Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, au journal "Le Citoyen" à Bangui le 30 juillet 2003, sur l'appui de la France au redressement économique de la Centrafrique auprès des institutions financières internationales et au retour de la sécurité dans le pays, sur la normalisation de ses relations avec la France et l'Union européenne.

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Circonstance : Tournée de Dominique de Villepin en Afrique du 28 au 30 juillet 2003 : le 28 au Gabon, le 29 en République du Congo, le 30 en Centrafrique-le 30, entretien avec le président François Bozize

Média : Le Citoyen - Presse étrangère

Texte intégral

L'histoire des relations entre nos deux pays est importante et ce que je souhaite, c'est aujourd'hui, après beaucoup d'épreuves, marquer l'engagement de la France aux côtés des autorités centrafricaines, aux côtés du peuple centrafricain et aux côtés de l'ensemble des pays voisins, de l'ensemble des pays de la région de la CEMAC qui appuient aujourd'hui les efforts de votre pays.
Beaucoup a été fait dans le passé récent. C'est pourquoi il faut essayer d'avancer dans la voie nouvelle de l'assainissement économique, et d'un dialogue national. Je viens, bien sûr, de rencontrer tout à l'heure, bien sûr, le président Bozizé, le Premier ministre M. Goumba et j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec mon collègue et ami, le ministre des Affaires étrangères, pour essayer de voir comment nous pouvons, nous Français, aider la République centrafricaine, aider le peuple centrafricain à continuer d'avancer dans cette période difficile et importante pour votre pays.
La conviction de la France, c'est que des efforts ont été faits. Il faut poursuivre dans la voie de l'ouverture, dans la voie de la transparence, et de la rigueur qui a été initiée. Nous avons un calendrier serré pour réussir. Tout d'abord, il y a les échéances de l'Union européenne au mois de septembre ; nous voulons appuyer les efforts pour permettre de renouer pleinement avec la coopération de la part des pays européens et vous pouvez compter sur la France pour être l'avocat de la République centrafricaine auprès de Bruxelles, auprès de l'ensemble de nos amis européens.
Et nous avons cette autre échéance financière du Fonds monétaire international. Nous nous préparons, nous travaillons ensemble pour faire en sorte que, là encore, nous puissions répondre aux demandes de la communauté financière internationale pour engager ce processus de redressement de la République centrafricaine.
Alors, nous sommes tous d'accord et j'en ai longuement parlé avec le président Bozizé, avec le Premier ministre. Il y a un impératif premier, c'est le retour à la sécurité dans le pays. Et dans cette tâche, la France est à vos côtés. Nous connaissons tous les efforts qui sont faits par la Force de la CEMAC présente ici, avec l'appui de tous les pays. Ce matin, avec le président Sassou Nguesso au Congo - j'étais hier au Gabon avec le président Bongo -, nous avons longuement évoqué ces perspectives d'appui de la CEMAC à votre pays et il faut continuer dans cette voie. Vous savez que la France était aussi présente par un détachement de plus de deux cents hommes, marquant notre soutien entier à l'action qui est engagée, l'action de sécurité qui est engagée dans ce pays. Notre seule présence est un élément de confiance qui évidemment mérite d'être souligné. Mais il faut aller plus loin est c'est donc véritablement à un plan de sécurité que nous voulons nous engager, en partenariat avec votre pays, à la fois pour la formation et pour l'équipement des Forces centrafricaines qui ont besoin d'être restructurées. Trois bataillons vont faire l'objet de ce travail attentif, un premier bataillon sera équipé et formé d'ici la fin de l'année.
Et puis, nous voulons aussi nous engager en appui aux efforts de la gendarmerie nationale de la République centrafricaine : formation et équipement d'un escadron mobile ; formation et équipement par ailleurs d'un groupement d'intervention. Et, parce que cela doit concerner l'ensemble du pays, nous voulons intervenir auprès de chaque région, de chaque cadre territorial, en appui aux brigades territoriales. Une trentaine de brigades territoriales seront concernées, une quinzaine d'ici la fin de l'année.
Vous voyez, il s'agit d'un plan ambitieux, d'un plan important puisque la sécurité de la République centrafricaine constitue aujourd'hui la première des priorités. Parallèlement, il faut continuer ce qui a été engagé dans la voie de l'assainissement économique et financier du pays et nous voulons développer la coopération avec votre pays par l'assistance, le renforcement de l'assistance technique, financière, en particulier pour aider à la mise en oeuvre des règles financières. Cette transparence, cette remise en route est évidemment essentielle pour le bon développement du pays. Et parallèlement, cette visite prend tout son sens et il est important pour moi de rencontrer le président du Conseil national de transition, d'évoquer avec plusieurs responsables de ce Conseil les perspectives d'approfondissement, de normalisation de la situation avec ce Dialogue national qui est engagé et les perspectives électorales pour 2004 et 2005. Tout ceci demande à être préparé avec soin, tout ceci nécessite les efforts de chacun et nous allons envoyer une mission pour appuyer cet important travail de recensement, d'évaluation de l'ensemble des besoins qui permettront à ce processus de s'organiser dans les meilleures conditions.
Vous voyez qu'il y a beaucoup à faire. Nous sommes à vos côtés pour engager ce travail et je veux dire une nouvelle fois l'appui de la France, la solidarité de la France.
L'attachement qui est le nôtre vient du lien très profond entre le peuple français et le peuple centrafricain.
Q - A vous entendre, la question de la reconnaissance de la Centrafrique ne se pose plus ?
Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, vous serez aux côtés de la Centrafrique pour l'aider à renouer avec l'Union européenne dans sa coopération avec les Quinze.
Autre question : est-ce la Centrafrique qui a réussi à redresser son économie au point de pouvoir faire face à ses obligations de souveraineté tel que le paiement de salaire ? Est-ce que la Centrafrique pourrait compter sur la France pour une aide budgétaire exceptionnelle d'urgence, je le précise pour franchir le cap du dernier trimestre qui semble être un seuil critique pour ce pays dans le recouvrement de ses recettes ?
R - Vous avez d'abord évoqué les relations entre la République centrafricaine et la France, pour lesquelles il est évident que, quand je parle d'engagement de la France aux côtés de votre pays, c'est un engagement clair, dont je viens témoigner ici personnellement. L'ensemble des pays voisins, les pays de la CEMAC, ont marqué leur souhait de pleinement associer la Centrafrique et de s'engager auprès de nous. Eh bien, nous appuyons leurs efforts et nous souhaitons que les premiers gestes qui ont été faits par l'Union africaine à Maputo puissent être confirmés très rapidement et que la Centrafrique puisse pleinement réintégrer la famille africaine. Vous savez, quand un pays ami, un peuple ami est dans la difficulté, la première exigence c'est de l'accompagner sur le chemin. Et c'est tout l'esprit de la politique de la France. Vous avez pu le constater depuis un an, la France n'a pas ménagé sa peine auprès de ses amis africains. Elle ne le fait pas dans l'idée de donner des leçons ; elle le fait parce qu'elle est fidèle, elle le fait parce qu'elle a de l'amitié, par conviction et parce qu'elle croit dans la capacité de ces pays amis à prendre en main leur destin. Elle est d'autant plus encouragée à le faire, quand elle voit à quel point les pays voisins, les médiations africaines jouent aujourd'hui leur plein rôle. Nous le voyons tous les jours un peu plus, nous le voyons pour la Côte d'Ivoire, nous le voyons aujourd'hui pour la Centrafrique, nous le voyons aussi pour Sao Tomé-et-Principe.
Le processus de sortie de crise aujourd'hui confirme la conscience qu'ont les pays africains, qu'ont les dirigeants africains de s'impliquer personnellement dans la résolution de ces crises. Eh bien, c'est tout le sens de l'action de la France. Nous sommes là pour accompagner. Nous sommes là pour conforter, pour appuyer.
Alors, en ce qui concerne le choix de la coopération, vous évoquez évidemment le problème de la coopération française. Pour celle-ci, nous souhaitons un partenariat et j'ai longuement évoqué cette question avec le président Bozizé, avec le Premier ministre. Nous souhaitons qu'elle aille véritablement là où elle est le plus nécessaire. Aujourd'hui, la sécurité constitue l'essentiel. Il faut souhaiter le retour à la sécurité, l'affirmation de la souveraineté, l'engagement d'un processus qui va permettre à la communauté internationale, à l'Union européenne, aux grandes institutions financières internationales de s'adresser pleinement à la Centrafrique. Eh bien, pour nous, c'est la clé. Nous voulons créer les conditions économiques et techniques. J'ai parlé du programme d'assistance technique financier. Nous voulons faire en sorte qu'à partir de ses ressources propres, la Centrafrique, qui a aujourd'hui les moyens de faire face à son avenir, ait les capacités de le faire. Nous voulons véritablement sécuriser cette marche en avant. Nous sommes une fois de plus aux côtés de la Centrafrique, convaincus que la bonne gestion qui a été engagée, l'effort de transparence et de rigueur qui doit continuer, va permettre - vous avez évoqué le versement de salaires - de bien marquer la capacité aujourd'hui du pays à se prendre en main. La France, une fois de plus, est aux côtés de la Centrafrique pour véritablement transformer l'essai. C'est ce que nous continuerons à faire.
Q - Monsieur le Ministre, une invitation du président Bozizé à Paris, c'est du domaine de la réalité ou de l'utopie ?
R - Ecoutez. Bien évidemment, la présence de la France ici marque à quel point nous souhaitons non seulement le plein rétablissement des relations entre la France et la Centrafrique, mais concerne également la réalisation de toutes les conditions de la normalisation de nos relations. Le peuple centrafricain n'a que trop souffert. Il est important véritablement que ces retrouvailles soient pleines et entières.
J'en ai parlé avec le président Bozizé. Il m'a dit à quel point il souhaitait s'engager activement pour la réussite du dialogue national, la réussite de la transition. La France est disponible, la France est ouverte, elle est présente pour faire face avec vous aux difficultés qui sont là.
Q - Oui, Monsieur le Ministre, la République centrafricaine a particulièrement souffert du désinvestissement financier français. Peut-on penser que le gouvernement pourrait appuyer les initiatives des opérateurs privés français à venir exploiter les énormes potentialités de ce pays qui sont encore en souffrance ?
R - Nous répondons aux voeux et aux demandes des autorités centrafricaines comme nous répondons aux aspirations des opérateurs en créant le cadre, dans la reprise pleine et entière de nos relations, le cadre de la confiance avec l'Union européenne que nous souhaitons très vite voir se concrétiser à partir du mois de septembre, comme nous souhaitons aussi le retour clair des bailleurs de fonds et des investisseurs. C'est bien ce cadre là qui est essentiel. Je viens de saluer les membres de notre communauté française et un certain nombre de représentants d'entreprises. Et c'est bien cela qu'ils attendent, pouvoir retrouver la confiance. C'est cela que veut dire la présence aujourd'hui du ministre des Affaires étrangères français : la confiance, la conviction, l'engagement, la solidarité avec le peuple centrafricain, le soutien aux efforts engagés par les autorités centrafricaines ; vous voyez que c'est une date pour nous très importante.
Merci infiniment à tous.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1e août 2003)