Déclaration de M. Robert Hue, président du PCF, sur le bilan de la "mutation" du PCF et de la participation du parti au gouvernement Jospin et sur la nécessité de clarifier "l'identité communiste" tout en donnant la "primauté au mouvement populaire", à Saint-Denis le 3 avril 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 32ème concrès du PCF à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) du 3 au 6 avril 2003

Texte intégral

Chers camarades,
Si des erreurs sont commises, il faut les reconnaître, les assumer, surtout quand on exerce des responsabilités premières. Cela exige d'en analyser la nature exacte, les causes et conséquences, et d'en tirer enseignement.
Telle a été ma détermination. Après le 21 avril 2002, certes, mais aussi en avril 2001, suite à l'avertissement des élections municipales. J'avais alors amorcé devant le Conseil national l'analyse autocritique qui me paraissait nécessaire, et qui n'a pas été poursuivie. Deux éléments me semblaient alors essentiels.
D'une part l'insuffisance, voire l'inexistence d'un profond débat dans le parti, permettant aux communistes d'être réellement co-élaborateurs et acteurs de la mutation.
D'autre part la sous-estimation de ce qui était nécessaire, dans le cadre de notre participation au gouvernement Jospin, pour soumettre à notre peuple, afin qu'il s'en saisisse et qu'il agisse, les questions posées par les choix gouvernementaux du parti socialiste.
De cela, je ne me satisfais pas.
La mutation, comme son nom l'indique, portait sur notre identité communiste. Elle voulait revaloriser, dans les conditions d'aujourd'hui, au plan théorique comme dans la pratique, tous les aspects positifs qui ont permis au parti communiste français d'être, pendant plusieurs décennies du XXème siècle, un grand parti populaire, reconnu comme indispensable aux luttes de classes, aux luttes des peuples, en France et dans le monde. Et il s'agissait dans le même temps d'écarter définitivement ce qui, dans cette identité et dans la culture de parti qui en découle, relève de la dogmatisation du marxisme, des conceptions et des pratiques dirigistes et étatistes liées aux conditions dans lesquelles sont nés et se sont développés dans ce siècle les partis communistes.
Cela impliquait un débat profond permettant d'assurer une crédibilité théorique et politique à la démarche ainsi engagée. Après bien des efforts, tout particulièrement dans les années 1995-1996, et malgré l'écho positif qu'ils ont rencontré dans le parti, et au-delà, nous avons à nouveau reculé devant la nécessité d'affronter ce débat de fond.
Voilà qui n'a pas facilité l'exercice de la participation gouvernementale, dont je tiens à rappeler ici ma conviction qu'elle était justifiée et qu'elle restera, à l'avenir, un objectif lors de chaque victoire de la gauche à laquelle nous aurons contribué. Il arrivera que les conditions politiques ne rendent pas possible cette participation, on a déjà vu ça. Mais l'objectif doit rester, et ce seront toujours les communistes qui devront en décider.
J'en reviens au gouvernement Jospin. Le recul devant ce débat de fond à rendu difficile notre démarche, qui voulait s'appuyer sur l'intervention populaire pour faire prévaloir le refus du social libéralisme et imposer de vrais changements. Ainsi nous avons, certes, contribué largement aux mesures positives, il y en a eu, prises par le gouvernement, mais nous n'avons pas fait face à la nette inflexion sociale libérale des deux dernières années.
Oui, la nécessité demeure, toujours plus impérieuse, d'un large débat sur cette question de notre identité communiste et de sa transformation. C'est essentiel pour comprendre ce qui s'est passé, mais surtout pour envisager l'avenir du parti et de notre action pour contribuer à libérer la société et le monde du capitalisme. Un tel débat implique d'aller au-delà du superficiel, des apparences et des procès d'intention.
Pour moi, c'est clair : les erreurs doivent être identifiées, et critiquées ! Mais il s'agit d'aller plus loin, et de dépasser cette idée, ancrée dans la culture communiste, selon laquelle difficultés et échecs ne pourraient provenir que d'erreurs humaines. Par ce moyen, on évitait de s'interroger sur des principes et des conceptions jugés intangibles car "scientifiquement" fondés, jusqu'à nous dispenser d'avoir à en élaborer d'autres !
Pour ma part, ce que nous pourrions dire sur les années passées me préoccupe bien moins que ce que nous pourrions ne pas dire sur l'avenir, faute d'être suffisamment entrés dans ce débat sur l'identité et la culture communistes d'aujourd'hui. Dans la préparation du congrès, de nombreux camarades sont intervenus dans le sens d'un tel débat. Ils et elles ont ainsi permis des évolutions positives dans les projets successifs de base commune. Et, j'en suis sûr, d'autres progrès pourront être faits.
Ce débat n'aura de sens qu'étroitement lié au dialogue et à l'action avec notre peuple. Le problème que nous avons à résoudre c'est, en effet, la distorsion et, souvent, la rupture de nos liens avec lui. Avec le monde du travail et de la création dans sa complexité croissante. Avec les milieux populaires, confrontés à de multiples problèmes. Avec les intellectuels et le mouvement des idées partant des mutations de la société et du monde. Avec une jeunesse qui attend surtout qu'on l'aide à trouver des raisons de s'engager dans une action transformatrice capable de triompher. Avec toutes celles et tous ceux qui, de diverses façons, contestent la mondialisation capitaliste, les politiques libérales et qui, déçus par la politique telle qu'elle se fait, cherchent des idées et pratiques nouvelles pour réussir les changements auxquels ils aspirent.
C'est pour rétablir ces liens sur des bases nouvelles que nous avons voulu, avec la mutation, clarifier qui nous sommes réellement, ce que nous voulons, comment et avec qui nous envisageons d'y parvenir ; et pour cela rompre avec le dirigisme et l'étatisme qui nous collent encore trop souvent à la peau. Rompre aussi, définitivement, avec tout un pan de l'histoire du communisme qui nous associe aux crimes staliniens, à l'échec soviétique et nous présente toujours comme des ennemis de la démocratie, de la liberté.
A l'évidence, ces raisons, qui ont conduit à la mutation, à la volonté d'ouverture sur la société demeurent. Mais il serait trop court de dire simplement : "continuons", ou "recommençons en faisant mieux". Nous ne sommes pas dans un concours d'athlétisme où l'on répète les essais pour retenir le meilleur ! Le monde, la société, les mentalités de celles et ceux à qui nous voulons nous adresser ont continué de changer, ainsi que les représentations de la politique et des partis, y compris le nôtre. Et ces évolutions ne nous sont pas toutes favorables, loin de là !
Ou bien les évolutions qui auraient pu se faire avec nous, comme nous l'avions espéré, n'ont pas eu lieu et des millions de gens se sont encore davantage écartés de la politique. Ou bien cela s'est fait autrement, sans nous, et quelques fois avec une certaine hostilité à notre égard. Il en est ainsi des méfaits du capitalisme dont la perception s'accompagne, très majoritairement, de l'idée qu'il n'est pas possible de s'en libérer. Il en va ainsi, également, des mouvements sociaux et altermondialistes, dont les aspects positifs sont évidents mais qui sont l'objet d'une offensive, notamment des milieux gauchistes, visant à les tenir à l'écart et dans la suspicion à l'égard des partis politiques, singulièrement le parti communiste, au détriment de leur développement et de leur efficacité.
Soyons lucides : dans l'un ou l'autre de ces cas de figure, on n'attend malheureusement pas après le Parti communiste français.
Nous ne serons pas plus convaincants en nous repliant sur un populisme de gauche, même paré de discours savants, pour devenir, au sein d'une nébuleuse gauchiste, un "espace" où l'on parlera abondamment de communisme, mais sans perspective concrète de pouvoir rassembler les forces pour transformer la société. On ne s'en sortira pas plus avec le basisme, qui consiste à s'adresser aux citoyennes et aux citoyens en leur affirmant : " nous ne sommes plus sûrs de rien, dites-nous ce que nous devons faire ". Alors, et en dépit de nos intentions, le risque serait grand d'un parti communiste marginalisé, à la remorque des idées, des pratiques, des mouvements qui dénoncent, certes, le libéralisme mais contestent le rôle de la lutte politique, des forces politiques - notamment communistes - pour contribuer à libérer le monde du capitalisme. Un tel parti communiste ne jouerait plus alors que les "utilités", derrière un parti socialiste dominant, jusqu'au moment de son intégration, comme composante de "gauche", dans le grand mouvement social réformiste dont rêvent les dirigeants socialistes.
Quelle crédibilité aurions-nous si, alors que l'on nous reproche l'absence de traduction concrète de notre discours anti- capitaliste, nous nous lancions dans la surenchère verbale sur le communisme et la révolution "en général", sans contribuer à faire voir ce que cela signifie "en particulier", ici et maintenant ? C'est une nécessité impérieuse, un point de passage obligé pour aller de l'avant. Nous devons montrer ce que cela signifie comme travail des idées pour éclairer la nécessité et la possibilité de transformer le monde et la société ; comme action concrète pour résister pied à pied aux politiques libérales et construire des solutions neuves et les rassemblements nécessaires ; comme valorisation, par l'expérience quotidienne, du rôle indispensable de la politique, et du parti communiste pour réussir cette transformation.
Nous ressentons douloureusement le déclin et l'échec. Mais mesurons-nous assez quelle responsabilité peut avoir, et quel rôle peut jouer un parti communiste en France, quand la question est posée de la possibilité, ou non, de se libérer du capitalisme ? Nous avons cessé de croire et de prétendre que le parti communiste avait "naturellement" pour mission historique de guider dans la voie du changement, de lever les doutes et incertitudes, de surmonter les contradictions que l'on rencontre quand on se fixe cet objectif. Mais notre absence dans ce combat serait dramatique. A tous, affirmons notre volonté politique d'y contribuer, et donnons-nous les moyens de la traduire en actes.
Dans cet esprit, je répète ma conviction : il nous faut, dans le même mouvement, clarifier notre identité communiste et mener le dialogue dans l'action avec notre peuple, en se gardant de vouloir l'enfermer dans un thème et une forme uniques. Je crois plutôt qu'il faut partir de la diversité des problèmes que vivent nos concitoyennes et nos concitoyens, et des questions qu'ils se posent. Il faut, bien sûr, leur faire part de nos analyses, de nos propositions. C'est en élaborant avec eux les solutions, les rassemblements et les actions que nous contribuerons à la construction, pas à pas, d'un mouvement populaire transformateur maîtrisant ses objectifs et son action. Et c'est en s'appuyant sur l'expérience de ce dialogue et de cette construction que - là encore sans rien vouloir " corseter "- les communistes pourront décider eux-mêmes, à leurs différents niveaux de responsabilité, des alliances politiques à conclure ou non, notamment lors des prochaines échéances électorales.
C'est ainsi que, personnellement, je vois aujourd'hui l'avancée possible vers ce que nous avons appelé "la primauté au mouvement populaire". Cela ne se décrète ni ne s'octroie par décision du parti communiste. Il faut qu'il y ait un mouvement populaire se fixant l'objectif de la transformation sociale. Il ne surgira pas spontanément, et le parti communiste a beaucoup à dire et à faire pour aider à son développement. Faute de cela, tout ce que nous pourrions dire relèverait de la proclamation sans effet réel.
Cher-e-s camarades,
La fidélité à notre idéal, la fidélité à cette formidable aventure humaine qu'a été l'engagement de centaines de milliers d'hommes et de femmes avec le parti communiste n'est pas affaire de proclamation. Je persiste à penser que, dans la fierté légitime de ce qu'ont accompli ces militantes et militants, le parti doit avoir le courage de se dépasser en donnant lui-même, à partir de lui même, naissance à la force politique dont le communisme de notre temps a besoin. Au delà de notre congrès, ce moment historique est immédiatement devant nous. Faute d'une telle mutation ce ne serait plus, alors, le danger du repli groupusculaire qui nous guetterait, mais bien celui de la disparition.
Camarades,
J'ai confiance dans la capacité de celles et ceux que nous rassemblons et que nous avons su rassembler d'adresser un signal fort à des millions d'hommes et de femmes, afin qu'ils reprennent espoir et pour les convaincre, eux qui cherchent des voies nouvelles pour la politique, de participer à cette nouvelle et grande aventure humaine pour changer le monde et la société.
J'ai la conviction qu'il nous faut accomplir cet effort.
J'espère que nous saurons trouver en nous la force nécessaire pour le faire.
J'ai proposé, vous le savez, que l'on mette fin à l'expérience de codirection du parti, avec une secrétaire nationale et un président. Je ne souhaite pas être demain dans l'exécutif qui sera désigné. Ce n'est le signe ni d'un désintérêt ni d'un désengagement. A la place qui sera la mienne, et avec les convictions qui sont les miennes, je serai, avec vous toutes et tous, dans votre diversité, un militant communiste actif et déterminé.
(Source http://www.pcf.fr, le 4 avril 2003)