Texte intégral
Le sida en Afrique : l'état d'alerte
On ne peut que se féliciter des efforts financiers substantiels des Etats-Unis en faveur de la lutte contre le sida sur les cinq prochaines années tels qu'annoncés par le président Bush lors de son discours sur l'état de l'Union le 28 janvier dernier.
On ne peut que se réjouir des récents résultats encourageants rencontrés par des chercheurs français dans la lutte contre le sida. L'intérêt légitime associé à cette découverte ainsi que la mission en Afrique australe que je viens d'effectuer, m'offrent l'opportunité d'apporter un témoignage du calvaire enduré par les populations de cette zone.
Car l'Afrique souffre. Le monde s'en préoccupe-t-il ? Le cri d'alarme que j'entends pousser, en tant que secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères mais surtout en tant que médecin, ne se veut pas diplomatique ou politiquement correct. Il n'a pas pour ambition d'apporter des éléments factuels nouveaux ou d'occulter les autres drames du monde. Mon souhait est principalement, à l'occasion du sommet Afrique-France, et alors que le président de la République a très clairement fait de l'Afrique la priorité de la présidence française du G8 en 2003, d'apporter un éclairage sur l'insuffisante appropriation des réalités du ravage de la maladie en Afrique subsaharienne ainsi que sur quelques pistes d'action pour y remédier.
A la demande du gouvernement, je me suis ainsi rendu du 21 au 24 janvier dernier en Afrique australe (Malawi, Zambie, Botswana) pour préparer l'envoi d'une aide humanitaire française de 18 Millions d'euros afin de soulager les peuples menacés de famine d'ici à la fin mars. Au cours de cette mission, j'ai rencontré les acteurs locaux de la solidarité, notamment les ONG et autres représentants des organisations internationales qui, tous, m'ont tenu le même discours sur la gravité des risques de famine mais aussi le caractère tragique et empirant de la diffusion du sida dans cette région du monde, la plus touchée par le virus.
La brutalité des chiffres est connue, en Afrique subsaharienne : plus de 29 millions de personnes vivaient en 2002 avec cette maladie tandis que 2,4 millions de décès devaient lui être imputés. Au Botswana, le taux de prévalence est de près de 38 % chez les 15-49 ans et 1'espérance de vie a perdu plus de 20 ans depuis 1991 pour atteindre moins de 40 aujourd'hui. A l'échelle du monde, le sida a tué 20 millions de personnes à ce jour et 70 millions de nouvelles victimes sont attendues d'ici à 20 ans.
L'épidémie bouleverse l'ensemble des structures politique, économique, sociale de chacun de ces pays. A titre d'exemple, la crise alimentaire que connaît actuellement l'Afrique australe, s'explique en partie par le manque d'effectifs dans les exploitations agricoles La situation est telle qu'au Bostwana, les enterrements ont été d'autorité fixés aux week-ends. Leur organisation dans la semaine et l'absentéisme qui en résultait, tant dans l'administration qu'au sein des entreprises, devenaient ingérables.
En s'attaquant à la tranche d'âge des 15-49 ans, le sida tue les forces vives de ces nations, la population en âge de procréer et de produire la richesse nationale. La maladie va modifier profondément leur structure démographique, en augmentant drastiquement la part des personnes dépendantes. Face à cette situation, les mécanismes traditionnels de solidarité africaine sont impuissants, conduisant à une explosion du nombre des orphelins du sida et des enfants de la rue.
Enfin, quel sera le coût sur la stabilité politique des pays les plus touchés quand un tiers de la population adulte, faute d'accès aux soins les plus efficaces, disparaîtra en l'espace de quelques années ? Quel sera l'impact sur les relations Nord-Sud et sur la stabilité internationale, quand on sait qu'existe au Nord des traitements antirétroviraux qui certes ne permettent pas la guérison mais prolongent de façon spectaculaire l'espérance de vie ? Le monde peut-il accepter et supporter une telle fracture Nord-Sud ?
Ces données statistiques, brutes, ne disent pas tout. La pandémie du sida, qui se propage aussi rapidement en Asie centrale et en Asie, semble aujourd'hui hors de contrôle, sauf quelques rares exceptions (Sénégal, Ouganda, Thaïlande, Brésil).
La voie est donc tracée pour que la présidence française du G8 et les travaux préparatoires qui y sont consacrés, inscrivent la lutte contre le sida comme prioritaire. Le sommet d'Evian revêt à cet égard une importance cruciale car une impulsion réelle doit y être donnée, dans la continuité des sommets de Gênes et Kananaskis.
La France s'est déjà exprimée au plus haut niveau sur sa détermination à uvrer à la lutte contre le sida au plan mondial. Le président de la République, à l'occasion de la 14ème Conférence internationale sur le sida à Barcelone le 9 juillet dernier, avait défini ce que devait être une stratégie solidaire à l'échelle de la planète, autour de quatre axes : recherche, prévention, accès aux soins, ressources.
La recherche, car c'est bien évidemment autour de la mobilisation continue en faveur de la découverte d'un vaccin comme de nouvelles thérapies que se concentre l'espoir des malades et de leurs familles. A cet égard, la France accueillera, en juillet prochain à Paris, la deuxième Conférence internationale sur la recherche fondamentale et clinique sur le sida.
La prévention, car c'est de la méconnaissance, de l'insuffisant accès à l'information que naissent des pratiques, sexuelles ou non, porteuses de risques. Il est donc essentiel de mettre davantage en valeur les initiatives prises sur le continent africain en ce sens, notamment lorsqu'elles ont pour promoteur une personnalité historique, comme Nelson Mandela ou l'ancien président zambien Kenneth Kaunda.
L'accès aux soins : on sait que les programmes d'accès aux soins constituent une importante incitation au dépistage. Le président de la République a, dans ce domaine, joué un rôle pionnier en prononçant en 1997, à la Conférence d'Abidjan, un vigoureux plaidoyer en faveur de l'accès des malades du Sud aux trithérapies, disponibles en France dès 1996. Pendant cinq années, la France a lutté avec constance, souvent seule contre la position de la plupart des organisations multilatérales et de nombreux pays donateurs, en faveur de la reconnaissance du droit des malades du Sud à l'accès aux traitements et de la nécessité de développer de tels programmes. Cette mobilisation a abouti en juin 2001 à ce que l'assemblée générale des Nations unies reconnaisse la nécessité d'allier prévention et accès aux soins dans les programmes de lutte contre la pandémie.
Les ressources enfin, véritable nerf de la guerre, comme l'a montré l'espoir né des annonces de crédits supplémentaires consacrés à la lutte contre le sida faites par le président Bush lors de son discours sur l'état de l'Union. Un grand pas en avant a été fait avec l'institution, il y a un an, du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme que la France a décidé d'abonder à hauteur de 150 millions d'euros, soit la quatrième contribution après celle des Etats-Unis. Mais l'équilibre financier du Fonds est incertain à moyen terme en raison des engagements déjà réalisés sur des projets, notamment dans le domaine de l'accès aux soins. La France a proposé à ses partenaires du G8 l'organisation en juillet 2003, au moment de la Conférence mondiale sur la recherche, d'une conférence d'annonces de contributions au Fonds mondial ouverte aux bailleurs de fonds publics et au secteur privé.
Il est essentiel que le sommet du G8 réponde aux questions des modalités de financement du Fonds, qui passe selon nous par deux voies : mobilisation des ressources du secteur privé et sécurisation des contributions des organismes publics.
Certains ont osé écrire que l'Afrique était le continent perdu. Je n'en crois rien. Ce sera le sens de mon message à l'occasion d'un prochain déplacement à Genève, pour une rencontre avec les acteurs multilatéraux de l'aide humanitaire et du développement.
Le danger du sida tient aussi dans sa banalisation, notamment dans les pays riches. J'espère avoir contribué à donner un coup de projecteur utile sur un drame que supportent en silence, et avec beaucoup de dignité, nos amis africains, sur une terre qui mêle si bien fierté et générosité, abnégation et audace, tradition et modernité.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 février 2003)
On ne peut que se féliciter des efforts financiers substantiels des Etats-Unis en faveur de la lutte contre le sida sur les cinq prochaines années tels qu'annoncés par le président Bush lors de son discours sur l'état de l'Union le 28 janvier dernier.
On ne peut que se réjouir des récents résultats encourageants rencontrés par des chercheurs français dans la lutte contre le sida. L'intérêt légitime associé à cette découverte ainsi que la mission en Afrique australe que je viens d'effectuer, m'offrent l'opportunité d'apporter un témoignage du calvaire enduré par les populations de cette zone.
Car l'Afrique souffre. Le monde s'en préoccupe-t-il ? Le cri d'alarme que j'entends pousser, en tant que secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères mais surtout en tant que médecin, ne se veut pas diplomatique ou politiquement correct. Il n'a pas pour ambition d'apporter des éléments factuels nouveaux ou d'occulter les autres drames du monde. Mon souhait est principalement, à l'occasion du sommet Afrique-France, et alors que le président de la République a très clairement fait de l'Afrique la priorité de la présidence française du G8 en 2003, d'apporter un éclairage sur l'insuffisante appropriation des réalités du ravage de la maladie en Afrique subsaharienne ainsi que sur quelques pistes d'action pour y remédier.
A la demande du gouvernement, je me suis ainsi rendu du 21 au 24 janvier dernier en Afrique australe (Malawi, Zambie, Botswana) pour préparer l'envoi d'une aide humanitaire française de 18 Millions d'euros afin de soulager les peuples menacés de famine d'ici à la fin mars. Au cours de cette mission, j'ai rencontré les acteurs locaux de la solidarité, notamment les ONG et autres représentants des organisations internationales qui, tous, m'ont tenu le même discours sur la gravité des risques de famine mais aussi le caractère tragique et empirant de la diffusion du sida dans cette région du monde, la plus touchée par le virus.
La brutalité des chiffres est connue, en Afrique subsaharienne : plus de 29 millions de personnes vivaient en 2002 avec cette maladie tandis que 2,4 millions de décès devaient lui être imputés. Au Botswana, le taux de prévalence est de près de 38 % chez les 15-49 ans et 1'espérance de vie a perdu plus de 20 ans depuis 1991 pour atteindre moins de 40 aujourd'hui. A l'échelle du monde, le sida a tué 20 millions de personnes à ce jour et 70 millions de nouvelles victimes sont attendues d'ici à 20 ans.
L'épidémie bouleverse l'ensemble des structures politique, économique, sociale de chacun de ces pays. A titre d'exemple, la crise alimentaire que connaît actuellement l'Afrique australe, s'explique en partie par le manque d'effectifs dans les exploitations agricoles La situation est telle qu'au Bostwana, les enterrements ont été d'autorité fixés aux week-ends. Leur organisation dans la semaine et l'absentéisme qui en résultait, tant dans l'administration qu'au sein des entreprises, devenaient ingérables.
En s'attaquant à la tranche d'âge des 15-49 ans, le sida tue les forces vives de ces nations, la population en âge de procréer et de produire la richesse nationale. La maladie va modifier profondément leur structure démographique, en augmentant drastiquement la part des personnes dépendantes. Face à cette situation, les mécanismes traditionnels de solidarité africaine sont impuissants, conduisant à une explosion du nombre des orphelins du sida et des enfants de la rue.
Enfin, quel sera le coût sur la stabilité politique des pays les plus touchés quand un tiers de la population adulte, faute d'accès aux soins les plus efficaces, disparaîtra en l'espace de quelques années ? Quel sera l'impact sur les relations Nord-Sud et sur la stabilité internationale, quand on sait qu'existe au Nord des traitements antirétroviraux qui certes ne permettent pas la guérison mais prolongent de façon spectaculaire l'espérance de vie ? Le monde peut-il accepter et supporter une telle fracture Nord-Sud ?
Ces données statistiques, brutes, ne disent pas tout. La pandémie du sida, qui se propage aussi rapidement en Asie centrale et en Asie, semble aujourd'hui hors de contrôle, sauf quelques rares exceptions (Sénégal, Ouganda, Thaïlande, Brésil).
La voie est donc tracée pour que la présidence française du G8 et les travaux préparatoires qui y sont consacrés, inscrivent la lutte contre le sida comme prioritaire. Le sommet d'Evian revêt à cet égard une importance cruciale car une impulsion réelle doit y être donnée, dans la continuité des sommets de Gênes et Kananaskis.
La France s'est déjà exprimée au plus haut niveau sur sa détermination à uvrer à la lutte contre le sida au plan mondial. Le président de la République, à l'occasion de la 14ème Conférence internationale sur le sida à Barcelone le 9 juillet dernier, avait défini ce que devait être une stratégie solidaire à l'échelle de la planète, autour de quatre axes : recherche, prévention, accès aux soins, ressources.
La recherche, car c'est bien évidemment autour de la mobilisation continue en faveur de la découverte d'un vaccin comme de nouvelles thérapies que se concentre l'espoir des malades et de leurs familles. A cet égard, la France accueillera, en juillet prochain à Paris, la deuxième Conférence internationale sur la recherche fondamentale et clinique sur le sida.
La prévention, car c'est de la méconnaissance, de l'insuffisant accès à l'information que naissent des pratiques, sexuelles ou non, porteuses de risques. Il est donc essentiel de mettre davantage en valeur les initiatives prises sur le continent africain en ce sens, notamment lorsqu'elles ont pour promoteur une personnalité historique, comme Nelson Mandela ou l'ancien président zambien Kenneth Kaunda.
L'accès aux soins : on sait que les programmes d'accès aux soins constituent une importante incitation au dépistage. Le président de la République a, dans ce domaine, joué un rôle pionnier en prononçant en 1997, à la Conférence d'Abidjan, un vigoureux plaidoyer en faveur de l'accès des malades du Sud aux trithérapies, disponibles en France dès 1996. Pendant cinq années, la France a lutté avec constance, souvent seule contre la position de la plupart des organisations multilatérales et de nombreux pays donateurs, en faveur de la reconnaissance du droit des malades du Sud à l'accès aux traitements et de la nécessité de développer de tels programmes. Cette mobilisation a abouti en juin 2001 à ce que l'assemblée générale des Nations unies reconnaisse la nécessité d'allier prévention et accès aux soins dans les programmes de lutte contre la pandémie.
Les ressources enfin, véritable nerf de la guerre, comme l'a montré l'espoir né des annonces de crédits supplémentaires consacrés à la lutte contre le sida faites par le président Bush lors de son discours sur l'état de l'Union. Un grand pas en avant a été fait avec l'institution, il y a un an, du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme que la France a décidé d'abonder à hauteur de 150 millions d'euros, soit la quatrième contribution après celle des Etats-Unis. Mais l'équilibre financier du Fonds est incertain à moyen terme en raison des engagements déjà réalisés sur des projets, notamment dans le domaine de l'accès aux soins. La France a proposé à ses partenaires du G8 l'organisation en juillet 2003, au moment de la Conférence mondiale sur la recherche, d'une conférence d'annonces de contributions au Fonds mondial ouverte aux bailleurs de fonds publics et au secteur privé.
Il est essentiel que le sommet du G8 réponde aux questions des modalités de financement du Fonds, qui passe selon nous par deux voies : mobilisation des ressources du secteur privé et sécurisation des contributions des organismes publics.
Certains ont osé écrire que l'Afrique était le continent perdu. Je n'en crois rien. Ce sera le sens de mon message à l'occasion d'un prochain déplacement à Genève, pour une rencontre avec les acteurs multilatéraux de l'aide humanitaire et du développement.
Le danger du sida tient aussi dans sa banalisation, notamment dans les pays riches. J'espère avoir contribué à donner un coup de projecteur utile sur un drame que supportent en silence, et avec beaucoup de dignité, nos amis africains, sur une terre qui mêle si bien fierté et générosité, abnégation et audace, tradition et modernité.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 février 2003)