Interview de M. Arnaud Montebourg, député PS, à "RTL" le 22 avril 2003, sur l'appréciation de sa motion par notamment Lionel Jospin ou Michel Rocard, sur le danger représenté par le front national un an après le 21 avril, et sur son analyse de la politique étrangère du Président de la République.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief - Vous êtes député PS de Saône-et-Loire et aussi chef de file de la motion pour un Nouveau parti socialiste. On va parler évidemment du congrès du PS qui doit se dérouler en mai prochain. Vous étiez à la manifestation à Nice, hier, contre le Front national, un an après le 21 Avril. Est-ce vraiment la bonne méthode de défiler contre le Front national ?
- "Je dirais que l'intransigeance doit être la même, mais la question que nous nous posons c'est : est-ce que le danger du Front national a disparu ? la réponse est "non". Parce que d'une part la droite n'a absolument rien compris au message envoyé par des millions d'électeurs qui se sont réfugiés, soit dans l'abstentionnisme, soit dans le vote extrême, le vote de colère et de protestation. Crise sociale qui est aggravée par des plans sociaux, crise civique qui n'est pas résolue par les réformes du type modification de mode de scrutin. Crise d'identité sur la question européenne où aujourd'hui les électeurs s'inquiètent..."
Nicolas Sarkozy, sur la sécurité, mène une politique qui peut être entendue par les électeurs du Front National...
- "Mais il y a tout le reste. Lorsque François Fillon déclarait - je crois que c'était à votre micro - que, face à ces plans sociaux en cascade et l'élargissement de l'Europe vers l'Est, il allait y avoir un nouveau train de délocalisation et que par rapport à cela, il n'y avait absolument rien à dire ni rien à faire ; finalement, c'est le démantèlement de la politique, c'est à quoi servent les urnes face au marché tout puissant. C'est la question que nous posent d'ailleurs les électeurs, à nous aussi. Et c'est la question que nous posons nous-mêmes devant les adhérents, les militants, les sympathisants de la gauche et du Parti socialiste. Nous disons : est-ce que nous sommes capables d'accomplir notre "révolution douce", c'est-à-dire de dégager des lignes nouvelles, des idées nouvelles, des axes politiques nouveaux, des projets nouveaux sur lesquels nous pourrons convaincre à nouveau les coeurs et les esprits qui nous ont quittés en masse."
Parce que vous dîtes aussi que la gauche n'a rien compris, n'a rien entendu, que le PS n'a pas compris ce qui a été dit le 21 Avril ? C'est pourquoi vous présentez votre motion.
- "La direction du parti socialiste passe son temps à dire qu'il s'agit d'un accident qui est lié aux autres, que c'est la frivolité des électeurs, de la faute des électeurs s'ils n'ont pas compris que nous étions formidables ! Peut-être, mais dans une démocratie, c'est d'abord soi-même qu'il faut remettre en question et c'est ce que nous voulons faire. Donc cette question est fondamentale. Sur un grand nombre de choix politiques profonds du Parti socialiste, nous proposons et nous demandons le soutien des adhérents pour réalimenter le parti. Sur notamment la question européenne : nous exigeons démocratie avant tout autre élargissement ; nous renouons d'ailleurs de ce point de vue avec les leçons de Jacques Delors et François Mitterrand. Deuxièmement, sur la mondialisation, nous nous situons sur le terrain critique et nous proposons une stratégie de résistance. Le Parti socialiste doit s'engager sur ce terrain-là, ce qu'il n'a jamais voulu faire. Il était d'ailleurs dans une ambiguïté qui n'a d'ailleurs pas cessé aujourd'hui dans le langage."
Ce sont des mots qui, pour vous, peuvent justement lutter contre le Front national, c'est à dire vous ramener des électeurs ?
- "Ce n'est pas seulement, je crois, une question d'électeurs, c'est une question de choix profond. La mondialisation, aujourd'hui, est le démantèlement de l'ensemble des conquêtes, de ce que le militantisme syndical et politique a bâti pendant tout un siècle. Et qui aujourd'hui est pris en otage par un système économique nouveau, devant lequel les socialistes n'ont absolument rien à dire."
Vous savez ce qu'a dit Michel Rocard de votre motion dans une interview récente ? Il a dit : ''il ne parle pas de l'extérieur, du monde extérieur ; il ne comprend pas ce qui se passe à l'extérieur; ce n'est pas intéressant" ou quelque chose comme ça...
- "A force de nous diaboliser... Je reçois un nombre considérable de noms d'oiseaux de la part de mes propres amis ; j'étais plutôt habitué à ce que cela vint de la droite. Mais maintenant que ce sont les socialistes qui s'y mettent, tout cela me dit que finalement nous sommes dans la bonne direction."
Vous aimez le combat et vous aimez la bagarre ! Mais je peux citer alors, du coup, Lionel Jospin qui lui aussi lorsqu'il a parlé la semaine dernière, a dit que vous étiez "singulièrement excessif et prétentieux".
- "Je ne sais pas ce que c'est que la prétention. Si la prétention consiste à dire que nous nous sommes trompés, je trouve que c'est une prétention qui a les allures de modestie et d'humilité. Et c'est un peu le sens de notre texte où nous expliquons et nous demandons aux adhérents de nous aider à vaincre l'immobilisme du Parti socialiste, de l'appareil. Nous ne pouvons pas faire comme si il ne s'était rien passé le 21 Avril. Nous devons aujourd'hui faire autre chose que le statut quo, c'est-à-dire reprendre les mêmes et recommencer..."
Et vous dites à la place, "on sort les sortant", on met à la place des jeunes, des nouveaux et tout va aller mieux ?
- "En tout cas, nous ne disons pas cela. Nous disons, faisons en sorte que le Parti socialiste se pose des questions et procède à des révisions déchirantes. Parce que sur la question européenne, sur la question sociale, sur la question de la nouvelle République que nous voulons construire, le Parti socialiste aujourd'hui n'a pas bougé de sa position. Il est le dernier parti, avec l'UMP, à défendre ce régime, qui a quand même produit la moitié du corps électoral refusant de le soutenir, puisque la moitié des électeurs refusent de se situer dans le système politique actuel, qui a une crise civique sans précédent dans notre pays. Le Parti socialiste continue son bonhomme de chemin, comme si il ne s'était rien passé."

Concrètement là-dessus, vous dites que le système de la Vème république finalement crée aussi de l'abstentionnisme, de l'indifférence, de la non politisation. Qu'est-ce que vous proposez pour mettre fin à cela ?
- "Nous proposons ce que la quasi totalité des partis politiques demandent. C'est-à-dire une république où les citoyens peuvent retrouver leur place, c'est-à-dire disposer de moyens d'influence, d'action, de contrôle, de mise en jeu de leurs responsabilités."
C'est quoi, par exemple ?
- "Par exemple les référendums d'initiative locale ; par exemple une véritable libération..."
Cela existe aussi dans les autres programmes.
- "Oui précisément."
C'était même dans le programme du candidat Jospin.
- "Mais précisément, cela n'existe aujourd'hui que dans les autres pays européens, cela n'existe pas chez nous. Aujourd'hui, lorsqu'on demande un référendum sur l'élargissement de l'Europe, on nous dit finalement qu'on ne peut pas poser la question aux électeurs parce qu'ils risquent de dire "non" ! Donc finalement, on ne pose des questions que lorsque on est assuré d'avoir une réponse positive. Donc nous avons besoin de reconstruire une démocratie aujourd'hui qui est sinistrée, à la fois dans les collectivités locales, à la fois sur la délibération parlementaire, ce qui suppose de mettre fin à l'abus du cumul des mandats que la droite d'ailleurs vient de réautoriser..."
Encore une fois, ce sont des mots qui étaient dans les programmes des différents candidats socialistes. La fin du cumul des mandats était aussi dans le programme du candidat Jospin. Quelle est votre vraie différence ?
- "C'était dans les programmes, mais cela n'a jamais été mis en application. Cela fait 20 ans que ces choses là sont dites. Cela fait même 40 ans que Pierre Mendès France a écrit "La République moderne". Et, de ce point de vue-là, il n'y a pas une ligne à enlever, car rien n'a été fait. Donc la question est : est-ce qu'on décide enfin de procéder à la reconstruction du système démocratique dans lequel aujourd'hui nous vivons et de bâtir finalement une nouvelle relation de confiance avec les citoyens ? Vous savez, les institutions, c'est comme la monnaie : lorsque la monnaie meurt de perte de confiance, elle se dévalue. Il y a un moment, eh bien, on change de monnaie. Ce fut le franc Poincarré, le franc Germinal, le nouveau franc... La Vème République est à bout de souffle, elle est moribonde. Il va falloir aujourd'hui réunir l'ensemble des français et reconstruire un système politique digne de ce nom. C'est la tâche de notre génération politique."
Vous parlez donc de génération. Vous dîtes ça alors que le président de la République a une popularité tout à fait importante, que l'année dernière vous le traitiez de délinquant, et que cette année vous avez approuvé par exemple sa politique étrangère ?
- "Vous savez, un quasi-délinquant peut mener une très bonne politique étrangère, dès lors qu'il n'a pas répondu de ses actes. Ce sont deux choses différentes."
Pas de contradiction ?
- "Il y a le statut politique du président de la République, le statut d'impunité qui à mon avis et à l'avis de ceux qui observent la vie politique a conduit finalement à accroître ce sentiment, cette destruction lente du contrat républicain. Il n'empêche qu'aujourd'hui, si Monsieur Chirac menait une politique étrangère totalement différente, nul n'aurait les moyens en raison de cette irresponsabilité politique de l'en empêcher. Il se trouve qu'il a mené une politique étrangère dans laquelle un certain nombre de nos camarades nous nous reconnaissons. Cela n'empêche pas qu'il est ce qu'il est et que la réalité judiciaire de Monsieur Chirac finira par le rattraper."
(source http://www.nouveau-ps.net, le 22 avril 2003)