Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur la nécessité de développer l'éducation artistique, Vaison-la-Romaine le 1er juin 1998.

Prononcé le 1er juin 1998

Intervenant(s) : 

Circonstance : Rencontres des chorales, à Vaison-la-Romaine, le 1er juin 1998

Texte intégral

Monsieur le Ministre et cher collègue,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi d'abord de remercier les jeunes qui viennent de chanter pour nous de l'émotion simple et profonde qu'ils m'ont donnée. Que nous ayons partagé ces moments de charme avec Claude Allègre leur ajoute, pour moi, une forte valeur symbolique.
Affirmer une place primordiale des arts dans nos vies, c'est affirmer celle qu'ils doivent occuper dans la formation générale de nos enfants, c'est affirmer que l'éducation artistique fait partie intégrante de la mission de service public de l'État.
Que faut-il entendre par éducation artistique ? Elle revêt souvent plusieurs dimensions parfois contraires. La première, qui a trouvé place dans le rêve splendide d'André Malraux, consiste à attribuer une transcendance absolue à l'oeuvre d'art, à croire que le seul mode d'accès en soit l'éblouissement immédiat. Une telle vue, qui fait sortir l'art du champ de l'apprentissage et de la familiarisation raisonnés, a poussé naguère à minimiser les difficultés de l'accès intellectuel et sensible aux oeuvres et aux pratiques, à abandonner la transmission culturelle à l'héritage, et, bien involontairement sans doute, à entretenir ainsi la permanence des inégalités sociales. Cette orientation a conduit à isoler les artistes de la société qui les entoure.
L'autre tentation est celle de l'instrumentalisation des arts, qui tend à les réduire à des usages fonctionnels : biens de consommation ou activités de loisir. Sans doute ces usages ont-ils leurs vertus, mais ils sont insuffisants à rendre compte de la vocation fondamentale des arts, qui nous permettent de transgresser la réalité matérielle et technique, de découvrir des rapports secrets entre les choses, de voir et de sentir autrement le monde, de franchir des frontières et d'entrer dans des fraternités de coeur et d'esprit, à travers l'espace et le temps.
Claude Allègre et moi-même proposons une nouvelle orientation. Notre projet repose sur une définition commune de l'éducation artistique qui permet de prendre en compte l'histoire de l'art, le rapport aux oeuvres, la pratique artistique individuelle ou collective et permettre ainsi d'initier les jeunes à travers une pluralité d'approche.
Mais le champ qui nous est ouvert est plus large encore, et je souhaiterais que nous joignions nos efforts pour développer une véritable éducation culturelle. J'entends par là que tout savoir, tout savoir-faire, ne prend son sens complet que par son enracinement raisonné dans le fonds même de la culture.
Il faut dire tout de suite, et avec force, que cette conception humaniste, la grande majorité des professeurs la mettent en oeuvre tous les jours dans leurs classes. Ce sont eux, les premiers acteurs de cette éducation culturelle que je viens d'évoquer. Ils font d'ailleurs de plus en plus appel aux créateurs et aux responsables d'institutions culturelles en qui ils trouvent des alliés de qualité pour leurs projets et leurs actions, l'exemple du centre d'art du Crestet, tout comme celui de Mouans Sartoux, sont des modèles. Il est nécessaire aujourd'hui qu'ensemble nous confortions cette attitude d'intelligence, de sensibilité et de civisme, et que nous la fassions passer du fait au droit.
C'est la meilleure manière pour nous de lutter contre les inégalités. En effet, l'inégalité d'accès aux pratiques culturelles et artistiques est manifeste. Elle est selon moi tout aussi inadmissible que l'inégalité socio-économique dont elle est souvent le corollaire : pourtant, elle ne suscite pas toujours la même indignation. Or le droit à la culture, inscrit dans notre constitution, est une exigence démocratique que nous devons rappeler inlassablement. Ce droit ne pourra s'exercer pleinement que si les arts et la culture font partie intégrante de la formation générale du citoyen, au même titre que les disciplines fondamentales, les sciences et les technologies. Il est essentiel que les enfants sachent lire, écrire et compter. Il est également essentiel qu'ils sachent sentir, comparer, juger et critiquer.
La collaboration de nos deux administrations, en matière d'éducation artistique et culturelle, est déjà riche et ancienne. Plusieurs textes, du protocole de 1983 à celui de 1993, en passant par la loi de 1988, ont établi les cadres d'une expérimentation commune. Des ateliers de pratique artistique dans plusieurs disciplines, des classes culturelles, des activités menées conjointement par des enseignants et des professionnels de l'art et de la culture, sont en place depuis plusieurs années. Ces expériences foisonnantes ont mobilisé d'importants moyens financiers et humains et des ressources considérables d'imagination et d'énergie. Mais l'ensemble qu'elles constituent est à la fois trop complexe et insuffisant : leur impact reste trop faible.
Mon ministère, pour sa part, inscrit l'éducation artistique et culturelle dans les missions des établissements qu'il a en charge. D'ores et déjà, des musées, des bibliothèques, et bien d'autres institutions, sur l'ensemble du territoire, ont entrepris de se doter de services éducatifs et de développement culturel. J'ai enfin demandé aux directeurs d'administration centrale d'introduire expressément ces objectifs au coeur des chartes de service public qu'ils élaborent actuellement et qu'ils vont proposer aux entreprises et aux partenaires dont ils soutiennent l'activité. Je pense en particulier aux écoles d'art dont la mission de sensibilisation du public amateur est retenue comme une priorité dans le cadre du rapport sur les enseignements artistiques que va me remettre Monsieur Jacques Imbert, inspecteur général. Je souhaite que les équipements culturels, au-delà de l'offre de biens et de services qui fait le fond de leur activité, se mobilisent tous autour de cette cause qui porte de profonds enjeux démocratiques.
C'est la mission que j'ai confiée à Madame Anita Weber, Déléguée au développement et aux formations, dont je tiens à saluer le travail opiniâtre et exemplaire qu'elle vient d'engager avec l'ensemble de ses collaborateurs pour que nous réussissions la mise en uvre de ces grands objectifs.
Il convient aujourd'hui de renforcer et développer notre partenariat dans l'ensemble des secteurs culturels. L'expérience de l'heure de musique hebdomadaire dans chaque classe dans l'école élémentaire, en collaboration avec l'école de musique, aujourd'hui limitée à deux académies doit être élargie. De même l'éducation à l'image, le développement de la lecture, l'aménagement de lieux d'exposition, de salle de répétition et la présence d'artistes en résidence sont autant d'axes à poursuivre.
J'entends que les établissements situés en zones d'éducations prioritaires (ZEP) soient les premiers à bénéficier des actions nouvelles.
Toutes ces propositions exigent à l'évidence que nous renforcions la concertation entre nos services, tant au niveau central qu'au niveau déconcentré. Il serait opportun de créer, au niveau national, une instance chargée de suivre le développement interministériel de cette politique. De même, au niveau local, la tenue régulière de rencontres régionales devrait permettre de suivre son application sur le terrain.
Ces orientations constituent le contenu des circulaires que nous allons signer ensemble. Leur mise en oeuvre suppose que soient mobilisées les compétences de tous : artistes et enseignants, bien sûr, mais aussi chefs d'établissements, et responsables pédagogiques, administratifs et culturels. Nous savons que nous pouvons compter sur eux, sur leur capacité de création et d'invention, ainsi que sur leur engagement et leur motivation profonde pour notre action commune.
Je ne voudrais pas terminer ce propos sans rappeler l'importance des enjeux qui nous réunissent aujourd'hui. Il en va de l'égalité sociale comme de l'identité et de la cohésion nationale.
Comment supporter davantage, en effet, que le chômage et la pauvreté poussent vers le rejet de la culture commune et vers des conduites d'isolement groupusculaire, un nombre toujours trop grand de jeunes ?
Comment oublier que la culture est, partout et toujours, une des premières cibles de la violence destructrice ?
Si, en joignant nos efforts, nous aidons les plus jeunes, et particulièrement les plus défavorisés, à avancer dans la prise de conscience culturelle de leur appartenance, nous aurons fait faire de grands pas à notre démocratie.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 10 septembre 2001)