Déclaration de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, sur l'égal accès des hommes et des femmes aux emplois supérieurs de la fonction publique, Paris le 24 avril 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du comité de pilotage pour l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs de la fonction publique à Paris le 24 avril 2003

Texte intégral

Monsieur le Ministre, Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec plaisir que je réponds à l'invitation du Président du Comité de pilotage pour l'égal accès des hommes et des femmes aux emplois supérieurs des trois fonctions publiques, plus couramment désigné sous le nom de " Comité Le Pors ", de participer, aujourd'hui, au Ministère de la Fonction Publique, à la présentation du contenu de son prochain et second rapport.
Vous savez l'intérêt que je porte à la situation des femmes au sein de l'emploi public en général et au sein de la haute fonction publique en particulier.
La place des femmes dans le secteur public est quantitativement importante, puisqu'elles sont majoritaires dans les trois fonctions publiques. Compte tenu du poids de l'emploi public dans l'emploi total, on peut dire, sans crainte de se tromper, que chaque citoyen a un conjoint, une mère, une soeur ou l'une ou l'autre de ses proches qui occupe un emploi public.
Mais la place des femmes est qualitativement inégale dans les emplois supérieurs, tant l'effet de plafond de verre ou de plancher collant y est encore sensible.
Des pans entiers de l'emploi public supérieur se sont féminisés, parfois à grande vitesse.
C'est le cas de la magistrature, où les femmes ne sont admises que depuis 1946, mais où elles sont devenues majoritaires, dans chaque promotion de l'Ecole Nationale de la Magistrature, depuis le début des années 1980. Elles sont, depuis peu, majoritaires dans le corps, même s'il n'en va pas de même pour les emplois dits " hors hiérarchie ", à la fois pour des raisons d'ancienneté dans le corps et pour des raisons liées à la gestion des carrières et aux contraintes de mobilité.
Dans d'autres corps, celui des administrateurs civils, celui des administrateurs territoriaux, celui des directeurs d'hôpitaux, les femmes sont de plus en plus nombreuses. Elles s'y épanouissent et elles y réussissent au moins aussi bien que les hommes. Pourtant leur nombre est en général plus proche du tiers que de la moitié. Cela est dû, parfois, à une féminisation insuffisante des principaux corps qui constituent les viviers. Mais cela est dû aussi, et peut-être surtout, à la crainte qu'ont les femmes chargées de famille d'accepter des responsabilités dont elles redoutent qu'elles empiètent à l'excès sur leur disponibilité personnelle et familiale.
Je veux donc rappeler avec force que les femmes, tout comme les hommes, ont droit à une carrière et à une vie de famille normale.
Le partage des tâches domestiques et familiales est encore très inégal entre les hommes et les femmes et les progrès dans ce domaine sont excessivement lents. Il faut, bien sûr, tout faire pour une meilleure conciliation des fonctions de mère, d'épouse et de haute fonctionnaire. La diversité et l'accessibilité des modes de garde de jeunes enfants peuvent et doivent être encore améliorées. L'administration doit apprendre à exercer une nouvelle compétence, celle qui consiste à aider les femmes occupant des responsabilités à mieux articuler leur vie plurielle.
Mais il faut aussi veiller à ne plus faire de la disponibilité horaire le seul critère de promotion ou d'évaluation des compétences et à y substituer des critères plus neutres du point de vue des sexes. Par un étrange jeu de la poule et de l'oeuf, il semble qu'une telle révolution culturelle ne puisse s'opérer que si des femmes sont nommées en nombre suffisant à la tête des grandes administrations.
J'ai d'ailleurs noté avec satisfaction qu'une enquête allait bientôt être réalisée pour comparer la présence des femmes cadres dans les trois cents plus grandes entreprises de France et parmi les anciens de huit grandes écoles, parmi lesquelles l'Ecole polytechnique et l'Ecole nationale d'administration. L'objectif de cette étude est d'évaluer la situation des femmes, notamment en termes d'accès aux postes dirigeants, et de connaître les politiques de promotion mises en place, en interne, dans ces organisations.
Le groupe de suivi de cette étude comprendra un membre du groupe de travail que j'avais mis en place à l'automne dernier, Agnès ARCIER, présidente de l'association " Administration moderne " et sous-directrice au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
Si donc, la féminisation de la magistrature et des corps supérieurs d'administration générale est une réalité, il n'en va pas de même dans tous les corps de la haute fonction publique. Ce sont en particulier les corps techniques et les corps de représentation qui ont le plus de mal à se féminiser.
Pour ce qui concerne les corps techniques, j'ai entamé plusieurs actions avec ma collègue Claudie Haigneré en vue d'attirer à nouveau les jeunes filles vers les sciences exactes et les filières techniques. Car on observe actuellement un recul inquiétant du nombre de filles inscrites dans ce type de filières et un taux élevé d'abandons en cours de cycle, pour se réorienter vers des filières plus féminisées. Or, c'est en maîtrisant la connaissance scientifique et le progrès technique que les femmes pourront contribuer à façonner un univers mieux adapté à leurs besoins et à leurs aspirations, pour le plus grand bonheur de tous, y compris, bien sûr, celui des hommes. A l'école polytechnique, les femmes sont admises depuis 30 ans et leur proportion stagne à environ 10 %.
Le contraste avec la magistrature, où les femmes sont devenues majoritaires à l'entrée, 35 ans seulement après l'admission des premières femmes magistrates, saute aux yeux. Les femmes auraient-elles davantage l'esprit juridique que l'esprit scientifique ? Personnellement, je ne le crois pas. Je crois beaucoup plus à la persistance de clichés et de stéréotypes, entretenus par la famille, l'entourage, et même le corps enseignant, pourtant massivement féminisé.
Pour ce qui concerne les corps de représentation, tel le corps préfectoral ou le corps diplomatique, ainsi que pour la carrière militaire, le problème m'apparaît différent. On se heurte autant à un problème d'image qu'à des contraintes horaires ou géographiques que l'on peut avoir tendance à surestimer. On dit, par ailleurs, que les femmes sont moins attachées aux signes extérieurs du pouvoir, tels que la dimension du bureau, le prestige de l'uniforme, le logement et la voiture de fonction, et davantage attachées aux activités permettant de faire avancer concrètement des projets d'intérêt général.
Je voudrais justement souligner l'utilité concrète, pratique et quotidienne de ces fonctions, au-delà des symboles officiels et du décor qui les accompagnent. On le voit bien, en cette période de crise internationale ou à chaque catastrophe naturelle.
En effet, qui rassure nos compatriotes vivant à l'étranger et pris dans la tourmente d'un conflit qui les dépasse sinon l'ambassadeur ? Et qui intervient sur les lieux d'un accident pour coordonner les secours et prendre les mesures d'urgence sinon le préfet ? Il n'y a donc aucune raison pour que ces corps ne se féminisent pas davantage, au même rythme que les autres corps de la haute fonction publique.
Car l'administration de service, et c'est bien de l'administration de service qu'il s'agit, est l'un des piliers de la réforme de l'Etat voulue par le Premier Ministre. Les différentes mesures décidées ou envisagées à ce titre ne sont pas spécifiquement dirigées ni vers les femmes, ni vers les hauts fonctionnaires. Elles devraient cependant bénéficier tout particulièrement aux femmes hauts fonctionnaires, qui sont encore trop souvent assujetties à des contraintes multiples.
C'est à ce niveau d'analyse qu'intervient l'image des femmes en situation de responsabilité.
J'ai beaucoup réfléchi, l'an dernier, avec le groupe de travail, qui s'est réuni à mon initiative et dont j'ai présenté les conclusions en présence de mon collègue Jean-Paul DELEVOYE et de vous-même, Monsieur le Président, sur la terminologie et sur la représentation. Car je suis convaincue que les préjugés et les clichés sexistes ne s'élimineront que si l'opinion publique s'habitue à voir nommer, régulièrement et en nombre, des préfètes, des ambassadrices, des générales ou des rectrices.
En disant cela, j'ai conscience de travailler à ma propre disparition, car il n'y aura plus besoin de ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, le jour ou on ne choisira plus les responsables de tous les niveaux hiérarchiques et dans tous les types d'emplois en raison de leur sexe ou de leur disponibilité horaire, mais uniquement de leurs compétences, de leur expérience et de leurs motivations.
Je crains hélas de devoir demeurer en poste quelque temps encore, avant de voir une situation de ce type en France.
Le contenu du prochain rapport de votre comité, qui nous est présenté aujourd'hui, ouvre des perspectives nouvelles, afin de convaincre davantage de jeunes femmes de s'orienter vers la fonction publique supérieure. Un premier rapport avait été établi en mars 2002. Dix huit propositions d'action y étaient associées. Ce deuxième rapport complètera les travaux réalisés par le groupe de travail et présentés le 26 février dernier. Il est vrai que la présence de Madame Françoise Milewski dans les deux instances aura beaucoup fait pour mettre en synergie les deux sources de réflexion et de propositions.
La reconnaissance de la place des femmes dans la société est une " longue marche ", qui n'est pas encore achevée.
Les femmes représentent aujourd'hui 55,7 % des agents civils de l'Etat. Elles tiennent une place dominante dans la fonction publique hospitalière, où elles occupent près de 80 % des postes. Les jurys de concours doivent désormais comporter au moins un tiers de femmes, sauf cas de force majeur.
Des coordonnateurs doivent, dans chaque département ministériel, veiller à la mise en place concrète et au respect des dispositions en faveur de l'égalité, comme la mixité de la représentation de l'administration dans les instances paritaires.
Cette démarche relève de l'approche intégrée de l'égalité entre les hommes et les femmes que j'ai présentée en Conseil de Ministres le 5 mars dernier et qui doit impliquer tous les rouages de l'Etat, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux, le monde associatif et l'ensemble de la société civile.
Le comité de pilotage pour l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques aura permis de soutenir et d'accompagner cette progression continue des femmes vers les emplois supérieurs des trois fonctions publiques.
Il faut vaincre les réticences ou les contraintes qui empêchent encore les femmes d'être nommées en plus grand nombre dans les emplois les plus élevés.
L'argument habituellement avancé est qu'il n'y aura pas de candidate ou que les candidates n'avaient pas le profil recherché ni les aptitudes voulues. Mais n'est-ce pas plutôt parce que le poids des habitudes et des réseaux masculins fait qu'un candidat est tout naturellement présenté à temps et que les femmes potentiellement intéressées n'ont pas été informées qu'un poste était à pourvoir dans leur spécialité ?
La nomination sur les emplois à la discrétion du Gouvernement en vertu de l'article 13 de la Constitution doit tenir compte des compétences, des qualités, de l'expérience, de la motivation, dans le respect de la liberté du Gouvernement de nommer qui il souhaite dans les emplois considérés comme les plus importants pour garantir la bonne mise en oeuvre de sa politique.
Je souhaite donc que le Gouvernement amplifie, dans les mois à venir, les nominations de femmes dans les postes d'encadrement supérieur, en particulier là où il existe un déséquilibre flagrant. De même, chaque ministre disposant de services déconcentrés régionaux et départementaux doit s'attacher à faire figurer un nombre de femmes parmi les personnes promues qui ne soit pas symbolique, mais qui soit la marque d'une vraie volonté de promouvoir la mixité dans les services déconcentrés de l'Etat.
Comme l'a récemment rappelé le Premier Ministre, la ressource humaine est la première richesse de l'Etat employeur. Elle doit être gérée comme une ressource stratégique.
Voilà, Mesdames, Messieurs, qui justifie que nous conjuguions nos efforts pour assurer la parité, c'est-à-dire l'égalité d'accès aux postes de responsabilité dans les trois fonctions publiques.
Car l'engagement pour une nouvelle dynamique de l'égalité entre les hommes et les femmes répond à une exigence nouvelle de démocratie et de modernité.


(source http://www.social.gouv.fr, le 5 août 2003)