Déclarations de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, en réponse à une question sur l'hommage aux victimes arméniennes des massacres de 1915 dans l'Empire ottoman, à l'Assemblée nationale le 21 avril 1998.

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Circonstance : Commémoration du génocide arménien du 24 avril 1915

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Madame la Députée,
Comme vous le savez, la France est très attachée à ses liens avec le peuple d'Arménie, dont de nombreux fils se sont intégrés à notre communauté nationale. Ces liens sont plus vigoureux aujourd'hui que jamais, depuis l'indépendance de la République d'Arménie, avec laquelle nous entretenons des relations à la fois très denses et très chaleureuses.
Vous savez aussi que nous jouons un rôle particulier dans le processus de paix visant à mettre fin au conflit du Haut-Karabakh et à permettre à l'Arménie de consacrer ses efforts à sa reconstruction économique et politique.
C'est selon cette perspective que nous avons accepté la co-présidence avec les Etats-Unis et la Russie du Groupe de Minsk, de l'OSCE, chargé de la médiation entre les parties au conflit. Nous attendons de cette médiation qu'elle facilite la normalisation des relations entre l'Arménie et la Turquie, la levée des blocus décidés par la Turquie par solidarité avec l'Azerbaïdjan, et l'établissement de relations diplomatiques et de bon voisinage entre ces deux nations destinées à vivre côte à côte. En cela, nous sommes tout à fait convaincus de défendre l'intérêt bien compris et l'avenir de la nouvelle République d'Arménie.
C'est dans ce contexte qu'à de nombreuses occasions, le gouvernement français a déjà évoqué la question des massacres des Arméniens commis dans les dernières années de l'Empire ottoman, sous le régime dominé alors par le parti nationaliste turc et avant l'instauration de l'actuelle République de Turquie. Le gouvernement français a évoqué ces événements dans des termes clairs que le gouvernement d'Arménie connaît bien, et dont il comprend parfaitement toute la portée. On ne peut pas falsifier les faits. Il est établi qu'une large part de la population arménienne de l'ancien Empire ottoman a été exterminée entre 1915 et 1916. Nul ne saurait le nier. Nous avons appelé plusieurs fois la Turquie à ouvrir ses archives à tous les historiens qui étudient ces événements. Nous accueillons comme un signe positif, même s'il est insuffisant, la publication récente en turc d'ouvrages historiques relatifs à ces événements. Mais il faut aller plus loin dans la poursuite de la vérité historique et faire toute la lumière sur cette triste, cette sinistre période. Il faut que les chercheurs puissent mener leurs investigations en toute liberté, en toute objectivité, afin d'établir clairement les responsabilités.
Il ne peut, pour nous, être question d'oublier. D'innombrables familles ont été touchées dans leur chair, et garde le souvenir de cette immense tragédie. La France est fière d'avoir accueilli par dizaines de milliers les rescapés qui, avec leurs descendants, constituent aujourd'hui une partie de notre communauté nationale, et ont créé une partie inestimable de notre patrimoine historique, artistique, littéraire. Plusieurs ont écrit des pages glorieuses de notre histoire, tels ceux dont l'Affiche rouge a immortalisé les noms. La France rend avec eux hommage aux victimes des massacres de 1915 et salue leur mémoire.
A quelques jours de la date anniversaire du 24 avril, qui vit, en 1915, le déclenchement de ces massacres. Le gouvernement s'associe au deuil et au recueillement de tous nos compatriotes d'origine arménienne et de tous les Arméniens./.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Monsieur le Député,
Je ne reviens sur ce qui faisait le corps de ma réponse, il y a quelques instants : d'abord, nos liens d'amitié avec l'Arménie, ensuite les paroles prononcées, la reconnaissance qui a été faite depuis longtemps par les gouvernements français des massacres, de l'extermination du peuple arménien. Tout cela s'est déroulé en 1915 et nous sommes proches de cette date-anniversaire à laquelle nous nous associons et nous manifestons notre deuil aux côtés du peuple arménien.
C'est vrai qu'il y a, autour de cette question, des positions d'organes internationaux et une sensibilité démocratique. Il y a aussi une sensibilité diplomatique du côté de nos amis turcs.
Cela dit, je n'hésite pas à le dire, à titre personnel, pourquoi ne pas reconnaître que ces massacres, que ces exterminations ont pu revêtir le caractère d'un génocide ? Dès lors, n'avons-nous pas aussi le devoir d'en tirer les conséquences du point de vue de la mémoire ?./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2001)