Texte intégral
Q - Après l'attentat à Bagdad, qui a coûté la vie à 24 personnes dont Sergio Veira de Mello, est-ce que vous estimez qu'il faudrait repenser le rôle de l'ONU en Irak ?
R - La vraie question est de savoir s'il ne faut pas repenser l'action même qui est engagée en Irak, non pas seulement celle de l'ONU mais celle de l'ensemble des parties, y compris de la coalition. La question que nous nous posons, c'est de savoir si la logique dans laquelle nous sommes engagés, qui est une logique essentiellement sécuritaire, est la bonne. Nous pensons qu'il faudrait très rapidement substituer à une logique d'occupation une logique de souveraineté.
La condition essentielle, c'est de reconnaître la souveraineté irakienne, c'est que les Irakiens puissent avoir le sentiment d'être véritablement aux commandes, de reprendre en main leur destin. Je crois que c'est le point de départ général.
Q - Comment se situe, par rapport à ce que vous dites, cette initiative américaine, actuellement, de proposer une nouvelle résolution de l'ONU, afin que le contingent international soit élargi en Irak ?
R - Nous sommes effectivement confrontés à un grand choix qui est celui de continuer ou pas à agir dans une certaine ambiguïté. Mais continuer ainsi ne répond pas à la situation sur le terrain, qui est à la fois une situation de décomposition, de démobilisation du peuple irakien, et en même temps une logique de confrontation avec un piège, au bout du compte, du fait du regroupement en Irak d'un certain nombre de forces nationalistes, islamiques et terroristes. Face à cela, faut-il rentrer dans une surenchère sécuritaire ? Je n'en suis pas sûr.
Q - La France demandait une résolution mais ce n'est pas celle qui est en train de se préparer apparemment ?
R - La France estime que la première exigence est de renforcer l'autorité du Conseil de gouvernement irakien, et très rapidement de s'engager vers un gouvernement provisoire avec une perspective d'élection, dans un calendrier très resserré, peut-être avec une échéance d'ici la fin de l'année, pour élire une assemblée constituante. Il y a une nécessité dans ce sens, reconnaître véritablement cette souveraineté irakienne en liaison avec l'ensemble des pays de la région, en liaison avec les organisations régionales, la Ligue arabe, l'Organisation de la conférence islamique.
Q - Et c'est tout cela que vous voudriez voir dans une résolution ?
R - C'est la condition du succès. Sans quoi, le risque, c'est de voir le piège irakien s'approfondir, c'est de voir ce cycle de violence s'aggraver. Nous le constatons aujourd'hui : la violence n'épargne rien ni personne - adduction d'eau, oléoducs, l'ambassade de Jordanie, l'ONU, les forces américaines - c'est donc une profonde émotion quotidienne de voir tous ces morts.
Q - Je relis un extrait de votre discours au Conseil de sécurité le 14 février, avant l'intervention. Vous disiez : "l'option de la guerre peut apparaître a priori la plus rapide mais après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Ce sera long et difficile et il faudra préserver l'unité de l'Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans le pays". Vous pouvez dire aujourd'hui que vous aviez vu juste ?
R - Ce n'est pas le sujet. Le sujet aujourd'hui, c'est de trouver des solutions. C'est bien ce que nous voulons faire avec nos partenaires de la communauté internationale, avec nos amis américains, en abordant cela dans un esprit constructif.
Q - Cela renforce votre position auprès des Américains d'avoir dit cela ?
R - C'est de trouver la bonne analyse et donc la bonne réponse qui compte. Rien ne serait pire que de colmater les brèches, de partir sur de mauvaises bases en se fondant sur des solutions bricolées parce que cela ne permettrait pas véritablement de répondre à la situation d'urgence que nous connaissons en Irak.
Q - Un mot sur Israël et la Palestine. C'est une nouvelle fois la fin de la trêve. Colin Powell, le secrétaire d'Etat américain, a appelé hier la communauté internationale à faire pression pour mettre fin à la violence du Hamas. Concrètement, que peut-on faire ?
R - Nous sommes à nouveau dans un cycle tragique dans cette région. Nous l'avons vu avec le terrible attentat de Jérusalem frappant des civils, des enfants. Comment faire pour arrêter cela ? Le Premier ministre palestinien a prononcé des paroles très fortes. Il faut agir face à ces mouvements radicaux, faire en sorte que cette violence puisse véritablement s'interrompre. Les pays européens, qui ont multiplié les initiatives pour placer sur leur liste des terroristes un certain nombre de ces mouvements, examineront la situation et ce qu'il convient de faire de façon appropriée. Mais cela ne suffit pas. Il faut véritablement accélérer ce processus.
Q - Comment ?
R - En crédibilisant la paix. Nous en restons en permanence, dans cette région, aux préliminaires. Nous en restons à une expectative. Il faut résolument que du côté israélien l'on s'engage à se retirer des territoires, il faut libérer les Palestiniens pour que ceux-ci puissent avoir le sentiment que leur vie va changer. Il faut du côté palestinien renoncer aux attentats de façon extrêmement claire et c'est alors que nous pourrons véritablement passer à de nouvelles étapes mais qu'il faut rendre très crédibles. Je pense à une conférence internationale, à des élections palestiniennes. Je pense éventuellement à un déploiement de forces dans la région. Il y a là des étapes indispensables et il est important d'élargir la capacité d'action de la communauté internationale. Les Etats-Unis ne peuvent pas le faire seuls. Il faut que le Quartet et l'Europe se réinvestissent et que chacun prenne ses responsabilités.
Q - Sur la Libye, la France menace de mettre son veto à la levée des sanctions contre ce pays si n'est pas renégociée l'indemnisation des familles qui ont été victimes d'un attentat contre un avion UTA en 1989, indemnisation qui est très inférieure à ce que les Anglais obtiennent à propos d'un autre attentat de la Pan Am en 1988. La France va utiliser un délai qu'elle a maintenant obtenu pour que le vote sur les sanctions soit repoussé. Comment va-t-on utiliser ce délai ?
R - Nous sommes d'accord et nous soutenons le principe de la levée des sanctions. Mais nous défendons aussi le principe d'équité. Comment réconcilier les deux ? Les familles des victimes ont engagé des discussions avec la fondation du fils du colonel Kadhafi pour essayer d'arriver à une situation qui soit respectueuse du droit des victimes et ne donne pas lieu au décalage que nous constatons aujourd'hui, avec des indemnisations 300 fois inférieures à ce qui est fait dans d'autres cas. Il y a là une situation qui, pour la France, ne peut être acceptée. Nous l'avons dit à nos partenaires.
Q - Ils l'ont compris ?
R - Ils l'ont compris puisqu'ils ont accepté de reporter ce vote. Nous souhaitons trouver une solution. Les représentants des familles des victimes sont partis en Libye, hier, après que je les ai rencontrés. Nous avons mis à leur disposition un avion pour ce faire, et nous voulons espérer que dans les prochaines heures, ces discussions pourront aboutir. Il appartient évidemment aux Libyens de trouver la solution avec les familles des victimes. Je crois que c'est possible. Nous voulons aboutir.
Q - On dit qu'après les restrictions très strictes du budget du ministère des Affaires étrangères, le fonctionnement même de l'administration pourrait être affecté ?
R - La situation budgétaire - chacun des ministres en est conscient - est une situation difficile. Il est important que chacun puisse de ce fait assumer sa responsabilité. Il faut le faire dans cette période et nous le faisons. Parallèlement, nous réformons le Quai d'Orsay en profondeur pour le rendre plus efficace, pour l'adapter, et permettre à nos moyens d'action d'être parfois mieux utilisés. C'est donc une double exigence : à la fois bien sûr faire des économies mais en même temps se réformer de façon à permettre à cet outil d'être pleinement adapté. Je ne vous dirai pas que les choses sont faciles mais nous travaillons dans un esprit positif et chacun de nos diplomates connaît bien les contraintes et a à coeur de donner le meilleur de lui-même.
Q - Tous les autres ministères qui ont des services à l'étranger, à commencer par celui de l'Economie, pourraient faire les mêmes économies que le Quai d'Orsay ?
R - Dans les réformes auxquelles nous travaillons, il y a bien sûr le souci d'avoir une vision globale de l'action extérieure de l'Etat dans laquelle le Quai d'Orsay n'occupe qu'une partie, moins de la moitié. Il y a là une nécessité de cohérence et nous travaillons y compris dans cet esprit sur la nouvelle loi de finances.
Q - Merci Dominique de Villepin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 Août 2003)
R - La vraie question est de savoir s'il ne faut pas repenser l'action même qui est engagée en Irak, non pas seulement celle de l'ONU mais celle de l'ensemble des parties, y compris de la coalition. La question que nous nous posons, c'est de savoir si la logique dans laquelle nous sommes engagés, qui est une logique essentiellement sécuritaire, est la bonne. Nous pensons qu'il faudrait très rapidement substituer à une logique d'occupation une logique de souveraineté.
La condition essentielle, c'est de reconnaître la souveraineté irakienne, c'est que les Irakiens puissent avoir le sentiment d'être véritablement aux commandes, de reprendre en main leur destin. Je crois que c'est le point de départ général.
Q - Comment se situe, par rapport à ce que vous dites, cette initiative américaine, actuellement, de proposer une nouvelle résolution de l'ONU, afin que le contingent international soit élargi en Irak ?
R - Nous sommes effectivement confrontés à un grand choix qui est celui de continuer ou pas à agir dans une certaine ambiguïté. Mais continuer ainsi ne répond pas à la situation sur le terrain, qui est à la fois une situation de décomposition, de démobilisation du peuple irakien, et en même temps une logique de confrontation avec un piège, au bout du compte, du fait du regroupement en Irak d'un certain nombre de forces nationalistes, islamiques et terroristes. Face à cela, faut-il rentrer dans une surenchère sécuritaire ? Je n'en suis pas sûr.
Q - La France demandait une résolution mais ce n'est pas celle qui est en train de se préparer apparemment ?
R - La France estime que la première exigence est de renforcer l'autorité du Conseil de gouvernement irakien, et très rapidement de s'engager vers un gouvernement provisoire avec une perspective d'élection, dans un calendrier très resserré, peut-être avec une échéance d'ici la fin de l'année, pour élire une assemblée constituante. Il y a une nécessité dans ce sens, reconnaître véritablement cette souveraineté irakienne en liaison avec l'ensemble des pays de la région, en liaison avec les organisations régionales, la Ligue arabe, l'Organisation de la conférence islamique.
Q - Et c'est tout cela que vous voudriez voir dans une résolution ?
R - C'est la condition du succès. Sans quoi, le risque, c'est de voir le piège irakien s'approfondir, c'est de voir ce cycle de violence s'aggraver. Nous le constatons aujourd'hui : la violence n'épargne rien ni personne - adduction d'eau, oléoducs, l'ambassade de Jordanie, l'ONU, les forces américaines - c'est donc une profonde émotion quotidienne de voir tous ces morts.
Q - Je relis un extrait de votre discours au Conseil de sécurité le 14 février, avant l'intervention. Vous disiez : "l'option de la guerre peut apparaître a priori la plus rapide mais après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Ce sera long et difficile et il faudra préserver l'unité de l'Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans le pays". Vous pouvez dire aujourd'hui que vous aviez vu juste ?
R - Ce n'est pas le sujet. Le sujet aujourd'hui, c'est de trouver des solutions. C'est bien ce que nous voulons faire avec nos partenaires de la communauté internationale, avec nos amis américains, en abordant cela dans un esprit constructif.
Q - Cela renforce votre position auprès des Américains d'avoir dit cela ?
R - C'est de trouver la bonne analyse et donc la bonne réponse qui compte. Rien ne serait pire que de colmater les brèches, de partir sur de mauvaises bases en se fondant sur des solutions bricolées parce que cela ne permettrait pas véritablement de répondre à la situation d'urgence que nous connaissons en Irak.
Q - Un mot sur Israël et la Palestine. C'est une nouvelle fois la fin de la trêve. Colin Powell, le secrétaire d'Etat américain, a appelé hier la communauté internationale à faire pression pour mettre fin à la violence du Hamas. Concrètement, que peut-on faire ?
R - Nous sommes à nouveau dans un cycle tragique dans cette région. Nous l'avons vu avec le terrible attentat de Jérusalem frappant des civils, des enfants. Comment faire pour arrêter cela ? Le Premier ministre palestinien a prononcé des paroles très fortes. Il faut agir face à ces mouvements radicaux, faire en sorte que cette violence puisse véritablement s'interrompre. Les pays européens, qui ont multiplié les initiatives pour placer sur leur liste des terroristes un certain nombre de ces mouvements, examineront la situation et ce qu'il convient de faire de façon appropriée. Mais cela ne suffit pas. Il faut véritablement accélérer ce processus.
Q - Comment ?
R - En crédibilisant la paix. Nous en restons en permanence, dans cette région, aux préliminaires. Nous en restons à une expectative. Il faut résolument que du côté israélien l'on s'engage à se retirer des territoires, il faut libérer les Palestiniens pour que ceux-ci puissent avoir le sentiment que leur vie va changer. Il faut du côté palestinien renoncer aux attentats de façon extrêmement claire et c'est alors que nous pourrons véritablement passer à de nouvelles étapes mais qu'il faut rendre très crédibles. Je pense à une conférence internationale, à des élections palestiniennes. Je pense éventuellement à un déploiement de forces dans la région. Il y a là des étapes indispensables et il est important d'élargir la capacité d'action de la communauté internationale. Les Etats-Unis ne peuvent pas le faire seuls. Il faut que le Quartet et l'Europe se réinvestissent et que chacun prenne ses responsabilités.
Q - Sur la Libye, la France menace de mettre son veto à la levée des sanctions contre ce pays si n'est pas renégociée l'indemnisation des familles qui ont été victimes d'un attentat contre un avion UTA en 1989, indemnisation qui est très inférieure à ce que les Anglais obtiennent à propos d'un autre attentat de la Pan Am en 1988. La France va utiliser un délai qu'elle a maintenant obtenu pour que le vote sur les sanctions soit repoussé. Comment va-t-on utiliser ce délai ?
R - Nous sommes d'accord et nous soutenons le principe de la levée des sanctions. Mais nous défendons aussi le principe d'équité. Comment réconcilier les deux ? Les familles des victimes ont engagé des discussions avec la fondation du fils du colonel Kadhafi pour essayer d'arriver à une situation qui soit respectueuse du droit des victimes et ne donne pas lieu au décalage que nous constatons aujourd'hui, avec des indemnisations 300 fois inférieures à ce qui est fait dans d'autres cas. Il y a là une situation qui, pour la France, ne peut être acceptée. Nous l'avons dit à nos partenaires.
Q - Ils l'ont compris ?
R - Ils l'ont compris puisqu'ils ont accepté de reporter ce vote. Nous souhaitons trouver une solution. Les représentants des familles des victimes sont partis en Libye, hier, après que je les ai rencontrés. Nous avons mis à leur disposition un avion pour ce faire, et nous voulons espérer que dans les prochaines heures, ces discussions pourront aboutir. Il appartient évidemment aux Libyens de trouver la solution avec les familles des victimes. Je crois que c'est possible. Nous voulons aboutir.
Q - On dit qu'après les restrictions très strictes du budget du ministère des Affaires étrangères, le fonctionnement même de l'administration pourrait être affecté ?
R - La situation budgétaire - chacun des ministres en est conscient - est une situation difficile. Il est important que chacun puisse de ce fait assumer sa responsabilité. Il faut le faire dans cette période et nous le faisons. Parallèlement, nous réformons le Quai d'Orsay en profondeur pour le rendre plus efficace, pour l'adapter, et permettre à nos moyens d'action d'être parfois mieux utilisés. C'est donc une double exigence : à la fois bien sûr faire des économies mais en même temps se réformer de façon à permettre à cet outil d'être pleinement adapté. Je ne vous dirai pas que les choses sont faciles mais nous travaillons dans un esprit positif et chacun de nos diplomates connaît bien les contraintes et a à coeur de donner le meilleur de lui-même.
Q - Tous les autres ministères qui ont des services à l'étranger, à commencer par celui de l'Economie, pourraient faire les mêmes économies que le Quai d'Orsay ?
R - Dans les réformes auxquelles nous travaillons, il y a bien sûr le souci d'avoir une vision globale de l'action extérieure de l'Etat dans laquelle le Quai d'Orsay n'occupe qu'une partie, moins de la moitié. Il y a là une nécessité de cohérence et nous travaillons y compris dans cet esprit sur la nouvelle loi de finances.
Q - Merci Dominique de Villepin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 Août 2003)