Déclaration de MM Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, sur les orientations de l'épargne favorables à la création d'emplois et de richesses, et adaptées à un environnement européen modifié par l'introduction de l'euro, Paris le 10 février 1998.

Prononcé le

Circonstance : Septièmes rencontres parlementaires sur l'épargne, à Paris, le 10 février 1998

Texte intégral

Intervention de M. STRAUSS-KAHN
" L'épargne à l'heure des changements ", tel est le thème que Didier Migaud nous propose pour ces rencontres parlementaires. Il fixe bien les travaux qui nous attendent dans les prochains mois :
*on a beaucoup dit que 1998 serait l'année de l'euro. C'est vrai : elle marquera l'aboutissement d'un processus entamé par la gauche à la fin des années 1980 et qu'il lui revient aujourd'hui de conclure. Il ne faut pas bouder ce succès : c'est un moment unique où 300 millions d'individus décident, par la voie pacifique, de partager leur souveraineté monétaire pour mieux l'exercer. Il ne faut pas non plus y assister passivement : l'euro sera un vecteur de changements durables et profonds, auxquels il faut que nous nous préparions.
*l'épargne sera au coeur de ces changements. Nous serons aussi jugés à notre capacité collective à la mobiliser au service de l'investissement et de l'emploi, pour donner à la France, au sein de l'Union européenne, les atouts nécessaires pour occuper la place qu'elle mérite, celle d'un pays fort et entreprenant. La politique de l'épargne ne se réduit donc pas aux débats de lois de finances. Elle est un enjeu de croissance et d'emploi, d'efficacité et d'indépendance nationale.
A l'orée de cette révolution de l'euro, il n'est pas inutile de se reporter aux évolutions passées. Nous avons déjà connu des moments comparables où, tout d'un coup, l'économie change de dimension.
Fernand Braudel décrit joliment la succession de la prédominance, au cours du Moyen Age, des grandes villes portuaires. Venise construit sa puissance sur le commerce avec l'Extrême Orient avant d'être détrônée par Anvers qui accapare le commerce du poivre. Les guerres forcent Anvers à laisser la place à Gênes, plaque tournante du commerce avec Séville et le Nouveau Monde. Enfin Amsterdam met tout le monde d'accord par sa mainmise sur les marchandises du Nord et sur les épices fines. Mais ces villes empires péricliteront rapidement face à l'irruption d'un phénomène radicalement nouveau, qu'elles n'avaient pas décelé : la constitution d'économies vraiment nationales, constituées autour d'un espace cohérent, unifié, dont les activités peuvent se porter ensemble dans une même direction. Et c'est l'Angleterre qui réalisera cet exploit dès le XVIIIe siècle.
Alors qu'aujourd'hui nos débats ressemblent parfois à ceux de la Venise du Moyen Âge, j'ai le sentiment que l'euro va nous faire vivre un changement d'horizon comparable à l'irruption anglaise du XVIIIe. J'ai la conviction que la France peut et doit occuper un rôle majeur dans cette évolution. J'ai la volonté, avec la majorité parlementaire, de conjuguer Europe et emploi, investissement et solidarité, innovation et justice sociale. L'épargne peut être un vecteur privilégié pour concilier ces objectifs.
I - Orienter l'épargne vers la production pour créer de la richesse et des emplois
a)Sortir du débat théorique sur la quantité d'épargne pour poser la vraie question : la qualité de l'allocation de cette épargne.
C'est un débat récurrent : il y aurait trop d'épargne et pas assez de consommation. L'épargne serait ainsi cause d'atonie de la conjoncture et de chômage. C'est une grave erreur : l'épargne n'est pas une variable conjoncturelle sur laquelle le Gouvernement agirait à sa guise pour favoriser ou ralentir la croissance. La complexité des comportements d'épargne est telle que ce serait de toutes façons voué à l'échec.
L'enjeu n'est pas de savoir s'il y a trop ou pas assez d'épargne mais d'être sûr que cette épargne n'est pas stérilisée dans des emplois peu productifs, dans une économie de rente dans laquelle tout l'aléa de l'avenir pèse sur le travail et pas sur le capital, dans une société qui fait primer l'individualisme sur la solidarité.
Il n'y a donc pas de politique autonome de l'épargne. Elle est au coeur d'une politique plus vaste de préparation de l'avenir, grâce à l'innovation, à la création d'entreprise et à l'investissement. C'est dans ce cadre que s'inscrivent par exemple les orientations budgétaires du Gouvernement. Vouloir réduire le déficit, ce n'est pas verser dans la fascination pour des critères européens, c'est vouloir éviter la spirale de la dette, c'est éviter que l'épargne soit consacrée à solder les déficits passés, c'est exiger que toutes nos forces soient concentrées sur la création d'emplois.
L'euro doit renforcer notre détermination : avec la mise en place d'un marché unifié de l'épargne, la concurrence va croître. Il ne s'agira plus d'orienter l'épargne française vers les investissements productifs français. Il s'agira de mobiliser notre épargne nationale et d'attirer la part la plus importante possible de l'épargne européenne vers la France.
Je crois que, plus que tous les autres, ce défi justifie la création d'un ministère de l'Économie, des Finances ET de l'Industrie. Il faut réconcilier la sphère financière et le monde de la production. Je crois que l'État peut y contribuer de manière efficace.
b) Premier impératif : garantir la sécurité de l'épargne.
C'est une vérité d'évidence : avant de rechercher la meilleure allocation de l'épargne, il faut assurer sa collecte dans des conditions de sécurité satisfaisantes. C'est un enjeu fondamental pour l'ensemble du système financier qui repose avant tout sur la confiance. Depuis de longues années, les entreprises du secteur ont démontré à nos concitoyens qu'ils savaient concilier dynamisme et sécurité, innovation et protection.
C'est un atout qu'il nous revient collectivement de défendre. J'y suis pour ma part très déterminé car je crois qu'il n'y a pas de place financière sans solidarité. De ce point de vue, certaines défaillances récentes l'ont illustré, le dispositif existant de garantie des dépôts et de gestion des crises bancaires manque de moyens financiers suffisants et d'un mode opératoire clair. Il en est de même pour l'assurance vie et pour les systèmes de règlement contre livraison de titres, qui doivent être sécurisés.
Des réflexions sont en cours sur chacun de ces sujets. Je crois qu'il est temps de dépasser les querelles intestines et d'agir pour le bien commun de la place afin d'éviter à l'avenir que des dossiers tels que le Crédit martiniquais ou Europavie se reproduisent. C'est en tout cas le sens des propositions que je soumettrai prochainement, après concertation, au Premier Ministre en lui demandant d'en saisir le Parlement. Avec l'aide de la Commission des Finances, je suis sûr que nous saurons définir un dispositif satisfaisant, qui concilie les exigences de la sécurité avec celles de la compétitivité.
Parmi ces dispositions figurera la transposition de la directive européenne dite " post-BCCI " destinée à améliorer la coordination entre les structures de contrôle.
c) Deuxième impératif : une fiscalité qui concilie la justice et l'efficacité et favorise la prise de risques.
La loi de finances pour 1998 réalise cette conciliation. J'en veux pour preuves :
- le rééquilibrage fiscal entre les revenus du travail et ceux du capital. Laisser subsister de tels déséquilibres dans notre système fiscal aurait conduit à terme à remettre en cause la légitimité même de l'impôt.
Des pas significatifs ont été faits dans la dernière loi de finances pour la fiscalité des produits. J'ai personnellement souhaité que nous mettions à plat quelques grands débats fiscaux : la fiscalité locale, celle qui a un impact sur l'environnement et la fiscalité du patrimoine. Sur tous ces sujets, mes services travaillent depuis plusieurs semaines et nous progresserons en liaison avec la Commission des Finances.
En ce qui concerne la fiscalité du patrimoine, j'ai noté les pistes de réflexion avancées par Didier Migaud : elles doivent sans doute être approfondies avant d'être éventuellement prises en compte dans ces travaux dès lors notamment qu'elles ne portent pas atteinte à l'exigence de stabilité du prélèvement global sur le patrimoine que j'ai définie en octobre dernier ;
- l'encouragement à la prise de risque et à l'innovation, en faveur des PME (bons de souscription de parts de créateur d'entreprise qui permettent de capitaliser l'investissement personnel des salariés des PME nouvellement créées ; report d'imposition pour les entrepreneurs qui réinvestissent leur épargne dans des entreprises nouvellement créées) ou de l'investissement productif (exonération d'impôt sur le revenu pour les souscripteurs de contrats d'assurance-vie investis à plus de 50 % en actions dont 5 % en titres de capital risque).
C'est également pour répondre à cette exigence que j'ai proposé au Parlement de faire basculer une partie des stocks d'assurance vie vers ces investissements. Ce transfert est significatif d'une politique de l'épargne qui distingue l'épargne du rentier de celle de l'investisseur. Le premier attend une rémunération élevée, une absence de risque, des fonds toujours disponibles et, pour corser le tout, l'absence d'impôt. Le second sait que le rendement est à long terme : il en accepte les risques et l'État peut alors lui assurer un traitement fiscal avantageux.
Ces contrats peuvent d'ores et déjà être diffusés, sur la base du texte de loi. J'ai d'ailleurs constaté avec plaisir qu'une compagnie d'assurance l'avait fait. Cependant, pour lever toute ambiguïté, des textes d'application seront publiés courant mars. Ils introduiront les fonds communs de placement à risques et les fonds communs de placement dans l'innovation comme supports de contrats d'assurance vie. Les contrats concernés pourront également être "multisupports" et la possibilité de transferts partiels sera ouverte des contrats actuels vers ces nouveaux contrats.
Je ne voudrais pas clore cette partie sans évoquer un sujet qui fait périodiquement les délices des gazettes : les " fonds de pension ". La question n'est pas la constitution de ces fonds mythiques, supposés régler en deux coups de cuiller à pot des questions aussi complexes que l'avenir des retraites, les fonds propres de nos entreprises, le dynamisme de la place de Paris ou le débat entre la capitalisation et la répartition.
Elle est de savoir comment, sans mettre en danger les régimes par répartition qui sont le socle de notre dispositif, pourrait être donnée à nos concitoyens la possibilité de mieux préparer leur retraite par des mécanismes d'accumulation d'épargne mutualisée, fondés sur les principes fondamentaux de solidarité et de gestion paritaire. Plus collectif, plus solidaire, plus centré sur la retraite, tels sont les principes qui nous permettront d'échapper aux défauts dirimants de la loi Thomas.
Laurent Fabius a évoqué des " fonds partenariaux de retraite ". C'est effectivement ce type de réflexion qu'il faut mener. J'ai souhaité qu'elle soit conduite avec la Commission des Finances de l'Assemblée nationale et notamment son rapporteur général.
II - Placer la France au coeur de l'euro, au coeur de l'Europe.
L'Europe est un projet ambitieux et fort : la libre circulation des hommes et des idées est le gage de la démocratie ; l'introduction de l'euro, qui met fin aux dévaluations compétitives, vient parachever le marché unique ; il nous faut se doter des moyens de profiter pleinement de la dynamique de l'euro.
C'est dans cette perspective que doivent être remis nos efforts en faveur de l'harmonisation fiscale, du renforcement des entreprises et de la modernisation de notre industrie financière.
a) Une coordination fiscale renforcée pour prévenir la délocalisation de l'épargne.
La concurrence fiscale entre les États membres est destructrice pour l'emploi. Elle conduit en outre à une mauvaise allocation de l'épargne. Dès mon arrivée, j'ai souhaité rouvrir le chantier du rapprochement des fiscalités en Europe.
Ces efforts ont donné de premiers résultats : en décembre, avec mes collègues européens, nous nous sommes mis d'accord sur un code de bonne conduite à respecter en matière d'impôt sur les entreprises et sur les principes directeurs d'une harmonisation en matière de fiscalité de l'épargne. C'est un premier pas. Il nous appartient de l'amplifier. Ce sera l'une des mes priorités européennes de 1998. Je compte beaucoup sur les prochaines propositions du Commissaire Monti.
b) Des entreprises fortes et innovantes.
Ne négligeons pas nos atouts. L'environnement technique et humain dont bénéficient en France les entreprises est un atout indéniable. Nombreuses sont les entreprises étrangères qui reconnaissent la qualité de nos infrastructures de transport ou de télécommunications et les compétences des cadres et des employés formés par notre système éducatif. Lors de sa récente visite à Paris, Bill Gates a ainsi estimé que ces éléments étaient beaucoup plus importants que les problèmes fiscaux.
La conséquence la plus visible de cette situation est la part importante des investisseurs non résidents dans le capital des sociétés françaises, qui dépasse 30 % pour les sociétés formant le CAC 40.
Cette attractivité est bienvenue. Elle doit être développée. Mais elle ne doit pas être synonyme de faiblesse de nos entreprises. Il ne faudrait pas que le capital étranger vienne suppléer une épargne nationale défaillante. Les récentes opérations sur le marché français le montrent : il est indispensable que nous constituions des groupes européens forts, fondés sur des partenariats et des échanges capitalistiques à tous les niveaux. Nous devons réussir l'Europe des entreprises comme nous avons réussi l'Europe des États. Il faut qu'elle soit équilibrée. Cela ne veut pas dire mettre la France à l'abri de tous les mouvements. Cela veut dire qu'il faut la mettre en situation de profiter de ces évolutions, au bénéfice de l'emploi.
Dans cette orientation de l'épargne vers nos entreprises, il y a un chantier important : celui du " gouvernement d'entreprise ". Nous aurions tort de cantonner cette question au seul champ de l'information et de la protection des actionnaires. Nous sommes tous concernés, pouvoirs publics, organisations syndicales, clients. Il faut que nous favorisions l'émergence d'un vrai modèle de régulation au sein de nos entreprises. Créer ainsi les conditions du consensus peut jouer fortement en faveur de la mobilisation de l'épargne. C'est la raison pour laquelle je serai très attentif à cet aspect de la réforme du droit des sociétés que nous menons avec Elisabeth Guigou.
c) Renforcer notre industrie financière.
L'industrie financière sera la première à subir le choc de l'euro. Elle s'y prépare. Il faut que nous l'y aidions. La gestion pour le compte de tiers française est l'une des plus performantes. Pour lui permettre de se maintenir dans le peloton de tête, il faut lui permettre d'innover et de commercialiser des produits modernes et adaptés aux exigences de ses clients. Je serai amené à examiner avec la Commission des Finances les mesures que nous pourrions insérer dans le DDOEF en ce sens.
Nous pouvons - nous devons - remporter le défi de l'euro. Pour cela, il faut que chacun se mobilise. Le rayonnement de la France en Europe se jouera aussi dans notre capacité à promouvoir une épargne efficace, au service de l'investissement et de l'emploi. A une économie de rentiers, nous devons substituer une économie d'innovation, d'investissement et d'emploi.
Je sais pouvoir compter dans cette tâche sur Augustin Bonrepaux et Didier Migaux, que je remercie particulièrement pour leur invitation.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 1 août 2002)
Intervention de M. Pierre Moscovici
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Madame la Députée européenne,
Mesdames, Messieurs,

Laissez-moi tout d'abord vous exprimer le plaisir très vif que j'ai à être ici avec vous aujourd'hui.

L'Assemblée nationale est le lieu éminent du débat démocratique, cela va sans dire.

Mais elle a su également devenir au fil des années l'un des principaux lieux de la libre confrontation des idées dans les domaines les plus variés, autour de colloques ou de manifestations dont l'écho est de plus en plus grand dans l'opinion.

Parmi ces manifestations, les rencontres parlementaires de l'épargne ont su rapidement trouver leur public au-delà des professionnels de la banque et de la finance. Je profite donc de l'occasion qui m'est donnée pour saluer tous ceux qui font vivre chaque année depuis 7 ans ces rencontres, et tout particulièrement Didier Migaud qui s'est chargé d'en cordonner l'organisation en 1998.

Vous venez de débattre ce matin même des conséquences de la monnaie unique sur l'épargne. D'éminents intervenants ont pu s'exprimer et donner leur vision des choses, peut-être inquiète pour certains, enthousiaste pour la majorité d'entre vous je l'espère.

Je vais m'efforcer de vous donner mon sentiment sur cette question, peut-être en ouvrant un peu les perspectives.

Nul doute que le secteur financier va se trouver le premier confronté à la réalité nouvelle de l'euro.

Le 1er janvier 1999 - soit dans à peine 10 mois - l'ensemble de ses opérations va basculer en euros. Ce sera d'ailleurs, pour être tout à fait exact, plutôt le 4 janvier, car les 2 et 3 janvier 1999 tombent un week-end... Mais ce petit répit supplémentaire ne change pas vraiment la donne.

Le secteur financier va être le premier confronté à la gestion en euro, et cela de manière immédiate et pour la totalité de ses opérations comptables, financières ou commerciales.

C'est une singularité essentielle par rapport aux entreprises du secteur industriel et commercial qui seront régies par le principe "ni interdiction, ni obligation d'utiliser l'euro" pendant trois ans après le 1er janvier 1999. C'est une singularité a fortiori par rapport aux ménages qui, eux, n'auront la faculté d'effectuer leurs transactions en espèces en euro qu'à partir de 2002 quand seront introduits les billets et pièces en euro.

Le basculement immédiat des opérations de place - qu'il s'agisse du marché des changes, du marché monétaire ou de la dette publique - doit être parfaitement réussi techniquement pour asseoir la crédibilité du processus. Je ne doute pas que l'ensemble des acteurs concernés s'y préparent activement. Pour la plupart, ils sont d'ores et déjà prêts. Mais les efforts, les échanges multiples entre professionnels, doivent se multiplier jusqu'à l'échéance, pour nous rapprocher du "zéro défaut" dans une opération qui engagera non seulement la réussite future de l'euro, mais aussi la crédibilité de la place financière de Paris.

Il faut y insister. Le passage à l'euro en 1999 va constituer une chance historique pour la place de Paris d'accélérer sa modernisation, une décennie après le premier tournant décisif qu'a constitué la déréglementation des marchés financiers au milieu des années quatre-vingt.

Le grand projet de réforme qui avait animé alors le gouvernement de Laurent Fabius s'était donné comme mot d'ordre dans ce domaine : "un seul marché unifié des capitaux du jour le jour aux émissions à trente ans".

Ce projet a été mené à bien et, quoi qu'on en dise ici ou là, il était absolument nécessaire pour assurer la fluidité du financement de notre économie. Il était nécessaire également pour assurer le maintien à un bon niveau de la place financière de Paris par rapport à ses principales concurrentes : Londres, Zurich ou Francfort.

Demain, avec l'euro, c'est un défi encore plus grand qui nous attend puisque nous serons immergés dans un vaste marché unifié des capitaux au niveau européen.

Si nous y sommes bien préparés, les avantages que nous pouvons attendre de cette sphère financière entièrement rénovée sont considérables : profondeur du marché ; liquidité accrue ; possibilité d'opérer en euro depuis Paris pour des clients - entreprises ou particuliers - situés dans un espace de plus de 300 millions d'habitants, la " zone euro "... Sans parler des répercussions sur la sphère réelle à travers une baisse du loyer de l'argent, et aussi - ce qui est probablement tout aussi essentiel - à travers la possibilité d'un meilleur équilibre épargne/investissement réalisé désormais au niveau européen.

Dominique Strauss-Kahn vous fera part ce soir de la manière dont il envisage ces mutations.

Mais il est indéniable qu'il y a là quelques enjeux qui méritent pour le moins de relancer la réflexion stratégique sur le devenir de notre système financier, réflexion qui ne doit surtout pas être occultée par les préparatifs techniques du passage à l'euro.

Au surplus, je remarque que l'absence britannique du premier train de l'euro nous offre une occasion de réduire quelque peu l'écart qui nous sépare de la place de Londres, en descendant plus tôt et plus vite que nos amis anglais le long de la " courbe d'expérience ".

Alors profitons-en, d'autant que le Royaume-Uni pourrait bien rejoindre l'euro plus tôt que prévu. La City appréhende précisément le fait de devoir opérer en euro tout en étant en-dehors de la zone euro. Un deuxième facteur me semble également devoir hâter les échéances pour le Royaume-Uni : c'est tout simplement le poids très important des entreprises multinationales américaines ou japonaises qui ont développé au Royaume-Uni des capacités de production de fort volume pour traiter depuis le Royaume-Uni l'ensemble du marché européen.

Il y a aussi des raisons plus politiques au désir ardent du Royaume-Uni d'être dans l'euro le plus tôt possible. Le gouvernement de Tony Blair est résolument pro-européen. Il veut sincèrement contribuer à bâtir la nouvelle Europe, celle de l'an 2000, celle de l'intégration économique et monétaire, celle de l'élargissement avec des institutions réformées. Mais il a compris aussi que cette volonté devait s'incarner d'abord dans le choix de l'euro sauf à paraître assez rhétorique.

En effet, l'euro a par lui-même une capacité à dégager une réflexion neuve sur l'Europe, bien au-delà du simple domaine monétaire.

Sur ce plan, vous me permettrez quelques observations qui emprunteront peut-être à un ton assez personnel, mais qui me frappent tout de même à la place un peu particulière qui est la mienne, et qui consiste à impulser l'action gouvernementale dans le domaine européen.

Actuellement, la plupart des grands sujets européens que nous avons à traiter sont pleinement " irrigués " par l'euro.

L'harmonisation de nos fiscalités est revenue en quelques mois au premier plan des préoccupations de l'Union européenne. Alors que les discussions étaient enlisées depuis presque dix ans, le Conseil a adopté en décembre dernier une résolution portant sur le Code de bonne conduite en matière de fiscalité des entreprises. Ce texte n'est sans doute pas totalement suffisant. Mais il n'en représente pas moins une avancée considérable par rapport aux simples déclarations d'intention unilatérales plus ou moins sincères qui prévalaient jusqu'alors. Et, de ce point de vue, il est hautement symbolique que cette avancée ait pu être réalisée sous la Présidence du Luxembourg.

Qui peut prétendre que cette brutale accélération n'est pas liée à la dynamique de l'euro ?

Il en sera demain de même pour nos systèmes de protection sociale. Et il nous appartiendra d'être vigilants pour que le processus d'harmonisation soit respectueux des droits sociaux des travailleurs des pays les plus avancés de l'Union. C'est une bataille difficile que nous aurons à mener - probablement plus tôt qu'on ne l'imagine parfois - quand l'euro rendra extrêmement aisée la comparaison des coûts du travail dans les différents pays de l'Union.

De même, l'avenir de la politique des fonds structurels est d'ores et déjà en train d'être repensée dans la perspective d'une Europe à l'heure de l'euro.

Les premières pistes de réflexion ont été présentées par la Commission en juillet dernier. Elles ont été reconnues comme "une base sérieuse de discussion" par le Conseil européen de Luxembourg.

Nous avons entrepris avec Dominique Voynet une démarche de concertation avec les élus représentants des régions, des départements, des mairies. Une première réunion autour de nous deux s'est tenue hier pour tenter d'affiner nos positions.

Mais il est tout à fait clair que les propositions de la Commission vont dans le sens d'une rationalisation autour d'un objectif central de cohésion économique, autrement dit de rattrapage économique des pays les plus en retard. C'est donc bien une logique de redistribution budgétaire entre les territoires qui semble ainsi prévaloir, devant les préoccupations plus horizontales d'aménagement rural ou de reconversion industrielle. C'est à l'intérieur de cette logique d'ensemble qu'il nous faudra travailler, quitte à la raffiner.

Enfin, les futures institutions de l'UEM, avec une Banque centrale indépendante et un Conseil de l'euro, qui réunira les Etats ayant la monnaie unique en partage, ne préfigurent-elles pas une architecture nouvelle, permettant de dépasser les débats stériles sur le fédéralisme, ou plutôt de les rouvrir de façon concrète et positive ? C'est en tous cas une voie d'avenir - celle des coopérations renforcées à l'intérieur même de l'Union - prometteuse pour une Europe qui comptera bientôt plus de 20 Etats membres.

Pardon d'avoir été un peu long, sans doute.
Je me garderai bien de conclure cette intervention. Je veux ouvrir la discussion, non pas la clore et je ne doute pas à cette heure assez avancée de la matinée que nous puissions la poursuivre dans le cadre convivial du déjeuner qui nous attend.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1 août 2002)