Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la volonté du gouvernement de renforcer l'intégration des jeunes handicapés dans le système éducatif, Avrillé le 8 septembre 2003.

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Circonstance : Déplacement en Maine-et-Loire le 8 septembre 2003-intervention à l'école Pierre et Marie Curie à Avrillé

Texte intégral

Je voudrais vous remercier de votre temps et de votre travail. Je suis venu ici parce que j'ai eu des conversations avec M. Lafineur au Parlement, sur un certain nombre d'initiatives que nous voulons prendre. Et nous avons le souhait de renforcer l'intégration des jeunes handicapés dans notre système éducatif. Nous avons, d'une manière générale d'ailleurs, une volonté d'intégration dans la société française. Nous pensons vraiment qu'une des difficultés de notre société est le cloisonnement, et c'est vrai de beaucoup de communautés, de gens qui, à un moment ou à un autre, se définissent par une spécificité - le handicap en est une - et s'enferment dans cette spécificité très longtemps. Et donc on a, dans la société française, des barrières à faire tomber, et notamment l'école et l'école républicaine, doit être le lieu où on fait tomber toutes les barrières qui peuvent - toutes ne [le] peuvent pas, mais un certain nombre le peuvent. Et en discutant avec M. Lafineur sur les initiatives que vous preniez ici, et en comparant avec ce que nous faisons, on a essayé de multiplier le nombre d'assistants de vie scolaire pour l'accueil des handicaps, on va faire en sorte que les personnes handicapées, les jeunes enfants handicapés voient les effectifs des personnes qui sont auprès d'eux dans l'école, multipliés par six. On va investir dans cette politique.
Mais au-delà de ça, je voudrais sentir ce que les maîtres, ce que les parents ressentent et voient comme ligne d'action. Parce que, ce qui apparaît c'est l'idée de fraternité, qui est une des devises de la République et qui ne se pratique pas si souvent que ça dans notre société, et au fond, dans ce que j'ai entendu, quelques enseignants me l'ont confirmé tout à l'heure, c'est-à-dire qu'un enfant qui a un handicap dans une classe, c'est bon pour lui, mais c'est bon pour les autres. On ne traite pas là le problème d'une minorité des Français : on traite là le problème d'une majorité de Français. Donc, c'est un point qui est à apprécier et il faut voir comment vous l'appréciez. Mais c'est un point qui est très important par rapport à toutes les idées de lieux spécialisés. Ouvrir les démarches, c'est un point très important. Notamment avec les enseignants et les parents, je voudrais qu'on approfondisse un peu cette question.
Deuxièmement, je voudrais qu'on puisse voir un peu comment se passent, selon vous, la pédagogie, la transmission du savoir, parce que nous avons des objectifs globaux de transmission du savoir. L'école n'est pas un lieu sans effort, sans objectif, donc il faut avoir des résultats. Donc, quels sont les effets sur la pédagogie ? Quels sont les effets sur les valeurs et quels sont les effets sur la pédagogie ?
Et puis, quels sont, troisièmement, les moyens nécessaires, les moyens tels que vous les ressentez en termes humains, mais en termes aussi peut-être techniques, technologiques ? Parce qu'on voit bien qu'il y a un certain nombre d'outils qu'il faut adapter aux circonstances. Donc, là, il y a aussi des sujets sur lesquels, il nous faut réfléchir et travailler. On travaille beaucoup avec L. Ferry et avec M.-T. Boisseau sur cette idée d'une société beaucoup plus ouverte. Au fond, très souvent, on travaille avec les associations de parents d'enfants handicapés, avec beaucoup d'interlocuteurs et on est toujours un peu dans cette dialectique où finalement, très souvent, pour le handicap, l'idéal, ce serait que la société ne voie pas le handicap, qu'on ait suffisamment fait l'intégration pour que le handicap ne soit pas prévu, mais il faut quand même l'identifier pour le traiter. Donc, il faut à la fois cette identification et aussi ce non-isolement, parce qu'il y a trop d'isolement sur ces sujets. C'est pour cela que j'ai souhaité, avec les contacts qu'avait le ministre de l'Education, avec les contacts qu'avait le député-maire, parler avec vous de ces sujets, parce que, à mon avis, vous êtes un peu expérimental et quelque peu en avance, et nous voulons aller plus loin dans cette direction à partir des leçons que vous tirez vous-mêmes. C'est pour cela que je serais heureux de vous entendre.
Je voudrais d'abord vous remercier de ce vécu authentique que vous délivrez. Je vois bien que vous avez construit quelque chose de très important. Je vois bien qu'il ne faut pas qu'Avrillé soit une exception, donc il faut beaucoup d'Avrillé en France. Mais je vois bien aussi que votre démarche est contraire à l'esprit de système ; votre démarche, c'est l'esprit humain, c'est cette humanisation maximale. Que ce soient la sphère des enfants, la sphère des enseignants, la sphère des parents, la sphère des collectivités, en fait, on sent bien que vous avez impliqué plusieurs sphères, qu'un esprit de système ne serait pas forcément plus performant que ce que vous avez créé. Toute la difficulté est là : c'est qu'il faut rendre contagieux ce type d'initiative. Mais vous avez là un mélange du social et de l'éducatif, du territorial et de la société civile. On voit bien que vous trouvez un équilibre qui est assez exceptionnel. Et au fond, ce n'est pas une décision administrative qui peut généraliser Cela peut être des moyens, ça peut être par la capacité à avoir plus d'instituts, plus de capacité dans la responsabilité des parents, plus de moyens techniques, plus d'AVS, plus d'un certain nombre de choses comme ça. Mais globalement, il faut ce métissage des volontés que vous avez réalisé, et des talents et du cur que vous mettez. Je pense que c'est cela qui est assez frappant quand on entend ce que vous dites.
Je vois d'abord ce premier métissage, qui me paraît très important entre parents. Cet accueil des parents, des parents ont déjà des enfants à l'école, qui n'ont pas une attitude frileuse vis-à-vis des enfants qui viennent ici avec un handicap, c'est un élément très important, parce que si les parents avaient des réticences, les enfants les auraient aussi. Et tout ceci se répandrait. La communauté des parents, vous l'avez souligné tout de suite au départ, est un élément exemplaire. Je crois qu'il faut renforcer ce type d'attitude.
Deuxièmement - c'est sans doute une des conditions du fonctionnement du système -, c'est la formation, l'aspect professionnel et dévouement de l'enseignement et de l'enseignant. C'est-à-dire qu'à la fois, on voit bien qu'il y a besoin d'ouverture - on a vu que quelques-uns pouvaient avoir peur et donc de ne pas être ouverts -, mais on voit qu'il y a aussi des besoins de formation, parce que tout ceci n'est pas du hasard et ce n'est pas simplement que de la relation humaine. C'est derrière, un professionnalisme, un transfert avec les AVS de ce professionnalisme progressif, de manière à savoir comment on peut valoriser tout ce savoir-faire, qui est à la fois reconnaître une spécificité et gérer une intégration, qui est un problème d'ailleurs qu'on voit dans la société dans bien d'autres domaines.
Je pense que cela, c'est aussi un des points qui est assez frappant pour les parents comme pour les enfants : c'est qu'il faut reconnaître l'identité, il faut assumer l'intégration. C'est un sujet d'ailleurs qui est un sujet général. Quand vous dites que les enfants handicapés ensemble, peuvent trouver intérêt à se voir et à se parler, c'est en fait la reconnaissance de leur identité. Mais que cette identité reconnue ne soit pas un obstacle à l'intégration. Notre problème, c'est qu'on fait de l'identité une barrière. Notre problème est de faire de l'identité une ouverture. D'où l'importance de ce que vous disiez sur Rebecca tout à l'heure. Il se trouve que j'ai croisé Rebecca qui est touchante de bonheur. Au fond, quand je la voyais sur ce tableau, je me disais : vraiment, quel travail les enseignants ont fait pour donner à cette jeune enfant cette envie d'apprendre, ce besoin d'apprendre ! Si non seulement, elle a cette envie pour elle, qui lui donne un bonheur intérieur, cette lumière qu'elle ne voit pas, mais qu'elle porte en elle-même, si les autres enfants la ressentent, là, c'est vraiment un succès pédagogique dont les maîtres ici et les maîtresses doivent être particulièrement très fiers, parce que c'est vraiment une double lumière, celle-là : la lumière de la personne et la lumière de l'autre. Et ce point est très important.
Au fond, on est plus là un peu comme dans un système expérimental. Il ne faut pas inventer l'industrialisation du système, mais la multiplication de l'expérimentation, la contagion des bonnes pratiques - départements, villes, régions, quand il s'agira du lycée, parce que tout ceci va avancer. Il se trouve que vous êtes un peu pionnier. C'est normal que cela commence par l'école maternelle et puis par le premier degré, parce qu'il est évident qu'il y a d'autres initiatives qui se font dans les collèges ou dans les lycées, mais disons que là, il y a quelque chose qui doit pouvoir trouver son prolongement progressif. Parce que nous sommes quand même dans une société qui est en train de changer face aux personnes handicapées, Marie-Thérèse, avec notamment la réforme de la loi de 75, où nous voulons vraiment changer les choses. Et donc là, il faut vraiment transformer ; cela prendra quand même du temps, quels que soient les efforts, quelles que soient les lois. Et ce temps, il faut le développer par la contagion des bonnes pratiques et au fond, se dire que ce qui est vécu à l'école maternelle, à l'école primaire, peut être vécu au collège, peut être vécu au lycée, par une sorte de contagion positive. C'est un élément important.
Je voudrais dire enfin que ce qui me paraît aussi très important dans le dispositif, c'est qu'on a cette coresponsabilité, parce qu'il est évident qu'on ne pourra pas mettre derrière chaque enfant un dispositif éducatif spécifique. Il faut pouvoir trouver financièrement, matériellement Il ne faut pas dire des choses qui ne sont pas exactes. Donc, il faut pouvoir trouver cet accompagnement personnel qui est nécessaire avec les souplesses du système pour que, quand il en a besoin, il trouve ce lien personnel. Et que le lien personnel puisse exister sans en faire forcément toujours le principe, parce qu'on voit bien d'ailleurs que l'enfant lui-même a besoin, de temps en temps, d'être reconnu comme différent et, de temps en temps, de vouloir nier sa différence. Il a cette double demande et il faut pouvoir répondre à cette double demande, parce que de temps en temps - mais c'est vrai de toutes les personnes handicapées - on voit bien que par moment, le handicap est identitaire, et par moment, le handicap est quelque chose qui, au contraire, est une exclusion. Donc, il nous faut travailler dans ces circonstances.
Je voudrais vraiment remercier la communauté éducative de cette école, monsieur le directeur, chacune et chacun dans ses responsabilités, parce que, ce que vous faites est ce qu'il y a de plus humaniste, de plus - je ne sais pas comment dire -, de plus chaleureux qui puisse se faire dans une organisation sociale. C'est au fond de permettre à des enfants, et d'avoir un épanouissement personnel, et en même temps d'avoir une communauté humaine qui assume un projet collectif que vous réalisez tous, qui a une vraie dimension. Et je pense que c'est un peu cela aujourd'hui, la valeur du système éducatif. On l'a vu souvent comme une administration, le système éducatif ; c'est avant tout cette valorisation humaine de la personne, quel que soit le niveau de la personne, quels que soient les problèmes de la personne, de lui trouver l'environnement humain qui lui permette de tracer sa route. C'est cela, le message d'Avrillé et c'est pour cela qu'à chacune et à chacun d'entre vous, je voudrais dire vraiment - c'est un peu solennel, mais cela existe un peu quand même -, au nom du pays, une vraie gratitude à chacun et à chacune d'entre vous, parce que je pense que cet exemple-là est porteur d'espoir pour beaucoup de gens qui ont le parcours du combattant. Mais vous le savez, rien de tel que des gens qui ont défriché le parcours pour donner le moral aux autres de pouvoir avancer.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 16 septembre 2003)