Texte intégral
R - Je crois que, ce qui est important pour les Allemands, ce qui est important aussi pour nous, c'est la rencontre franco-allemande de Rambouillet vendredi dernier qui a été la meilleure rencontre franco-allemande depuis des années et des années. Je suis à ce poste depuis trois ans. J'ai dû faire dix rencontres franco-allemandes
Q - Vous répondez avant que je ne pose la question.
R - C'était la meilleure réunion, et de très loin.
Q - Pourquoi ? On dit toujours que les rencontres franco-allemandes se passent bien. Et ensuite, on se rend compte qu'il y a quand même beaucoup de problèmes.
R - Ce ne sont pas des problèmes. Depuis trois ans que je suis là, je vous le répète, Français et Allemands se voient souvent. Pendant la dernière année du gouvernement Kohl, il ne s'est pas passé grand-chose.
Q - Le chancelier Schröder regardait plus du côté de Londres que du côté de Paris d'abord.
R - Je ne crois pas qu'il l'ait vraiment fait. Mais peut-être a-t-il mis quelque temps à découvrir que l'intérêt stratégique de l'Allemagne, le moteur de l'Europe, c'était vraiment le couple franco-allemand. A Rambouillet, nous avons eu une rencontre d'abord très restreinte. Nous étions une dizaine. Nous avons pu aller au fond des choses de façon informelle. Et je crois qu'il en sort une idée assez simple. D'abord, nous partageons l'analyse que l'Europe qui s'élargit a besoin d'un autre mode de fonctionnement. Il y a la proposition Fischer mais il peut y en avoir d'autres. Deuxièmement, nous voulons réussir la présidence française de l'Union européenne qui commence le 1er juillet, et notamment ce qu'on appelle la Conférence intergouvernementale qui doit réformer les institutions, ce qui est fondamental. Et nous aurons, je n'en doute pas, nous allons la chercher en tout cas, une position commune franco-allemande. Quand la France et l'Allemagne sont d'accord sur des sujets aussi essentiels, alors l'Europe avance. Je crois que tout cela se manifestera dans les prochains mois
Q - C'est un peu la méthode Coué quand même pour la Conférence intergouvernementale parce que la France et l'Allemagne peuvent être d'accord. Mais on sait bien que le problème vient de ce qu'on appelle les petits pays qui vont perdre un peu de leur pouvoir dans la réforme.
R - Vous n'avez pas tort. Je n'ai pas dit que tout cela serait une partie de plaisir. Ce que je dis, c'est que le fait que la France et l'Allemagne soient d'accord est une condition sine qua non, indispensable, nécessaire pour que cette CIG ait une chance d'aboutir. Si au-delà des difficultés objectives que nous connaissons avec ceux qu'on appelle improprement les " petits pays ", nous avions en plus un désaccord franco-allemand, alors l'affaire serait extrêmement mal embarquée. Et la France et l'Allemagne, à partir de Rambouillet, je crois sont disponibles pour développer une vision commune de ce qu'est l'avenir de l'Europe à long terme et aussi une vision commune de ce que doit être cette réforme des institutions. Encore une fois, cela me paraît très, très important. Et je suis persuadé pour ma part que Rambouillet restera comme une très grande date dans les relations franco-allemandes. Une grande date pour le franco-allemand, c'est souvent aussi une grande date pour l'Europe.
Q - Alors venons-en à cette vision commune. Il y a eu donc le ministre des Affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, qui propose une fédération d'Etats-Nations, en fait un noyau dur européen au sein d'une grande Europe élargie puisque l'Europe va bientôt compter 27 membres. C'est ce qui a provoqué la réaction un peu vive de Jean-Pierre Chevènement. Du côté français, on a d'abord dit que c'était une initiative heureuse. Et puis, Hubert Védrine est un peu revenu en arrière, en disant qu'il fallait d'abord réussir la réforme des institutions. Aujourd'hui, où en est-on ? Quelle est la position française face à cette proposition ?
R - L'initiative est très heureuse parce qu'elle part d'une analyse que nous partageons. Quand on sera 27, il faudra fonctionner différemment. Sinon, c'est un grand espace de libre-échange que nous développons et rien d'autre, donc une communauté politique ce qui veut dire qu'elle doit retrouver un cur. J'avais écrit un livre là-dessus l'an dernier. Donc, je ne suis pas du tout mal à l'aise avec cette idée. Deuxièmement, il y a un cheminement qui est indiqué. Ce cheminement est le suivant : commençons par réussir la réforme institutionnelle, insistons sur ce qu'on appelle les coopérations renforcées, c'est-à-dire la capacité d'avoir des coopérations
Q - Mais ce n'est pas du tout la même chose...
R - Les coopérations souples à quelques-uns dans le cadre de ce qu'on appelle une géométrie variable. Et si effectivement nous n'aboutissons pas dans la CIG, alors il faudra peut-être réfléchir à autre chose, c'est-à-dire à rebâtir ce cur, ce centre de gravité de l'Europe. Est-ce que nous sommes pour le modèle fédéral ? Est-ce que nous sommes pour une fédération d'Etats-Nations ? Deux choses qui sont d'ailleurs différentes parce que la fédération d'Etats-Nations suppose qu'on conserve l'identité des nations, le modèle fédéral étant autre chose. Ce débat-là méritera d'être posé. Et nous avons dit d'ailleurs aux Allemands qu'il fallait qu'ils soient conscients que le mot " fédéral ", que le concept de fédération en France n'évoquait pas du tout la même chose qu'en Allemagne. Nous n'avons pas le même type d'histoire, le même type de structures.
Q - Qu'est-ce qu'ils vous répondent ?
R- Je crois qu'ils comprennent. Ce que je partage complètement dans l'analyse de Joschka Fischer, c'est le diagnostic, le cheminement qui me paraît tout à fait intelligent. Et sur la finalité, nous avons encore le temps d'en débattre. Mais si l'idée est effectivement que, dans cette Europe à 27, il faudra qu'il y ait un cur, qu'il y ait quelques Etats qui soient capables d'impulser ensemble, alors là nous sommes d'accord. Je ne l'appellerai pas personnellement une fédération. ()./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 mai 2000)
Q - Vous répondez avant que je ne pose la question.
R - C'était la meilleure réunion, et de très loin.
Q - Pourquoi ? On dit toujours que les rencontres franco-allemandes se passent bien. Et ensuite, on se rend compte qu'il y a quand même beaucoup de problèmes.
R - Ce ne sont pas des problèmes. Depuis trois ans que je suis là, je vous le répète, Français et Allemands se voient souvent. Pendant la dernière année du gouvernement Kohl, il ne s'est pas passé grand-chose.
Q - Le chancelier Schröder regardait plus du côté de Londres que du côté de Paris d'abord.
R - Je ne crois pas qu'il l'ait vraiment fait. Mais peut-être a-t-il mis quelque temps à découvrir que l'intérêt stratégique de l'Allemagne, le moteur de l'Europe, c'était vraiment le couple franco-allemand. A Rambouillet, nous avons eu une rencontre d'abord très restreinte. Nous étions une dizaine. Nous avons pu aller au fond des choses de façon informelle. Et je crois qu'il en sort une idée assez simple. D'abord, nous partageons l'analyse que l'Europe qui s'élargit a besoin d'un autre mode de fonctionnement. Il y a la proposition Fischer mais il peut y en avoir d'autres. Deuxièmement, nous voulons réussir la présidence française de l'Union européenne qui commence le 1er juillet, et notamment ce qu'on appelle la Conférence intergouvernementale qui doit réformer les institutions, ce qui est fondamental. Et nous aurons, je n'en doute pas, nous allons la chercher en tout cas, une position commune franco-allemande. Quand la France et l'Allemagne sont d'accord sur des sujets aussi essentiels, alors l'Europe avance. Je crois que tout cela se manifestera dans les prochains mois
Q - C'est un peu la méthode Coué quand même pour la Conférence intergouvernementale parce que la France et l'Allemagne peuvent être d'accord. Mais on sait bien que le problème vient de ce qu'on appelle les petits pays qui vont perdre un peu de leur pouvoir dans la réforme.
R - Vous n'avez pas tort. Je n'ai pas dit que tout cela serait une partie de plaisir. Ce que je dis, c'est que le fait que la France et l'Allemagne soient d'accord est une condition sine qua non, indispensable, nécessaire pour que cette CIG ait une chance d'aboutir. Si au-delà des difficultés objectives que nous connaissons avec ceux qu'on appelle improprement les " petits pays ", nous avions en plus un désaccord franco-allemand, alors l'affaire serait extrêmement mal embarquée. Et la France et l'Allemagne, à partir de Rambouillet, je crois sont disponibles pour développer une vision commune de ce qu'est l'avenir de l'Europe à long terme et aussi une vision commune de ce que doit être cette réforme des institutions. Encore une fois, cela me paraît très, très important. Et je suis persuadé pour ma part que Rambouillet restera comme une très grande date dans les relations franco-allemandes. Une grande date pour le franco-allemand, c'est souvent aussi une grande date pour l'Europe.
Q - Alors venons-en à cette vision commune. Il y a eu donc le ministre des Affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, qui propose une fédération d'Etats-Nations, en fait un noyau dur européen au sein d'une grande Europe élargie puisque l'Europe va bientôt compter 27 membres. C'est ce qui a provoqué la réaction un peu vive de Jean-Pierre Chevènement. Du côté français, on a d'abord dit que c'était une initiative heureuse. Et puis, Hubert Védrine est un peu revenu en arrière, en disant qu'il fallait d'abord réussir la réforme des institutions. Aujourd'hui, où en est-on ? Quelle est la position française face à cette proposition ?
R - L'initiative est très heureuse parce qu'elle part d'une analyse que nous partageons. Quand on sera 27, il faudra fonctionner différemment. Sinon, c'est un grand espace de libre-échange que nous développons et rien d'autre, donc une communauté politique ce qui veut dire qu'elle doit retrouver un cur. J'avais écrit un livre là-dessus l'an dernier. Donc, je ne suis pas du tout mal à l'aise avec cette idée. Deuxièmement, il y a un cheminement qui est indiqué. Ce cheminement est le suivant : commençons par réussir la réforme institutionnelle, insistons sur ce qu'on appelle les coopérations renforcées, c'est-à-dire la capacité d'avoir des coopérations
Q - Mais ce n'est pas du tout la même chose...
R - Les coopérations souples à quelques-uns dans le cadre de ce qu'on appelle une géométrie variable. Et si effectivement nous n'aboutissons pas dans la CIG, alors il faudra peut-être réfléchir à autre chose, c'est-à-dire à rebâtir ce cur, ce centre de gravité de l'Europe. Est-ce que nous sommes pour le modèle fédéral ? Est-ce que nous sommes pour une fédération d'Etats-Nations ? Deux choses qui sont d'ailleurs différentes parce que la fédération d'Etats-Nations suppose qu'on conserve l'identité des nations, le modèle fédéral étant autre chose. Ce débat-là méritera d'être posé. Et nous avons dit d'ailleurs aux Allemands qu'il fallait qu'ils soient conscients que le mot " fédéral ", que le concept de fédération en France n'évoquait pas du tout la même chose qu'en Allemagne. Nous n'avons pas le même type d'histoire, le même type de structures.
Q - Qu'est-ce qu'ils vous répondent ?
R- Je crois qu'ils comprennent. Ce que je partage complètement dans l'analyse de Joschka Fischer, c'est le diagnostic, le cheminement qui me paraît tout à fait intelligent. Et sur la finalité, nous avons encore le temps d'en débattre. Mais si l'idée est effectivement que, dans cette Europe à 27, il faudra qu'il y ait un cur, qu'il y ait quelques Etats qui soient capables d'impulser ensemble, alors là nous sommes d'accord. Je ne l'appellerai pas personnellement une fédération. ()./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 mai 2000)