Texte intégral
Merci à Jackie Drouet, président départemental du MRC, à Maurice Schwartz, secrétaire général, à Paul Collin, Jean-Claude Demougin et à l'équipe des militants du Territoire de Belfort et de la rue du Faubourg-Poissonnière pour la parfaite organisation de cette Université. Merci aussi aux intervenants et animateurs des tables rondes : Sami Naïr sur l'Europe, Marie-Françoise Bechtel sur la décentralisation, Henri Pena-Ruiz sur l'Ecole, Jacques Nikonoff, président d'Attac, sur la mondialisation. L'afflux des participants (plus de six-cents) autant que l'exceptionnelle qualité des interventions font de cette Université d'été un grand succès.
En cette rentrée 2003, l'humeur du pays est faite d'une morosité teintée d'impatience. Morosité d'abord, parce que le pays n'a pas compris ce qui lui est arrivé. Il ne se reconnaissait dans le projet d'aucun des deux candidats institutionnels à la présidence de la République, et pour cause il n'y en avait pas ! L'élection de Jacques Chirac n'a procédé que d'un sursaut républicain, certes puissant, mais en aucune manière d'un choix de société. Quant à la gauche plurielle elle était morte bien avant 2002.
Pour ce qui me concerne, le crime que les dirigeants socialistes m'imputent, en renversant les rôles, est d'avoir refusé le vide dans lequel nous étions enfermés et d'avoir cherché à proposer au pays le projet républicain dont il a besoin. Pour y parvenir, il y a encore beaucoup de pain sur la planche.
La France est morose aussi parce qu'elle pressent un avenir difficile face auquel elle se sent désarmée. Hiver démographique, récession économique, enfermement de la construction européenne dans un schéma libéral et monétariste, inféodation à la politique du dollar, mise à l'encan des services publics, fuite en avant, à l'OMC, dans la mondialisation libérale, guerre des civilisations montant à l'horizon, l'avenir, de tous côtés, paraît chargé de nuages.
La colère qui perce sous la morosité ambiante vient de ce que nos concitoyens voient bien que les moyens de faire face -sauf peut-être dans la crise irakienne- ne sont pas pris. La France n'attend pas grand-chose de la droite enfermée dans sa courte vision des choses, mais elle n'attend pas grand-chose non plus d'une gauche aujourd'hui écartelée entre son pôle gestionnaire et son pôle de radicalité, et dépourvue d'un projet à la fois ambitieux et solide qui lui permettrait de transcender ses différences.
La France a besoin d'un projet solide et ambitieux à la fois.
La France avait besoin d'un projet qui la redresse, lui donne sens et conscience de son rôle. C'est ce qu'avec moi vous lui avez proposé, en prenant appui sur les valeurs de la citoyenneté, de la laïcité, de l'égalité sociale. Même si le résultat du premier tour ne nous a pas mis en mesure de peser, notre message, avec plus d'un million et demi de voix, a rencontré un écho certain dans le pays. C'est ce qui, aujourd'hui encore, fait notre force, car le pays ne retrouvera confiance en la gauche que si celle-ci, refondée sur les valeurs de la République, se montre capable de réconcilier le besoin de sens et l'éthique de la responsabilité, bref, lui offre un projet ambitieux et solide à la fois.
Au cours des six derniers mois, notre pays s'est mobilisé :
Contre la guerre en Irak et la prétention exorbitante des Etats-Unis de George Bush de vouloir régenter l'univers.
Pour la défense des services publics et contre une pseudo-décentralisation qui menace de tourner au démantèlement de l'Etat républicain.
Saluons à cet égard la lutte des enseignants pour le maintien de l'unité de l'Ecole, cur et fondement de la République. Pour le MRC, l'Ecole reste le grand combat prioritaire. Saluons aussi la lutte de nos concitoyens de Corse qui, malgré l'incroyable mobilisation de la droite, du PS et des indépendantistes, ont refusé, derrière Emile Zuccarelli, d'être traités à part et mis à l'écart de la communauté nationale dans un statut de quasi territoire d'Outre-Mer. Je salue Jean Zuccarelli et Daniel Guérin. Emile Zuccarelli mérite le titre de meilleur républicain de l'année. Son nom, depuis que les mêmes combats nous réunissent, au moins depuis 1991, quand le grand et regretté Roland Carraz et lui-même disaient non au concept ethnique d'un soi-disant " peuple corse ", le nom d'Emile Zuccarelli est symbole de rectitude, de rigueur, de courage et de continuité. En votant pour le maintien des départements, nos concitoyens de Corse ont surtout voté pour le maintien de la Corse dans la République. Devant la vague de violences qui s'est déclenchée pour battre en brèche les résultats du suffrage universel, on aimerait que le gouvernement adopte une attitude plus ferme et cesse de manifester sa complaisance à l'égard de la minorité indépendantiste. La voie ouverte par le processus de Matignon a été fermée par le suffrage universel : la majorité de nos concitoyens de Corse a dit non aux évolutions statutaires réclamées par les indépendantistes. Il ne s'agit pas de réintroduire par la fenêtre ce qui a été sorti par la grande porte de la démocratie, comme M. Raffarin le laisse entendre dans son interview du Figaro pour après les élections territoriales de mars prochain. Le Président de la République disait que la Corse a moins besoin d'un rafistolage institutionnel que de développement et de sécurité. M. Raffarin nous parle d'un Plan " Corse 2010 ". Le FLNC élabore une plate-forme tout en multipliant les attentats. Les gouvernements français sont les meilleurs alliés des indépendantistes ! Nous demandons à Jacques Chirac de mettre de l'ordre dans ce " foutoir " si je puis dire, conformément aux engagements qu'il a pris pendant la campagne électorale ! Cette disponibilité permanente pour le rafistolage institutionnel est ce qui encourage la violence. Le gouvernement, au lieu d'encourager les indépendantistes, doit montrer la voie de la fermeté républicaine.
La question des retraites a permis aussi que s'exprime la légitime inquiétude des salariés face à un avenir non maîtrisé et devant la perspective d'une baisse du niveau des pensions, inévitable dans la logique économique maastrichienne où se sont laissé enfermer tous nos gouvernements.
De même la multiplication des plans sociaux, comme ici à Alstom, révèle-t-elle la folie qui a conduit nos élites économiques à fuir dans une mondialisation décrite comme " heureuse " et qui se révèle tout simplement catastrophique. Alstom, Comilog, Daum, Singer, Yoplait, Tati, la liste ne cesse de s'allonger. Le PDG de Schneider, M. Lachmann, annonce 1.000 suppressions d'emplois. Il déclare qu'il ne créera plus d'emplois dans la zone euro. Il délocalise sa production dans les pays à bas salaires. ST Microelectronics quitte la Bretagne pour Singapour et New Delhi, Thomson pour Bangalore, et Alcatel, c'est un comble, met sa recherche développement en Chine, et cela dans la plus parfaite indifférence des Pouvoirs Publics. Quelles activités demain demeureront-elles en France ? Ne serons-nous qu'un pays de chômeurs et de vieux ?
Notre économie est à la merci des OPA étrangères : ainsi Pechiney qui va être racheté par Alcan. Il y a des années que je mets en garde les gouvernements successifs contre la tentation de mettre l'Etat aux abonnés absents dans les affaires de restructuration industrielle.
Je n'en suis que plus à l'aise pour saluer l'initiative de l'Etat d'entrer au capital d'Alstom, seule manière de faire savoir qu'il ne se désintéresse pas de l'avenir de l'industrie française et européenne, dans des secteurs d'intérêt vital comme l'énergie et le transport. Nous n'acceptons pas la philosophie de la concurrence par laquelle la Commission cautionne et favorise la délocalisation des industries européennes. Les propos de M. Monti évoquant une possible injonction faite à l'Etat de rembourser les aides accordées à Alstom et exigeant que celle-ci brade son patrimoine sont une insulte aux travailleurs. Que de chemin à faire aussi pour faire prendre conscience à la direction d'Alstom qu'elle a des devoirs à l'égard des travailleurs et de l'avenir industriel du pays, sans parler des régions comme la nôtre, auxquelles l'entreprise doit tant !
Je ne serais pas complet si je ne citais pas la lutte des intermittents du spectacle qui pose à l'évidence le problème de la culture soustraite au pouvoir de l'Argent.
I - L'originalité du MRC est dans l'analyse qu'il fait de la mondialisation libérale (ou de la globalisation) comme réalité à la fois économique et politique.
Dans le processus de la mondialisation libérale, la France et l'Europe jouent perdantes parce que ce sont les Etats-Unis qui maîtrisent les règles du jeu. Jacques Nikonoff a justement parlé de " politique de mondialisation ". Nous partageons tout à fait ce point de vue. Je salue le rôle d'Attac, éveilleur des consciences. Les Etats-Unis nous ont imposé une dévaluation de fait de plus de 20 % depuis dix-huit mois. L'euro fort pénalise la compétitivité des produits et des entreprises européennes. La pression des pays à bas salaires ne cesse de se renforcer au fur et à mesure de la libéralisation sans règles imposée à nos économies. Les délocalisations s'accélèrent. Dans le même temps, l'Europe de Maastricht s'avère incapable de mener une politique monétaire et une politique budgétaire qui aideraient nos économies à sortir de la récession. La Banque Centrale est indépendante et les taux d'intérêt doubles de ce qu'ils sont aux Etats-Unis. Les déficits budgétaires qui sont de 7,6 % du PNB au Japon et de 4,6 % aux Etats-Unis sont limités à 3 % en Europe par le pacte de stabilité. Nous sommes pris dans une seringue, coincés dans un étau mortel, dont on ne voit pas comment, en l'absence d'un processus de décision européen efficace et d'une volonté affirmée, il pourrait être desserré.
Dans la globalisation, l'Europe ne cesse de perdre du terrain depuis vingt ans sur les Etats-Unis : différentiel de croissance de deux points, écart technologique qui se creuse de plus en plus. L'Etat se désengage et aucune capacité d'organisation européenne ne s'est substituée à lui. Tant que nous n'aurons pas restauré un Etat digne de ce nom, nous continuerons à jouer perdants. La multiplication des plans sociaux témoigne de l'incapacité stratégique des gouvernements successifs à prendre la mesure du défi que nous jette la mondialisation libérale.
Comme la construction d'une Europe indépendante, capable de défendre nos intérêts dans le jeu mondial prendra beaucoup de temps, il faut que la France retrouve un Etat stratège, apte à préparer l'avenir des générations futures. C'est là le sens profond de notre combat : affirmer, dans la vie politique française, le souci de l'avenir, celui de la France et d'une Europe capable de jouer pour elle-même. Voilà pourquoi nous sommes d'abord des patriotes républicains et fiers de l'être et voilà pourquoi nous demandons qu'on change profondément les règles du jeu de la construction européenne.
En matière politique, la crise irakienne a conduit à l'éclatement de l'Europe de Maastricht par le fait des gouvernements inféodés de la Grande-Bretagne, de l'Espagne, et à un moindre degré du Danemark, de l'Italie, des Pays-Bas, sans parler évidemment des pays nouvellement candidats : Pologne, Hongrie, Tchéquie, Roumanie, Bulgarie, etc. prompts à se jeter dans les bras du cow-boy américain, ces " Etats caniches " dont a parlé plaisamment hier Georges Sarre. Entre les " rogue states " (les Etats voyous) et les Etats caniches, il est important de lutter pour affirmer l'existence d'Etats républicains.
Partout en Europe, le poids des élites mondialisées relaie l'hégémonisme américain. Les Etats-Unis confrontés à un déséquilibre extérieur croissant -plus de 500 Milliards de dollars par an- et à l'affaissement des marchés boursiers depuis septembre 2000, ont choisi la fuite en avant, au nom de la lutte contre le terrorisme, dans ce qu'ils appellent une " quatrième guerre mondiale ". Pour cela ils se sont affranchis de toutes les règles du droit international, comme on l'a vu hier à l'ONU, ou comme on le voit tous les jours à Guantanamo ou en Irak, où le droit, y compris le droit de la guerre, les conventions de Genève par exemple, a été purement et simplement suspendu.
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est le lien entre le dollar et l'interventionnisme militaire américain. C'est pour maintenir le privilège du dollar qui leur permet de financer leurs déficits que les Etats-Unis se sont lancés dans une fuite en avant qui les conduit à occuper aujourd'hui la Mésopotamie en attendant -qui sait ?- d'intervenir demain en Iran ou en Syrie. La force militaire est mise au service d'un projet géostratégique de domination mondiale à partir du contrôle des richesses pétrolières du Moyen-Orient, pour un " nouveau siècle américain ".
Cette politique est extrêmement dangereuse : Non seulement elle ne parvient pas à ranimer réellement la confiance, au plan économique, mais politiquement elle conduit à l'enlisement que j'avais pronostiqué : bien loin d'exporter la démocratie au Moyen-Orient, les Etats-Unis y introduisent le chaos. L'islamo-nationalisme a remplacé le nationalisme laïque. Ansar al Islam en Irak, le Hamas et le Djihad islamique en Palestine et en Israël, ailleurs Al Quaïda et ses pseudopodes sont les adversaires dont les Américains rêvaient. Ils enferment ainsi le monde derrière eux dans un manichéisme réducteur : d'un côté la croisade de l'Occident, de l'autre le djihad islamique. Ils nous acheminent ainsi vers cette " guerre des civilisations " qu'ils ont théorisée comme devant leur assurer pour longtemps la domination du monde. Cette politique qui repose sur l'étroite alliance des néo-conservateurs américains et de l'extrême-droite israélienne est dangereuse pour Israël lui-même. Si les Etats-Unis en viennent à confier le pouvoir en Irak aux chiites, afin de pouvoir se dégager, Israël restera là où il est, dans sa région, à neuf mille kilomètres des Etats-Unis. La solution pour Israël est dans la coexistence avec les Palestiniens et non dans un remodelage du Moyen-Orient et dans une surenchère de la terreur. Pour l'Europe, le risque est grand de se voir entraînée dans le sillage américain. Or qui ne le voit ? Dans une guerre de civilisations, nous serons aux premières loges et cette guerre n'épargnera pas notre pays, déjà confronté à la montée des communautarismes et des intégrismes.
Le problème aujourd'hui posé est de savoir si la France saura maintenir l'orientation fondamentalement juste et courageuse du Président de la République, refusant de laisser instrumenter l'ONU pour avaliser une guerre contraire au droit international et que l'élimination du régime de Saddam Hussein ne saurait justifier a posteriori. La logique de cette position est de refuser que la France puisse être impliquée en Irak, sinon pour restaurer, sous l'égide des Nations Unies, la souveraineté de ce pays. C'est la position adoptée ensemble par Jacques Chirac et Gerhard Schröder. Nous devons la soutenir sans barguigner, car il y a d'énormes forces qui s'exercent en sens inverse.
Nous n'avons pas à jeter de l'huile sur le feu mais nous n'avons pas à jouer les pompiers supplétifs. Ce n'est pas nous qui avons allumé l'incendie. Laissons aux pays volontaires de la coalition le soin qui incombe à la puissance occupante de restaurer l'ordre et de protéger les populations. Après que les Américains ont fait la cuisine, c'est-à-dire la guerre, nous n'avons pas à faire la vaisselle. Bref nous devons moins que jamais nous confondre avec les Etats-Unis, tant qu'ils seront dirigés par l'Administration actuelle, car notre objectif est le contraire du leur : nous devons empêcher que se développe entre l'Islam et l'Occident une guerre de civilisations qui serait inepte et ravageuse.
Nous croyons certes aux valeurs universelles, mais nous refusons leur confiscation par le néo-impérialisme. Nous sommes pour le dialogue des cultures et pour le respect de la souveraineté et de l'identité de chaque peuple, car aucun développement n'est possible s'il ne prend pas appui, dans chaque nation, sur l'authenticité, la motivation interne et en fin de compte la démocratie, non pas importée mais endogène. Nous demandons donc la restauration rapide de la souveraineté de l'Irak et appelons à des initiatives communes sur ce thème.
Je reviendrai tout à l'heure sur nos propositions, mais je veux marquer à l'intention de ceux qui, obsédés par l'esprit politicien, l'auraient déjà oublié : la position prise par la France, l'Allemagne, la Russie, la Chine, a dessiné la seule voie possible d'un rééquilibrage du monde et d'une alternative à la globalisation voulue par les Etats-Unis. C'est un axe fondateur et ce n'est pas parce que Jacques Chirac a su faire ce que la gauche, en d'autres temps, s'était révélée incapable de concevoir, que nous devons considérer ce choix comme un épisode temporaire, à passer par pertes et profits. Nous devons au contraire affirmer notre soutien à cette orientation de politique étrangère qui peut seule permettre de faire progresser les réformes de fond que nous voulons, au service d'une " autre mondialisation ", je pense en particulier à la réforme des institutions financières et commerciales mondiales pour construire un autre modèle de développement à l'échelle mondiale. C'est ainsi que nous prendrons notre place dans le combat des " altermondialistes " en le nourrissant de propositions de réformes concrètes et praticables.
II - Le MRC, une opposition républicaine, ferme et responsable.
Le Gouvernement Raffarin entend baisser les impôts pour relancer la croissance. C'est un contresens et c'est une faute. En multipliant les cadeaux aux catégories les plus riches, il encouragera l'épargne et non la consommation et il creusera encore plus les inégalités dont souffre le pays. De surcroît, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin est pris au piège de Maastricht, c'est-à-dire d'une récession dont, par avance, le traité nous a privé de pouvoir sortir, par l'adoption de règles absurdes : Banque Centrale indépendante, pacte de stabilité budgétaire qui interdit toute relance à l'Allemagne, à la France et à l'Italie, c'est-à-dire aux trois plus grands pays de l'Union européenne, aujourd'hui en récession. Ces critiques, ce n'est pas d'hier que nous les faisons entendre mais elles prennent aujourd'hui toute leur actualité.
Rappelons-nous début janvier 2001 la campagne triomphaliste qui avait accompagné l'introduction de l'euro. Nous ne proposons pas aujourd'hui de revenir sur l'euro qui existe. Il a son avantage : il crée une zone de stabilité monétaire entre douze pays, mais il a aussi son inconvénient : il nous met dans la main d'institutions européennes irresponsables comme la BCEI ou la Commission, ou impotente comme le Conseil des Ministres des finances dit " Eurogroupe ". En réalité, il nous met dans la main des autorités monétaires américaines qui ont volontairement laissé filer le dollar pour doper leur économie et enfoncer l'Europe. La vieille Europe est à genoux : ses exportations baissent. L'investissement recule. La récession est au rendez-vous. Oui, il faut remettre en cause les critères de Maastricht, mais pour faire une politique différente de celle que propose M. Raffarin, une politique axée sur l'investissement et la préparation de l'avenir.
Quand le Président de la République a réclamé, le 14 juillet dernier, un assouplissement du pacte de stabilité budgétaire, je regrette qu'un seul socialiste soit venu à sa rescousse : c'est Gerhard Schröder, le Chancelier d'Allemagne. Le PS qui a fait si souvent surenchère d'orthodoxie monétaire et financière dans le passé s'est tu. Il y a là matière à discussion avec le parti socialiste : il est clair en effet que les dépenses d'infrastructures, de recherche, de développement technologique ou de reconstruction de nos banlieues devraient venir en déduction des dépenses prises en compte pour le calcul du fameux 3 % du déficit autorisé. Nous ne contestons pas qu'il faille entre les Douze une certaine coordination des politiques budgétaires, mais quand il y a péril en la demeure, que le chômage explose à nouveau, que les faillites d'entreprises et les plans sociaux se multiplient, il faut savoir prendre les moyens d'une politique plus audacieuse : grands emprunts, grands travaux, programmes de développement technologique européens, et cesser de s'encombrer de règles forgées en d'autres temps pour faire face à une inflation qui a quasiment disparu. Bref, il faudrait que le PS ne fasse pas de politique à la petite semaine, avec pour seul souci d'accroître les contradictions dans lesquelles se débat l'actuel gouvernement. Il doit s'élever au niveau des exigences de l'intérêt général et ce n'est pas en proposant une Europe fédérale où la France serait mise en minorité sur tous les sujets d'intérêt vital pour elle que le PS ouvrira une perspective dans laquelle le pays puisse se reconnaître. Nous lui proposons, ainsi qu'aux autres forces de gauche, de dessiner avec nous, à travers des initiatives concrètes, les contours d'un programme de sortie de crise et de réorientation de la mondialisation libérale.
Franchement les sujets sur lesquels on peut critiquer à juste titre et sur la base de notre projet, le gouvernement Raffarin ne manquent pas par ailleurs :
Réforme constitutionnelle bâclée autorisant, au nom d'une pseudo décentralisation, un véritable démantèlement de l'Etat républicain, processus qui sera inévitablement générateur d'inégalités accrues ;
Remise en cause progressive du niveau de la protection sociale et de l'étroit maillage de solidarité que l'Etat avait mis en place depuis un demi-siècle. Rien de plus significatif à cet égard que la crise de l'hôpital public révélée par la catastrophe sanitaire liée à la canicule de cet été ;
Exonérations fiscales qui, en dépit de tout bon sens, vont grever le déficit budgétaire pour le plus grand bénéfice des catégories les plus riches et au détriment des moyens normaux de fonctionnement de l'Etat ;
Mise à la portion congrue des services publics d'Etat comme la recherche, l'Education Nationale ou l'Equipement ;
Libéralisation sous l'impulsion de Bruxelles des services publics de l'énergie, de la poste, des transports sans considération pour les exigences de l'égalité sociale et d'un aménagement du territoire équilibré ;
Privatisations décidées de manière dogmatique à Air France et à EDF-GDF, alors que l'état des marchés financiers les rend tout à fait inopportunes et que surtout l'importance d'un secteur public fort apparaît comme le meilleur moyen de prévenir les mésaventures de la distribution d'électricité aux Etats-Unis, du rail en Grande-Bretagne, et du transport aérien presque partout.
Comme chacun le voit, les raisons de nous opposer à une politique libérale qui aboutit à la remise en cause de l'unité nationale dans une Europe dite " des régions ", et au délitement du pacte républicain, ne manquent pas.
Mais notre opposition n'est pas une opposition sans principe. Elle est une opposition républicaine, au nom de l'idée que nous nous faisons de l'intérêt général et d'un projet qui nous paraît répondre à l'intérêt du pays. Nous nous réservons le cas échéant d'appuyer, comme par exemple sur l'Irak ou l'entrée au capital d'Alstom, les initiatives qui nous paraissent conformes à l'intérêt national. C'est ainsi seulement que nous préparerons les voies de l'avenir, et j'ajoute celle d'une gauche refondée au feu de l'exigence républicaine.
Un mot enfin qui s'adresse aux militants du MRC et aux sympathisants du courant républicain : Depuis St-Pol sur Mer, le MRC a trouvé son équilibre. Ne tombons pas dans le travers qui consisterait à nous déchirer à partir des polémiques menées contre nous par nos adversaires de droite comme de gauche et par des communistes inspirés par le seul souci de nous " enterrer " : ce n'est pas parce que nous avons souligné que sur des sujets essentiels, la politique économique par exemple, la droite et la gauche se retrouvaient depuis Maastricht et en fait depuis 1983 que nous confondons la droite et la gauche. Il ne faut pas renverser les rôles : ce n'est pas parce que le PS devenu maastrichien fait une politique de droite que nous sommes passés à droite en le critiquant. Sur tous les sujets essentiels, j'ai fait, pendant ma campagne présidentielle, mais en me plaçant du point de vue de la République, des propositions qui objectivement étaient plus audacieuses et pour tout dire plus à gauche que celles du candidat socialiste : qu'il s'agisse de la politique salariale, des services publics, du desserrement des contraintes européennes ou de la mondialisation. Nous n'avons pas à nous " ancrer " à gauche comme je l'entends seriner par ceux qui font tourner le moulin à prières. Nous y sommes enracinés depuis toujours, en tout cas depuis que je m'exprime en votre nom, même si nous avons montré en maintes circonstances que nous étions capables de nous hausser au niveau de l'intérêt général du pays.
III - Comment rendre possible la refondation républicaine de la gauche ?
Aujourd'hui la gauche est divisée grosso modo entre deux pôles : un pôle gestionnaire et majoritairement social-libéral, et un pôle de radicalité lui-même extrêmement composite.
L'été a été marqué par le succès du rassemblement du Larzac. Un débat s'est noué, en notre sein, pour savoir comment il fallait l'apprécier : pour ma part je considère que le problème principal posé par José Bové, celui du prochain cycle de négociations au sein de l'OMC au sommet de Cancun sur la libéralisation des services publics touche au coeur du sujet : celui de la mondialisation libérale. Nous n'acceptons pas qu'elle soit devenue l'horizon de notre civilisation comme si le développement économique avait un sens en dehors du progrès social. Le succès du Larzac témoigne d'une prise de conscience, certes encore hétérogène, mais en elle-même immensément positive.
La gauche aujourd'hui est à reconstruire comme au début des années soixante. Elle ne pourra se refaire qu'à partir d'une analyse approfondie de la mondialisation libérale et des réformes profondes qu'il convient d'apporter au fonctionnement de l'économie mondiale. C'est dans cette tension entre les luttes nécessaires et des propositions à la fois novatrices et crédibles qu'elle se reconstruira.
Le problème de la gauche paraît aujourd'hui insoluble. On ne refera pas la " gauche plurielle " qui a échoué faute d'un projet s'adressant au pays tout entier. Le PS ne reviendra pas au pouvoir seul ni même avec l'appoint des Verts. Il faut donc repartir du terrain mais aussi de l'exigence de responsabilité pour donner un sens à la reconquête nécessaire.
Reconquête républicaine, car on ne fera rien de bon sans prendre appui sur les valeurs solides de la nation citoyenne, du civisme, de la laïcité, de l'égalité sociale, de la " sûreté " sans laquelle il n'y a pas de libertés qui puissent s'exercer. Reconquête sociale aussi, car la cohésion sociale est au fondement de l'intérêt général. Par la revalorisation du travail, la priorité donnée à la formation, à la recherche et au développement technologique, par l'élaboration enfin d'une véritable stratégie de développement industriel. Oui, nous sommes pour l'Etat stratège. Nous sommes pour le primat des valeurs collectives de civisme et de solidarité sans lesquelles la démocratie peut s'émietter en hyperindividualisme destructeur, comme on le voit avec le sort des personnes très âgées abandonnées à elles-mêmes, ou avec le creusement d'inégalités scandaleuses - il suffit de voir les salaires de quelques grands patrons. La voie est alors ouverte aux déchaînements des corporatismes, à l'explosion de la démagogie, aux replis communautaristes. Nous devons faire du progrès social un axe stratégique du modèle républicain avec la mise en oeuvre de politiques publiques dignes de ce nom, l'impulsion innovatrice et modernisatrice de l'Etat, et une politique responsable de redistribution des richesses. Bref, nous devons réinventer un nouveau compromis stratégique entre l'Etat, les entreprises et le monde du travail.
Reconquête européenne, car l'Europe étendue jusqu'à la Russie est nécessaire pour équilibrer les Etats-Unis d'Amérique. Nous devons donc nous battre pour une Europe européenne et non pas américaine. Nous nous déterminerons, en tant que MRC, sur le projet qui sera adopté par la prochaine CIG, sur ce critère : ce qu'on nous propose nous permet-il de peser ou non dans le sens d'une " Europe européenne " ? La France conservera-t-elle les moyens de peser ? Nous avons apprécié la position de Gerhard Schröder sur l'Irak : traduit-elle un mouvementprofondd'autonomisationde l'Allemagne vis-à-vis des Etats-Unis ? Le nécessaire rapprochement avec l'Allemagne doit-il ou peut-il entraîner une extension du vote à la majorité qualifiée sur des sujets essentiels ?
Qu'aurait pu apporter la désignation d'un ministre des Affaires Etrangères européen pendant la crise irakienne ? M. Solana aurait-il soutenu la position franco-allemande ou la position anglo-hispano-italienne ? Poser la question, c'est y répondre.
On ne résout pas un problème politique à travers le mécano institutionnel mais on doit prendre garde à ce qu'un mécano institutionnel ne nous enchaîne pas au maintien du statu quo, c'est-à-dire la réduction de l'Europe au statut de banlieue de l'Empire américain.
On ne refera pas la gauche enfin sans prendre une vue mondiale des choses. C'est ce qui a manqué à la gauche plurielle qui, au fond, a acquiescé à la mondialisation libérale, attendant de la poursuite d'une croissance assise sur les nouvelles technologies, et qu'elle croyait devoir durer toujours, le retour au plein emploi, à défaut de la résorption de la fracture sociale. France-Telecom, Alcatel, Vivendi-Universal, Alstom, ces dérives acceptées ont révélé a posteriori l'imbécillité de tant d'acquisitions hasardeuses, et pour tout dire l'erreur de perspective politique. La Commission européenne est aujourd'hui saisie du dossier Alstom. Elle doit reconnaître la nécessité d'une politique industrielle pour éviter la dilution du tissu industriel européen. C'est une nécessité d'intérêt général. Il serait temps que la Commission dont c'est en principe le rôle, s'en avise, sinon elle suscitera contre elle une légitime révolte de nos populations.
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Comme vous le savez peut-être, je rentre de Chine où m'accompagnaient Sami Naïr et Jean-yves Autexier. Je ne trouve pas de meilleure conclusion que celle d'une intervention que j'ai prononcée à Pékin le 28 août dernier :
" Les objectifs qu'il est possible de se fixer raisonnablement impliquent que l'idée d'un monde multipolaire fasse progressivement son chemin, y compris aux Etats-Unis, dont c'est d'ailleurs l'intérêt à long terme, car ils ne peuvent pas, à eux seuls, dominer le monde entier.
a) Tout d'abord, il faut prévoir une relance concertée (Etats-Unis, Europe, Japon, Chine) en prenant davantage appui sur les besoins des pays du Sud (agriculture, santé, éducation, infrastructures). Une réforme des institutions financières mondiales (FMI, Banque Mondiale) serait particulièrement opportune pour financer ces besoins dans le cadre d'un nouveau " New Deal ". Il faut souligner, dans l'état actuel des choses, les risques d'une période de stagnation prolongée de la croissance mondiale et du commerce extérieur international pour les pays qui n'auraient pas su trouver un équilibre entre la croissance exogène, tirée par les exportations, et la satisfaction des besoins intérieurs. La Chine dispose de tous les moyens de cet équilibrage nécessaire dans la longue durée. Il n'y a pas de développement économique véritable à long terme sans progrès social et cela est vrai au Sud comme au Nord.
b) Un accord monétaire fixant des bandes de fluctuation relativement étroites entre le dollar, l'euro, le yen et le yuan éviterait les " dévaluations compétitives ".
c) Il serait souhaitable aussi de prévoir à l'OMC la fixation de " règles du jeu " en matière sociale et environnementale, de façon à acheminer l'humanité tout entière sur la voie d'un progrès partagé.
d) Enfin, la recherche d'un monde réellement multipolaire doit conduire à renforcer les liens entre la Chine et l'Europe, pour éviter toute " coalition " en fonction du principe énoncé pendant la crise irakienne par le Président G.W. Bush : " Qui n'est pas avec nous est contre nous ". Une Chine forte et prospère est dans l'intérêt d'un monde rééquilibré et par conséquent dans l'intérêt de la France et d'une Europe européenne. Un conflit de civilisations avec la Chine n'est pas plus souhaitable qu'avec l'islam.
Bien entendu, cette esquisse d'orientations pour le futur ne pourra être mise en uvre que dans la durée et par une étroite concertation entre les principaux pôles du monde au XXIe siècle (Etats-Unis, Chine, Europe, Russie). Cet effort ne portera ses fruits que si une prise de conscience s'opère à l'échelle mondiale, y compris aux Etats-Unis, à la faveur de la crise actuelle. "
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Cette vue mondiale des choses ne répond pas à tous les problèmes que nous nous posons. Mais elle est indispensable si nous voulons avancer. La reconstruction de la gauche sur des bases républicaines solides sera une affaire de longue haleine. Il serait misérable de compter seulement sur les erreurs du gouvernement Raffarin. Il faut bâtir une alternative ambitieuse et solide à la fois. C'est à cela que nous entendons contribuer.
Le MRC doit donc jouer tout son rôle pour reconstruire une gauche aujourd'hui à l'année zéro. Le MRC marche désormais sur ses deux jambes depuis le Congrès de St-Pol sur Mer. Jean-Luc Laurent aidé par Jean-Christophe Bonté à l'organisation et à la trésorerie, et Pierre Dubreuil font un excellent travail d'animation collective. Je renouvelle l'appel à la souscription nationale dont nous avons un besoin impératif. Mobilisez-vous, vous et vos proches, sans compter !
Le MRC est l'héritier de plus de trente ans de combat républicain. Il est porteur d'une expérience critique et d'une réflexion qui manquent cruellement aussi bien au parti socialiste prisonnier de ses choix socio-libéraux depuis 1983 qu'à une contestation qui se veut " radicale " mais à laquelle manque souvent le sens des responsabilités de l'Etat.
Le MRC et la mouvance républicaine doivent d'abord tenir toute leur place dans le débat intellectuel et politique. République Moderne a de ce point de vue, donné l'exemple, à travers le colloque consacré le 1er mars dernier, à un sujet fondamental pour le XXIe siècle : " Les Etats-Unis et le reste du monde (1) " dont les acte sont publiés dans un livre passionnant disponible pour un prix modique. Il suffit de lire la préface pour voir combien nous partageons l'analyse de Jacques Nikonoff sur ce qu'il a appelé " la Contre révolution néolibérale ". C'est contre elle que nous nous mobilisons.
Le MRC doit également être présent à l'occasion des prochaines échéances électorales, cantonales, régionales et bien sûr européennes. Seuls ou avec d'autres, nous présenterons une liste pour le Parlement européen au moins dans la région Ile de France qui sera la plus emblématique sur le plan national, mais sans doute aussi dans les régions où nous disposons du potentiel nécessaire. Nous ferons ainsi la preuve de notre existence vis-à-vis de tous ceux qui ont voulu et cru pouvoir nous enterrer, en réglant ainsi de vieux comptes avec une idée républicaine qui leur est devenue étrangère. Aucune alliance ne peut se faire et ne se fera au prix de notre identité.
Puisque j'évoque les élections européennes, il serait normal aussi que le référendum sur la Constitution européenne intervienne le même jour : c'est ce que nous demandons au Président de la République. Il s'agit là en effet d'un débat national essentiel qui intéresse le pays tout entier. L'avenir de l'Europe n'est pas un sujet à traiter en catimini dans des consultations régionalisées. Pour ce qui est du MRC, nous nous prononcerons dans une Convention, au lendemain de la Conférence Intergouvernementale qui aura adopté le projet dit de " Constitution européenne ". Sans vouloir préjuger la décision que nous adopterons, je veux exprimer mon inquiétude quant à l'extension du vote à la majorité qualifiée qui, sur des sujets essentiels : politique industrielle, politique agricole, politiques sociales, politique extérieure, exception culturelle, mettrait la France en minorité et dans l'incapacité de défendre ses intérêts vitaux.
Le Mouvement Républicain et Citoyen s'est doté, à son Congrès de Saint-Pôl sur Mer, d'une ligne parfaitement claire : nous nous plaçons dans la perspective d'une refondation de la République et c'est pour cela que nous entendons oeuvrer à la refondation républicaine de la gauche, dans tous les forums qui seront organisés par ses différentes formations, y compris par nous-mêmes.
Au-delà, nous nous adressons au pays tout entier pour lui offrir un projet ressourcé dans des valeurs auxquelles il n'y a pas de substitut : confiance en la France et en la République, fidélité aux grands idéaux de liberté, de laïcité, d'égalité sociale et de solidarité. C'est cette confiance là qu'il faut rétablir pour mettre la France en mesure de relever les défis de son avenir !
(Source http://www mrc-France.org, le 15 septembre 2003)