Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur la politique étrangère de la France, Paris le 1er septembre 1994.

Prononcé le 1er septembre 1994

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence des ambassadeurs de France au Quai d'orsay le 1er septembre 1994 dans le cadre d'une réunion à Paris de tous les ambassadeurs du 31 août au 5 septembre

Texte intégral

Je suis particulièrement heureux de l'occasion qui m'est à nouveau donnée de m'adresser à tous les chefs de missions diplomatiques françaises à l'étranger et aux principaux cadres du ministère des Affaires étrangères en présence d'Alain Juppé et d'Alain Lamassoure. Chacun à votre place, vous avez la responsabilité éminente de fournir aux autorités politiques les éléments nécessaires à la définition de la politique étrangère de la France puis de mettre en oeuvre les orientations qu'elles ont retenues. Il est donc essentiel qu'une fois par an vous puissiez vous rassembler pour réfléchir ensemble aux évolutions de la vie internationale et aux moyens de mieux promouvoir les intérêts de la France. Quel est ce monde sans cesse renouvelé qui l'entoure ? Vers quel chemin son exigence morale et ses intérêts doivent-ils la conduire ? Il n'y a pas de réponses simples à ces interrogations. Mais j'ai la conviction que nous parviendrons à les formuler et à les donner avec davantage de bonheur si nous avons toujours à l'esprit le souci de nous adapter et d'être fidèles à la vocation de notre pays.
Changer, c'est d'abord éviter de se laisser enfermer dans la répétition des conduites passées. Le temps ne ramènera pas "l'ordre des anciens jours". En cette fin du XXème siècle, nous entrons dans un monde nouveau qui exige de nous le courage de procéder aux ajustements nécessaires. La société internationale, à l'image de nos sociétés nationales, répugne aux changements alors même que ceux-ci la traversent de toutes parts. N'est-ce pas l'une des leçons essentielles du Général de Gaulle, non pas de nous avoir laissé un système ou d'immuables principes, mais d'avoir affirmé d'une manière incomparable dans ses analyses comme dans ses actes l'incessante nécessité d'une bonne intelligence des situations et de l'adaptation aux circonstances ?
La compétition internationale nous entoure de toutes parts avec ses dures exigences mais aussi les chances qu'elle ouvre à toutes nos activités industrielles, financières, agricoles et commerciales. Nous ne réussirons à en relever les défis comme nous le faisons aujourd'hui avec succès que si nous restons fidèles à la France, à son inspiration, à ses profondes racines qui font sa force. C'est en restant nous-mêmes que nous susciterons le respect mais surtout que nous pourrons apporter quelque chose au monde, non seulement l'ingéniosité de nos scientifiques et de nos techniciens mais aussi toute la tradition d'humanisme et de générosité grâce à laquelle la pensée française a si longtemps atteint l'universalité. En avril 1993, lors de la présentation de mon gouvernement devant le Parlement, j'avais affirmé le souhait que la France soit à nouveau un exemple comme elle le fut à certaines périodes de son histoire. Il ne tient qu'à nous de le redevenir.
Voici maintenant près d'un an et demi que mon gouvernement, en accord avec le Président de la République, a conduit les relations extérieures de la France. Avant d'examiner avec vous l'avenir, il me paraît important de revenir quelques instants sur cette expérience dont vous avez été les artisans essentiels.
L'un des premiers objectifs du gouvernement a été de faire progresser l'organisation du monde et de l'Europe. Comment garantir autrement à chaque pays, et en premier lieu au nôtre, que ses droits et par conséquent ceux de ses citoyens à la paix et au progrès seront protégés ?
Participation française aux opérations de maintien de la paix de l'ONU - ex-Yougoslavie - Bosnie
L'organisation du monde, c'est d'abord l'ONU. Depuis 18 mois je crois pouvoir dire que la France en a été l'un des soutiens les plus actifs et qu'en mettant sa volonté politique au service du bien commun dans des circonstances particulièrement difficiles, elle a contribué à renforcer l'organisation mondiale.
Dans l'ex-Yougoslavie d'abord ; en 1993, la communauté internationale s'était déjà engagée dans la crise depuis de nombreux mois mais elle était désunie. Entre Européens les divergences se faisaient jour ; de leur côté les Etats-Unis, qui ne souhaitaient pas s'impliquer, avaient une approche différente de la nôtre et la faisaient connaître ; les Russes enfin étaient maintenus à l'écart aussi bien par leurs difficultés intérieures que par la volonté commune. Cette désunion avait pour effet désastreux de donner argument à chaque partie au conflit pour le continuer ; elle ruinait la crédibilité des Nations unies et, par le fait même, mettait en danger les soldats qui servaient sous ses couleurs parmi lesquels le contingent français arrivait de loin au premier rang. La guerre faisait rage et la situation humanitaire était catastrophique.
Il faut dire que c'est en grande partie grâce à l'action incessante de la diplomatie française et de la volonté qu'elle a affichée que nous avons obtenu progressivement un quasi arrêt des combats, évité un désastre humanitaire et réuni l'ensemble de la communauté internationale sur un plan de paix, c'est-à-dire avec une perspective politique qui permet aujourd'hui de mettre chacun devant ses responsabilités. Alain Juppé et beaucoup d'entre vous ont pris dans cette entreprise une part essentielle à laquelle je tiens à rendre hommage. Nous poursuivrons dans cette voie en sanctionnant ceux qui refusent la paix et en utilisant si nécessaire à leur encontre des moyens de pression à caractère militaire. La complexité des problèmes de l'ex-Yougoslavie nous a montré que le chemin de la paix était long et que seule l'union des volontés politiques des principales puissances dans la fermeté était capable d'y progresser. La France entend rester fidèle à cette ligne ; elle sait que toutes les solutions, comme la levée de l'embargo, qui seraient celles de l'abandon, aboutiraient au pire et ne seraient pas favorables à la stabilité de notre continent. Elles entraîneraient le départ de nos troupes que le gouvernement n'acceptera jamais de mettre en danger inutilement. Mais vous imaginez combien la France préférerait que la raison l'emporte et qu'une fois la paix retrouvée elle puisse faire porter ses efforts en faveur de la reconstruction de ce pays dévasté et promouvoir avec ses partenaires européens la paix et le bon voisinage dans l'ensemble des Balkans.
Rwanda - opération Turquoise
Dans un domaine bien différent, celui du Rwanda, la France a également contribué de façon exemplaire au renforcement de l'organisation internationale. Chacun sait la situation qui existait dans ce pays en juin dernier. Des massacres qui avaient fait des centaines de milliers de morts, un exode massif de populations, un peuple terrorisé, menacé d'autres massacres qui ne feraient qu'amplifier l'exode. En dépit des appels répétés du Secrétaire général des Nations unies et du vote d'une résolution du Conseil de sécurité, les pays africains comme la communauté internationale assistaient sans réagir au martyre de cette nation francophone. Comme vous le savez, la France prit la décision d'intervenir sur un plan strictement humanitaire et sans se laisser entraîner dans les conflits intérieurs. Elle le fit quasiment seule, à l'exception notable de quelques pays africains amis, et en particulier du Sénégal. Elle fut aussitôt critiquée par ceux-là mêmes qui un instant plus tôt fustigeaient l'inaction de la communauté internationale.
Un peu plus de deux mois plus tard, la France, conformément à son mandat et à ses engagements, a retiré ses troupes du Rwanda. Chacun considère aujourd'hui que son action a permis d'éviter le pire. Elle a en premier lieu sauvé des vies humaines, ce qui était son objectif essentiel. Elle a ensuite contribué à la mobilisation de la communauté internationale. Qui eut prédit en juin dernier que la MINUAR renforcée rassemblerait les effectifs qu'elle atteint aujourd'hui ? Dès le 11 juillet devant le Conseil de sécurité des Nations unies alors même qu'à de rares exceptions les organisations humanitaires étaient absentes du Rwanda, j'ai alerté la communauté internationale sur la catastrophe humanitaire qui se préparait. Qui eut dit alors que toutes les institutions humanitaires de la famille des Nations unies et la plupart des ONG seraient bientôt présentes au Rwanda comme c'est le cas aujourd'hui ? Pourquoi avons-nous atteint ces résultats ? D'abord et encore une fois parce que nous avons fait preuve de volonté politique en étant fidèles à notre tradition historique. La France ne pouvait rester indifférente devant le malheur d'un peuple africain francophone et laisser croire ainsi que la communauté internationale ne se mobilise que lorsque de puissants intérêts sont en jeu. Mais l'essentiel a tenu aux conditions d'exécution de cette opération humanitaire dont chacun alors mesurait les dangers militaires et les difficultés politiques. Ces conditions, je les ai fixées le 22 juin devant l'Assemblée nationale : nous devions avoir un mandat clair des Nations unies, nous en tenir à une opération strictement humanitaire, agir avec d'autres dans des limites de temps précises. C'est le strict respect de ces orientations qui a permis d'obtenir les résultats que l'on sait et j'en suis convaincu de faire prendre une meilleure conscience aux membres des Nations unies et en particulier aux Etats africains du devoir de solidarité qui existe entre les peuples de notre planète.
Union européenne - GATT
Notre action en faveur d'une meilleure organisation internationale s'est également affirmée en Europe et dans le domaine économique. Il y a seize mois, au lendemain des ratifications du Traité sur l'Union européenne, le projet européen ne faisait plus recette. Beaucoup de citoyens doutaient de l'Europe ou la redoutaient ; ils la suspectaient d'être synonyme de chômage et d'excès bureaucratique. L'Europe était absente de la scène internationale.
La première négociation internationale, celle du cycle d'Uruguay, menée avec succès par le gouvernement, a rendu de la crédibilité à l'Europe. Rappelons-nous la situation dans laquelle se trouvait l'affaire au début de l'année 1993 : une négociation bloquée, une Europe divisée, un Conseil des ministres sommé d'avaliser un arrangement agricole accepté sans mandat clair par la Commission de Bruxelles. La France était isolée et accusée de bloquer seule, à cause de quelques centaines de milliers d'agriculteurs, un accord qui aurait ouvert au monde la voie de la prospérité.
Le gouvernement a dû renouer les fils de la négociation : pour cela, il a fallu expliquer la position de la France, convaincre nos partenaires, renforcer l'entente franco-allemande et faire des propositions pour aboutir à un accord global, équilibré et satisfaisant. La diplomatie française a joué - vous le savez - un rôle majeur pour le bon aboutissement de ces négociations :
- La France, par son action, a rassemblé les Douze sur une position commune de négociation. Dès lors qu'ils sont animés d'une véritable volonté politique, leur action extérieure est renforcée ; ainsi, en matière commerciale, ils peuvent alors faire jeu égal avec les Etats-Unis ;
- La France a affirmé le principe selon lequel les oeuvres de l'esprit ne peuvent répondre aux seules lois du marché. L'exception culturelle ainsi obtenue avec l'aide de toute la communauté francophone est la garante de la diversité et de l'identité culturelle européenne ;
- La France a contribué à rééquilibrer les institutions communautaires en redonnant au Conseil des ministres, représentant les Etats, son pouvoir de décision et de contrôle politique de la Commission ;
- L'heureuse conclusion de cette négociation, dans des conditions satisfaisantes pour la France, a eu des conséquences positives pour les agents économiques : les agriculteurs ne se sont vu imposer aucune contrainte supplémentaire par rapport à la réforme de la politique agricole commune de 1992, notamment en ce qui concerne la jachère obligatoire ; nos entreprises vont bénéficier d'une ouverture accrue des marchés étrangers ; la mise en place d'une Organisation mondiale du commerce interdira le recours à des mesures commerciales unilatérales.
Cette négociation n'a rencontré le succès que parce que le gouvernement a fait preuve d'une volonté politique sans faille, d'une détermination absolue dans la défense d'une position claire et continue. La France a réussi, ainsi, à y rallier ses partenaires. Les résultats obtenus lors du GATT ont sans nul doute redonné à l'Europe sa place sur l'échiquier international et prouvé le rôle utile qu'elle pouvait jouer dans la défense des intérêts des Etats membres.
Elargissement de l'Union européenne - adhésion future de pays de l'Europe de l'Est
Une autre négociation a aussi été conduite avec succès à Bruxelles : l'élargissement de l'Union à l'Autriche, la Finlande, la Suède et la Norvège. Si ces pays en ratifient les résultats dans les prochaines semaines - c'est déjà fait pour l'Autriche -, ils deviendront membres de l'Union le 1er janvier prochain. M. Alain Lamassoure, ministre délégué aux Affaires européennes, a largement contribué au succès obtenu. L'Europe ainsi élargie était une nécessité politique. Elle sera plus forte. Par sa position centrale sur le continent, la France tirera avantage d'une Union européenne rééquilibrée entre le nord et le sud. Elle bénéficiera également de nouveaux marchés, notamment agricoles.
Mais j'ai tenu aussi à ce qu'à l'initiative de la France, l'Union européenne mette son influence et ses capacités au service de la paix et de la stabilité sur tout le continent. Rien ne serait plus grave à mes yeux que les pays d'Europe centrale et orientale, qui s'interrogent sur leur avenir, soient déçus par les valeurs de liberté qu'ils ont redécouvertes depuis 1989. La France leur ouvre donc résolument la perspective de l'adhésion et cela a été décidé en juillet 1993 au Conseil européen de Copenhague. Mais cette réunion de toute l'Europe, si nécessaire, ne doit pas être pour nos voisins de l'Est une illusion et pour l'Union européenne un affaiblissement. La France estime que cet élargissement doit être précédé d'une réforme institutionnelle qui préserve l'efficacité de l'Union européenne. En même temps, elle souhaite qu'au préalable ces pays aient mis fin aux problèmes qui parfois les divisent et pourraient nuire à la stabilité de l'Europe.
Sécurité en Europe - pacte de stabilité en Europe
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé dès avril 1993 que dans cette région si sensible aux problèmes de minorités et de frontières, des accords bilatéraux de bon voisinage capables d'apaiser ces tensions soient négociés. Un pacte de stabilité devrait regrouper tous ces accords et donner ainsi un signal politique de la volonté de toute l'Europe de dépasser l'héritage de l'histoire. Un an après cette initiative que l'Union européenne a faite sienne, plus de quarante ministres des Affaires étrangères se sont réunis à Paris en mai 1994 pour lancer un processus de négociation qui, pour la première fois, aborde des sujets si sensibles qu'ils avaient jusqu'ici été le plus souvent occultés. C'est un premier pas essentiel vers un apaisement général du continent et sa meilleure organisation. C'est la première véritable initiative politique de la PESC prévue par le traité sur l'Union européenne. Cela signifie que l'Europe ne se limite pas à approuver des résolutions, mais concentre ses moyens et agit sur le cours des choses. Cela signifie aussi qu'elle innove en proposant une procédure diplomatique originale marquée par le pragmatisme. Les deux tables de négociation régionales vont se réunir à la fin de ce mois et j'observe que, tant dans la région balte qu'en Europe centrale, le climat de bon voisinage s'est sensiblement amélioré. Il a fallu pour cela mener une activité diplomatique incessante, entretenir une étroite coopération entre la France et l'Allemagne et alimenter sans cesse les travaux de l'Union européenne. A ce prix, l'objectif parait aujourd'hui à la portée des Douze.
SME
Dans les affaires européennes, il est un autre domaine où l'action du gouvernement français a été essentielle, celle de la crise du système monétaire d'août 1993. Plusieurs monnaies européennes subissaient des attaques spéculatives répétées dont l'objet était en réalité la destruction du Système Monétaire européen lui-même. Celui-ci était de ce fait menacé d'éclatement, quelques mois seulement après la ratification du Traité sur l'Union européenne. L'on imagine quel effet un tel abandon des disciplines communes aurait eu sur l'avenir même de la construction européenne. Pour éviter une telle issue, j'ai proposé une solution -l'élargissement des bandes de fluctuations des monnaies - qui a sauvegardé l'essentiel tout en permettant de désarmer la spéculation. Chacun reconnaît aujourd'hui que cette décision difficile a contribué à sauver le Système Monétaire européen.
Afrique - dévaluation du franc CFA
Notre politique étrangère a été aussi marquée par la poursuite de l'effort de solidarité que nous avons accompli en faveur des pays en développement qui nous sont les plus proches. Le témoignage le plus fort de cette volonté a été l'importance des mesures d'accompagnement qui ont été prises pour permettre à la dévaluation du Franc CFA décidée par les chefs d'Etat de la zone de déboucher sur le succès. Lorsque le gouvernement a pris la responsabilité des affaires, ces pays s'enfonçaient dans la récession, leurs produits n'étaient plus compétitifs, leur niveau de vie baissait, les capitaux fuyaient. Nul n'entrevoyait alors d'espoir de redressement. La décision fut difficile à prendre et exigea de la part des chefs d'Etat concernés beaucoup de courage politique, à la mesure des critiques et du scepticisme qui se manifesta aussitôt. J'ai pu me rendre compte fin juillet en me rendant au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon que si le succès de cette opération n'est pas encore définitivement assuré, de nombreux signes montrent que l'on est sur la bonne voie :
- Les activités économiques de l'Afrique francophone ont retrouvé les conditions de la compétitivité. Les productions locales, en particulier agricoles, retrouvent des marchés ;
- L'Afrique francophone a renoué avec la communauté financière internationale dont elle était jusqu'ici coupée. Notre pays est intervenu activement auprès des institutions de Bretton Woods dans ce sens ;
- La solidarité de la France s'est traduite par un effort financier sans précédent.
Je suis convaincu que cette mesure a été la bonne, qu'elle était nécessaire et qu'elle seule peut permettre aux pays de zone franc de reprendre espoir. Le langage de la vérité à l'égard de nos partenaires africains me parait être dans le domaine politique, comme dans celui de l'économie, le meilleur témoignage d'une vraie solidarité francophone. Mais il a fallu pour cela avoir le courage de prendre des décisions qui dans un premier temps ont été impopulaires et ont heurté certains esprits parce qu'elles rompaient avec les habitudes. Elles étaient pourtant les seules qui s'imposaient pour tenir compte de réalités qui avaient profondément changé.
Chine
Cette adaptation aux nouvelles réalités, notre politique étrangère y a également procédé en redéfinissant les relations de la France avec certains pays. Ce fut d'abord le cas avec la Chine. La France pouvait-elle rester coupée d'un membre permanent du Conseil de sécurité qui joue un rôle essentiel dans l'équilibre asiatique et du même coup dans celui du monde ? Pouvait-elle laisser ses entreprises à l'écart de l'une des économies les plus dynamiques d'Asie ? J'ai jugé que cette situation était contraire à nos intérêts et que nous devions, en cette année du trentième anniversaire du rétablissement par le Général de Gaulle des relations diplomatiques avec la Chine, retrouver avec elle des relations à la mesure de l'importance de nos deux pays et de l'estime mutuelle qu'ils se portent. La négociation fut difficile et j'ai tenu moi-même à me rendre à Pékin pour sceller de façon solennelle cette réconciliation. Celle-ci a été obtenue en moins d'un an sans qu'aucun engagement pris par la France n'ait été remis en cause. Elle a eu lieu alors même que notre pays réaffirmait fermement, mais à sa manière, son attachement aux Droits de l'Homme. Beaucoup ont alors choisi de ne juger cette politique et ce voyage qu'avec les seuls yeux de la politique intérieure française. Chacun découvre aujourd'hui, notamment après le récent voyage du ministre de l'Industrie, du Commerce extérieur et des Postes et Télécommunications en Chine, qui a été l'occasion d'une remarquable relance de nos relations économiques, combien nous avons eu raison de renouer des liens de confiance avec l'un des plus grands partenaires de la société internationale. Là encore, il fallait risquer l'impopularité et oser rompre avec le cours naturel des choses. Le gouvernement l'a fait et le recul des mois nous permet de mesurer les résultats positifs de cette décision.
Afrique du Sud
Avec d'autres pays nous avons également retrouvé des relations qui correspondent à l'évolution du monde. L'Afrique du Sud en premier lieu qui, en se réconciliant avec elle-
même, a du même coup réintégré pleinement la société internationale ; j'ai souhaité que nous en tirions toutes les conséquences. Un voyage du ministre des Affaires étrangères, puis une visite officielle du Président de la République, ont permis de renouer désormais dans tous les domaines des relations de coopération avec un pays qui représente une chance décisive pour le développement de l'ensemble du continent africain.
Processus de paix au Moyen-Orient - Israël
Au Moyen-Orient enfin, le processus de paix s'étant engagé dans la direction préconisée par la France depuis bientôt une vingtaine d'années, le gouvernement a décidé de redonner un caractère normal à ses relations avec l'Etat d'Israël, qu'il s'agisse de l'abolition de l'obligation de visas ou du développement de coopérations, notamment dans le domaine scientifique et technique ou encore militaire.
Algérie
Enfin, de tragiques circonstances nous ont amenés à réexaminer en profondeur nos relations avec l'Algérie. Notre préoccupation première a été de protéger nos ressortissants et d'éviter que la violence ne se propage en France. Nous avons pour cela et avec beaucoup de fermeté réduit et concentré notre dispositif, mis en place des mécanismes d'accueil en France et procédé aux mesures de prévention qui s'imposaient sur le territoire national. Nous avons aussi affirmé que la crise que traverse l'Algérie doit être réglée par les Algériens eux-mêmes dans une perspective politique de recherche du dialogue et de respect des Droits de l'Homme qui seule permettra de trouver une issue aux difficultés actuelles.
Nouvelle organisation de la société internationale
Telles sont quelques-unes des décisions que le gouvernement a été amené à prendre au cours de l'année écoulée. Décisions difficiles, décisions qui tiennent compte des changements du monde, mais décisions qui ont contribué, chacun le mesure aujourd'hui, à affirmer la présence de la France sur la scène internationale et sa fidélité à une conception des relations internationales où chaque nation, quelles que soient sa puissance et sa richesse, doit avoir sa place et sa dignité reconnues.
Cette action nous devons la poursuivre demain dans un monde qui est aujourd'hui plus difficile à comprendre et à analyser que lorsque des schémas simplistes le divisaient. Plus libre, notre société internationale est aussi plus dangereuse, à la mesure de la volonté politique dont chacun est prêt à faire preuve pour organiser cette liberté. Mais, la situation n'est plus bloquée ; pour autant que les nations le veuillent, elles peuvent aujourd'hui progresser vers une meilleure organisation internationale. Comment pouvons-nous saisir ces possibilités ?
L'on ne saurait répondre aujourd'hui à toutes les interrogations que nous présente le monde. Il me paraît toutefois essentiel que nous tentions de mieux les formuler pour éviter que notre pays ne soit pris au dépourvu. En s'attachant seulement à l'essentiel, j'en vois aujourd'hui plusieurs.
La première concerne l'Organisation des Nations unies et les relations économiques internationales. Sommes-nous prêts à doter l'ONU des véritables moyens qui lui permettront de mieux organiser la société internationale en faisant en sorte que le droit y soit mieux respecté et la liberté mieux protégée ? La volonté des principaux Etats membres sera-t-elle suffisante pour obtenir un tel résultat ? Sommes-nous également prêts à favoriser des relations économiques et monétaires plus stables et plus favorables au progrès et à l'emploi ? Sommes-
nous prêts enfin à mobiliser la communauté internationale contre les nouvelles agressions qui la menacent, qu'il s'agisse du terrorisme ou de la prolifération d'armes dangereuses et de toutes les activités incontrôlées qui les favorisent ?
La seconde interrogation concerne l'Europe, à laquelle nous avons associé notre destin depuis plus de trente ans. Son architecture ou sa finalité est-elle aujourd'hui remise en cause par la réunification de l'Allemagne et l'élargissement à l'Est ? L'heure n'est-elle pas venue de repenser le système institutionnel conçu pour fonctionner à six alors que l'Union comptera 16 membres le 1er janvier prochain et qu'il est nécessaire d'en préserver l'efficacité et le contrôle démocratique ? Comment faire en sorte que cette Europe ait la volonté et les moyens de s'affirmer davantage sur la scène internationale, notamment en matière de défense ?
La troisième interrogation a trait à la stabilité du continent européen et des pays issus de l'ancienne Union soviétique. Comment pouvons-nous accompagner leur difficile transition et favoriser leur insertion dans une société internationale où ils se sentent en sécurité et où leurs populations prennent espoir dans le progrès ? Comment affirmer davantage la présence de la France à l'Est de l'Europe ?
La quatrième interrogation concerne l'Asie. Ce continent est aujourd'hui le plus dynamique du monde et son équilibre politique a des répercussions directes sur le nôtre. Entendons-nous y être présents de plain-pied grâce à un dialogue politique étroit et à l'activité de nos entreprises ?
La dernière interrogation, mais il y en aurait beaucoup d'autres, concerne l'inégalité dans le monde. La société internationale pas plus que nos sociétés nationales ne peut se développer harmonieusement si à l'opulence des uns fait face la misère et l'exclusion des autres. Sommes-
nous prêts à poursuivre l'effort de solidarité qui a toujours été celui de la France et à mobiliser nos grands partenaires occidentaux ?
Ces questions, bien connues des diplomates que vous êtes, font l'objet de vos réflexions constantes ; poursuivez-les. Pour ma part, je voudrais limiter mon propos à analyser avec vous les deux premières d'entre elles qui me paraissent aujourd'hui prioritaires.
Rôle et fonctionnement de l'ONU - élargissement du Conseil de sécurité - rôle des organisations régionales
Faire progresser aujourd'hui l'organisation de la société internationale, c'est tenter de tirer les leçons des événements de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda. Force nous est de constater que faute de la volonté des Etats rien ne se passe. Beaucoup oublient que l'ONU, comme toutes les autres institutions internationales, ne vaut que par la volonté des Etats qui la composent. Le meilleur Secrétaire général de cette Organisation ne peut aligner que les moyens que lui fournissent les Etats membres. N'oublions pas que ce n'est pas la SDN en tant qu'institution qui a failli dans la guerre d'Espagne ou à Munich, mais bien la volonté de ses membres et en particulier des principaux d'entre eux qui se sont réfugiés dans une politique de non-intervention et d'apaisement à tout prix.
Il est donc essentiel qu'un pays comme le nôtre, qui a une longue tradition d'engagement dans les affaires internationales et siège à titre permanent au Conseil de sécurité, préserve soigneusement sa capacité à vouloir et si nécessaire à agir au service de la collectivité internationale. Rien ne sert de déclamer en faveur du droit et de la justice si personne ne dispose des moyens de les faire respecter. Nos forces armées comme nos moyens humanitaires doivent être capables, outre leurs tâches nationales prioritaires, d'être mises au service du maintien de la paix et des causes humanitaires que se fixent les Nations unies. Le Livre blanc sur la Défense l'a prévu. Je veillerai à ce que les orientations qu'il a proposées dans ce domaine soient respectées.
Nous devons également être attentifs à ce que la réforme de l'ONU et l'élargissement du Conseil de sécurité qui est à l'ordre du jour des prochaines années ne compromette pas son efficacité et favorise les pays qui sont prêts à s'engager lorsqu'il le faut. La France appuiera les efforts du Secrétaire général des Nations unies pour doter l'Organisation des moyens de réagir plus rapidement et par conséquent avec des effectifs déjà disponibles lorsqu'une crise éclate. Chaque continent à travers ses organisations régionales devrait en priorité répondre à ces démarches. J'ai eu récemment l'occasion en Afrique de suggérer quelques orientations sur la manière dont ce continent, et l'OUA en particulier, pourraient mettre en place avec l'aide de contributeurs extérieurs une force de maintien de la paix capable d'appuyer des initiatives de diplomatie préventive et d'éviter que des crises ne dégénèrent.
Relations économiques internationales - G7
Favoriser l'organisation du monde, c'est aussi favoriser sa prospérité économique.
La France souhaite que le G7 retrouve l'esprit qui l'a animé à son origine : une structure souple et informelle de concertation principalement dans le domaine économique. Elle souhaite que lorsque cela est nécessaire, cette instance permette un dialogue politique avec la Russie en attendant que ce pays rapproche son système économique de celui de grands pays industrialisés. Le dernier G7, grâce notamment à une initiative franco-allemande, a permis de faire des progrès décisifs dans le domaine de la sûreté nucléaire en Ukraine. Il a été également l'occasion d'une prise de conscience des nécessités de l'aide au développement. La France souhaite qu'à l'avenir cette instance continue à oeuvrer pour résoudre des problèmes aussi concrets et urgents. Nous devons savoir l'utiliser davantage pour faire progresser des idées françaises.
GATT - OMC - système monétaire international
Dans le domaine commercial, les résultats de la négociation du cycle de l'Uruguay et la création de l'Organisation mondiale du commerce devraient, pour autant que les textes signés soient rapidement ratifiés par tous les Etats, apporter un cadre stable et satisfaisant aux échanges mondiaux. En revanche, le système monétaire et financier qui prévaut aujourd'hui risque de remettre en cause ces résultats. Voici bientôt trente ans, depuis cette fameuse conférence de presse du Général de Gaulle de 1964, que la France souligne les dangers d'un système caractérisé par l'instabilité qui prive ainsi les agents économiques des repères si essentiels à leurs activités. La France continuera d'agir pour un renforcement de la coopération économique et monétaire avec pragmatisme et ténacité.
Lutte contre le terrorisme et la prolifération - Corée du Nord - rôle de l'Union européenne
Dans le domaine de la sécurité, la société internationale doit également se préoccuper davantage des nouvelles agressions qui la menacent qu'il s'agisse du terrorisme ou de la prolifération incontrôlée d'armements dangereux et déstabilisants. Dans les deux cas, des solutions ne pourront être trouvées que si les Etats font preuve d'une volonté politique sans failles.
Le terrorisme ne peut être toléré et nulle cause, fut-elle la plus juste, ne saurait légitimer que la vie d'innocents soit mise en danger par seul souci de créer la terreur ou d'attirer l'attention de la communauté internationale.
Un peu plus de deux mois plus tard, la France, conformément à son mandat et à ses engagements, a retiré ses troupes du Rwanda. Chacun considère aujourd'hui que son action a permis d'éviter le pire. Elle a en premier lieu sauvé des vies humaines, ce qui était son objectif essentiel. Elle a ensuite contribué à la mobilisation de la communauté internationale. Qui eut prédit en juin dernier que la MINUAR renforcée rassemblerait les effectifs qu'elle atteint aujourd'hui ? Dès le 11 juillet devant le Conseil de sécurité des Nations unies alors même qu'à de rares exceptions les organisations humanitaires étaient absentes du Rwanda, j'ai alerté la communauté internationale sur la catastrophe humanitaire qui se préparait. Qui eut dit alors que toutes les institutions humanitaires de la famille des Nations unies et la plupart des ONG seraient bientôt présentes au Rwanda comme c'est le cas aujourd'hui ? Pourquoi avons-nous atteint ces résultats ? D'abord et encore une fois parce que nous avons fait preuve de volonté politique en étant fidèles à notre tradition historique. La France ne pouvait rester indifférente devant le malheur d'un peuple africain francophone et laisser croire ainsi que la communauté internationale ne se mobilise que lorsque de puissants intérêts sont en jeu. Mais l'essentiel a tenu aux conditions d'exécution de cette opération humanitaire dont chacun alors mesurait les dangers militaires et les difficultés politiques. Ces conditions, je les ai fixées le 22 juin devant l'Assemblée nationale : nous devions avoir un mandat clair des Nations unies, nous en tenir à une opération strictement humanitaire, agir avec d'autres dans des limites de temps précises. C'est le strict respect de ces orientations qui a permis d'obtenir les résultats que l'on sait et j'en suis convaincu de faire prendre une meilleure conscience aux membres des Nations unies et en particulier aux Etats africains du devoir de solidarité qui existe entre les peuples de notre planète.
Union européenne - GATT
Notre action en faveur d'une meilleure organisation internationale s'est également affirmée en Europe et dans le domaine économique. Il y a seize mois, au lendemain des ratifications du Traité sur l'Union européenne, le projet européen ne faisait plus recette. Beaucoup de citoyens doutaient de l'Europe ou la redoutaient ; ils la suspectaient d'être synonyme de chômage et d'excès bureaucratique. L'Europe était absente de la scène internationale.
La première négociation internationale, celle du cycle d'Uruguay, menée avec succès par le gouvernement, a rendu de la crédibilité à l'Europe. Rappelons-nous la situation dans laquelle se trouvait l'affaire au début de l'année 1993 : une négociation bloquée, une Europe divisée, un Conseil des ministres sommé d'avaliser un arrangement agricole accepté sans mandat clair par la Commission de Bruxelles. La France était isolée et accusée de bloquer seule, à cause de quelques centaines de milliers d'agriculteurs, un accord qui aurait ouvert au monde la voie de la prospérité.
Le gouvernement a dû renouer les fils de la négociation : pour cela, il a fallu expliquer la position de la France, convaincre nos partenaires, renforcer l'entente franco-allemande et faire des propositions pour aboutir à un accord global, équilibré et satisfaisant. La diplomatie française a joué - vous le savez - un rôle majeur pour le bon aboutissement de ces négociations :
- La France, par son action, a rassemblé les Douze sur une position commune de négociation. Dès lors qu'ils sont animés d'une véritable volonté politique, leur action extérieure est renforcée ; ainsi, en matière commerciale, ils peuvent alors faire jeu égal avec les Etats-Unis ;
- La France a affirmé le principe selon lequel les oeuvres de l'esprit ne peuvent répondre aux seules lois du marché. L'exception culturelle ainsi obtenue avec l'aide de toute la communauté francophone est la garante de la diversité et de l'identité culturelle européenne ;
- La France a contribué à rééquilibrer les institutions communautaires en redonnant au Conseil des ministres, représentant les Etats, son pouvoir de décision et de contrôle politique de la Commission ;
- L'heureuse conclusion de cette négociation, dans des conditions satisfaisantes pour la France, a eu des conséquences positives pour les agents économiques : les agriculteurs ne se sont vu imposer aucune contrainte supplémentaire par rapport à la réforme de la politique agricole commune de 1992, notamment en ce qui concerne la jachère obligatoire ; nos entreprises vont bénéficier d'une ouverture accrue des marchés étrangers ; la mise en place d'une Organisation mondiale du commerce interdira le recours à des mesures commerciales unilatérales.
Cette négociation n'a rencontré le succès que parce que le gouvernement a fait preuve d'une volonté politique sans faille, d'une détermination absolue dans la défense d'une position claire et continue. La France a réussi, ainsi, à y rallier ses partenaires. Les résultats obtenus lors du GATT ont sans nul doute redonné à l'Europe sa place sur l'échiquier international et prouvé le rôle utile qu'elle pouvait jouer dans la défense des intérêts des Etats membres.
Elargissement de l'Union européenne - adhésion future de pays de l'Europe de l'Est
Une autre négociation a aussi été conduite avec succès à Bruxelles : l'élargissement de l'Union à l'Autriche, la Finlande, la Suède et la Norvège. Si ces pays en ratifient les résultats dans les prochaines semaines - c'est déjà fait pour l'Autriche -, ils deviendront membres de l'Union le 1er janvier prochain. M. Alain Lamassoure, ministre délégué aux Affaires européennes, a largement contribué au succès obtenu. L'Europe ainsi élargie était une nécessité politique. Elle sera plus forte. Par sa position centrale sur le continent, la France tirera avantage d'une Union européenne rééquilibrée entre le nord et le sud. Elle bénéficiera également de nouveaux marchés, notamment agricoles.
Mais j'ai tenu aussi à ce qu'à l'initiative de la France, l'Union européenne mette son influence et ses capacités au service de la paix et de la stabilité sur tout le continent. Rien ne serait plus grave à mes yeux que les pays d'Europe centrale et orientale, qui s'interrogent sur leur avenir, soient déçus par les valeurs de liberté qu'ils ont redécouvertes depuis 1989. La France leur ouvre donc résolument la perspective de l'adhésion et cela a été décidé en juillet 1993 au Conseil européen de Copenhague. Mais cette réunion de toute l'Europe, si nécessaire, ne doit pas être pour nos voisins de l'Est une illusion et pour l'Union européenne un affaiblissement. La France estime que cet élargissement doit être précédé d'une réforme institutionnelle qui préserve l'efficacité de l'Union européenne. En même temps, elle souhaite qu'au préalable ces pays aient mis fin aux problèmes qui parfois les divisent et pourraient nuire à la stabilité de l'Europe.
Sécurité en Europe - pacte de stabilité en Europe
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé dès avril 1993 que dans cette région si sensible aux problèmes de minorités et de frontières, des accords bilatéraux de bon voisinage capables d'apaiser ces tensions soient négociés. Un pacte de stabilité devrait regrouper tous ces accords et donner ainsi un signal politique de la volonté de toute l'Europe de dépasser l'héritage de l'histoire. Un an après cette initiative que l'Union européenne a faite sienne, plus de quarante ministres des Affaires étrangères se sont réunis à Paris en mai 1994 pour lancer un processus de négociation qui, pour la première fois, aborde des sujets si sensibles qu'ils avaient jusqu'ici été le plus souvent occultés. C'est un premier pas essentiel vers un apaisement général du continent et sa meilleure organisation. C'est la première véritable initiative politique de la PESC prévue par le traité sur l'Union européenne. Cela signifie que l'Europe ne se limite pas à approuver des résolutions, mais concentre ses moyens et agit sur le cours des choses. Cela signifie aussi qu'elle innove en proposant une procédure diplomatique originale marquée par le pragmatisme. Les deux tables de négociation régionales vont se réunir à la fin de ce mois et j'observe que, tant dans la région balte qu'en Europe centrale, le climat de bon voisinage s'est sensiblement amélioré. Il a fallu pour cela mener une activité diplomatique incessante, entretenir une étroite coopération entre la France et l'Allemagne et alimenter sans cesse les travaux de l'Union européenne. A ce prix, l'objectif parait aujourd'hui à la portée des Douze.
SME
Dans les affaires européennes, il est un autre domaine où l'action du gouvernement français a été essentielle, celle de la crise du système monétaire d'août 1993. Plusieurs monnaies européennes subissaient des attaques spéculatives répétées dont l'objet était en réalité la destruction du Système Monétaire européen lui-même. Celui-ci était de ce fait menacé d'éclatement, quelques mois seulement après la ratification du Traité sur l'Union européenne. L'on imagine quel effet un tel abandon des disciplines communes aurait eu sur l'avenir même de la construction européenne. Pour éviter une telle issue, j'ai proposé une solution -l'élargissement des bandes de fluctuations des monnaies - qui a sauvegardé l'essentiel tout en permettant de désarmer la spéculation. Chacun reconnaît aujourd'hui que cette décision difficile a contribué à sauver le Système Monétaire européen.
Afrique - dévaluation du franc CFA
Notre politique étrangère a été aussi marquée par la poursuite de l'effort de solidarité que nous avons accompli en faveur des pays en développement qui nous sont les plus proches. Le témoignage le plus fort de cette volonté a été l'importance des mesures d'accompagnement qui ont été prises pour permettre à la dévaluation du Franc CFA décidée par les chefs d'Etat de la zone de déboucher sur le succès. Lorsque le gouvernement a pris la responsabilité des affaires, ces pays s'enfonçaient dans la récession, leurs produits n'étaient plus compétitifs, leur niveau de vie baissait, les capitaux fuyaient. Nul n'entrevoyait alors d'espoir de redressement. La décision fut difficile à prendre et exigea de la part des chefs d'Etat concernés beaucoup de courage politique, à la mesure des critiques et du scepticisme qui se manifesta aussitôt. J'ai pu me rendre compte fin juillet en me rendant au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon que si le succès de cette opération n'est pas encore définitivement assuré, de nombreux signes montrent que l'on est sur la bonne voie :
- Les activités économiques de l'Afrique francophone ont retrouvé les conditions de la compétitivité. Les productions locales, en particulier agricoles, retrouvent des marchés ;
- L'Afrique francophone a renoué avec la communauté financière internationale dont elle était jusqu'ici coupée. Notre pays est intervenu activement auprès des institutions de Bretton Woods dans ce sens ;
- La solidarité de la France s'est traduite par un effort financier sans précédent.
Je suis convaincu que cette mesure a été la bonne, qu'elle était nécessaire et qu'elle seule peut permettre aux pays de zone franc de reprendre espoir. Le langage de la vérité à l'égard de nos partenaires africains me parait être dans le domaine politique, comme dans celui de l'économie, le meilleur témoignage d'une vraie solidarité francophone. Mais il a fallu pour cela avoir le courage de prendre des décisions qui dans un premier temps ont été impopulaires et ont heurté certains esprits parce qu'elles rompaient avec les habitudes. Elles étaient pourtant les seules qui s'imposaient pour tenir compte de réalités qui avaient profondément changé.
Chine
Cette adaptation aux nouvelles réalités, notre politique étrangère y a également procédé en redéfinissant les relations de la France avec certains pays. Ce fut d'abord le cas avec la Chine. La France pouvait-elle rester coupée d'un membre permanent du Conseil de sécurité qui joue un rôle essentiel dans l'équilibre asiatique et du même coup dans celui du monde ? Pouvait-elle laisser ses entreprises à l'écart de l'une des économies les plus dynamiques d'Asie ? J'ai jugé que cette situation était contraire à nos intérêts et que nous devions, en cette année du trentième anniversaire du rétablissement par le Général de Gaulle des relations diplomatiques avec la Chine, retrouver avec elle des relations à la mesure de l'importance de nos deux pays et de l'estime mutuelle qu'ils se portent. La négociation fut difficile et j'ai tenu moi-même à me rendre à Pékin pour sceller de façon solennelle cette réconciliation. Celle-ci a été obtenue en moins d'un an sans qu'aucun engagement pris par la France n'ait été remis en cause. Elle a eu lieu alors même que notre pays réaffirmait fermement, mais à sa manière, son attachement aux Droits de l'Homme. Beaucoup ont alors choisi de ne juger cette politique et ce voyage qu'avec les seuls yeux de la politique intérieure française. Chacun découvre aujourd'hui, notamment après le récent voyage du ministre de l'Industrie, du Commerce extérieur et des Postes et Télécommunications en Chine, qui a été l'occasion d'une remarquable relance de nos relations économiques, combien nous avons eu raison de renouer des liens de confiance avec l'un des plus grands partenaires de la société internationale. Là encore, il fallait risquer l'impopularité et oser rompre avec le cours naturel des choses. Le gouvernement l'a fait et le recul des mois nous permet de mesurer les résultats positifs de cette décision.
Afrique du Sud
Avec d'autres pays nous avons également retrouvé des relations qui correspondent à l'évolution du monde. L'Afrique du Sud en premier lieu qui, en se réconciliant avec elle-
même, a du même coup réintégré pleinement la société internationale ; j'ai souhaité que nous en tirions toutes les conséquences. Un voyage du ministre des Affaires étrangères, puis une visite officielle du Président de la République, ont permis de renouer désormais dans tous les domaines des relations de coopération avec un pays qui représente une chance décisive pour le développement de l'ensemble du continent africain.
Processus de paix au Moyen-Orient - Israël
Au Moyen-Orient enfin, le processus de paix s'étant engagé dans la direction préconisée par la France depuis bientôt une vingtaine d'années, le gouvernement a décidé de redonner un caractère normal à ses relations avec l'Etat d'Israël, qu'il s'agisse de l'abolition de l'obligation de visas ou du développement de coopérations, notamment dans le domaine scientifique et technique ou encore militaire.
Algérie
Enfin, de tragiques circonstances nous ont amenés à réexaminer en profondeur nos relations avec l'Algérie. Notre préoccupation première a été de protéger nos ressortissants et d'éviter que la violence ne se propage en France. Nous avons pour cela et avec beaucoup de fermeté réduit et concentré notre dispositif, mis en place des mécanismes d'accueil en France et procédé aux mesures de prévention qui s'imposaient sur le territoire national. Nous avons aussi affirmé que la crise que traverse l'Algérie doit être réglée par les Algériens eux-mêmes dans une perspective politique de recherche du dialogue et de respect des Droits de l'Homme qui seule permettra de trouver une issue aux difficultés actuelles.
Nouvelle organisation de la société internationale
Telles sont quelques-unes des décisions que le gouvernement a été amené à prendre au cours de l'année écoulée. Décisions difficiles, décisions qui tiennent compte des changements du monde, mais décisions qui ont contribué, chacun le mesure aujourd'hui, à affirmer la présence de la France sur la scène internationale et sa fidélité à une conception des relations internationales où chaque nation, quelles que soient sa puissance et sa richesse, doit avoir sa place et sa dignité reconnues.
Cette action nous devons la poursuivre demain dans un monde qui est aujourd'hui plus difficile à comprendre et à analyser que lorsque des schémas simplistes le divisaient. Plus libre, notre société internationale est aussi plus dangereuse, à la mesure de la volonté politique dont chacun est prêt à faire preuve pour organiser cette liberté. Mais, la situation n'est plus bloquée ; pour autant que les nations le veuillent, elles peuvent aujourd'hui progresser vers une meilleure organisation internationale. Comment pouvons-nous saisir ces possibilités ?
L'on ne saurait répondre aujourd'hui à toutes les interrogations que nous présente le monde. Il me paraît toutefois essentiel que nous tentions de mieux les formuler pour éviter que notre pays ne soit pris au dépourvu. En s'attachant seulement à l'essentiel, j'en vois aujourd'hui plusieurs.
La première concerne l'Organisation des Nations unies et les relations économiques internationales. Sommes-nous prêts à doter l'ONU des véritables moyens qui lui permettront de mieux organiser la société internationale en faisant en sorte que le droit y soit mieux respecté et la liberté mieux protégée ? La volonté des principaux Etats membres sera-t-elle suffisante pour obtenir un tel résultat ? Sommes-nous également prêts à favoriser des relations économiques et monétaires plus stables et plus favorables au progrès et à l'emploi ? Sommes-
nous prêts enfin à mobiliser la communauté internationale contre les nouvelles agressions qui la menacent, qu'il s'agisse du terrorisme ou de la prolifération d'armes dangereuses et de toutes les activités incontrôlées qui les favorisent ?
La seconde interrogation concerne l'Europe, à laquelle nous avons associé notre destin depuis plus de trente ans. Son architecture ou sa finalité est-elle aujourd'hui remise en cause par la réunification de l'Allemagne et l'élargissement à l'Est ? L'heure n'est-elle pas venue de repenser le système institutionnel conçu pour fonctionner à six alors que l'Union comptera 16 membres le 1er janvier prochain et qu'il est nécessaire d'en préserver l'efficacité et le contrôle démocratique ? Comment faire en sorte que cette Europe ait la volonté et les moyens de s'affirmer davantage sur la scène internationale, notamment en matière de défense ?
La troisième interrogation a trait à la stabilité du continent européen et des pays issus de l'ancienne Union soviétique. Comment pouvons-nous accompagner leur difficile transition et favoriser leur insertion dans une société internationale où ils se sentent en sécurité et où leurs populations prennent espoir dans le progrès ? Comment affirmer davantage la présence de la France à l'Est de l'Europe ?
La quatrième interrogation concerne l'Asie. Ce continent est aujourd'hui le plus dynamique du monde et son équilibre politique a des répercussions directes sur le nôtre. Entendons-nous y être présents de plain-pied grâce à un dialogue politique étroit et à l'activité de nos entreprises ?
La dernière interrogation, mais il y en aurait beaucoup d'autres, concerne l'inégalité dans le monde. La société internationale pas plus que nos sociétés nationales ne peut se développer harmonieusement si à l'opulence des uns fait face la misère et l'exclusion des autres. Sommes-
nous prêts à poursuivre l'effort de solidarité qui a toujours été celui de la France et à mobiliser nos grands partenaires occidentaux ?
Ces questions, bien connues des diplomates que vous êtes, font l'objet de vos réflexions constantes ; poursuivez-les. Pour ma part, je voudrais limiter mon propos à analyser avec vous les deux premières d'entre elles qui me paraissent aujourd'hui prioritaires.
Rôle et fonctionnement de l'ONU - élargissement du Conseil de sécurité - rôle des organisations régionales
Faire progresser aujourd'hui l'organisation de la société internationale, c'est tenter de tirer les leçons des événements de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda. Force nous est de constater que faute de la volonté des Etats rien ne se passe. Beaucoup oublient que l'ONU, comme toutes les autres institutions internationales, ne vaut que par la volonté des Etats qui la composent. Le meilleur Secrétaire général de cette Organisation ne peut aligner que les moyens que lui fournissent les Etats membres. N'oublions pas que ce n'est pas la SDN en tant qu'institution qui a failli dans la guerre d'Espagne ou à Munich, mais bien la volonté de ses membres et en particulier des principaux d'entre eux qui se sont réfugiés dans une politique de non-intervention et d'apaisement à tout prix.
Il est donc essentiel qu'un pays comme le nôtre, qui a une longue tradition d'engagement dans les affaires internationales et siège à titre permanent au Conseil de sécurité, préserve soigneusement sa capacité à vouloir et si nécessaire à agir au service de la collectivité internationale. Rien ne sert de déclamer en faveur du droit et de la justice si personne ne dispose des moyens de les faire respecter. Nos forces armées comme nos moyens humanitaires doivent être capables, outre leurs tâches nationales prioritaires, d'être mises au service du maintien de la paix et des causes humanitaires que se fixent les Nations unies. Le Livre blanc sur la Défense l'a prévu. Je veillerai à ce que les orientations qu'il a proposées dans ce domaine soient respectées.
Nous devons également être attentifs à ce que la réforme de l'ONU et l'élargissement du Conseil de sécurité qui est à l'ordre du jour des prochaines années ne compromette pas son efficacité et favorise les pays qui sont prêts à s'engager lorsqu'il le faut. La France appuiera les efforts du Secrétaire général des Nations unies pour doter l'Organisation des moyens de réagir plus rapidement et par conséquent avec des effectifs déjà disponibles lorsqu'une crise éclate. Chaque continent à travers ses organisations régionales devrait en priorité répondre à ces démarches. J'ai eu récemment l'occasion en Afrique de suggérer quelques orientations sur la manière dont ce continent, et l'OUA en particulier, pourraient mettre en place avec l'aide de contributeurs extérieurs une force de maintien de la paix capable d'appuyer des initiatives de diplomatie préventive et d'éviter que des crises ne dégénèrent.
Relations économiques internationales - G7
Favoriser l'organisation du monde, c'est aussi favoriser sa prospérité économique.
La France souhaite que le G7 retrouve l'esprit qui l'a animé à son origine : une structure souple et informelle de concertation principalement dans le domaine économique. Elle souhaite que lorsque cela est nécessaire, cette instance permette un dialogue politique avec la Russie en attendant que ce pays rapproche son système économique de celui de grands pays industrialisés. Le dernier G7, grâce notamment à une initiative franco-allemande, a permis de faire des progrès décisifs dans le domaine de la sûreté nucléaire en Ukraine. Il a été également l'occasion d'une prise de conscience des nécessités de l'aide au développement. La France souhaite qu'à l'avenir cette instance continue à oeuvrer pour résoudre des problèmes aussi concrets et urgents. Nous devons savoir l'utiliser davantage pour faire progresser des idées françaises.
GATT - OMC - système monétaire international
Dans le domaine commercial, les résultats de la négociation du cycle de l'Uruguay et la création de l'Organisation mondiale du commerce devraient, pour autant que les textes signés soient rapidement ratifiés par tous les Etats, apporter un cadre stable et satisfaisant aux échanges mondiaux. En revanche, le système monétaire et financier qui prévaut aujourd'hui risque de remettre en cause ces résultats. Voici bientôt trente ans, depuis cette fameuse conférence de presse du Général de Gaulle de 1964, que la France souligne les dangers d'un système caractérisé par l'instabilité qui prive ainsi les agents économiques des repères si essentiels à leurs activités. La France continuera d'agir pour un renforcement de la coopération économique et monétaire avec pragmatisme et ténacité.
Lutte contre le terrorisme et la prolifération - Corée du Nord - rôle de l'Union européenne
Dans le domaine de la sécurité, la société internationale doit également se préoccuper davantage des nouvelles agressions qui la menacent qu'il s'agisse du terrorisme ou de la prolifération incontrôlée d'armements dangereux et déstabilisants. Dans les deux cas, des solutions ne pourront être trouvées que si les Etats font preuve d'une volonté politique sans failles.
Le terrorisme ne peut être toléré et nulle cause, fut-elle la plus juste, ne saurait légitimer que la vie d'innocents soit mise en danger par seul souci de créer la terreur ou d'attirer l'attention de la communauté internationale. La France poursuivra ses efforts de coopération pour que l'un des phénomènes les plus révoltants de notre société internationale qui s'appuie sur des réseaux de financements illégaux et reçoit parfois l'appui de certains pays disparaisse progressivement.
S'agissant de la prolifération, notre but n'est pas d'empêcher des Etats de se doter de façon légitime des moyens d'assurer leur défense. Il est de prévenir des déséquilibres qui menaceraient la paix dans certaines régions. L'exemple récent de la Corée du Nord a montré de façon éloquente combien les fragiles équilibres qui existent en Asie auraient pu être remis en cause par l'acquisition par ce pays du statut de puissance nucléaire. Il est donc indispensable de favoriser une transparence capable de rassurer tous les membres de la communauté internationale et de veiller au strict respect des traités existants. La France s'y emploiera avec la plus grande fermeté notamment dans les négociations à venir. Elle souhaite que l'Union européenne, notamment grâce à son système satellitaire, ait une véritable politique dans ce domaine.
Priorités de la présidence française de l'Union européenne
J'en viens maintenant à l'Union européenne dont la France va assumer à partir de janvier prochain la présidence. Le gouvernement se prépare activement à cette importante responsabilité. Il souhaite en orienter l'exercice autour de quelques priorités : la croissance et l'emploi, la sécurité et l'identité culturelle notamment.
Le choix européen de la France ne saurait être remis en cause. Il n'y a pas aujourd'hui d'alternative à la construction européenne : la voie solitaire n'assurerait ni la paix ni la prospérité.