Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à France Inter le 25 juillet 2003, sur la méthode utilisée par le gouvernement de J.-P.Raffarin concernant la réforme du système de retraite.

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Média : France Info

Texte intégral

Annette Ardisson .- J.-P. Raffarin a souhaité que le conflit sur les retraites ne laisse pas de "cicatrices". Pas de cicatrices, pas de séquelles à la rentrée ?
Marc Blondel .- "S'il s'agit de faire une relation entre la situation créée par la contre-réforme de M. Raffarin et les retraites, et ce qui peut se passer à la rentrée, je vais faire la réponse habituelle : je ne suis pas un imprésario, je n'ai pas écrit un script, je ne sais pas à l'avance ce que nous allons faire. Ce que je sais, c'est que, contrairement à ce que dit M. Raffarin, il y a plus que des cicatrices, il y a des plaies. L'ennui, c'est que l'on ne sait pas si elles vont guérir. Car je continue, je persévère et j'indique que contrairement à ce qu'on raconte, on n'a pas défendu, on n'a pas remis en place, on n'a pas confirmé, on n'a pas pérennisé le système par répartition, notamment pour le privé. Il est évident que tout est conditionné à une baisse du nombre de chômeurs en 2006, en dessous de 5 %. Permettez-moi une relation immédiate. Qu'ai-je entendu, hier, de M. Raffarin sur l'emploi, sauf quelques affirmations de principe ? Quelles bagarres pour l'emploi ? Que va faire le Gouvernement, y compris pour rentrer dans le cadre de sa réforme ? Il faudrait qu'il fasse un effort considérable, notamment dans le domaine de l'industrialisation... Mais j'ai l'impression que tout cela, pour l'instant, est secondaire."
Est-ce encore du ressort d'un gouvernement ?
- "Justement, le problème est de savoir si l'on s'en remet complètement et directement au marché, c'est-à-dire, tout simplement aux forces, je vais employer le terme "capitalistiques" et cela va faire sursauter, mais est-ce qu'on s'en remet strictement au marché ou, au contraire, est-ce que l'intérêt général ne devrait pas conduire le Gouvernement à interférer, à être relativement directif, pour essayer de sauvegarder une part de l'industrie française, ce qui est absolument indispensable ? J'ai déjà donné quelques chiffres, mais je crois qu'en une dizaine d'années, rien que dans la métallurgie, on a perdu plus d'un million d'emplois. Alors, cela mérite quand même qu'on y réfléchisse, on ne peut pas faire de la France, une société qui serait strictement une société de services. On doit aussi avoir l'industrie, on doit aussi avoir de l'agriculture... Et je pense que c'est le rôle du Gouvernement d'essayer de rééquilibrer les choses et de ne pas laisser le mouvement, le marché, l'emmener et emmener tout le monde."
Pour en revenir aux retraites, vous qui souhaitiez davantage de négociation...
- "Mais il n'y a pas eu de négociation ! Je crois qu'il faut arrêter tout cela. Je mets au défi quiconque de me montrer un texte, où il y a une signature de Chérèque - vous savez, celui qui a eu le tableau d'honneur, hier ! Il n'y a rien, rien n'a été fait de tout cela..."
Il a quand même signé ?
- "Rien du tout !"
Comment cela ?
- "Signé quoi ?"
Un accord.
- "Non, il n'y a pas eu un accord. Pour qu'il y ait un accord, il faut qu'il y ait une négociation. C'est toute l'ambiguïté du dialogue social. "Dialogue social", c'est "tu causes, tu causes" ? Moi, je suis pour la négociation collective, ce qui est tout à fait différent. Et la négociation collective, cela n'est d'ailleurs pas du simple fait du Premier ministre. La négociation collective, c'est aussi le comportement des patrons. Cela veut dire qu'il faut discuter avec les patrons, cela veut dire qu'il faut discuter avec l'employeur quand c'est l'Etat ; et pour des questions interprofessionnelles et générales comme les retraites, alors on discute avec les deux. Ceci étant, c'est clair, net et précis : il n'y a jamais eu d'accord ! Chérèque n'a rien signé ! Dans trois ou quatre ans, il pourra même dire que ce n'est pas vrai ! C'est clair, c'est tout à fait évident. Je vais vous donnez un petit exemple : la nuit que nous avons passée avec M. Delevoye et M. Fillon, au bout d'un moment de discussion, on a demandé ce que l'on allait faire pour les gens qui ont des métiers pénibles. Fillon a dit qu'on allait renvoyer ça dans les branches. Et bien, puisque nous sommes en 2003, année des handicapés, je lui ai demandé de renvoyer à des négociations de branches pour les handicapés, pour voir s'ils ne peuvent pas partir plus tôt... F. Fillon, comme cela ne faisait pas parti de son programme et de ce qu'il avait discuté avec Chérèque en parallèle (sic)... C'était Barillet et Grédy ! Attendez, vous riez, mais moi, quand j'allais au spectacle sur les boulevards, il y avait des comédies, c'était Barillet et Grédy ! Et là, ce n'est plus Barillet et Grédy, c'est Fillon et Chérèque ! Ils avaient écrit le spectacle et il fallait qu'on soit, nous, les acteurs. Je ne marche pas à ce genre de choses. Je demande un peu de dignité, je ne veux pas qu'on me prenne pour une bille ! Donc cela a été clair : pas de négociation... S'il n'y a pas de négociation, cela ne sert à rien. La première question que j'ai posée a été sur la nature de notre entretien : va-t-il y avoir un procès verbal, va-t-il y avoir un accord, va-t-il y avoir quelque chose ? Parce que cela posait des problèmes juridiques. J'allais discuter de la retraite éventuelle des fonctionnaires, c'est-à-dire des pensions, avec Guillaume Sarkozy qui est un représentant du Medef. Je suis d'accord pour la discuter avec M. Delevoye, je ne suis pas d'accord pour la discuter avec M. [Guillaume] Sarkozy...
C'est important ce que vous venez de dire...
- "Même pas de procès verbaux de ces discussions ! Vous savez bien que la discussion a eu lieu un peu plus après : le matin, ils sont allés quasi clandestinement à Matignon discuter, pour avoir ceci, pour avoir cela... Ils ont mis deux ou trois petites retouches et voilà comment on nous a dit : "Voilà l'accord des retraites" ! Il n'y a pas d'accord des retraites !"
Mais avec qui la discussion doit-elle se passer ? Entre partenaires sociaux, avalisée par le Gouvernement ? Avec le Gouvernement ? Concernant les retraites, vous allez avoir l'occasion de discuter, puisque les retraites complémentaires ne sont pas réglées...
- "Vous venez de poser la véritable question : la négociation des retraites, pour le privé, devait avoir lieu avec les employeurs du privé. Ensuite, le Gouvernement devait agrémenter ou, au contraire, refuser le texte. Avec le public, elle devait avoir lieu avec l'Etat, parce que c'est l'Etat qui est l'employeur. Je rappelle qu'il n'y a pas de régime par répartition pour les fonctionnaires, il faut quand même le dire ! On a vécu sur l'ambiguïté... On a dit "on va sauver les régimes par répartition" . On a pris le prétexte du privé pour régler un problème qui est un problème budgétaire et qui ne sera d'ailleurs pas réglé - tout le monde sait que le budget sera encore en déficit cette année. Mais cela veut dire que l'on a profité des circonstances, on a dit que c'était l'occasion. On a traité le dossier des retraites bien avant celui de la Sécurité sociale. Or, le déficit de la Sécurité sociale s'impose déjà depuis deux ans, tandis que pour les retraites, pour l'instant, on était à peu près assuré du financement jusqu'en 2006-2008. On avait le temps de le faire mais le Gouvernement a considéré qu'il avait été élu pour cela. J'écoute monsieur Raffarin qui, hier, a dit : "Nous tiendrons compte de nos erreurs". Donc, y compris la façon de faire pour la retraite, c'est une erreur ? C'est bien ce qu'il a dit, non ?
Il affirme que, malgré son hommage appuyé à la CFDT, il négociera sur chaque dossier, avec tout le monde...
- "Ce n'est pas un hommage, c'est un tableau d'honneur ! Je me demande même s'ils ne vont pas avoir la Légion d'honneur !"
Quelle est votre priorité, si vous aviez quelque chose à demander ?
- "D'abord, consolider la Sécurité sociale. Je veux expliquer que les retraites et la Sécurité sociale sont les deux fondamentaux du monde du travail, du salariat dans ce pays. Ce sont les deux revendications que l'on a satisfaites en 1945, de manière solidaire et égalitaire, qui font la base même de la situation des salariés. Le niveau de salaire, cela peut changer, ça se rattrape ; la durée des vacances, ça peut se gagner et ça s'améliore ; la durée du travail, tout cela, ce sont des choses discutables. Par contre, la Sécurité sociale et la retraite, au plan de la solidarité, ce sont les choix que nous avons fait en 1945 (...). On avait dit que pour éviter demain (sic), on va mettre les salariés dans cette position. Il faut donc défendre ces deux fondamentaux, c'est absolument indispensable ! Ce n'est même pas le Gouvernement qui choisit. Et là, nous avons la Sécurité sociale : il va essayer, pour éviter les erreurs, l'affrontement frontal. Il veut tout simplement mettre cela sur 18 mois. Vous avez noté quelque chose de terrible : au moment où on parle des intermittents, voilà le Premier ministre qui veut un contrat à durée indéterminée ! Vous l'avez noté ? Il a dit qu'il voulait trois ans pour faire les réformes. Il est en train de dire au président de la République de lui laisser encore au moins trois ans. Cela veut dire que, d'une certaine façon, il se défend, il ne veut pas un contrat intermittent, il veut un contrat à durée indéterminée !"
Il y a eu deux annonces quand même : le report de la décision concernant le statut d'EDF et de GDF et pas d'augmentation de la CSG, dans ce secteur qui vous intéresse. Est-ce que cela vous rassure ou vous inquiète ?
- "Soyons clairs : ce que je souhaite, c'est que la Sécurité sociale ne soit pas privatisée ou étatisée. Il faut trouver un système qui soit un système de solidarité. Que l'on arrête de dire des bêtises quand on raconte que lorsqu'il y a cinq médicaments, le sixième médicament devient le médicament dangereux, nocif, etc., alors, on ne va plus le rembourser. Pardonnez-moi, mais s'il est nocif, on le retire, c'est beaucoup plus simple ! Maintenant, si un sixième médicament, quand on a 70 ans, cela a des conséquences, cela a aussi des conséquences à 68 ans, à 66 ans et avant. Il faut intégrer dans la discussion sur la Sécurité sociale l'ensemble des acteurs, y compris les prescripteurs que sont les médecins. C'est de là que part la notion de responsabilité partagée. Donc, il y a un travail énorme à faire dans cette matière ; il y a un travail de confiance à faire et c'est un travail très difficile. Le problème du financement sera, par définition, un problème qui mécontentera tout le monde, y compris si on fait des prélèvements supérieurs. Je ne vois pas pourquoi on m'avait dit - c'était parallèle à Matignon - "Blondel, on ne peut pas mettre de l'argent pour les retraites, parce qu'on va en avoir besoin pour la Sécurité sociale". Alors, peut-être que l'on va pouvoir tout simplement prélever sur les richesses produites, pour la santé des gens ? La santé des gens, c'est une notion égalitaire. Moi, je souhaite que nous vivions tous le plus longtemps possible et en meilleure santé."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 25 juillet 2003)