrai tournant. Nous en sommes très heureux, nous le demandions, c'est exactement ce qui se passe à l'étranger. Vous savez, Tony Blair, socialiste, Schröder, socialiste, étaient en partenariat avec les entrepreneurs de leur pays et je pense que Jean-Pierre Raffarin là, a fait faire à notre pays un progrès hier en reconnaissant que chacun devait à la fois se respecter, bien sûr, chacun à sa place, mais également la main dans la main, essayer de construire l'avenir de la France.
STEPHANE PAOLI : Alors, en effet, le signe est fort. C'est la première fois que le Premier ministre était présent à cette réunion du MEDEF. N'empêche, et Pierre Le Marc le remarquait juste avant le journal ce matin, chacun a dit ce qu'il avait à dire. Vous, qui aviez été si critique l'été dernier, vous avez à nouveau exprimé vos exigences, le mot n'est pas un mot faible, vos exigences de réforme et Jean-Pierre Raffarin, mine de rien, vous a dit : oui, d'accord, exigences, mais il y aura des contreparties et vous, il faut que le dialogue social ait lieu. Chacun a dit ce qu'il voulait dire.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, mais enfin, si vous voulez, je crois que la convergence est très forte. En fait, Jean-Pierre Raffarin a entendu le discours que j'ai fait en tant que représentant des entrepreneurs, et qui est appuyé par l'immense majorité des 700 000 entreprises que nous représentons et j'ai insisté d'abord sur la nécessité de remettre le travail à sa place. Le premier argument du Premier ministre, c'est : je vais remettre le travail à sa place. Ensuite, nous avons dit : nous demandons le dialogue social dans notre pays et nous demandons à ce qu'on modernise la manière dont il s'effectue. On a vu encore récemment, dans l'affaire EDF, que, c'est vrai, qu'il y avait beaucoup de choses qui ne sont pas claires dans le dialogue social et le Premier ministre a dit : je vais réformer le dialogue social. Et puis, nous avons dit : l'attractivité de la France demande à ce que nous soyons à la moyenne européenne par rapport à par exemple pour la fiscalité, pour la fiscalité du patrimoine. Les convergences sont très grandes. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire que, progressivement, et je crois que ça a mis le temps et que nous avons perdu du temps, on a tardé, aujourd'hui, les Français comprennent que nous ne pouvons pas arriver à garantir la solidarité dans notre pays si fondamentale, progresser dans l'emploi et la croissance s'il n'y a pas ce consensus national autour de l'idée que les entreprises doivent être performantes dans notre pays comme ailleurs.
STEPHANE PAOLI : Alors, au moment où vous commencez un deuxième mandat de trois ans, après avoir déjà beaucoup réformé de choses au sein du MEDEF, qu'est-ce que ça veut dire à vos yeux dialogue social ? Et, tenez, soyons concrets. Sur la question des retraites, comment vous envisagez le dialogue social ? Sachant d'ailleurs, là aussi, que monsieur Raffarin a mis un bémol hier en vous disant : attention, il ne peut pas y avoir qu'un seul levier pour régler la question de la retraite, là où vous demandez, vous, et uniquement, l'allongement de la durée de cotisation.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Le dialogue social dans la retraite, il est totalement installé dans la retraite complémentaire. Parce que c'est une responsabilité entre les entrepreneurs et les syndicats. C'est un régime qui fonctionne, comme on dit, en paritarisme. Pour le reste, c'est-à-dire dans la Fonction publique, dans les régimes spéciaux, pour le socle de la retraite qui est de la Sécurité sociale, ce sont en réalité des décisions du gouvernement. Alors, il écoutera, bien entendu, les uns et les autres, mais il doit prendre ses décisions. Alors, à cet égard, nous lui disons : il y a trois choses que l'on peut faire. Et je vais être très simple. Puisqu'il y a besoin de milliards, de dizaines de milliards d'euros pour équilibrer le système, on peut ou bien réduire les retraites, et ça, personne ne le souhaite. Ou bien accroître le prélèvement sur les gens qui travaillent, les actifs, par cotisation
STEPHANE PAOLI : C'est déjà très lourd
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est déjà 25 % ! 25 % de ce que les gens gagnent passent aux retraités directement de leur poche à leur poche. Et nous pensons que ça, ce n'est pas possible d'en prendre plus sans vraiment avoir des problèmes de pouvoir d'achat de la part des actifs. Et je crois qu'on le comprendra. Et donc, la seule variable sur laquelle on peu jouer de façon très efficace, c'est sur la durée de cotisation. C'est 37,5 ans dans la Fonction publique. A l'évidence, il va falloir travailler plus pour avoir la pleine retraite. C'est l'allongement de la durée de cotisation. Et nous pensons que dans le privé, où on l'a déjà allongée à 40 ans, on devra progressivement, dans les années qui viennent, mais c'est sur des dizaines d'années, accepter de travailler plus pour équilibrer. C'est l'évidence. Il n'y a aucune agressivité dans ce propos. C'est la démonstration que c'est ce qu'il y a de plus facile à faire pour garantir aux Français la retraite, la bonne retraite à laquelle ils ont droit et qu'ils veulent. Mais si on ne veut rien faire, bien entendu, ou si ça bloque, ou si on défile simplement Défiler n'a jamais donné la matière pour améliorer le système de retraite français.
STEPHANE PAOLI : Oui, mais enfin, chacun dans son rôle Quand les syndicats, qui en effet défilent, vont peut-être à nouveau défiler pour vous dire non. Non, on n'est pas d'accord pour cotiser plus longtemps, qu'est-ce qui va se passer et au fond jusqu'où, vous, pour ce deuxième mandat; êtes-vous prêt à aller pour, sinon refonder le dialogue social ? Il y a quelques jours, à cette même antenne, la CGT parlait, elle, d'un pacte social. Quelles sont vos marges de manuvre aujourd'hui, ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, si vous voulez, le dialogue social dans lequel nous sommes, nous, actuellement engagés est un dialogue qui touche tout aussi à la formation professionnelle, la réforme de l'assurance chômage qui vient d'être faite en, profondeur pour, justement, arriver à garantir le système et de faire en sorte que les demandeurs d'emploi continuent à être couverts par une garantie. Il a fallu réformer. On l'a fait. On l'a fait massivement, fortement. Tout ceci est possible. La volonté de blocage, si vous voulez, en matière de retraite, elle n'existe pas en réalité. Il n'y a pas de blocage possible. Il faut se mettre devant les faits. L'allongement de la durée de la vie, la démographie, ce sont là des choses sur lesquelles on peut agir. C'est inscrit dans les gènes de notre société française. Et donc, nous allons devoir, devoir en passer par de la réforme. Alors, on a, bien entendu, en 1995, je dirais, eu le sentiment qu'on pouvait bloquer la réalité, bloquer la vie en quelque sorte, par une sorte de refus massif. Mais ceci est, à l'évidence, aujourd'hui impossible. Et si l'on veut bloquer, alors on bloquera la France. Et si on bloque la France, il n'y aura plus rien du tout. Donc, nous disons, nous, entrepreneurs, encore une fois avec notre responsabilité de vérité : l'allongement de durée de cotisation a été mis en place dans l'Europe entière. C'est fait. Tout le monde a accepté de travailler, sur les 4, 5 ans qui viennent, un an de plus, de cotiser un an de plus pour avoir une pleine retraite. Nous n'éviterons pas cela. Et personne ne le souhaite, mais c'est la réalité qui l'emportera.
STEPHANE PAOLI : Un mot encore sur le contexte de l'année qui commence. A regarder un sondage publié hier par LE FIGARO, les patrons, vous n'êtes pas très optimistes.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, vous savez, l'optimisme des patrons, c'est une drôle de notion. Nous, plus ça va mal et plus il faut être optimiste parce qu'on n'a pas le choix, il faut survivre, il faut se développer, il faut maintenir l'emploi, il faut maintenir, je dirais, la dynamique de son entreprise. Donc, la pression Alors, on vous dit : est-ce que vous croyez que ça va se développer cette année, est-ce qu'il va y avoir une belle croissance ? Non. Nous savons bien qu'en 2003, la croissance va être faible. Donc, les entrepreneurs vont avoir de la difficulté. Mais ce n'est pas pour ça qu'on est pessimiste. On va se battre bien sûr. C'est le rôle des entrepreneurs d'assurer l'emploi, d'assurer la marche de leur entreprise.
STEPHANE PAOLI : Assurer l'emploi Quand les patrons disent : on va maintenir les effectifs à leur niveau, on ne va pas assister, comme on a malheureusement commencé d'assister ici et là, à des dégraissages pour rendre l'entreprise plus performante ? Est-ce que ce n'est pas une menace sur l'année qui commence, ça ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : On a créé 2 millions d'emplois dans la société française et ce sont les entreprises qui les ont fait depuis 5 ans. Du fait du ralentissement de croissance, il est inévitable qu'il y ait un certain nombre d'entreprises qui doivent adapter leurs effectifs. Mais, que voulez-vous, on ne peut pas, comment dirais-je, se féliciter du plus quand ça marche et ne pas constater les difficultés quand ça ralentit. Et heureusement d'ailleurs, dans la société solidaire française, quand ça ralentit, eh bien les systèmes de solidarité se mettent en place. Et la formation, d'ailleurs, doit venir en appui de tout cela. On insiste énormément, du côté du gouvernement, par exemple, sur les contrats jeunes. Oui, les contrats jeunes permettent de faire rentrer des jeunes rapidement dans l'entreprise. Mais ensuite, il faut qu'ils se forment. Et nous allons avoir une négociation qui s'ouvre avec les syndicats, de façon à parfaire les systèmes de formation, de façon à pouvoir faire en sorte, comme l'a dit hier le Premier ministre, et nous sommes tout-à-fait d'accord sur cette notion, que le chômage et la formation deviennent à peu près équivalents. C'est-à-dire que quand on a une perte d'emploi, on puisse, par la formation, retrouver rapidement une réorientation professionnelle. C'est d'ailleurs tout le sens de la réforme que nous avons fait de l'assurance chômage et du Pare. Il y a actuellement, si vous voulez, une certaine convergence qui s'installe dans la société française pour rechercher, en partenariat, en dialogue social, ensemble, les solutions et les problèmes en effet qui existent. Mais ce n'est pas en s'opposant sur les solutions, bien entendu, qu'on facilitera les choses. Je pense que, là, une page se tourne. Et nous en ouvrons une autre où le partenariat français entre ceux qui produisent, les salariés et les syndicats, et, bien entendu, le gouvernement est en train de, probablement, installer pour la France une période où les solutions seront plus faciles à trouver.
STEPHANE PAOLI : Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, réélu hier. Vous restez quelques minutes avec nous encore Ernest-Antoine Seillière ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, très volontiers.
(Source http:// www.medef.fr, 16/01/2003)