Interview de M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux PME, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, à "Radio Classique" le 1er septembre 2003, sur la croissance économique, le déficit public, la réforme de l'assurance maladie, sur la réforme de l'apprentissage, sur le climat social.

Prononcé le 1er septembre 2003

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Média : Radio Classique

Texte intégral


H. Lauret - Je vais faire preuve de mesure bien entendu. Rarement, néanmoins, la rentrée aura été aussi lourde. Il y a 12 millions d'élèves, tout le monde le sait, qui reprennent le chemin des classes et les syndicats apparemment restent très mobilisés. Il y a eu cette horrible canicule avec le drame que l'on sait ; il y a la nécessaire réforme de l'Assurance maladie - le déficit de la Sécu pourrait atteindre 15 milliards d'euros en 2004, c'est un record absolu. Et puis je n'oublie pas l'ensemble de nos déficits publics. J'arrête là. Comment sortir de cette spirale ? Comment rétablir la confiance dans la tête des Français ?
- "Il y a deux mots. Il y en a un, vous l'avez prononcé, c'est la "confiance", et le deuxième, c'est la "réforme". La confiance, cela dépend énormément de la conjoncture, et aujourd'hui, on voit beaucoup d'esprits un peu moutonniers, qui au lieu d'essayer de regarder ce qui va se passer, regardent ce qui s'est passé. Donc ce qui s'est passé, ce n'est pas très bon, on a eu une conjoncture assez mauvaise, un deuxième trimestre qui nous a fait "décrocher" par rapport à la croissance. Mais si on s'intéresse à l'avenir, et c'est cela qui évidemment est très important pour les consommateurs et pour les investisseurs en matière d'anticipation, c'est plutôt positif, puisque les Etats-Unis sont repartis. Or l'économie mondiale, qu'est-ce que c'est ? C'est une énorme soufflerie qui est l'économie américaine et qui injecte de la croissance dans le monde entier, avec une sorte d'éolienne qui est l'économie allemande, qui relaie la croissance sur le marché européen."
Votre éolienne, en ce moment, elle est très poussive...
- "L'éolienne allemande est poussive depuis plusieurs années, de même que dans la zone Asie, l'éolienne japonaise était poussive, mais ces deux éoliennes donnent des signes de redémarrage. On le voit au Japon, où les investisseurs recommencent à avoir confiance. On le voit également en Allemagne où le gouvernement est un gouvernement réformiste, ce qui est très bon pour nous, la France. Nous avons besoin en Allemagne d'un gouvernement qui ne met pas la tête dans le sable, mais qui prend les réformes nécessaires. Et on voit également le climat des affaires en Allemagne, mesuré par des indicateurs, redevenir positif. Donc je crois qu'il y a ceux qui aujourd'hui se contentent d'une image instantanée de l'économie française, et qui effectivement voient des choses plutôt sombres, et il y a ceux qui regardent l'avenir, et ceux-là doivent avoir confiance. Et on l'a bien vu d'ailleurs à l'Université d'été du Medef, où pour la première fois.."
J'allais y faire allusion... Est-ce que ce n'est pas un peu de méthode Coué tout de même ou est-ce que vous avez le sentiment que tous ces patrons ont suffisamment d'éléments aujourd'hui pour établir que la croissance, la croissance mondiale, du fait du redémarrage que l'on observe aux Etats-Unis, est probablement peut-être en ce moment de frémir ?
- "A entendre E.-A. Seillière depuis plusieurs mois, il fallait broyer du noir. C'était une vision assez pessimiste de l'économie française."
C'est quand il voulait que vous réformiez les 35 heures...
- "Effectivement, il avait intérêt à ce que nous puissions aller très loin dans la réforme. Et cette nouvelle tonalité qui est la sienne, mais qui n'est pas seulement la sienne, qui est aussi celle de grands patrons qui observent la réalité de l'économie mondiale, elle est très intéressante, parce qu'elle montre qu'aujourd'hui, des investisseurs malins, ceux qui veulent gagner des parts de marché demain, ils ont intérêt à démarrer tout de suite, à anticiper. Ceux qui vont attendre, ceux qui attendront le dernier signal de la reprise, ceux-là vont perdre des positions par rapport à ceux qui dès aujourd'hui, et j'en connais un très grand nombre, ont décidé de jouer la carte de la confiance, d'investir, et on pourrait même dire que les consommateurs sont dans la même situation. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus facile de négocier des prix, pour acheter une voiture, pour acheter de l'électroménager, que lorsque la reprise sera venue dans quelques mois. Donc je crois que le moment opportun de la reprise, ce n'est pas dans six mois, c'est maintenant, et à ce moment-là, on verra se dessiner ceux qui, comme d'habitude, sont les pionniers, ceux qui ont confiance, ceux qui veulent investir, puis ceux qui sont à la traîne."
Oui mais là, on voit bien que vous êtes dans votre rôle, vous avez tout à fait raison, vous n'êtes pas là pour prêcher le pessimisme, mais au contraire pour inciter. Mais il y a un certain nombre de sujets qui sont quand même tout à fait lourds : la situation des finances publiques, la nécessaire réforme de l'assurance maladie - je rappelle que vraisemblablement, nous établirons un record de déficit l'année prochaine. Je ne dis pas que vous en êtes directement responsable, mais la situation étant ce qu'elle est, quel type de mesures peut-on prendre même si aujourd'hui vous incitez les Français à reprendre confiance ?
- "Des mesures de confiance : par exemple, la réforme des retraites, c'est une mesure qui est destinée à assainir la confiance des Français dans l'avenir, et des mesures de réformes. Pourquoi est-ce que nous voulons continuer la baisse des impôts ? Aujourd'hui on entend l'UDF, le PS, un certain nombre de syndicats, nous dire qu'il faut arrêter de baisser les impôts."
Ils ont une vraie logique en eux : ils vous expliquent qu'il vaut mieux consacrer cet argent à autre chose...
- "Ils disent ce qu'on a toujours dit en France, c'est-à-dire que : "allons-y, les poches du contribuable sont inépuisables, et on n'a qu'à plonger les mains dedans pour répondre à toutes les demandes sociales de la société française, qui, elles, sont infinies." Et la force de ce gouvernement, c'est précisément de ne pas écouter ces sirènes, mais de rester très ferme dans son cap. Nous avons un cap."
C'est idéologique ?
- "Je crois que renoncer à la baisse des impôts, ce serait une faute politique effectivement, parce que nous l'avons promis et nous devons le faire, mais ce serait surtout une faute économique. Aujourd'hui, il faut redonner confiance en ceux qui travaillent. Il y a des gens qui bossent en France, ils créent de la richesse, et ceux-là, pendant trop de temps, on les a considérés comme des vaches à lait. Nous disons : "ces gens qui travaillent, qui créent de la richesse, à tous les niveaux, aussi bien ceux qui payent l'impôt sur le revenu que ceux qui ne le payent pas, mais qui ne sont pas très loin des revenus d'assistance, il faut les encourager et il faut que leur pouvoir d'achat augmente, notamment grâce à la baisse des impôts." C'est la raison pour laquelle le Président de la République, et il a tout à fait raison de le faire même si c'est courageux aujourd'hui, a dit : on continue dans le chemin qu'on a inauguré."
C'est audacieux parce que ceux qui vous disent que vous êtes en train de fabriquer et d'alourdir le poids de la dette ce faisant...
- "Non, parce que les mesures de baisses d'impôts que nous prenons, vont créer de la croissance. La loi dite "Dutreil" entre en vigueur en ce moment."
Votre loi Initiative économique...
- "Elle prévoit 500 millions d'euros en moins d'impôts sur les entreprises l'année prochaine, ce n'est pas rien, et notamment sur les transmissions d'entreprises. Il est évident que ces baisses d'impôts, elles sont très utiles pour notre appareil économique. Aujourd'hui, voir nos PME françaises partir entre les mains des Américains, cela ne donne pas matière à se réjouir, donc nous voulons prendre des mesures de baisses fiscales pour inciter les gens à investir et donc à créer la croissance qui demain, nous permettra de répondre à nos besoins sociaux. Parce que ce que je dis, et je crois que les Français peuvent le comprendre, c'est qu'avant de distribuer l'argent public, il faut créer de la ressource et c'est toute notre politique économique."
On a l'impression effectivement que vous avez aussi envie de réhabiliter une société du travail. Est-ce que - et là, je fais une parenthèse - est-ce que vous êtes favorable par exemple à l'idée de supprimer un jour férié pour venir au secours des personnes dépendantes par exemple ?
- "Derrière cette proposition que J.-P. Raffarin a faite, et qui est une réponse concrète à un problème que tous les Français vivent, c'est-à-dire "comment est-ce qu'on va financer les besoins de nos aînés ?", on a besoin d'argent pour ça, on le voit bien aujourd'hui, pour moderniser les maisons de retraite, etc."
Et on en aura de plus en plus besoin...
- "Et on en aura de plus en plus besoin. Alors là, il y a deux solutions. Ou bien on augmente les impôts, et donc c'est une fois de plus cette France qui ne sait pas trouver d'autres solutions que les augmentations fiscales."
Et là, vous dites "non" ?
- "Et là, nous disons, ce n'est pas la bonne solution. On a déjà un des taux de prélèvements obligatoires les plus importants d'Europe, et cela dissuade les gens d'investir en France, d'innover, de travailler et ce n'est pas bon. Autre solution : créer plus de croissance, créer plus d'activités. Et travailler moins, cela ne crée pas de croissance ; on l'a bien vu, les 35 heures, cela ne crée pas de croissance. Travailler plus, en revanche, cela élargit l'assiette de la fiscalité, et donc ce jour en plus de travail, cela revient à dire que dans notre législation, on travaille 1 600 heures par an, il faut travailler un peu plus, et il faut travailler un peu plus pour financer des besoins sociaux supplémentaires."
Vous n'avez pas de chance, la droite, parce qu'à chaque fois que vous revenez aux affaires ces derniers temps, vous trouvez devant vous, face à vous une situation difficile sur le plan économique, sur le plan budgétaire, sur le plan financier...
- "C'est-à-dire que si on revient aux affaires, c'est généralement parce que la situation que nous laisse la gauche est difficile aussi."
En tout cas, la situation aujourd'hui, est très difficile puisqu'il y a cette affaire de la réforme de l'assurance maladie. On a un ministre, J.-F. Mattei, votre collègue qui est quelqu'un dont vous êtes proche, et ce ministre est sans doute affaibli par tout ce qui s'est passé. Je sais qu'il est très meurtri - il le dit lui-même d'ailleurs. Comment faire évoluer, comment engendrer aujourd'hui une mécanique de réforme de l'assurance maladie dans les conditions qu'on sait ? Est-ce qu'on acceptera, est-ce que les Français accepteront simplement l'idée des économies ?
- "J'ai le sentiment que d'abord en France, il y a beaucoup de forces nihilistes, c'est-à-dire qui ne proposent aucune solution et qui se contentent de dire, "Raffarin, touche à rien !" On a une sorte de continuum entre Le Pen-Bové-Blondel. Tous ces gens qui s'expriment, se contentent de dire : "On ne touche à rien et revenons le plus en arrière possible." Ce n'est pas ça, l'intérêt du pays ; l'intérêt du pays, c'est la réforme, il faut avancer. La mutation, elle est permanente, les transformations, c'est tous les jours, et donc ce gouvernement, lui, n'a pas froid aux yeux, parce qu'il s'attaque aux problèmes les plus difficiles qui ont été laissés en jachère."
Dans l'Education nationale, il recule...
- "Il ne recule pas : dans l'Education nationale, nous avons une rentrée scolaire cette semaine et cette rentrée scolaire doit bien se dérouler dans l'intérêt des enfants et je pense que les parents le comprennent et un grand nombre d'enseignants ont compris qu'ils avaient un peu joué avec le feu."
Donc pacification ?
- "Et ils ont compris, ces enseignants, que si ils veulent aussi renouer la confiance avec les enfants et les parents et les familles, ils doivent simplement travailler, c'est-à-dire remplir leur obligation de service public. Et en ce qui concerne la santé, nous le savons aujourd'hui : notre système produit beaucoup plus de dépenses que de recettes. La conjoncture ne prédispose pas l'assurance maladie à l'équilibre, c'est évident, et donc il faut trouver des solutions et Jean-François Mattei va les proposer et nous allons voir à ce moment-là si nous avons des partenaires sociaux qui sont capables de regarder vers l'avenir, d'être réformistes comme la CFDT l'a été sur les retraites, ou bien si nous avons des partenaires sociaux qui disent, "Raffarin, touche à rien !" Et ce sera très intéressant aussi pour ces forces sociales de jouer carte sur table devant les Français parce qu'on ne peut pas dire.."
Manifestement, vous avez envie de prendre les Français à témoin.
- "Oui, je crois que ce petit jeu qui consiste à dire "on ne propose pas de solutions, mais on est contre celles du gouvernement", a quand même ses limites. Il faut que chacun assume ses responsabilités et en particulier ceux qui sont des gestionnaires de l'assurance maladie, puisqu'un certain nombre de centrales syndicales gèrent l'assurance maladie, donc elles, elles ne peuvent pas se contenter de dire : surtout, pas de réforme. Je pense que notre société a besoin de devenir plus adulte, d'utiliser moins la violence, moins la confrontation, moins d'agitation verbale, ce qu'on a vu avec les intermittents, ce qu'on a vu avec les enseignants qui brûlaient le livre de L. Ferry, ce qu'on a vu avec ces cheminots qui se mettaient en grève alors qu'ils n'étaient pas concernés par la réforme des retraites. Tout cela n'est pas le signe d'une société adulte."
Vous êtes en train de dire que la solution à la crise, ce n'est certainement pas la paralysie sociale ?
- "C'est évident. La rue est le pire des endroits pour trouver des solutions, c'est un bon endroit pour exprimer les mécontentements, on l'a bien compris, c'est un bon endroit pour gêner ses concitoyens, on l'a bien compris aussi, mais ce n'est pas un bon endroit pour trouver des solutions."
Reste à mettre en uvre la méthode politique pour précisément rétablir...
- "Méthode que J.-P. Raffarin pratique : respect des autres, respect des interlocuteurs, écoute, mais décision. Un gouvernement c'est là pour décider, ce n'est pas là pour entériner les problèmes."
D'un mot, votre réforme de l'apprentissage...
- "Très important : en France, il y a des jeunes sans métier, il y a des métiers sans jeunes, donc c'est un vrai paradoxe. Il faut trouver une solution parce que l'apprentissage, c'est la voie de la réussite et quand je vois le chômage des jeunes en France, il y a plus de 400 000 jeunes sans emploi."
Cela fait vingt ans qu'on en parle...
- "J'ai la conviction que s'ils étaient passés par la formation en alternance, par l'apprentissage, ils ne seraient pas au chômage et donc c'est une bonne réforme qu'il faut mettre en oeuvre rapidement."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 1 septembre 2003)