Interviews de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à Europe 1 le 21 février, à RMC le 26 février et à France-Soir le 6 mars 2003, sur l'Irak.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - Europe 1 - France soir - RMC

Texte intégral

Journaliste
Deux Mirage français vont décoller, tout à l'heure, de la base aérienne d'Istres dans les Bouches-du-Rhône, des Mirage IV, spécialisés dans les photographies aériennes. Ils partent pour le Golfe, épauler les inspecteurs en désarmement qui sillonnent actuellement l'Irak. Le ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, est avec nous pour en parler, cela vient clairement à l'appui, madame, de la volonté de la France de renforcer les inspections, c'est cela ?
Michèle Alliot-Marie
Effectivement. Devant l'ONU, Dominique de Villepin avait dit que la France estimait indispensable d'obtenir que l'Irak élimine ses armes de destruction massive et que, pour cela, il fallait apporter le maximum d'aide aux inspecteurs des Nations Unies et renforcer leurs possibilités. Nous avons donc proposé de mettre, à leur disposition, nos Mirage IV, après leur acceptation et après également l'acceptation des autorités concernées, pour que nous puissions poser non seulement les Mirage mais l'ensemble du détachement qui les accompagne, c'est-à-dire deux avions ravitailleurs et une équipe de soutien et d'exploitation, d'environ 70 militaires. Nos avions partent donc ce matin à 8 h 40 de la base d'Istres.
Alors, quelles sont les forces techniques de ces Mirage, madame Alliot-Marie ?
Leur spécificité, c'est d'être extrêmement souples. D'abord, ils peuvent voler relativement bas et à une vitesse qui est modulable, par rapport aux U2. Les U2 volent très lentement mais, en même temps, ils couvrent un territoire qui est donc différent de celui des Mirage IV.
Et ils prennent des photos ?
Les Mirage IV prennent des photos, qui sont ensuite examinées et exploitées. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il y a une équipe importante qui accompagne les Mirage IV.
Et, alors, donc il y a des avions ravitailleurs avec eux, c'est-à-dire que les Mirage pourront, comme ça, survoler l'ensemble du territoire de l'Irak ?
Grâce aux ravitailleurs, ils pourront voler pendant très longtemps puisqu'ils auront la possibilité de prolonger leur mission au-delà même de la première capacité d'un réservoir. Ils pourront donc suivre une situation, sur zone, avec une grande flexibilité pendant que se déroulent des inspections sur le sol irakien. C'est donc un élément très important pour les inspecteurs.
Alors, concrètement, comment ça va se passer ? C'est les inspecteurs qui vont leur donner des ordres de missions ? On voudrait une photo là-bas, là-bas...
Il y aura deux types de missions pour les Mirage IV. Il y aura d'une part des missions planifiées de survol de l'Irak, qui auront été préparées avec les inspecteurs, et d'autre part, il y aura également la possibilité que les Mirage IV effectuent des missions d'opportunité sur certains sites. Qu'est-ce que c'est des missions d'opportunité ? Ce sont des missions qui sont fixées en dernière minute, par exemple le matin même, à la demande des observateurs en Irak.
Oui, parce qu'on sait que les Américains soupçonnent les Irakiens d'écouter les inspecteurs et, justement, de réagir aux ordres qui sont donnés, donc l'effet de surprise sera complètement maintenu.
Exactement. De la même façon qu'il y a des inspections au sol, qui sont programmées aujourd'hui, d'autres seront en quelque sorte improvisées. Ce sera la même chose en ce qui concerne cette recherche de renseignement, par voie aérienne.
Ces Mirage seront basés en Arabie Saoudite ?
Ces Mirage seront sur une des bases du Golfe, dont je ne peux..
Secrète.
Voilà.
C'est le secret. On peut ça n'engage à rien, mais préciser aux auditeurs, qu'il y a déjà 8 Mirage français sur une base d'Arabie Saoudite, qui contrôlaient en fait la zone d'exclusion aérienne au sud de l'Irak.
Oui. Il y a également d'autres bases dans lesquelles se trouvent régulièrement des avions français. Je pense notamment au Qatar par exemple.
Alors, on a appris que le Charles-de-Gaulle allait partir en opération début mars, et c'est vrai que, bon, on se pose des questions.
Le Charles-de-Gaulle est actuellement dans une période d'entraînement. Il est parti de Toulon le 4 février, pour une période d'exercices et également pour une remise à niveau opérationnelle. Il sera de retour le 25 février, comme c'était programmé. A son retour, l'équipage profitera de quelques jours de congés. Il repartira, début mars, pour une nouvelle période d'entraînement en Méditerranée. Il n'y a pas plus d'interprétation à faire de ce nouveau départ qu'il n'y en avait à faire le 4 février. Je crois que les circonstances d'ailleurs, ont montré qu'il n'y avait pas de raison de faire ces interprétations.
Michèle Alliot-Marie, une interview que nous avons réalisée, il y a quelques heures.
(Source http://www.defense.gouv.fr, 24 février 2003)
Jean Jacques Bourdin
Notre invitée, ce matin, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie bonjour, merci d'être avec nous et d'être avec les auditeurs de RMC Info. Vous pouvez intervenir vous le savez, le 32.16, notre numéro, avec nous aussi, Jean-Michel Demez qui est resté, qui est grand reporter au service monde de l'Express. Regardons, ensemble, le carnet de notes, RMC Info L'Express, Louis Harris, Michèle Alliot-Marie vous avez la troisième note du gouvernement, une note plus qu'honorable, 11,4, en progression par rapport au mois de janvier, un commentaire non, cela vous fait plaisir ?
Michèle Alliot-Marie
Je ne vais pas vous dire que cela ne me fait pas plaisir. C'est toujours agréable de voir son travail reconnu. Je pense que l'actualité y est aussi pour beaucoup puisqu'elle me met sur le devant de la scène. Je dirais que je prends cela plutôt pour un encouragement et que je vais essayer de mieux faire.
Alors, l'actualité, c'est évidemment ce débat à l'Assemblée aujourd'hui, à l'Assemblée et au Sénat, au Parlement, ce débat sans vote, je le rappelle, qu'attendez-vous de ce débat, Michèle Alliot-Marie ?
Je pense que ce débat sera une occasion d'informer les Français, peut-être encore plus que la représentation nationale régulièrement tenue informée par le biais des commissions parlementaires, de ce qui se passe sur l'Irak. Je pense que ce sera probablement aussi une façon de conforter la position du président de la République et du gouvernement, qui est une position de fermeté, de double fermeté je dirais : à l'égard de l'Irak, à qui nous disons : " il faut désarmer. Il faut éliminer les armes de destruction massive que vous possédez " ; une fermeté également à l'égard de la Communauté internationale, en disant : " Ce qui doit prévaloir, c'est la légalité internationale ". Les décisions doivent être prises dans le cadre de l'ONU. On doit appliquer la décision de l'ONU, adoptée à l'unanimité, qui précise que ce désarmement doit intervenir par la voie des inspections.
Bien, est-ce aussi l'occasion, pour le gouvernement, de préciser les choses à l'égard des députés UMP qui commencent, qui commencent à s'inquiéter. Certains disent, nous remarquons un éloignement de plus en plus fort, vis à vis des Américains. La position française est la marque d'un éloignement ostentatoire, vis à vis des Américains, vous les entendez ces députés UMP qui commencent à s'inquiéter ?
Quelques députés UMP qui ont des liens particuliers avec les Etats-Unis peuvent avoir cette inquiétude. Je leur dis qu'ils ont tort d'être inquiets. Nos relations avec nos amis américains sont toujours excellentes. Je dirais que quand on a des amis, et c'est peut-être justement le moment aujourd'hui, nous avons alors le devoir de leur dire lorsqu'ils font fausse route. Nous avons le sentiment que le gouvernement américain risque de faire fausse route s'il s'engage soit dans une démarche unilatérale, soit dans une démarche d'intervention militaire, avant d'avoir laissé toutes les chances du désarmement, par le biais des inspections. Je parle du gouvernement américain et pas des Américains en général dont la position est beaucoup plus variée qu'on ne le dit souvent. Il faut effectivement savoir ce que l'on veut. Que voulons-nous ? Nous voulons éliminer les armes de destruction massive que détiendrait l'Irak. Qu'est-ce qui est le plus efficace pour les détruire ? Est-ce que c'est une intervention militaire, ou est-ce que ce sont des inspections, sous l'égide de l'ONU ? Le passé nous en donne un exemple, puisqu'il y a déjà eu, à la fois une guerre à la suite de l'invasion du Koweït par l'Irak, et des inspections. Il faut que l'on sache que les premières inspections ont permis l'élimination de davantage d'armes que toute la guerre du Koweït et de l'Irak. C'est donc bien la démarche des inspections qui est la plus efficace, quand elle peut se faire. C'est la raison pour laquelle nous disons à l'Irak : " Il faut que les inspecteurs aient tous les moyens d'agir et vous devez collaborer ".
Ont-ils tous les moyens d'agir aujourd'hui, franchement ?
Aujourd'hui, il faut distinguer deux choses : d'une part, ce que fait l'Irak et d'autre part, ceux que nous aidons. En ce qui concerne l'Irak, les inspecteurs Messieurs Blix et El Baradei ont noté que, ces derniers temps, il y avait eu des progrès dans la collaboration de l'Irak. Il y a encore plus à faire, et nous disons à l'Irak : " Il faut le faire ".
Notamment, sur les missiles !
Notamment, sur les missiles. Mais je dirais d'une façon générale, notamment quand il s'agit d'interroger des scientifiques. Nous disons aussi à la Communauté internationale : " Il faut que nous-mêmes, nous aidions les inspecteurs ". C'est ce qu'avait proposé Dominique de Villepin dans ce qu'on a appelé un premier mémorandum, lorsqu'il a déclaré : " Il faut qu'il y ait davantage de personnes pour aider les inspecteurs. Il faut qu'ils aient davantage de moyens matériels et il faut ensuite, éventuellement, qu'il y ait une surveillance des sites ". Davantage de personnels, c'est ce qui a été fait, notamment avec l'arrivée des experts venant d'Afrique du Sud, puisque vous le savez, l'Afrique du Sud a été confrontée au même problème et qu'elle a eu elle-aussi un désarmement. Leurs experts sont maintenant en Irak. Je pense que c'est une bonne chose. Davantage de moyens matériels, ce sont par exemple la mise à disposition des Mirage IV, qui évoluent à haute altitude et très rapidement, et que nous avons envoyés en Irak pour effectuer des missions de surveillance. Ils pourront ainsi surveiller un grand nombre de sites. Et, en ce moment même, nos Mirage sont en train de faire une mission pour les inspecteurs et à leur demande.
En ce moment ?
En ce moment même, oui, ils sont en train de voler. D'autre part, ce que nous disons maintenant dans un deuxième temps, c'est qu'il faut probablement être encore plus précis. C'est l'objet du deuxième mémorandum déposé hier par la France et qui consiste à dire : on ne va pas simplement parler de désarmement en général. Nous allons aider les inspecteurs, en leur faisant désormais préciser les éléments dans lesquels des actions doivent être menées et en dressant un calendrier. Parce qu'il ne s'agit pas de dire : " Il n'y a pas de calendrier, on reste dans le flou ! ". C'est le sens du mémorandum que la France a déposé avec, notamment, le soutien ou la participation de l'Allemagne et de la Russie et avec le soutien actif de la Chine. Je pense que ce mémorandum recueillera effectivement un grand nombre de soutiens, parce qu'il va dans le sens de l'efficacité.
Jean-Michel Demez
Madame le Ministre, on peut renforcer les moyens, effectivement, mais sur le terrain ce qui reste, c'est que c'est à Saddam Hussein que revient l'ultime décision, d'imposer ce désarmement pacifique de l'Irak que la France appelle de ses vux. Or, les derniers signes ne sont pas très encourageants sur la déclaration à " CBS " hier où Saddam Hussein refuse
Jean-Jacques Bourdin
Concernant les missiles ? oui. J'imagine que là, vous êtes catégorique concernant les missiles ?
Absolument !
Ces missiles doivent être détruits ?
Nous sommes extrêmement fermes. Cela a été dit. Nous faisons entièrement confiance aux inspecteurs et l'Irak doit suivre les demandes des inspecteurs. Les inspecteurs demandent qu'on détruise ces missiles.
Avant le 1er mars ?
Eh bien cela doit être fait.
Avant le 1er mars ?
Bien sûr, les inspecteurs ont fixé une date. Encore une fois, nous disons que ce sont les inspecteurs sur le terrain qui peuvent déterminer les conditions et les délais des inspections.
Jean-Michel Demez
Qu'est-ce qui se passe, si ce test là ne marche pas, est-ce que cela ne remet pas en cause, la position française ?
Non. Parce que la position française a toujours été la même. La position française consiste à dire : il est préférable de désarmer d'une façon pacifique. Mais attention, si l'Irak fait un blocage, si le désarmement par la voie pacifique des inspections est impossible, alors, à ce moment-là, nous passerons à une deuxième phase.
Jean-Jacques Bourdin
A une deuxième phase qui pourrait aller jusqu'à la guerre ?
A une deuxième phase qui comporte un certain nombre de mesures possibles, dont la guerre.
Dont la guerre. Votre mémorandum, est-ce qu'il y a une date butoir, vous fixez un calendrier, on parle de quatre mois, non ?
Non. Cela dépend des mesures. Par exemple, en ce qui concerne la destruction des missiles, c'est le 1er mars, puisque c'est ce qui a été demandé. En ce qui concerne la vérification qu'il n'y a pas de matières susceptibles d'être utilisées pour des armements nucléaires, Monsieur El Baradei a dit qu'il fallait six mois pour s'en assurer. Nous donnons six mois.
Donc vous donnez six mois à l'Irak !
Non. Ce n'est pas ce que je dis. Le calendrier doit être fixé objectif par objectif. Et ces objectifs doivent être, en eux-mêmes et dans leur calendrier, examinés avec les inspecteurs. Il faut que le 1er mars, c'est ce que nous disons, aux alentours du 1er mars, les inspecteurs nous disent : quoi et pendant combien de temps ?
Donc, vous demandez six mois d'inspection, en quelque sorte ?
Encore une fois, je vous répète que nous suivons les inspecteurs. Il y a des domaines dans lesquels cela peut être quinze jours, dans d'autres domaines peut-être, cela sera sept mois. Aujourd'hui, je ne suis pas capable de vous le dire. C'est ce que nous demandons aux inspecteurs de proposer et d'exposer au début du mois de mars.
Jean-Michel Demez
Michèle Alliot-Marie, qu'est-ce qui se passe concrètement le 1er mars, si les missiles irakiens ne sont pas détruits ?
Le conseil de sécurité de l'ONU sera saisi. Il entendra les inspecteurs pour voir quelle est leur recommandation.
Et la France suivra, suivra les inspecteurs, les recommandations des inspecteurs ?
La France déterminera sa position en fonction des recommandations des inspecteurs. Ce sont des sujets extrêmement sensibles. Nous sommes en train de parler de la paix et de la guerre. Dans ces domaines-là, ce n'est pas l'imagination qui doit prévaloir, c'est le pragmatisme. Il faut, étape par étape, regarder ce qu'il convient de faire et ce qui correspond, le mieux, à la situation.
Jean-Jacques Bourdin
Notre invitée, ce matin, Michèle Alliot-Marie, Michèle Alliot-Marie ce fameux droit de veto, deuxième résolution américaine, britannique et espagnole, est-ce qu'à, un moment donné ou à un autre, la France devra utiliser son droit de veto ? Est-ce que vous allez êtes confrontée, est-ce que vous pensez un jour, que vous allez être confrontée à l'utilisation de ce droit de veto ?
La situation change de jour en jour. Il est donc difficile de faire des prévisions. Ce que je peux simplement dire, c'est qu'aujourd'hui le problème ne se pose pas. D'abord, parce que nous ne sommes pas absolument sûrs que les Etats-Unis mettent leur deuxième résolution au vote. Hier, le président Bush lui-même a dit que cette deuxième résolution ne lui semblait pas utile ou indispensable.
Parce qu'il n'aurait pas de majorité ?
Je ne sais pas. C'est à lui qu'il faudrait poser la question. Deuxièmement, ce que je dis aussi, c'est que le veto n'est utilisé que pour aller contre une majorité qui soutiendrait une résolution. Aujourd'hui, à notre connaissance, cette majorité n'existe pas. Le problème de droit de veto ne se pose pas.
Si la France était minoritaire au Conseil de sécurité, elle n'emploierait pas, elle n'utiliserait pas son droit de veto, c'est que vous dites ?
Non. Ce que je dis, c'est qu'aujourd'hui, je ne peux pas vous répondre sur ce point. La France décidera de sa position, en fonction de ce que seront les circonstances et de sa propre appréciation. Or, vous le savez, les circonstances pouvant changer de jour en jour.
Mais l'utilisation du droit de veto, c'est encore, c'est toujours une possibilité, la France a toujours ce droit, et elle se réserve le droit.
La France a, bien entendu, toujours ce droit, et la France se réserve toute sa liberté d'appréciation à tout moment.
Mais ce serait un acte d'agression disent certains députés UMP et notamment Axel Poniatowski, qui préside le groupe d'amitié France-Etats-Unis. Ce serait un acte d'agression vis à vis des Etats-Unis.
Je crois que les parlementaires de la majorité savent bien que les liens entre la France et les Etats-Unis sont extrêmement solides. Il faut de toute façon distinguer ce que sont ces relations d'amitié sur le long terme et ce que peuvent être, effectivement, des situations où nous ne sommes pas d'accord. Vous savez, les Américains eux-mêmes, le comprennent très bien. Lorsque je suis allée à Washington il y a quelques semaines et également par les contacts que j'ai eus, quotidiennement ou hebdomadairement, je puis vous assurer que je constate que les Américains sont au moins aussi divisés sur la situation actuelle et sur la solution à y apporter, que peuvent l'être les Européens. On parle toujours de la division des pays européens dans leur appréciation. Je peux vous dire qu'au sein même de l'administration américaine, il y a toutes les nuances de positions à l'égard d'une intervention armée.
Si les Américains entrent en Irak, militairement sans l'aval de l'ONU, est-ce une gifle infligée à l'ONU, à l'Organisation des Nations Unies, serait-ce une gifle ou serait-ce ?
Je ne parlerais pas en terme de gifle. Je dirais qu'il s'agirait d'une remise en cause du rôle de l'ONU et probablement des chances de stabilité du monde. Je pense que ce serait effectivement un acte très grave vis-à-vis de l'ensemble de la communauté internationale et vis-à-vis de l'avenir à un moment où notre monde est agité par de multiples crises. La chute du mur de Berlin n'a pas entraîné les dividendes de la paix, comme certains avaient pu l'espérer. Je dirais qu'au contraire, on le voit en Afrique, on le voit dans les Balkans, on le voit en Asie centrale - nous sommes dans une période de très grande incertitude avec la Corée du Nord, qui fait de la provocation -, avec le Pakistan, avec l'Inde. Nous voyons bien le besoin d'une organisation, d'une stabilité internationale, d'une légalité internationale. Ceux qui prendraient le risque de les mettre en cause, prendraient une lourde responsabilité.
Jean-Michel Demez
Vous avez évoqué les divisions de l'Europe, j'ai deux questions moi, est-ce que l'on peut encore aujourd'hui avoir, en Europe, une politique étrangère commune ? Et la deuxième question, c'est ; est-ce que le retard militaire de l'Europe, n'est pas tel, vis à vis des Etats-Unis, qu'on est complètement largué et que l'idée d'une politique de défense européenne c'est quelque chose qui est maintenant mythique ?
Une politique étrangère commune en Europe ? Nous sommes en train de la construire. Il n'y en avait jamais eu et nous sommes plutôt en train de progresser. On parle beaucoup de l'Irak. Ce qui est frappant, c'est de voir que l'Europe a aujourd'hui, et pratiquement sur tous les autres sujets, une politique commune. Nous sommes donc aujourd'hui en train de construire cette Europe, même s'il y a encore des divergences, c'est vrai. Sur le plan de la Défense, je dirai que l'on est allé encore plus loin et plus vite que dans le domaine des affaires étrangères. On est probablement d'ailleurs allé plus vite que lorsque l'on a construit l'Europe monétaire. Il a fallu des décennies pour faire l'euro. Aujourd'hui, l'Europe de la Défense est une réalité. J'en veux pour preuve que, pour la première fois, c'est l'Europe de la Défense qui prendra la relève de l'OTAN, dans les Balkans en Macédoine au début du mois de mars. Pour la première fois, les Européens agiront en tant qu'armée. L'année prochaine, nous agirons en Bosnie, exactement de la même façon. Nous sommes en train de construire cette Europe de la Défense. Pour cela, nous essayons de nous réarmer, c'est-à-dire de combler les lacunes que nous pouvons avoir en matière d'armement. Nous sommes en train de mettre en place des programmes communs, dans le domaine du transport par exemple avec l'A400M, et aussi dans le domaine des missiles. Ce sont des avancées que je constate, mois après mois, notamment parce que
Jean-Jacques Bourdin
Sauf que les Portugais par exemple, achètent des avions américains et non pas
Non, non ce sont les Polonais !
Les Portugais aussi !
Non. Les Portugais, c'est sur le programme A400M qu'ils se sont désengagés, compte tenu notamment de leurs difficultés financières. Ils ont trouvé qu'à la place de 3 A400M, ils pouvaient acheter 5 C-130. Donc, ça, c'est un autre problème ! Nous avons aussi des progrès à faire, notamment en matière d'industrie de l'armement européenne. Lorsque nous aurons une industrie de l'armement européenne suffisamment forte, nous pourrons baisser un certain nombre de prix et être concurrentiels. Je ne vous dis pas que l'Europe de la Défense existe d'ores et déjà. Je vous dis qu'elle est en train de se construire, et qu'elle va bien, notamment parce que la France a donné un signe fort avec la loi de programmation militaire, car il faut que nous soyons à même de protéger nos concitoyens.
Jean-Michel Demez
On est une exception en Europe, je veux dire les seuls pays, les seuls Etats qui augmentent leur budget militaire, c'est effectivement, la France et l'Angleterre, l'Allemagne ne bouge pas, notre principal partenaire ne veut pas augmenter son budget militaire, comme les autres Etats européens d'ailleurs.
C'est la raison pour laquelle, à chaque fois que je rencontre mes collègues de la Défense, c'est-à-dire une fois par mois, je demande qu'ils fassent un effort, que leur gouvernement fasse un effort pour les mettre à ce niveau. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle aussi nous avons demandé que lorsqu'il s'agit de protéger la vie de nos concitoyens, notamment contre le terrorisme, il puisse y avoir un assouplissement des critères de Maastricht et que l'on ne prenne pas prétexte, de l'équilibre, de la stabilité pour empêcher les pays de faire les efforts nécessaires pour nous protéger, pour permettre à l'Europe d'avoir sa Défense.
Jean-Jacques Bourdin
Michèle Alliot-Marie prenons nos auditeurs, ils ont toute leur place, Jean-Louis par exemple, bonjour Jean-Louis, cadre commercial dans les Pyrénées Orientale, votre question Jean-Louis à Michèle Alliot-Marie !
Auditeur
Oui, bonjour Madame, je voulais vous demander simplement, le général de Gaulle a dit, il y a quelques dizaines d'années, que l'ONU était un machin. Je pense qu'il avait entièrement raison, et c'est un machin que Monsieur Bush s'apprête à fouler à ses pieds, d'une manière ou d'une autre. Je soutiens bien sûr la thèse française, je voulais savoir simplement, si on a les moyens qu'on ne fasse pas, comme Don Quichotte contre les moulins, est-ce qu'on a les moyens d'aller jusqu'au bout, et est-ce qu'il n'y aurait pas une solution extrême, si, malgré l'opposition des membres permanents, à quoi cela sert d'en faire partie ? Donc, si jamais il passait outre, pourquoi est-ce que l'on ne sortirait pas de l'ONU ?
L'ONU a peut-être ses défauts. Elle a aussi ses avantages, c'est-à-dire qu'elle fait passer les grands conflits par le filtre d'un accord des principaux pays. Elle permet, aujourd'hui encore, d'éviter un certain nombre de crises. Elle donne une légitimité à l'action armée dans un certain nombre de cas. Si vous n'avez pas l'ONU, qu'est-ce qui se passe ? Il se passe que vous n'avez plus personne pour intervenir au niveau de ces crises, ni à titre préventif, ni à titre d'interposition. Dans le monde dans lequel nous sommes, vous risquez d'avoir un embrasement général. Je crois que ce sur quoi il faut travailler, c'est améliorer le fonctionnement et plutôt renforcer l'action de l'ONU, que de la faire éclater.
Merci Jean-Louis, Olivier est avec nous, bonjour Olivier, Olivier vous avez 35 ans, vous êtes employé dans l'industrie, chez Giat.
Auditeur
Oui, chez Giat Industries. Bonjour Madame la Ministre, donc je téléphone à propos de Giat Industries donc, vous vous en doutez. J'aimerais savoir comment la France va continuer à avoir des positions fortes, à l'ONU et tenir un langage à l'ONU, en sachant très bien qu'en France, elle abandonne son outil industriel, comme son outil de défense, à travers le Giat, la DCN et par conséquent, son indépendance. Et sachant très bien qu'à terme, ne produisant plus l'armement en France, nous serons obligés d'acheter sur étagère, on le fait déjà chez les Israéliens pour les munitions et, à terme, on le fera probablement sur les étagères américaines. Donc, n'y a t-il pas une contradiction, de ce point de vue là ?
Jean-Jacques bourdin
Michèle Alliot-Marie vous répond.
Je voudrais rassurer Olivier, en lui disant qu'il n'est pas question, pour nous, d'abandonner notre industrie, ni en ce qui concerne DCN, ni en ce qui concerne le Giat. Au contraire. Avec DCN, nous sommes en train de finaliser sa réorganisation qui va lui permettre d'avoir toutes ses chances dans une industrie effectivement très concurrentielle au plan mondial. Nous sommes en train de capitaliser DCN. Nous faisons un plan d'entreprise pour DCN. Nous sortons d'un système très administratif pour lui permettre d'avoir toute cette liberté, puisque DCN, c'était en quelque sorte quasiment une administration. L'ensemble du schéma sera mis en place au 31 mai prochain. DCN va ainsi devenir un élément fort en matière de construction navale, au niveau européen et peut-être plus après, puisque DCN exporte aussi.
En ce qui concerne le Giat, c'est exactement la même chose. Nous sommes attachés à une industrie terrestre, d'autant qu'au Giat, il y a un certain nombre de compétences. Giat a de gros problèmes. C'est vrai que, depuis dix ans, il y a eu cinq plans sociaux successifs. Ils n'ont jamais marché. Il y a des pertes considérables de plusieurs milliards d'euros chaque année, parce que l'on n'a pas bien vu les choses. Ce que j'ai demandé, aujourd'hui, au président du Giat, c'est de faire des propositions qui reposent sur un plan industriel sérieux. Dans le dernier plan par exemple, on avait intégré les chars Leclerc, dont on savait très bien qu'en 2004, la construction serait terminée. On ne fait donc pas un plan pour deux ans. Ce que je demande c'est qu'aujourd'hui, on ait un plan avec des projets qui seront des projets sur dix ans ou sur quinze ans. De ce point de vue, la loi de programmation militaire, qui apporte des financements importants en matière de matériels terrestres, est un soutien important à Giat. Bien entendu, cela risque d'avoir un certain nombre de conséquences aussi sur des resserrements d'emplois. J'ai demandé, également, que le cas des personnes soit traité individuellement. J'ai aussi demandé qu'il y ait des solutions pour chacun d'entre eux et que l'on prenne aussi en compte l'aménagement du territoire, parce que nos industries de Défense sont aussi des industries qui participent à l'animation de l'ensemble de notre territoire. Je le dis, à RMC, qui est une radio très implantée dans nos régions.
Merci beaucoup, merci Olivier, Merci Michèle Alliot-Marie, merci d'avoir été avec nous. Je vous laisse, parce qu'il y a Conseil des ministres.
Oui et j'y vais directement.
Et vous y allez directement. Merci d'avoir été avec nous.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 27 février 2003)
Q- N'est-ce pas difficile d'être ministre de la Défense d'un pays pacifiste vis-à-vis du problème iraquien ?
R - La France n'est pas un pays pacifiste, c'est un pays qui prône une solution pacifique aux problèmes iraquiens. La France se situe délibérément dans un cadre international et en application de la résolution de l'ONU, dans le cadre du désarmement de l'Iraq par les inspections. Nous sommes, bien entendu, très déterminés à obtenir l'élimination des armes de destruction massive que pourrait détenir l'Iraq.
Q - Quelle est la voie la plus efficace : les inspections ou une armée d'intervention ?
R - Nous avons un point de référence, puisque les deux ont déjà eu lieu en Iraq. Et tout le monde reconnaît que les premières inspections, qui se sont terminées en 1998, ont permis l'élimination de davantage d'armes que l'intervention militaire en Iraq. C'est donc la bonne voie, c'est celle que nous voulons suivre, la voie de la raison, du bon sens ; la voie de l'efficacité.
Q - Il faudra donner le maximum de moyens possibles aux inspections.
R - C'est ce que la France a proposé à travers ses deux mémorandums. Le premier a permis de renforcer le nombre des inspecteurs et d'accroître les moyens matériels, avec en particulier les deux Mirage IV que la France a mis à la disposition des inspecteurs pour des missions de surveillance. Notre deuxième mémorandum, déposé la semaine dernière par Dominique de Villepin, tend à fixer un certain nombre de critères, pour juger du désarmement progressif.
Q - De quoi s'agit-il ?
R - Il s'agit notamment de fixer avec les inspecteurs les éléments de ce désarmement (la destruction, par exemple, des missiles Al-Samoud) et de donner un calendrier à chacun de ces éléments. Donc, je me sens à la tête du ministère d'un pays qui agit concrètement pour le désarmement, y compris, s'il le faut, mais en dernier recours, par des moyens militaires. Et, d'un autre côté, d'un pays qui est fermement attaché à une solution pacifique, celle qui évitera aux populations iraquiennes, qui ont déjà tellement souffert, de souffrir encore plus, de déstabiliser davantage une zone fragile, de relancer le terrorisme.
Q - Si une intervention devait avoir lieu, dans quel cadre pourrait-elle se dérouler ?
R - Nous avons toujours dit que, pour nous, une intervention militaire ne pourrait se faire que dans le cadre d'une décision de l'ONU : en aucun cas, nous n'interviendrions militairement sans une décision de l'ONU. Nos positions sont extrêmement claires, et nous n'en avons pas changé depuis le début. Je constate qu'elles rallient la très grande majorité, non seulement des gouvernements mais des opinions publiques. Et ce qui est en train de se passer en Iraq ces derniers jours montre que la voie des inspections est efficace.
Q - Est-ce que la France a les moyens d'une intervention militaire aujourd'hui ?
R - En ce qui concerne l'Iraq, nous sommes pour la voie pacifique du désarmement tant qu'elle est possible. Au-delà, si le président de la République et les autorités politiques en charge de la décision nous le demandent, nous pouvons mettre en œuvre toute intervention militaire n'importe où dans le monde, à n'importe quel moment.
C'est là le rôle du ministère de la Défense : mettre à la disposition des autorités politiques les moyens armés pour une intervention militaire à tout moment. Et ma responsabilité, c'est de veiller effectivement à ce que les hommes et les matériels soient perpétuellement en situation de disponibilité pour intervenir. Nous en avons fait la démonstration en Côte d'Ivoire, où il a fallu intervenir très vite pour protéger nos ressortissants et les ressortissants étrangers pour procéder à des évacuations.
Q - Certains, au sein de l'UMP, s'inquiètent de la possibilité pour la France d'exercer son droit de veto ?
R - Le problème ne se pose pas, puisque, aujourd'hui, notre position est majoritaire au Conseil de sécurité de l'ONU. Pour qu'il y ait recours éventuel à un droit de veto, il faudrait que nous nous trouvions dans la minorité. Le rapport de forces, actuellement, fait que notre position est majoritaire.
Q - Votre position de femme à la tête de l'armée, avec le spectre d'une guerre à l'horizon, est sans précédent, Jeanne d'Arc exceptée ?
R - Le problème n'est pas d'être un homme ou une femme, mais d'accomplir la mission qui vous a été confiée.
Q - Avez-vous été blessée par une certaine francophobie de la part d'une partie de la presse anglo-saxonne ?
R - Certaines attaques déconsidèrent d'abord ceux qui les formulent. Il y en a qui ne méritent même pas qui on y attache la moindre importance. Je crois qu'elles font partie d'une action, probablement pour camoufler la profonde division de l'opinion américaine, et plus généralement anglo-saxonne. Je le constate aujourd'hui. Les Américains sont probablement plus divisés que ne le sont les Européens sur une éventuelle intervention en Iraq. Ces attaques font aussi partie (c'est le deuxième aspect) de tentatives de pressions ou de chantage qui ne nous impressionnent pas. Car, lorsqu'on a le sentiment d'avoir avec soi la justesse du raisonnement, et la justice, on ne s'attache pas à ce genre de comportement.
Q - La France est-elle prête à une mobilisation rapide en cas d'intervention ?
R - Encore une fois, nous n'interviendrons en Iraq que s'il y a une décision politique, comme partout ailleurs dans le monde. Nous sommes prêts à intervenir, que ce soit avec nos forces aériennes, notre groupe aéronaval, nos forces terrestres. Cela dépend à la fois du lieu géographique de l'intervention, des forces engagées. Lorsqu'il s'agit des forces aériennes, quelques jours suffisent à cela. Le délai ne dépend que des autorisations de survol que nous devons demander aux pays, des conditions d'aéroports existants pour poser nos avions et de l'accord des pays. Nous avons des forces qui sont en état d'alerte permanente.
En ce qui concerne le groupe aéronaval, puisque nous sortons d'une période de révision, il est disponible sous quelques jours, deux semaines au maximum. Quant aux forces terrestres, quel que soit le point du globe, c'est toujours un peu plus long, sauf si nous avons des forces prépositionnées. Il y a un certain nombre de pays où nous avons de l'ordre de 20.000 hommes prépositionnés.
Q - Vous avez devant vous un calendrier : quels sont les jours qui seront marqués en rouge ?
R - Tous les jours ! Quand je vois ce qui arrive le matin sur mon bureau, des renseignements sur le monde entier...
Q - Nous parlons de l'Iraq.
R - On dit qu'en ce qui concerne l'Iraq une intervention militaire terrestre est difficilement envisageable à partir de la fin du mois d'avril.
Q - Donc, à partir du 1er mai, nous sommes sauvés ?
R - Disons que c'est, dans tous les cas, la théorie militaire sur certains types d'intervention.
Q - En cette période de crise, y a-t-il une agitation, une effervescence, au sein de votre ministère ?
R - Il n'y a jamais d'agitation dans cette maison. Et plus les situations sont graves ou tendues, moins il y a d'agitation. C'est le grand savoir-faire. C'est ce qui m'a frappée quand, dix heures après mon arrivée, s'est produit l'attentat de Karachi. Il a fallu réagir très vite. J'ai vu que tout se faisait dans le plus grand calme, avec la plus grande détermination et la plus grande efficacité. En l'espace de trois heures, tout ce qui était nécessaire pour mettre en place des systèmes de secours, de rapatriement, d'enquête, avait été fait sans qu'à aucun moment il n'y eût un mot plus haut que l'autre ni un sentiment d'excitation.
Q - Donc une situation sous contrôle absolu ?
R - C'est la moindre des choses qu'on puisse demander à des ministres de la Défense.
Q - Le Premier ministre avait enjoint ses ministres à faire du terrain. On a constaté que vous aimiez être au contact des missions militaires, vous avez évolué avec la Patrouille de France.
R - Je n'ai pas encore fait un appontage ni un catapultage sur le Charles de Gaulle.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mars 2003)