Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur les relations entre la France et le Mexique et sur la situation internationale, à Mexico le 18 juillet 2003.

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Circonstance : Voyage de Dominique de Villepin au Mexique du 17 au 18 juillet 2003 : conférence de presse conjointe avec le ministre mexicain des affaires étrangères, Luis Ernesto Derbez

Texte intégral

Permettez-moi tout d'abord de vous dire la grande joie que j'éprouve en me retrouvant au Mexique. C'est ma première visite en tant que membre du gouvernement français mais elle s'inscrit parmi les nombreux voyages qui m'ont permis de connaître et d'apprécier votre beau et généreux pays. J'ai décidé de commencer ce voyage à Monterrey parce que cette ville symbolise le dynamisme de votre pays, sa profonde transformation économique au cours de ces dernières années et son ouverture sur le monde extérieur. Cette première étape m'a permis de mieux connaître l'esprit d'entreprise des hommes d'affaires mexicains et de discuter avec eux de nos échanges économiques ainsi que du chemin parcouru dans la voie de la mondialisation.
La journée d'hier n'a pas été seulement consacrée à l'économie. J'ai eu le plaisir de rencontrer au musée "Dolores Olmedo" des intellectuels et des artistes de votre pays. J'ai eu avec eux un échange de vues sur tout ce qui nous rapproche et nous fascine mutuellement dans le domaine culturel.
Cependant, il est clair que ce voyage est avant tout un voyage politique : je vais rencontrer les sénateurs et les députés du Congrès de l'Union, ce qui me donnera l'occasion d'entamer un dialogue avec eux et de souligner l'excellence des relations bilatérales qui existent entre nos deux pays et nos deux peuples.
Pour terminer je serai reçu, comme l'a déjà dit Luis Ernesto Derbez, par le président des Etats-Unis du Mexique, M. Vicente Fox, pour un déjeuner. Je tiens à rappeler qu'il a fait une visite très réussie à Paris au mois de novembre dernier ; il s'agissait de sa quatrième visite en France au cours de ces derniers mois. Je rencontrerai également le chef du gouvernement de la Ville de Mexico, M. Andrés Manuel Lopez Obrador. Comme vous le constatez, le dialogue entre la France et le Mexique est constant, substantiel et naturellement, amical.
Avec mon ami Luis Ernesto Derbez, nous venons de passer largement en revue tout ce qui nous rapproche et qui, par conséquent, renforce nos liens. De notre entretien, je conclus que nous faisons la même analyse sur l'état du monde et sur les grands enjeux de la société : inégalités sociales, rupture Nord-Sud, terrorisme, prolifération, drogue, crime organisé... Si nous n'agissons pas vite dès maintenant, nous risquons d'assister à des ruptures profondes.
Nous partageons la même vision en ce qui concerne l'avenir de nos peuples et nous avons la volonté d'agir ensemble pour la concrétiser en approfondissant les relations bilatérales entre nos deux pays.
La France participe activement au développement économique du Mexique ; le flux des investissements français est intense : 6% des investissements étrangers au Mexique proviennent d'entreprises françaises. Il doit cependant encore augmenter.
Dans le domaine culturel et universitaire, nos deux pays ont traditionnellement de nombreux échanges qui doivent continuer. Je souhaite que davantage d'étudiants mexicains puissent trouver le chemin des universités françaises : la proximité de nos cultures est un atout. Le président Chirac a signé en 1998 un accord qui va dans ce sens. Il s'agit du renforcement des ensembles régionaux pour répondre aux enjeux de la globalisation en favorisant un meilleur équilibre dans le domaine des échanges économiques, culturels et intellectuels.
A cet égard, nous sommes heureux de constater que l'Accord de libre échange entre l'Union européenne et le Mexique a déjà permis d'augmenter de façon significative les échanges entre nos pays. Les exportations mexicaines vers la France ont augmenté, au cours du premier semestre de cette année, de plus de 40%. C'est là un bon exemple.
Nous nous réjouissons également du rapprochement du Mexique avec les pays de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud ainsi que de la négociation de l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur. Nous devons maintenir le cap. Je suis convaincu que, lors du prochain Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement européens et latino-américains - qui se tiendra en mai 2004 au Mexique - nous constaterons que nous avons avancé en agissant sur le plan multilatéral, en réponse aux enjeux et aux crises internationales. Notre coopération exemplaire au Conseil de sécurité ainsi que la participation du président Fox au Sommet d'Evian ont montré que nous avions la volonté d'agir conjointement sur la scène internationale en faveur du maintien de la paix, du développement durable et de la maîtrise de la mondialisation.
Q - Vous déclariez hier qu'il fallait voir si, dans le contexte actuel, la résolution 1483 était encore pertinente pour l'Irak. Cette résolution a été adoptée au moment où il n'y avait pas en Irak de mouvement de guérilla organisée. Pensez-vous qu'on devrait rechercher une nouvelle résolution tenant compte du fait que l'Irak n'est pas pacifié et que les affrontements se poursuivent ?
R - Pour la France, aujourd'hui la priorité est sans doute d'accélérer le processus politique en Irak. Il est très important de donner au peuple irakien la possibilité de retrouver pleinement sa souveraineté sur son territoire : souveraineté politique, économique, contrôle des richesses. C'est là pour nous la clé. Maintenant, nous voyons naturellement que le problème de la sécurité reste difficile. Il faut faire la distinction entre la situation dans les différentes régions, au Nord, autour de Bagdad, au Sud de l'Irak, en région chiite. La situation reste complexe.
Nous considérons, bien entendu, que la meilleure solution vise à confier totalement la pleine responsabilité des opérations de reconstruction en matière politique, économique et de sécurité aux Nations unies. C'est ce que nous disons depuis le début. Nous pensons que les Nations unies doivent jouer un rôle central car cette instance est celle qui est le mieux placée, celle qui bénéficie de la plus forte crédibilité et de la plus grande légitimité pour agir dans un pays difficile, qui a besoin de l'appui de tous les pays à ce processus, de toutes les énergies des pays voisins, de la communauté internationale.
Il est donc important, à mon avis, que nous puissions discuter entre nous de la meilleure façon de progresser. Il faut changer la résolution 1483. Que veulent nos amis américains ? Sont-ils prêts à aller de l'avant pour trouver d'autres solutions ? Ce sont des questions dont il nous faut débattre entre nous pour décider de la meilleure façon de répondre aux problèmes du peuple irakien puisque nous constatons tous que la situation n'est pas satisfaisante.
(...)
Q - La France a-t-elle adopté une position sur le manque de preuves de l'existence d'armes de destruction massive ? Y a-t-il une réaction de la part de la France, puisque finalement cette éventuelle présence a été une excuse, un prétexte pour entrer en guerre ?
R - A mon avis, il n'y a aucun commentaire à faire là-dessus. Vous connaissez la position de principe de la France : appuyer le désarmement pacifique en Irak, donc appuyer les inspections.
La guerre a eu lieu. Il faut maintenant regarder vers l'avenir face à une situation difficile. Tous nos pays sont, de toute évidence, très inquiets. Il nous importe de voir comment soutenir le processus, appuyer des solutions garantissant le maintien de la stabilité et de la sécurité en Irak et permettant au peuple irakien et à tous les peuples de la région de trouver des réponses aux problèmes qui se posent.
Q - J'aimerais revenir sur ce point. En fait, la question de mon collègue visait à savoir si, en recherchant une nouvelle résolution, la France ne défendait pas l'instauration d'une force multinationale de paix composée de casques bleus. La France l'envisage-t-elle et essaie-t-elle de rallier d'autres pays à cette idée ?
Autre question : dans les milieux diplomatiques, il y a des bruits qui courent sur le fait que le ministre français des Affaires étrangères serait susceptible de proposer à son homologue mexicain de prendre avec lui une initiative en ce qui concerne des actions à mener quant à la situation à Cuba, initiative qui serait fondée sur celle de l'Union européenne visant à réduire les contacts officiels avec le gouvernement de Fidel Castro. Je voudrais savoir si cette initiative existe vraiment, si elle a été proposée et, dans l'affirmative, Monsieur le Ministre, si elle fait l'objet d'une réponse.
R - Je répète que la position française sur l'Irak dépend en grande partie de la réflexion et de la position des Etats-Unis. Je n'ai aucun élément me permettant de penser qu'ils ont changé de position. La France est naturellement prête à appuyer, à apporter son aide et à assumer ses responsabilités en ce qui concerne le processus irakien, mais pour nous la première des conditions, c'est que le rôle central de l'ONU soit reconnu.
Nous pensons qu'il faut, avant tout, reconnaître la responsabilité essentielle de l'ONU dans le domaine politique, dans le domaine économique et dans le domaine de la sécurité. S'il en est ainsi, nous pouvons examiner et envisager diverses formes de participation et d'appui à une force de paix, mais la responsabilité doit être véritablement celle des Nations unies. C'est pour la France une question de principe. Nous voulons être cohérents, nous n'avons pas soutenu l'idée de la guerre ; le moment n'est pas venu de participer à une force de coalition. Nous pensons que l'ONU doit jouir de la responsabilité totale, nous pensons que, si nous voulons avoir une véritable légitimité pour agir dans un pays aussi difficile que l'Irak, il nous faut une communauté internationale unie, ce que nous ne pouvons obtenir que dans le cadre de l'ONU.
Q - Si les Etats-Unis reconnaissent clairement le rôle de l'ONU en la matière, seriez-vous prêts à faire partie d'une force de paix ? Par ailleurs, après l'appui apporté par l'Espagne à l'attaque de l'Irak, pouvez-vous me dire où en est la coopération entre l'Espagne et la France en ce qui concerne le terrorisme ?
R - Je crois avoir déjà répondu à la première partie de la question. Le problème pour la France n'est pas de savoir si elle est prête à faire ceci ou cela. Nous sommes naturellement prêts à assumer nos responsabilités mais ce qui est important pour nous c'est que les conditions requises soient remplies, que le principe du rôle central de l'ONU soit reconnu.
En ce qui concerne les relations entre la France et l'Espagne, vous savez qu'il s'agit de relations très fortes. Un séminaire ministériel s'est tenu il y a quinze jours à Paris, réunissant ministres espagnols et ministres français. La coopération en matière de terrorisme est évidemment un point central de la coopération entre nos deux pays. Je peux vous dire qu'il s'agit là d'une coopération tout à fait exemplaire face à tous les défis qui se présentent ; la capacité de lutter ensemble des deux pays est considérable et ils peuvent s'en féliciter.
Q - J'aimerais savoir ce que vous pensez de la polémique à laquelle on assiste, tant aux Etats-Unis qu'en Angleterre, au sujet des erreurs éventuelles des services de renseignements, ayant débouché sur une information qui a - ou qui aurait - justifié la guerre en Irak.
Pensez-vous que, comme le dit Tony Blair, l'histoire pourra absoudre les erreurs des services de renseignements ?
Pensez-vous que la modification qui serait apportée à la résolution 1483 pourrait équivaloir à la suppression du pouvoir considérable que Washington a aujourd'hui sur l'Irak ?
R - En ce qui concerne la première question, je ne veux pas entamer une polémique. Je vous dirai très clairement quelle a été la position de la France pendant toute cette période. Il est évident que beaucoup d'informations ont circulé au début de l'année mais la position de la France a toujours été la même.
Nous avons transmis aux inspecteurs toutes les informations dont nous disposions. La France a assumé la présidence du Conseil de sécurité au mois de janvier et j'ai personnellement écrit à tous les membres du Conseil pour leur demander d'envoyer à MM. Hans Blix et El Baradeï toutes les informations privilégiées qu'ils pourraient avoir afin de les faire vérifier.
Telle a été la position française. Nous avons toujours dit que les inspecteurs étaient en Irak, l'il et la main du Conseil de sécurité, de la communauté internationale. Ce sont eux qui pouvaient véritablement disposer de l'information et la vérifier. Il est toujours difficile de savoir, d'avoir la garantie qu'une information est bonne. Les inspecteurs étaient les mieux placés puisqu'ils étaient sur le terrain.
Cela a toujours été notre position. Vous pouvez relire toutes les déclarations que nous avons faites au Conseil de sécurité ainsi que nos déclarations publiques et vous verrez que cela a toujours été la position de la France.
Nous avons toujours pensé qu'il fallait nous appuyer sur la sagesse, les connaissances et l'expérience de ceux qui se trouvaient sur le terrain. C'est pour cela que, lors de la discussion sur la rédaction de la résolution 1441, nous avons demandé à entendre, avant toute décision prise au Conseil, de la bouche des inspecteurs, les informations, les éléments techniques, tous les renseignements sur le terrain qui nous étaient utiles.
C'était là un élément très important pour nous afin d'éviter ce genre de polémiques sur des informations très difficiles à vérifier.
Q - On a beaucoup parlé de convergences sur la crise irakienne. Vous avez un point de vue très semblable. Pourquoi ne pouvait-on pas prévoir une sorte d'action conjointe avec tous les pays qui étaient opposés à la guerre, une stratégie commune ou même une déclaration commune, une démarche qui aurait été faite en commun ?
R - Tous nos pays doivent essayer d'apporter un appui constructif, d'apporter des solutions utiles à la communauté internationale et à tous ceux qui sont sur le terrain. Il s'agit de ne pas compliquer les choses. C'est pourquoi notre position ne consiste pas à faire un front avec les pays opposés à la guerre ; nous partageons la souffrance des familles, la souffrance de tous les Américains et de tous les Britanniques qui ont des soldats sur le terrain et qui malheureusement ont eu tant de morts et de blessés.
C'est pour cela que notre position est celle d'un dialogue destiné à trouver des solutions positives. Celui que nous entretenons à l'heure actuelle fait partie de la réflexion qui est la nôtre ainsi que des discussions au Conseil de sécurité. Toutefois, nous devons tenir compte de la position actuelle de ceux qui font partie de la force de coalition. Nous devons donc dialoguer également, avec fermeté mais en toute amitié, avec nos amis américains et britanniques qui se trouvent aujourd'hui en difficulté sur le terrain.
(...)
Q - Premièrement, je voudrais savoir si vous avez parlé de la question des subventions agricoles à l'approche de la réunion ministérielle de l'OMC qui se tiendra à Cancun. Deuxièmement, j'ai l'impression que le Mexique fait des efforts pour diversifier ses échanges commerciaux. J'aimerais savoir si la France et l'Europe représentent pour le Mexique une alternative ou davantage ?
(...)
R - Je partage complètement le point de vue de mon ami Luis Ernesto Derbez. Nous voulons naturellement que la réunion de Cancun soit un succès, c'est très important pour tous, mais je voudrais aussi préciser, en réponse aux critiques faites de tous côtés à l'Europe, que celle-ci n'est pas la forteresse que d'aucuns se plaisent à décrire.
L'Europe importe plus de produits agro-alimentaires des pays en développement que les Etats-Unis, le Japon, le Canada, l'Australie et la Nouvelle Zélande réunis : c'est donc une zone ouverte aux importations agricoles. En outre, l'Europe a fait beaucoup d'efforts au cours de ces dernières années et a connu des évolutions très significatives : tout d'abord, l'agenda 2000 qui prévoit notamment des diminutions substantielles des prix d'intervention ; ensuite la stabilisation du budget agricole européen des 25 membres jusqu'en 2013, décision qui a été prise également à Copenhague ; et finalement, l'accord de Luxembourg, du mois de juin dernier aux termes duquel on a abouti à de nouvelles modalités dans la gestion des aides qui réduisent les effets de distorsion pour les échanges conformément aux critères de l'OMC.
Je crois ainsi que nous avons franchi des étapes importantes pour que Cancun soit un succès et je le répète, nous le souhaitons vivement et nous allons soutenir les efforts développés par tous les pays.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 2003)