Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur la gastronomie, la sécurité alimentaire et la qualité des produits, Paris le 25 mars 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Discours devant l'Union des Métiers de l'Industrie de l'Hôtellerie à Paris le 25 mars 2003

Texte intégral


Monsieur le Président, cher André DAGUIN,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

C'est avec un très grand plaisir que je viens à votre rencontre aujourd'hui à l'occasion des Etats généraux de la sécurité alimentaire que vous organisez.
Je le fais avec d'autant plus de plaisir que c'est la première fois qu'un Ministre chargé de l'Agriculture mais également de l'Alimentation intervient devant votre assemblée, qui rassemble tous les professionnels de la cuisine française
Vous avez consacré vos états généraux au thème de la sécurité alimentaire. Vous comprendrez que je veuille vous faire partager ma politique dans ce domaine, et plus largement dans celui de l'alimentation. Mais au-delà, j'aimerais insister sur la place éminente que vous occupez dans la promotion de notre modèle alimentaire et le développement de cet élément de notre patrimoine national qu'est notre alimentation. En alliant qualité, tradition et modernité, vous en exprimez toute la force au quotidien, et ce sont sur les mêmes fondements que j'entends conduire ma politique de l'agriculture et de l'alimentation
Notre pays est réputé pour la qualité de sa restauration. Il le doit autant à votre créativité culinaire qu'à votre capacité à en transmettre les traditions, à la mise en valeur des produits issus de nos agricultures, et à votre souci constant de proposer des produits sains aux consommateurs.
Vous évoquez, Monsieur le Président, le rôle de trait d'union que vous jouez, entre les consommateurs et les producteurs, j'adhère très spontanément à cette idée que l'un de nos cuisiniers parmi les plus accomplis, présent ici ce matin, résume en ces termes : " Nous cuisiniers, avons la chance d'être le dernier maillon d'une chaîne formidable de la semence au plaisir de goûter ".
Depuis les années 60, une coupure grandissante s'est installée entre notre agriculture et les consommateurs. Le développement de la civilisation urbaine, l'évolution vers une société de services ont pu affaiblir le rapport que les Français entretiennent avec le monde rural et leur alimentation.
Dans le même temps, l'accroissement de la productivité, l'industrialisation des productions alimentaires, le renforcement de l'offre de produits alimentaires, et l'évolution des modes de consommation ont profondément modifié le rapport à l'alimentation. Si la quête de nourriture n'est plus un problème de tous les instants, le paradoxe de l'abondance touche désormais nombre de consommateurs plongés dans l'incertitude des choix.
Que ce soit dans les domaines agricole et alimentaire, par nature très liés, ces changements n'ont fait l'objet d'une prise de conscience collective qu'à l'occasion des crises sanitaires récentes. Ces dernières années ont, en effet, été marquées par la survenance de plusieurs crises sanitaires, qui sont venues progressivement affecter la confiance des consommateurs, des agriculteurs et des acteurs de la chaîne alimentaire. Cette situation est d'autant plus paradoxale que nous disposons d'une alimentation de plus en plus sûre.
Les préoccupations des consommateurs ont ainsi glissé du domaine quantitatif au domaine qualitatif, et cette tendance lourde d'un basculement du " produire plus " vers le " produire mieux " s'inscrira probablement dans le temps, en pesant à la fois sur les orientations de la recherche, le contenu des politiques publiques et la concurrence entre opérateurs économiques.
Edgar MORIN écrivait qu' " un aliment doit être non seulement bon à manger, mais aussi bon à penser ". Chaque individu a, en effet, sa propre représentation des aliments, selon son milieu et ses pratiques culturelles. S'il n'est ni possible, ni d'ailleurs même souhaitable de s'immiscer dans les choix individuels qui relève de la " libre jouissance de notre indépendance privée ", il est en revanche du ressort du Ministre de l'Alimentation de répondre aux préoccupations et aux attentes.
J'ai acquis, au cours de ces derniers mois d'action, la conviction que nous devons aborder ensemble les questions de la sécurité sanitaire, de la qualité de notre alimentation, et la préservation de notre modèle alimentaire. Car seule une approche intégrée de la politique alimentaire me semble pouvoir donner à l'action publique sa cohérence et sa pleine efficacité.
Tout d'abord, le consommateur doit avoir accès à une production alimentaire saine, sûre et qualitativement optimale tant du point du vue organoleptique que nutritionnel. Cet objectif est l'affaire de tous, pouvoirs publics et professionnels.
Je tiens, à cet égard, à saluer le remarquable travail de votre profession dans l'élaboration, validée en 1999, du Guide de Bonnes Pratiques d'Hygiène Restaurateur, qui permet de satisfaire aux exigences sanitaires, tout en prenant en compte les contraintes liées aux pratiques professionnelles. Il s'inspire des principes de la " nouvelle approche ", qui laisse aux professionnels toute latitude sur les moyens de satisfaire à une obligation de résultat.
Ce guide doit être largement diffusé et mis en oeuvre. Il favorisera la formation professionnelle que vous développez.
A l'occasion des négociations qui se sont déroulés à Bruxelles, sur le règlement Hygiène, mes services ont veillé à ce que la réglementation communautaire permette le maintien de méthodes traditionnelles à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution des denrées alimentaires
Ces exigences doivent pouvoir s'appliquer dans toutes les situations, y compris dans le secteur de l'artisanat et des plus petites entreprises.
Ainsi, le restaurateur, responsable des produits qu'il offre au consommateur, garde les moyens de maîtriser son savoir faire.
Un accent particulier doit, par ailleurs, être mis sur la traçabilité des denrées alimentaires. A cet égard, une démarche plus systématique d'étiquetage de la provenance, comme celle mise en oeuvre pour la viande bovine, doit être envisagée. Comme vous le savez et le mettez en oeuvre dans vos établissements, le décret relatif à l'étiquetage des viandes bovines dans les établissements de restauration est venu compléter le dispositif d'information des consommateurs sur l'origine des viandes bovines ; il me paraît de nature à renforcer leur confiance. Il répond à une demande forte exprimée par les associations de consommateurs et a, du reste, été largement soutenu par les professionnels de la filière bovine, déjà familiers des obligations de traçabilité et d'étiquetage.
Mon attention a été appelée sur certaines difficultés d'application de ce texte. Au-delà des contraintes pratiques de mise en oeuvre, elles tiennent à la grande variabilité des approvisionnements et à l'impossibilité de garantir au consommateur l'origine exacte, au cours d'un même service, de la viande incorporée dans les plats.
Mes services et ceux du Secrétariat d'Etat à la Consommation ont précisé, au terme d'une démarche de concertation, ses conditions de mise en oeuvre, de façon à répondre de manière pragmatique aux inquiétudes des professionnels. Il ressort des informations dont je dispose, un premier bilan d'application qui me paraît extrêmement positif.
J'entends, bien entendu, rester vigilant et ne manquerai pas de prendre, le cas échéant, les dispositions complémentaires qu'exigerait la situation.
La mise en oeuvre réussie de la traçabilité suppose l'implication de tous. Le " contrat de confiance " que nous appelons tous de nos voeux et que je m'emploie à restaurer, ne pourra l'être, en effet, que si chacun assume pleinement ses responsabilités. Il ne le sera pas par la seule voie du règlement ou de la loi. Il ne sera rétabli que par le plein exercice par chaque maillon de la filière de sa responsabilité individuelle et collective.
En cette matière, la question des OGM occupe une place particulière. Elle suscite - je le sais - de profondes interrogations chez nos concitoyens sur les risques sanitaires et environnementaux mais aussi sur l'utilité et la pertinence des OGM. Elle vous préoccupe très légitimement, et sachez qu'elle retient également toute mon attention.
On observe une différence de perception fondamentale avec les pays où leur culture est largement répandue comme les Etats-Unis, où ils occupent plus de 30 millions d'hectares.
Depuis 1999, aucun nouvel Organisme Génétiquement Modifié n'a reçu d'autorisation de commercialisation dans l'Union Européenne. Ce moratoire répond au souhait de cinq Etats, dont la France, d'assurer, avant toute nouvelle autorisation, un étiquetage et une traçabilité des produits génétiquement modifiés, de façon à garantir le libre choix des consommateurs.
Comme vous le savez, je me suis pleinement investi dans les discussions au Conseil des ministres qui ont abouti à un accord politique fin 2002, sur deux projets de règlement.
Ces projets de règlements portent sur les denrées alimentaires, les aliments pour animaux, l'étiquetage et la traçabilité des OGM. Ils visent à mieux garantir la sécurité sanitaire, mais également, et peut être plus encore, à préserver la liberté de choix des consommateurs. Ainsi, l'huile issue de colza génétiquement modifié sera désormais étiquetée, tout comme des biscuits contenant de l'huile de mais obtenue à partir de mais ou de soja génétiquement modifiés, que nous importons largement des Etats-Unis et destinons à l'alimentation du bétail.
Ces accords constituent une avancée très importante pour rétablir la confiance des consommateurs. Ils témoignent de la volonté de prendre des mesures garantissant un niveau élevé de protection de l'environnement et préservant la santé publique et la liberté de choix du consommateur. Ces textes sont désormais en deuxième lecture au Parlement.
Dans l'attente de leur entrée en vigueur, nous devons accomplir un important travail pédagogique à l'égard des citoyens européens, afin qu'ils comprennent en quoi le dispositif que nous mettons en place permettra de garantir leur sécurité et de préserver leur liberté de choix. Seul cet effort est, à mon sens, de nature à apaiser les craintes qui perdurent.
Sachez que je suis opposé à toute reprise des autorisations d'OGM, avant que ce dispositif ne soit pleinement en place.
Je suis sensible au fait que, contrairement à une idée fausse trop largement répandue, la communauté scientifique a une vision positive de la question des biotechnologies, et j'ai, par ailleurs, le plus grand respect pour les scientifiques français, dont je connais la valeur.
Des efforts importants doivent encore être accomplis en matière d'éducation et d'information dans le domaine de la biologie, de la génétique et de l'agriculture, afin de mieux en comprendre les enjeux.
Nous devons adopter une approche raisonnable et responsable de façon à ce que la recherche dans ce domaine puisse se poursuivre sereinement en Europe.
Les consommateurs sont, par ailleurs, demandeurs de produits d'une qualité accrue. Ils aspirent à connaître l'histoire du produits et leurs conditions de production. La demande de produits issus du terroir n'a également jamais été aussi forte. Mais revenir au terroir ne signifie pas qu'il faille se nourrir comme jadis.
Les signes officiels de la qualité et de l'origine auxquels je suis très attaché - consacrent des productions au savoir-faire parfois ancestral et entretenant un lien fort avec nos terroirs. J'observe qu'ils tendent, d'ailleurs, à se développer. Ces démarches reçoivent mon plus total soutien, mais je souhaite qu'une certaine cohérence soit recherchée entre ces différents sigles et appellations, afin que le consommateur dispose d'une information intelligible pour le guider dans ses choix. Cette démarche s'inscrit, par ailleurs, dans une stratégie de développement privilégiant la compétitivité assise sur la qualité plutôt que sur la productivité.
L'agriculture biologique quant à elle correspond à un mode de production qui fait partie des agricultures françaises et correspond à l'attente de certains consommateurs français et à une segmentation réelle du marché. Elle ne doit pas être opposée à toutes les autres formes d'agriculture, mais y trouver sa place.
En mettant en place le 4 mars dernier la Commission Nationale de l'Agriculture Raisonnée et de la Qualification des exploitants, j'ai engagé l'agriculture française dans la voie de l'agriculture raisonnée. L'agriculture raisonnée constitue une démarche globale d'exploitation qui sera sans doute demain le standard de l'agriculture française. Je crois en la pertinence pour la santé et l'environnement d'une agriculture qui maîtrise ainsi ses pratiques, contrôle ses intrants, assure la traçabilité de ses productions et s'adresse à une immense majorité des agriculteurs.
La coexistence de ces agricultures est le meilleur garant, de la diversité et de la qualité de nos produits.
Notre politique doit rechercher la meilleure synthèse entre exigence de tradition et souci de modernité, et nos dispositifs touchant aux modes de production demeurer toujours ouverts, évolutifs et exigeants.
Enfin, vous le savez mieux que quiconque, la France dispose d'une culture alimentaire spécifique, car cette question touche dans notre pays à ce qui fait nos valeurs et notre identité. Plus d'autres, nous sommes attachés à la diversité et l'originalité de nos produits.
BRILLAT-SAVARIN dont le nom résume notre idée de la gastronomie, écrivait que " la destinée des nations dépend de la façon dont elles se nourrissent ". Dans le mouvement de mondialisation, dont chacun perçoit plus chaque jour combien il affecte nos vies, il est de notre devoir de préserver notre modèle alimentaire des risques de l'uniformisation, et je sais pouvoir compter sur vous pour le défendre et le promouvoir.
J'entends que les prescriptions sanitaires - dont nous comprenons tous la nécessité et qui sont débattues dans les instances internationales - ne nous prive pas demain de plaisirs aussi simples qu'un bon camembert goûteux, un foie gras frais et savoureux ou un vin de qualité. L'expérience du ris de veau nous montre que cela est possible, en pratique.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
" Faire de la nourriture un bonheur pour les hommes ", telle est la vocation selon Theodore ZELDIN, de la gastronomie et la grandeur de votre profession. Sa contribution à ce qui fait notre culture et notre identité mérite notre respect et notre considération. Je souhaite que nous puissions entretenir un dialogue étroit, et veux vous assurer, Mesdames, Messieurs, de mon écoute la plus vigilante aux préoccupations dont vous voudrez bien me faire part.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 26 mars 2003)