Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF à France 2 le 9 janvier 2003, sur la réforme des retraites, la réduction des dépenses publiques et la croissance économique dans le cadre des incertitudes militaires et de la guerre possible en Irak.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

FRANCOISE LABORDE : Bonjour. Avec Ernest-Antoine Seillière ce matin, nous allons évidemment parler de conjoncture économique et puis du grand dossier de cette saison, si je puis dire, les retraites. Mais une question, d'abord, monsieur le président, on a entendu le Président de la République au cours des vux demander notamment de l'audace en matière de réforme de l'Etat et puis on entend ce matin un autre son de cloche, si je puis dire, du côté de Bruxelles qui trouve que l'audace, on en a un peu trop en France, notamment en ce qui concerne les déficits publics et qu'on n'est pas très bon élève. Alors, qui a raison, qui a tord et quel regard portez-vous sur tout cela ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Que le Président de la République demande de l'audace pour la réforme de l'Etat, c'est vraiment ce que dit le MEDEF, vous savez, depuis 5 ans : il faut y aller dans la réforme. Que Bruxelles trouve que nous dépensons trop compte tenu de ce que nos recettes sont devenues un peu insuffisantes avec le ralentissement de la conjoncture, que le déficit français devienne trop important - il approche des 3 % ?, c'est tout-à-fait normal. Cela dit, on aura moins de déficit si on a l'audace de réformer. Et donc, en fait, si vous voulez, les deux convergent. Et je pense qu'il faut aller vite dans la réforme de l'Etat pour dépenser moins, réduire les dépenses publiques. C'est bien entendu la seule manière véritablement efficace de faire en sorte que l'on ait moins de déficit.
FRANCOISE LABORDE : Pour réduire la dépense publique, la priorité, c'est quoi ? C'est de réduire d'abord les dépenses de personnel de l'Etat ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Les dépenses de fonctionnement sont bien entendu les plus lourdes, ce sont celles qui sont les moins productives, l'investissement, lui, génère de l'activité économique et, nous avons, nous le savons beaucoup trop recruté dans la Fonction publique où les chiffres sont très impressionnants, où, depuis 10 ans, pratiquement 40 000 fonctionnaires de plus. Actuellement, il y a une inversion démographique qui met beaucoup de fonctionnaires à la retraite et chacun sait qu'il y a là une opportunité majeure pour réformer l'ensemble du fonctionnement des services publics.
FRANCOISE LABORDE : C'est-à-dire qu'il faudrait quoi ? Ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux ? Ou un sur trois ? Ou?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, enfin, si vous voulez, cela ne suffit pas simplement de faire de la mathématique. Il faut simplement en effet repenser l'organisation de l'Etat. Il y a beaucoup de choses pour cela. La réforme de Bercy, par exemple, que chacun appelle de ses vux.
FRANCOISE LABORDE : Ah oui, qui est un vieux serpent de mer. Chaque ministre de l'Economie annonce qu'il va faire réformer son propre ministère et puis une fois qu'il y est, il oublie de le faire.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous savez, dans les entreprises, si nous disions : oui, il faut réformer mais nous le faisons pas, eh bien nous aurions arrêté beaucoup d'entreprises. L'Etat ne peut pas s'arrêter mais il doit se réformer et je crois que le Président de la République l'a dit hier avec beaucoup de justesse.
FRANCOISE LABORDE : Alors, autre question de conjoncture. On a entendu et vu que les Etats-Unis se préparent très activement dans l'hypothèse d'une guerre avec l'Irak, on a eu le sentiment, y compris en France qu'il y avait peut-être une inflexion dans l'attitude du Président de la République, et aux Etats-Unis en tous cas, il y a déjà un plan économique de vaste ampleur fait pour, au fond, accompagner presque l'après-guerre et le choc économique qui pourrait en suivre, un plan de 600 milliards de dollars sur plusieurs années. Est-ce qu'il faudrait que la France ou l'Europe prépare quelque chose de cet ordre-là puisque, effectivement, on se prépare à toute éventualité, y compris la guerre ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il est très difficile pour les entrepreneurs d'avoir des positions sur le sujet de la guerre qui n'est pas, évidemment, de leur compétence, mais disons que si les Etats-Unis s'engagent dans une guerre en Irak, ça va coûter très cher et donc il va y avoir des conséquences économiques et c'est vrai que je pense que le gouvernement américain s'y prépare par des mesures, ils augmentent leur déficit, mais ils ont également eu beaucoup l'occasion de faire des réserves pendant les périodes fastes, ce que nous n'avons pas fait. Si l'Europe s'engage dans la guerre et que ça lui coûte cher, il faudra bien entendu faire quelque chose. Si ça ne lui coûte pas cher, ça ne devrait pas transformer les conditions économiques, en tous cas en Europe proprement dite.
FRANCOISE LABORDE : Mais est-ce que cette incertitude militaire, en tous cas, pèse sur la croissance économique et sur la vie des entreprises ? Oui !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Difficile à dire. C'est psychologique plus qu'autre chose. Il y a beaucoup de gens qui disent : qu'est-ce qui va se passer en Irak, attendons de savoir ce se passera en Irak. Et donc, il y a un phénomène d'attentisme. Mais les conséquences directes de ces évènements, évidemment dramatiques, sur le plan du fonctionnement des entreprises ne sont pas très claires.
FRANCOISE LABORDE : Donc, vous, vous pensez qu'en 2003, la croissance peut quand même être au rendez-vous ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, nous avons dit, nous, vous savez, depuis des mois et des mois que l'hypothèse de 2,5 % de croissance n'était pas réaliste, que nous ne l'aurions pas et qu'il valait donc caler la croissance française à des niveaux inférieurs que nous situons, nous, entre 1,5 et 2 %.
FRANCOISE LABORDE : Et vous restez sur cette position ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Et nous restons totalement sur cette position, bien sûr.
FRANCOISE LABORDE : Alors, sur les retraites, vous avez, comme nous tous, entendu le Président de la République dire qu'il fallait maintenir le système de répartition plus peut-être un peu de capitalisation. Ca correspond à peu près à ce que vous dites aussi.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui. Nous avons entendu avec satisfaction une analyse de l'Etat - le Chef de l'Etat donne le là dans ce domaine - qui correspond en gros avec ce que nous indiquons également comme nécessaire. C'est-à-dire en fait de l'équité, il n'y a pas de raison que des Français soient plus avantagés que d'autres face à la retraite. Deuxièmement, de la liberté : la possibilité de prendre sa retraite à un moment où on le décide soi-même. Et une garantie de niveau des retraites qui, selon notre point de vue, mais on en discutera je pense beaucoup en France dans les mois qui viennent, qui ne peut se faire qu'avec l'allongement de la durée de cotisation, c'est-à-dire d'être plus longtemps au travail dans la vie.
FRANCOISE LABORDE : Alors, je prends vos trois termes. Equité, ça veut dire 40 ans de cotisation pour tout le monde, c'est-à-dire pas de différence entre Fonction publique et salariés du privé ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, c'est-à-dire, si vous voulez, il faut mettre en place le calage de la retraite des fonctionnaires au niveau de la retraite de tout le monde. Alors, cela prendra peut-être un peu de temps, il faut négocier la manière de le faire, mais c'est absolument indispensable, tout le monde le comprend, personne dans le privé, en tous cas les 15 millions de salariés et les contribuables, n'admet de payer éternellement pour une retraite meilleure que les autres chez les fonctionnaires. Cela va de soi.
FRANCOISE LABORDE : La liberté, c'est quoi ? C'est d'avoir un temps de cotisation que l'on pourrait soi-même décider ? Par exemple, je veux cotiser 42 ans ou je veux cotiser que 33 ans ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez Je suis libre, c'est-à-dire que j'ai un régime de retraite, je m'arrête un peu quand je veux et je corrige le niveau de retraite, qui peut être à ce moment-là insuffisant, par de la capitalisation, par l'épargne à laquelle on m'a incité, qu'on va favoriser fiscalement et qui me permet donc de bénéficier du système de répartition pour lequel nous sommes entièrement d'accord, qu'il n'y ait pas d'ambiguïté là-dessus, mais ce que nous voulons, nous, c'est un système en plus de capitalisation personnel mis en place comme dans le monde entier, et on y viendra nécessairement.
FRANCOISE LABORDE : Oui, puisque le Président de la République parle de la retraite à 60 ans, mais on est un peu les seuls en Europe à ne pas réfléchir à un allongement, à un départ autour de 65 ans, comme font certains de nos partenaires.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, alors, si vous voulez, dès que l'on dit : ce n'est pas 60 ans, tout le monde défile. Mais la réalité, elle est totalement évidente : c'est-à-dire qu'en fait, on devra cotiser plus longtemps pour avoir une retraite pleine. C'est mathématique. Il n'y a pas d'autre manière de faire, quoi qu'on dise. Et donc
FRANCOISE LABORDE : C'est-à-dire que les 40 ans pourraient ne pas suffire ? C'est ça que vous nous dites ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, nous sommes convaincus quand à nous que l'on devra aller au-delà des 40 ans avant d'avoir une retraite pleine. C'est, encore une fois, l'allongement de la vie, qu'est-ce que vous voulez, les gens vivent maintenant tous en moyenne au-delà de 80 ans pratiquement, et donc il n'y a strictement aucune possibilité de maintenir la durée de cotisation ce qu'elle était et donc, ça, si vous voulez, le monde entier s'en est rendu compte et en France, on fait mine de dire, on défile, 37,5 ans, 37,5 ans, mais qu'est-ce que vous voulez, ce n'est pas en défilant que l'on financera l'allongement de la vie, c'est une évidence.
FRANCOISE LABORDE : Donc, c'est quoi, c'est 40, 42 ans, la durée de cotisation à peu près ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous avons, nous, si vous voulez, indiqué que, progressivement, il faudrait probablement aller à deux ou trois ans de durée de cotisation supplémentaire pour équilibrer le système, et peut-être même au-delà. Mais enfin, c'est dans 30 ans. Et donc tout ceci est progressif.
FRANCOISE LABORDE : Et si, effectivement, on cotise pendant 42 ou 43 ans, cela veut dire qu'on pourra s'épargner les hausses de cotisation ou de toute façon on n'y échappera pas ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si vous voulez, la hausse de cotisation, c'est devenu quelque chose de pratiquement impossible. Il y a déjà 25 % du salaire brut qui est transféré dans le système de la répartition aux gens à la retraite. Alors, les gens actifs disent : vous ne pouvez pas me prendre plus pour la retraite, cela va de soi. On ne peut ni hausser les cotisations, ni diminuer les retraites. On ne peut qu'allonger la durée de cotisation. Cela va de soi, tout le monde le sait et tout le monde fait mine de penser que ce n'est pas possible. Mais on y viendra.
FRANCOISE LABORDE : Une dernière question plus personnelle. La semaine prochaine, l'Assemblée générale du MEDEF à laquelle assistera Jean-Pierre Raffarin. Vous allez sans doute être réélu triomphalement, on vous annonce une élection de maréchal. Votre prochain mandat, vous voulez le placer sous quel signe ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, d'abord, si vous voulez, il y a deux premières. La première, c'est que le Premier ministre vient à l'Assemblée générale du MEDEF, ce qui est un signe fort de reconnaissance du rôle des entrepreneurs dans la nation et nous en sommes très satisfaits. Le deuxième, c'est que je vais être réélu, c'est un phénomène plus mineur, mais cela dit, pendant trois ans, je souhaite en effet essayer de contribuer à ce que l'on réforme, l'on modernise notre pays en faisant entendre la voix des entrepreneurs qui, comme vous le savez, ont beaucoup de propositions à faire.
FRANCOISE LABORDE : Et que la France devienne plus attractive.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca, c'est absolument fondamental. Sans quoi nous perdrons nos entrepreneurs et nos emplois.
FRANCOISE LABORDE : Merci Ernest-Antoine Seillière d'être venu nous voir ce matin.

(source http://www.medef.fr, le 10 janvier 2003)