Texte intégral
NR : Après un an à Matignon, vous définissez-vous toujours comme un provincial manager ?
Jean-Pierre Raffarin : Je reste très provincial, très attaché à mes racines. Ca me paraît nécessaire parce que j'ai vraiment à affronter le parisianisme permanent qui marque notre pays. Je le vois de manière frappante à tous les niveaux : administratif, médiatique, politique C'est vrai que mon approche est plus celle d'un manager que d'un maître de l'idéologie. Je fais des arbitrages. J'aide les ministres qui sont un moment en difficulté. Je m'appuie sur des ministres qui sont en force. Je manage la ressource humaine, les calendriers.
" NR " : Si vous n'êtes pas de ce monde, il existe quand même. Votre force vient-elle de vos galons ou de votre conviction ?
JPR : Elle vient de la confiance du président de la République. Il ne faut jamais oublier comment fonctionne le système, hors cohabitation. Le Premier ministre est fusible et il protège le président. Fidèle, il est protégé par le président.
" NR " : La politique du gouvernement, depuis un an, c'est du Chirac ou du Raffarin ?
JPR : C'est du Chirac - Raffarin, c'est vraiment une dialectique permanente. Je travaille avec un homme avec lequel j'ai des relations respectueuses et affectueuses. Le président me connaît bien et je le connais bien. Nous nous comprenons souvent à demi-mot. Aujourd'hui, on a des rendez-vous réguliers. Je sais exactement les sujets sur lesquels je dois le consulter et les sujets sur lesquels j'ai ma liberté totale.
" NR " : On parle beaucoup de méthode Raffarin. Vous, vous parlez souvent de pédagogie
JPR : J'ai retenu du passé que la politique, c'était vraiment la science du temps. La première autorité que doit avoir un politique, c'est l'autorité du calendrier. Quand vous êtes dominé par le calendrier, vous êtes déjà faible. Le maîtriser, c'est essentiel pour la qualité du travail, de la décision et de la pédagogie avec l'opinion. Il ne faut pas être superficiel pour maîtriser l'événementiel.
" NR " : Pensez-vous être encore à Matignon en mai 2004 ?
JPR : Nous avons une majorité, un contrat de législature. En tout état de cause, l'action qui est menée est destinée à couvrir le quinquennat et la législature. Mon rôle personnel dans tout cela ? Vous savez, j'ai vu assez de choses sur le plan politique pour savoir que les événements se présentent rarement comme ils sont prévus. Il faut être très prudent quand on voit la créativité des Français en la matière. "
" NR " : Comment encaissez-vous les coups ?
JPR : Il y en a qui font mal. Je suis souvent raillé sur un ton assez méprisant. Mais le mépris ne
me touche pas. " Le mépris est souvent la marque d'un cur vulgaire " disait Albert Camus. Ce que j'aime le moins, c'est quand on joue avec mon nom : les raffarinades, Raffa'rien D'abord, je pense à ma fille. Un nom, on le partage à plusieurs, c'est comme une ethnie cela se respecte. On ne touche pas aux éléments d'identité.
" NR " : Craignez-vous l'échec ?
JPR : J'ai une mission. Je fais ce que j'ai à faire. Je sais que je rentrerai à la maison et que je ne suis pas chez moi ici. Psychologiquement, cela aide beaucoup. Cela donne une liberté. En plus, c'est un job tellement pressant qu'on ne peut pas rêver le faire trop longtemps.
NR : La réforme des retraites suscite beaucoup d'inquiétudes. Craignez-vous une forte mobilisation, le 13 mai ?
Jean-Pierre Raffarin : Je suis déterminé à aller jusqu'au bout. Mais je suis à l'écoute des propositions raisonnables des forces sociales. Ma porte n'est jamais fermée à ceux qui veulent sauver le système de retraites par répartition. Les forces sociales ont besoin de s'exprimer.
NR : En tiendrez-vous compte ?
JPR : Mais ce n'est pas la rue qui fait la démocratie. Le droit de manifestation est très important, il
est toujours porteur de sens. Je suis à l'écoute mais je ne peux pas accepter une perspective de blocage. Je suis très ouvert à la discussion. Nous écoutons le message qui s'exprime mais c'est aux élus d'assumer la responsabilité politique.
NR : Derrière tout cela, n'y a-t-il pas un débat idéologique ?
JPR : Non. Il y a un problème majeur de financement et de grandes inégalités. De moins en moins de gens
vont payer, de plus en plus de gens vont toucher. Aujourd'hui, les retraites ne sont pas assurées si l'on ne fait pas de réforme. J'irai jusqu'au bout. Un des éléments importants, dans ce débat, c'est que depuis pratiquement un an, l'opinion sait. On avait dit qu'on engagerait le débat en janvier et qu'on clôturerait avant les vacances. On avance exactement au rythme prévu. Il y a la manifestation du 13 mai, le conseil le 28 mai (NDLR : des ministres). Et le 8 juin, on va au Parlement. Avant les grandes vacances l'avenir des retraites sera sauvé.
Référendums territoriaux
Décentralisation. - " Il y a des inquiétudes mais je pense qu'on va les lever par la pratique. Les Français sont assez décentralisateurs pour peu que nous puissions simplifier les systèmes. Je compte beaucoup sur le référendum territorial pour que les gens s'expriment ". Les Corses seront les
premiers le 6 juillet prochain.
Collectivités. - " Il y a deux fonctions qu'il faut assumer dans la décentralisation : la cohérence et le proximité. Il y a le schéma proposé en Corse : une seule collectivité, avec la fusion de la région et des deux départements. Il y a un schéma type " Auvergne - Limousin " qui
fusionnent : la grande région qui prend une taille européenne. C'est un autre traitement de la même logique. Il y a les deux Savoies qui feront peut-être un seul département, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin qui ont envie de se retrouver. A mon avis, il y aura plusieurs référendums territoriaux dans les douze mois qui viennent ". Nous allons simplifier la carte administrative de la France à l'expression des Français.
Ministres. - " La règle, c'est qu'un ministre ne soit pas à la tête d'un exécutif territorial. Pour moi, c'est une question de mobilisation intellectuelle. Quand j'étais président de région, je pensais à ma responsabilité dix à quatorze heures par jour. On est dévoré par nos responsabilités au gouvernement. Je pense à Poitou-Charentes une demi-heure par jour et j'organise
une réunion mensuelle sur les dossiers de la Région. Ceci n'empêche pas de s'impliquer dans le débat électoral, y compris, éventuellement, de conduire des listes. " Poitou-Charentes. - " Je serai à coté d'Elisabeth Morin. C'est une excellente présidente.
Je ne sais pas dans quelle situation mais, de toutes façons, nous travaillerons ensemble. "
La laïcité, code de la République
" NR ". - Votre position quant à la loi de 1905 sur la séparation de l'église et de l'État ?Jean-Pierre Raffarin : " Il ne faut pas toucher à la loi de 1905qui est une loi fondatrice. Je pense que la laïcité est une valeur républicaine fondamentale qu'il faut nourrir un peu des réflexions modernes. D'ailleurs, la laïcité va prendre de plus en plus d'importance parce que je crois que les religions prennent de l'importance, que la vie spirituelle prend de l'importance. Je fais partie
des gens qui s'en réjouissent. Je n'ai pas peur des religions. Je trouve que c'est plutôt une bonne nouvelle que nous sortions du matérialisme dans lequel le marxisme nous a très longtemps enfermés. Que les gens s'interrogent sur les sources de leur liberté, sur la nature de leur liberté, sur leur capacité de dépassement, je trouve que c'est une bonne évolution de la société. Malraux nous avait annoncé que le XXIème siècle serait spirituel. Tout le problème réside dans le fait qu'il ne faut pas que ce débat-là entre dans l'espace politique autrement que par la grammaire de la laïcité, que par la langue de la laïcité.
C'est la laïcité qui est le code de la République. On ne fait pas entrer dans l'espace républicain, dont l'école est le premier niveau, sa différence spirituelle ou religieuse. On ne l'exprime donc pas par tout ce qui est l'expression de dérives communautaristes, tout ce qui peut être prosélytisme, provocation. "
" NR ". - Et sur le port du voile, par conséquent ?
JPR. - " Je ne suis pas hostile qu'au Parlement, quand nous réviserons la loi de 1989, nous puissions légiférer sur ce sujet. Il s'agira d'interdire tout signe ostentatoire d'expression religieuse à l'école : le professeur n'a pas en face de lui des musulmans, des catholiques, des protestants ou des juifs, il a ses élèves, membres de la communauté républicaine. L'idéal serait que la laïcité puisse s'imposer par la seule référence au pacte républicain. Mais si nécessaire nous légiférons.
Je suis très attentif au dialogue entre le pouvoir et les religions. Mais je veille à ne pas à intervenir
dans le domaine religieux dans le cadre de ma responsabilité politique. Par exemple, je suis catholique, je suis plutôt pratiquant. Quand je vais à la messe de Pâques, en famille, à Poitiers, sans prévenir personne, je vais communier. Si je vais aux obsèques de Jean-Luc Lagardère, pour représenter le gouvernement de la République, je ne vais pas communier, car je suis le représentant de l'État, de la neutralité de l'État. "
Le monde ne peut pas être bipolaire
" NR ". - Où en sont les rapports entre Français et Américains ?
Jean-Pierre Raffarin : " Les Français ont vraiment compris que nous avions avec les Américains, un clivage important sur la vision du monde. Tant qu'à s'attaquer à la dictature irakienne, il y avait sans doute d'autres moyens que de bombarder des femmes et des enfants. Mais le fait nouveau, c'est que les Américains sont devenus un peu plus manichéens dans leur langage, parlant de chocs de civilisation avec une vision très bipolaire. Le monde ne peut pas être bipolaire et les Français le saisissent bien. C'est d'ailleurs pour cela que nous sommes Européens : c'est parce que, pour nous, l'Europe est une union qui devrait participer à l'équilibre du monde. Nous ne voulons pas forcément considérer qu'il y a les amis des Américains d'un côté et les adversaires des Américains de l'autre. Nous sommes les alliés des Américains. Il n'y a pas de d'ambiguïté sur le camp de la démocratie, sur le camp transatlantique. Mais faisons attention à ce que l'Occident ne soit pas perçu comme le mal, car dans la bataille du bien et du mal, chacun à sa vision du bien et du mal. Si nous nous autodéterminons comme le bien, d'autres peuvent penser que nous sommes le mal. Les Américains donnent le sentiment que seule leur stratégie de puissance compte. Nous nous reconnaissons leur force, leur puissance. Nous avons une réelle gratitude historique vis-à-vis d'eux. Mais cela ne doit pas conduire à ce qu'ils aient une vision unique de l'Occident qu'ils ne réussissent d'ailleurs pas à faire partager à tous les peuples du monde. Il ne s'agit pas de dire : " je suis pour les Américains ou je suis contre les Américains ". Nous sommes avec les Américains, mais vraiment, le monde, ce n'est pas les Américains et les autres. Les civilisations existent et on ne les balaye pas simplement par le manichéisme ". Je rentre de Chine, on aurait tort d'oublier la Chine dans nos équilibres du XXIème siècle.
" NR ". - Craignez-vous des représailles ?
JPR. - " Non, je ne crains pas les représailles entrepreneuriales. On a quelques craintes sur des produits très ciblés, comme le vin, par exemple. Pour le reste, l'identité des entreprises n'est pas toujours connue ! Non, nous ne craignons pas vraiment les représailles. La vraie difficulté
serait un dollar très bas et un euro trop haut. Mais tout le monde a intérêt à un retour rapide de la croissance.
Pas de remaniement en vue
" NR ". - Envisagez-vous un remaniement ministériel ?
Jean-Pierre Raffarin : " Ce n'est pas prévu à court terme. Je trouve d'ailleurs que ce gouvernement est de qualité. Il n'y a pas de maillon faible. On n'est donc pas dans une situation qui aurait besoin de correction même s'il faudra renouveler au cours du quinquennat.
On a quand même eu une équipe qui était très renouvelée. Il y a une idée contre laquelle je me bats, c'est celle des 100 jours. Tout faire pendant les 100 premiers jours, c'est une idée incompatible avec le renouvellement. Si vous voulez tout faire en 100 jours, il faut nommer un ancien Premier ministre. Sinon, il faut prendre des gens neufs et il faut qu'ils s'installent dans leurs responsabilités. Voyez Francis Mer ou Luc Ferry : ils ont une dimension personnelle qui, immédiatement est à la hauteur de leurs fonctions, mais le savoir-faire ministériel est nécessairement progressif.
Evidemment, Nicolas Sarkozy s'est mis vite dans le job. Dominique Perben est très bien aujourd'hui dans sa fonction. On ne devient pas Garde des Sceaux du jour au lendemain. C'est maintenant que le gouvernement est à maturité professionnelle. Il ne me paraît pas utile de faire un remaniement. "
" NR ". - Vos relations avec vos ministres ?
JPR. - " Ce n'est jamais très facile : ils sont quarante ! Un par un, ça va. D'ailleurs, quelquefois, entre eux, ce n'est pas simple non plus. Mais je n'ai pas de difficulté majeure. Celui que je connaissais le moins, c'était Nicolas Sarkozy : on a bien compris nos fonctionnements. Il a besoin de liberté mais il assure la loyauté. J'apprécie vraiment nos relations.
Avec Dominique de Villepin, aussi, c'est relativement simple. "
Ma force est que je compte beaucoup d'amis personnels dans cette équipe, des anciens et
des nouveaux que j'ai découverts.
" NR ". - Avec Roselyne Bachelot, l'Angevine ?
JPR. - " Tout le monde l'aime bien. Dans ce monde de la politique où l'on ne prend pas toujours les chemins les plus directs, elle, elle est franche, droite, donc elle surprend ceux qui aiment les tours et les détours. Mais elle est vraiment généreuse, courageuse et de bon caractère. Elle et Francis Mer notamment, se battent avec acharnement mais acceptent les arbitrages avec une grande loyauté. "
NR. - Quarante ministres, ce n'est pas trop ?
JPR. - " Je pense que la décentralisation devrait nous conduire vers des chiffres inférieurs. Il y
a des missions qui pourraient être décentralisées. "
Croissance et entreprises
"NR" : La guerre a-t-elle eu des incidences économiques en France ?Jean-Pierre Raffarin .
- " La guerre a eu un effet mécanique qui a joué sur la croissance. Un point de croissance en France, c'est 150.000 emplois. Tous les experts ont divisé la croissance par deux en quatre mois et par trois en six mois. La vérité, c'est qu'il y a une incertitude internationale réelle. La fin du conflit a levé un certain nombre de ces incertitudes, mais pas l'ensemble. Un certain nombre de signes pourtant sont positifs : la croissance revient, elle revient aux États-Unis ; mais sur quels rythmes et sur quels délais ? En France, nous espérons un retour progressif de la croissance avec 2,5 %, en rythme annuel à la fin de l'année. Mais notre croissance dépend aussi de paramètres internationaux comme la parité entre l'euro et le dollar.
" La liaison croissance-emploi est une liaison directe. Il nous faut donc une stratégie de croissance durable. Le problème de la France, c'est que nous ne tirons pas profit des périodes de croissance forte. Sur les vingt dernières années, la France fait une moyenne de 2 % de croissance quand un certain nombre de pays comparables sont à 3 %. Il nous manque toujours un point par rapport aux autres. Il faut aller chercher cette croissance à l'intérieur, dans la société française. Ce point qui nous manque, il est dans notre lourdeur bureaucratique, dans les freins à la création d'entreprises. Tenez, en ce moment, un chiffre positif : nous sommes au rythme de 250.000 créations d'entreprise par an au cours du premier trimestre 2003 (100.000 de plus qu'en 2002), mais dans le passé on a n'a pas joué cette carte-là suffisamment.
Par rapport au Royaume-Uni et à l'Allemagne, il manque un million d'entreprises à la France.
" NR ". - Vous aviez dit qu'il vous faudrait deux ans pour corriger cinq ans d'erreurs socialistes
JPR. - " J'étais optimiste quand j'ai fait ce pronostic. Mais en deux ans, du moins, on peut corriger
les systèmes fiscaux et les procédures de création d'entreprises qui fragilisent l'attractivité de la France. Il faut dire aussi que la France s'en sortira quand il y aura davantage d'heures travaillées et quand les emplois publics seront d'un niveau de qualité et de coûts performants par rapport aux autres pays. En 5 ans nous aurons remis la France dans la bon sens.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 14 mai 2003)
Jean-Pierre Raffarin : Je reste très provincial, très attaché à mes racines. Ca me paraît nécessaire parce que j'ai vraiment à affronter le parisianisme permanent qui marque notre pays. Je le vois de manière frappante à tous les niveaux : administratif, médiatique, politique C'est vrai que mon approche est plus celle d'un manager que d'un maître de l'idéologie. Je fais des arbitrages. J'aide les ministres qui sont un moment en difficulté. Je m'appuie sur des ministres qui sont en force. Je manage la ressource humaine, les calendriers.
" NR " : Si vous n'êtes pas de ce monde, il existe quand même. Votre force vient-elle de vos galons ou de votre conviction ?
JPR : Elle vient de la confiance du président de la République. Il ne faut jamais oublier comment fonctionne le système, hors cohabitation. Le Premier ministre est fusible et il protège le président. Fidèle, il est protégé par le président.
" NR " : La politique du gouvernement, depuis un an, c'est du Chirac ou du Raffarin ?
JPR : C'est du Chirac - Raffarin, c'est vraiment une dialectique permanente. Je travaille avec un homme avec lequel j'ai des relations respectueuses et affectueuses. Le président me connaît bien et je le connais bien. Nous nous comprenons souvent à demi-mot. Aujourd'hui, on a des rendez-vous réguliers. Je sais exactement les sujets sur lesquels je dois le consulter et les sujets sur lesquels j'ai ma liberté totale.
" NR " : On parle beaucoup de méthode Raffarin. Vous, vous parlez souvent de pédagogie
JPR : J'ai retenu du passé que la politique, c'était vraiment la science du temps. La première autorité que doit avoir un politique, c'est l'autorité du calendrier. Quand vous êtes dominé par le calendrier, vous êtes déjà faible. Le maîtriser, c'est essentiel pour la qualité du travail, de la décision et de la pédagogie avec l'opinion. Il ne faut pas être superficiel pour maîtriser l'événementiel.
" NR " : Pensez-vous être encore à Matignon en mai 2004 ?
JPR : Nous avons une majorité, un contrat de législature. En tout état de cause, l'action qui est menée est destinée à couvrir le quinquennat et la législature. Mon rôle personnel dans tout cela ? Vous savez, j'ai vu assez de choses sur le plan politique pour savoir que les événements se présentent rarement comme ils sont prévus. Il faut être très prudent quand on voit la créativité des Français en la matière. "
" NR " : Comment encaissez-vous les coups ?
JPR : Il y en a qui font mal. Je suis souvent raillé sur un ton assez méprisant. Mais le mépris ne
me touche pas. " Le mépris est souvent la marque d'un cur vulgaire " disait Albert Camus. Ce que j'aime le moins, c'est quand on joue avec mon nom : les raffarinades, Raffa'rien D'abord, je pense à ma fille. Un nom, on le partage à plusieurs, c'est comme une ethnie cela se respecte. On ne touche pas aux éléments d'identité.
" NR " : Craignez-vous l'échec ?
JPR : J'ai une mission. Je fais ce que j'ai à faire. Je sais que je rentrerai à la maison et que je ne suis pas chez moi ici. Psychologiquement, cela aide beaucoup. Cela donne une liberté. En plus, c'est un job tellement pressant qu'on ne peut pas rêver le faire trop longtemps.
NR : La réforme des retraites suscite beaucoup d'inquiétudes. Craignez-vous une forte mobilisation, le 13 mai ?
Jean-Pierre Raffarin : Je suis déterminé à aller jusqu'au bout. Mais je suis à l'écoute des propositions raisonnables des forces sociales. Ma porte n'est jamais fermée à ceux qui veulent sauver le système de retraites par répartition. Les forces sociales ont besoin de s'exprimer.
NR : En tiendrez-vous compte ?
JPR : Mais ce n'est pas la rue qui fait la démocratie. Le droit de manifestation est très important, il
est toujours porteur de sens. Je suis à l'écoute mais je ne peux pas accepter une perspective de blocage. Je suis très ouvert à la discussion. Nous écoutons le message qui s'exprime mais c'est aux élus d'assumer la responsabilité politique.
NR : Derrière tout cela, n'y a-t-il pas un débat idéologique ?
JPR : Non. Il y a un problème majeur de financement et de grandes inégalités. De moins en moins de gens
vont payer, de plus en plus de gens vont toucher. Aujourd'hui, les retraites ne sont pas assurées si l'on ne fait pas de réforme. J'irai jusqu'au bout. Un des éléments importants, dans ce débat, c'est que depuis pratiquement un an, l'opinion sait. On avait dit qu'on engagerait le débat en janvier et qu'on clôturerait avant les vacances. On avance exactement au rythme prévu. Il y a la manifestation du 13 mai, le conseil le 28 mai (NDLR : des ministres). Et le 8 juin, on va au Parlement. Avant les grandes vacances l'avenir des retraites sera sauvé.
Référendums territoriaux
Décentralisation. - " Il y a des inquiétudes mais je pense qu'on va les lever par la pratique. Les Français sont assez décentralisateurs pour peu que nous puissions simplifier les systèmes. Je compte beaucoup sur le référendum territorial pour que les gens s'expriment ". Les Corses seront les
premiers le 6 juillet prochain.
Collectivités. - " Il y a deux fonctions qu'il faut assumer dans la décentralisation : la cohérence et le proximité. Il y a le schéma proposé en Corse : une seule collectivité, avec la fusion de la région et des deux départements. Il y a un schéma type " Auvergne - Limousin " qui
fusionnent : la grande région qui prend une taille européenne. C'est un autre traitement de la même logique. Il y a les deux Savoies qui feront peut-être un seul département, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin qui ont envie de se retrouver. A mon avis, il y aura plusieurs référendums territoriaux dans les douze mois qui viennent ". Nous allons simplifier la carte administrative de la France à l'expression des Français.
Ministres. - " La règle, c'est qu'un ministre ne soit pas à la tête d'un exécutif territorial. Pour moi, c'est une question de mobilisation intellectuelle. Quand j'étais président de région, je pensais à ma responsabilité dix à quatorze heures par jour. On est dévoré par nos responsabilités au gouvernement. Je pense à Poitou-Charentes une demi-heure par jour et j'organise
une réunion mensuelle sur les dossiers de la Région. Ceci n'empêche pas de s'impliquer dans le débat électoral, y compris, éventuellement, de conduire des listes. " Poitou-Charentes. - " Je serai à coté d'Elisabeth Morin. C'est une excellente présidente.
Je ne sais pas dans quelle situation mais, de toutes façons, nous travaillerons ensemble. "
La laïcité, code de la République
" NR ". - Votre position quant à la loi de 1905 sur la séparation de l'église et de l'État ?Jean-Pierre Raffarin : " Il ne faut pas toucher à la loi de 1905qui est une loi fondatrice. Je pense que la laïcité est une valeur républicaine fondamentale qu'il faut nourrir un peu des réflexions modernes. D'ailleurs, la laïcité va prendre de plus en plus d'importance parce que je crois que les religions prennent de l'importance, que la vie spirituelle prend de l'importance. Je fais partie
des gens qui s'en réjouissent. Je n'ai pas peur des religions. Je trouve que c'est plutôt une bonne nouvelle que nous sortions du matérialisme dans lequel le marxisme nous a très longtemps enfermés. Que les gens s'interrogent sur les sources de leur liberté, sur la nature de leur liberté, sur leur capacité de dépassement, je trouve que c'est une bonne évolution de la société. Malraux nous avait annoncé que le XXIème siècle serait spirituel. Tout le problème réside dans le fait qu'il ne faut pas que ce débat-là entre dans l'espace politique autrement que par la grammaire de la laïcité, que par la langue de la laïcité.
C'est la laïcité qui est le code de la République. On ne fait pas entrer dans l'espace républicain, dont l'école est le premier niveau, sa différence spirituelle ou religieuse. On ne l'exprime donc pas par tout ce qui est l'expression de dérives communautaristes, tout ce qui peut être prosélytisme, provocation. "
" NR ". - Et sur le port du voile, par conséquent ?
JPR. - " Je ne suis pas hostile qu'au Parlement, quand nous réviserons la loi de 1989, nous puissions légiférer sur ce sujet. Il s'agira d'interdire tout signe ostentatoire d'expression religieuse à l'école : le professeur n'a pas en face de lui des musulmans, des catholiques, des protestants ou des juifs, il a ses élèves, membres de la communauté républicaine. L'idéal serait que la laïcité puisse s'imposer par la seule référence au pacte républicain. Mais si nécessaire nous légiférons.
Je suis très attentif au dialogue entre le pouvoir et les religions. Mais je veille à ne pas à intervenir
dans le domaine religieux dans le cadre de ma responsabilité politique. Par exemple, je suis catholique, je suis plutôt pratiquant. Quand je vais à la messe de Pâques, en famille, à Poitiers, sans prévenir personne, je vais communier. Si je vais aux obsèques de Jean-Luc Lagardère, pour représenter le gouvernement de la République, je ne vais pas communier, car je suis le représentant de l'État, de la neutralité de l'État. "
Le monde ne peut pas être bipolaire
" NR ". - Où en sont les rapports entre Français et Américains ?
Jean-Pierre Raffarin : " Les Français ont vraiment compris que nous avions avec les Américains, un clivage important sur la vision du monde. Tant qu'à s'attaquer à la dictature irakienne, il y avait sans doute d'autres moyens que de bombarder des femmes et des enfants. Mais le fait nouveau, c'est que les Américains sont devenus un peu plus manichéens dans leur langage, parlant de chocs de civilisation avec une vision très bipolaire. Le monde ne peut pas être bipolaire et les Français le saisissent bien. C'est d'ailleurs pour cela que nous sommes Européens : c'est parce que, pour nous, l'Europe est une union qui devrait participer à l'équilibre du monde. Nous ne voulons pas forcément considérer qu'il y a les amis des Américains d'un côté et les adversaires des Américains de l'autre. Nous sommes les alliés des Américains. Il n'y a pas de d'ambiguïté sur le camp de la démocratie, sur le camp transatlantique. Mais faisons attention à ce que l'Occident ne soit pas perçu comme le mal, car dans la bataille du bien et du mal, chacun à sa vision du bien et du mal. Si nous nous autodéterminons comme le bien, d'autres peuvent penser que nous sommes le mal. Les Américains donnent le sentiment que seule leur stratégie de puissance compte. Nous nous reconnaissons leur force, leur puissance. Nous avons une réelle gratitude historique vis-à-vis d'eux. Mais cela ne doit pas conduire à ce qu'ils aient une vision unique de l'Occident qu'ils ne réussissent d'ailleurs pas à faire partager à tous les peuples du monde. Il ne s'agit pas de dire : " je suis pour les Américains ou je suis contre les Américains ". Nous sommes avec les Américains, mais vraiment, le monde, ce n'est pas les Américains et les autres. Les civilisations existent et on ne les balaye pas simplement par le manichéisme ". Je rentre de Chine, on aurait tort d'oublier la Chine dans nos équilibres du XXIème siècle.
" NR ". - Craignez-vous des représailles ?
JPR. - " Non, je ne crains pas les représailles entrepreneuriales. On a quelques craintes sur des produits très ciblés, comme le vin, par exemple. Pour le reste, l'identité des entreprises n'est pas toujours connue ! Non, nous ne craignons pas vraiment les représailles. La vraie difficulté
serait un dollar très bas et un euro trop haut. Mais tout le monde a intérêt à un retour rapide de la croissance.
Pas de remaniement en vue
" NR ". - Envisagez-vous un remaniement ministériel ?
Jean-Pierre Raffarin : " Ce n'est pas prévu à court terme. Je trouve d'ailleurs que ce gouvernement est de qualité. Il n'y a pas de maillon faible. On n'est donc pas dans une situation qui aurait besoin de correction même s'il faudra renouveler au cours du quinquennat.
On a quand même eu une équipe qui était très renouvelée. Il y a une idée contre laquelle je me bats, c'est celle des 100 jours. Tout faire pendant les 100 premiers jours, c'est une idée incompatible avec le renouvellement. Si vous voulez tout faire en 100 jours, il faut nommer un ancien Premier ministre. Sinon, il faut prendre des gens neufs et il faut qu'ils s'installent dans leurs responsabilités. Voyez Francis Mer ou Luc Ferry : ils ont une dimension personnelle qui, immédiatement est à la hauteur de leurs fonctions, mais le savoir-faire ministériel est nécessairement progressif.
Evidemment, Nicolas Sarkozy s'est mis vite dans le job. Dominique Perben est très bien aujourd'hui dans sa fonction. On ne devient pas Garde des Sceaux du jour au lendemain. C'est maintenant que le gouvernement est à maturité professionnelle. Il ne me paraît pas utile de faire un remaniement. "
" NR ". - Vos relations avec vos ministres ?
JPR. - " Ce n'est jamais très facile : ils sont quarante ! Un par un, ça va. D'ailleurs, quelquefois, entre eux, ce n'est pas simple non plus. Mais je n'ai pas de difficulté majeure. Celui que je connaissais le moins, c'était Nicolas Sarkozy : on a bien compris nos fonctionnements. Il a besoin de liberté mais il assure la loyauté. J'apprécie vraiment nos relations.
Avec Dominique de Villepin, aussi, c'est relativement simple. "
Ma force est que je compte beaucoup d'amis personnels dans cette équipe, des anciens et
des nouveaux que j'ai découverts.
" NR ". - Avec Roselyne Bachelot, l'Angevine ?
JPR. - " Tout le monde l'aime bien. Dans ce monde de la politique où l'on ne prend pas toujours les chemins les plus directs, elle, elle est franche, droite, donc elle surprend ceux qui aiment les tours et les détours. Mais elle est vraiment généreuse, courageuse et de bon caractère. Elle et Francis Mer notamment, se battent avec acharnement mais acceptent les arbitrages avec une grande loyauté. "
NR. - Quarante ministres, ce n'est pas trop ?
JPR. - " Je pense que la décentralisation devrait nous conduire vers des chiffres inférieurs. Il y
a des missions qui pourraient être décentralisées. "
Croissance et entreprises
"NR" : La guerre a-t-elle eu des incidences économiques en France ?Jean-Pierre Raffarin .
- " La guerre a eu un effet mécanique qui a joué sur la croissance. Un point de croissance en France, c'est 150.000 emplois. Tous les experts ont divisé la croissance par deux en quatre mois et par trois en six mois. La vérité, c'est qu'il y a une incertitude internationale réelle. La fin du conflit a levé un certain nombre de ces incertitudes, mais pas l'ensemble. Un certain nombre de signes pourtant sont positifs : la croissance revient, elle revient aux États-Unis ; mais sur quels rythmes et sur quels délais ? En France, nous espérons un retour progressif de la croissance avec 2,5 %, en rythme annuel à la fin de l'année. Mais notre croissance dépend aussi de paramètres internationaux comme la parité entre l'euro et le dollar.
" La liaison croissance-emploi est une liaison directe. Il nous faut donc une stratégie de croissance durable. Le problème de la France, c'est que nous ne tirons pas profit des périodes de croissance forte. Sur les vingt dernières années, la France fait une moyenne de 2 % de croissance quand un certain nombre de pays comparables sont à 3 %. Il nous manque toujours un point par rapport aux autres. Il faut aller chercher cette croissance à l'intérieur, dans la société française. Ce point qui nous manque, il est dans notre lourdeur bureaucratique, dans les freins à la création d'entreprises. Tenez, en ce moment, un chiffre positif : nous sommes au rythme de 250.000 créations d'entreprise par an au cours du premier trimestre 2003 (100.000 de plus qu'en 2002), mais dans le passé on a n'a pas joué cette carte-là suffisamment.
Par rapport au Royaume-Uni et à l'Allemagne, il manque un million d'entreprises à la France.
" NR ". - Vous aviez dit qu'il vous faudrait deux ans pour corriger cinq ans d'erreurs socialistes
JPR. - " J'étais optimiste quand j'ai fait ce pronostic. Mais en deux ans, du moins, on peut corriger
les systèmes fiscaux et les procédures de création d'entreprises qui fragilisent l'attractivité de la France. Il faut dire aussi que la France s'en sortira quand il y aura davantage d'heures travaillées et quand les emplois publics seront d'un niveau de qualité et de coûts performants par rapport aux autres pays. En 5 ans nous aurons remis la France dans la bon sens.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 14 mai 2003)