Texte intégral
LE FIGARO. - Après un printemps mouvementé, comment sentez-vous le climat dans la Fonction publique ?
Jean-Paul DELEVOYE. - Lors de la réforme des retraites, les fonctionnaires se sont sentis agressés et incompris, en ayant le sentiment de passer pour des privilégiés. Pourtant, la France a besoin d'un service public performant qui est l'élément essentiel de la cohésion sociale. Mais il ne doit pas être synonyme d'immobilisme. Dans une société qui bouge, personne ne peut imaginer que le service public ne s'adapte pas. C'est l'une des leçons de l'affaire des retraites: nous n'avons pas de système de régulation sociale à la hauteur des mutations nécessaires. Nous sommes dans une économie de réseaux et de communication et, à l'évidence, un système administratif vertical et cloisonné est voué à l'échec. Aujourd'hui, beaucoup de fonctionnaires seraient prêts à agir et à prendre des responsabilités, mais le système ne le leur permet pas. Au contraire, l'encadrement intermédiaire est enfermé dans une rigueur réglementaire, qui neutralise toute initiative sur le terrain. C'est cela qu'il faut arriver à modifier, afin d'aboutir à une responsabilisation à tous niveaux.
LE FIGARO. Vous recevez les organisations syndicales lundi et mardi. Elles attendent une réponse rapide sur l'évolution des salaires. Qu'allez-vous leur dire ?
Les syndicats savent que je ne peux pas donner ce que je n'ai pas. Lorsque la croissance est forte, il est possible d'accorder de fortes hausses de salaires, mais lorsqu'elle est faible, la hausse ne peut être que faible. L'Etat n'est pas un puits sans fond, et on ne peut plus continuer de financer toutes les dépenses par l'emprunt et la dette.
Les syndicats raisonnent principalement en point d'indice, et en pouvoir d'achat: cela me paraît insuffisant. Il faut tenir compte des conséquences de toute hausse de la masse salariale sur la richesse nationale, et cesser de raisonner uniquement en opposant l'indice de l'inflation à l'indice de la fonction publique: je pense qu'il faut désormais prendre en compte des critères plus nombreux, et se poser la question de savoir quelle part de la croissance nationale nous pouvons consacrer aux salaires publics.
Cela dit, je remarque que si les syndicats sont attachés à l'évolution du point d'indice et aux salaires de base, ils le sont tout autant à la notion de justice dans les rémunérations.
C'est pourquoi je souhaiterais, avec eux, impulser un profond changement.
LE FIGARO. Pour favoriser la rémunération au mérite, par exemple ?
Aujourd'hui, les fonctionnaires font principalement carrière à l'ancienneté, et leurs salaires évoluent quelle que soit leur performance. Il existe bien un système de notation qui permet en principe d'accélérer la carrière des meilleurs. Mais arrêtons d'être hypocrites: un système d'évaluation où tout le monde finit par avoir 20 sur 20 est dévoyé. Une vraie notation devrait pouvoir se justifier, s'expliquer et se motiver. Je souhaite que nous arrivions à instaurer un nouveau système de responsabilisation, individuelle et collective, qui ait pour conséquence une réflexion sur le rythme des carrières. Pourquoi un fonctionnaire motivé et investi ne pourrait-il pas faire carrière plus rapidement qu'un autre?
Bien sûr, la rémunération doit être la traduction de ce changement culturel. On peut imaginer qu'une partie de la rémunération soit basée sur le point d'indice, une partie sur la fonction, et une autre, sur la prise de responsabilité. Cette dernière serait liée à des critères précis, et des contrats d'objectifs. Aujourd'hui, l'administration est une machine à déresponsabiliser. Elle stérilise véritablement la prise de risque. Il faut donc mettre en place un système de reconnaissance permettant de reconnaître la valeur de chaque agent.
LE FIGARO. On parle de 4 500 à 5 000 suppressions d'effectifs l'année prochaine. Qu'en est-il ?
Ce débat sur les suppressions d'emplois est un faux débat. Avec les nombreux départs en retraite, les talents vont disparaître, ce qui va créer un appauvrissement de la Fonction publique. Il faut donc anticiper la réorganisation, plutôt que la subir. Les quelques milliers de postes qui ne seront pas renouvelés cette année sont la conséquence de la réorganisation nécessaire à l'adaptation des missions. L'Etat continuera de recruter massivement mais sans doute moins, parce qu'il se modernise ou s'organise mieux ou supprime des missions qui ne sont plus essentielles.
LE FIGARO. Quelles missions par exemple ? Quelles propositions avez-vous reçu des ministres ?
Les ministres sont en train de travailler à la réforme de leur propre ministère: ils doivent me remettre dans quelques semaines leurs stratégies de réforme qui seront ensuite présentées au Parlement d'ici à la fin de l'année.
En France, chacun met beaucoup d'intelligence à défendre sa structure, un peu moins à l'adapter. Nous devons encore faire des efforts d'évaluation et d'analyse, et un effort d'honnêteté intellectuelle: il y a encore beaucoup à faire dans la réforme des structures et des missions d'Etat. La superposition est une erreur et le maintien à tout prix de certaines missions, un conservatisme à l'évidence inutile. Un exemple: le seul fait de transférer la gestion des prestations familiales des fonctionnaires à la Caisse nationale des allocations familiales permettrait la réaffectation ou l'économie de 1 200 emplois à temps plein.
Une fois le constat dressé, lorsque nous aurons une vision claire de nos missions, avec des objectifs précis et quantifiés, il faudra adapter le management, les structures et en toute fin, les effectifs.
Cela demandera une implication plus forte des ministres vis-à-vis de leur ministère. Chacun d'entre eux doit être responsable, sur son propre budget, de la gestion de la masse salariale de ses agents, de leur recrutement, de leur rémunération, de leur promotion. Tous les ministres doivent arriver à bâtir un contrat d'objectifs et de performance pour leur ministère, et à y adjoindre une politique de ressources humaines.
LE FIGARO. Quel calendrier proposez-vous ?
Le 15 et le 16 septembre, je vais recevoir les syndicats un à un, et j'ouvrirai la discussion avec eux. Je vais leur proposer une méthode, afin de négocier la conduite du changement, avec deux clés: la responsabilisation comme moteur et l'agent comme acteur. Nous aborderons la réforme des salaires, des déroulements de carrières, de la formation continue, de la mobilité, et du recrutement. Je compte ensuite proposer, d'ici à la fin de l'année, une loi sur la fonction publique. Le projet de loi aura notamment pour objectif politique de rendre son attractivité à l'administration.
Après une année de réflexion, j'entre dans une année de décision pour la Fonction publique.
(Source http://www.u-m-p.org, 16 septembre 2003)
Jean-Paul DELEVOYE. - Lors de la réforme des retraites, les fonctionnaires se sont sentis agressés et incompris, en ayant le sentiment de passer pour des privilégiés. Pourtant, la France a besoin d'un service public performant qui est l'élément essentiel de la cohésion sociale. Mais il ne doit pas être synonyme d'immobilisme. Dans une société qui bouge, personne ne peut imaginer que le service public ne s'adapte pas. C'est l'une des leçons de l'affaire des retraites: nous n'avons pas de système de régulation sociale à la hauteur des mutations nécessaires. Nous sommes dans une économie de réseaux et de communication et, à l'évidence, un système administratif vertical et cloisonné est voué à l'échec. Aujourd'hui, beaucoup de fonctionnaires seraient prêts à agir et à prendre des responsabilités, mais le système ne le leur permet pas. Au contraire, l'encadrement intermédiaire est enfermé dans une rigueur réglementaire, qui neutralise toute initiative sur le terrain. C'est cela qu'il faut arriver à modifier, afin d'aboutir à une responsabilisation à tous niveaux.
LE FIGARO. Vous recevez les organisations syndicales lundi et mardi. Elles attendent une réponse rapide sur l'évolution des salaires. Qu'allez-vous leur dire ?
Les syndicats savent que je ne peux pas donner ce que je n'ai pas. Lorsque la croissance est forte, il est possible d'accorder de fortes hausses de salaires, mais lorsqu'elle est faible, la hausse ne peut être que faible. L'Etat n'est pas un puits sans fond, et on ne peut plus continuer de financer toutes les dépenses par l'emprunt et la dette.
Les syndicats raisonnent principalement en point d'indice, et en pouvoir d'achat: cela me paraît insuffisant. Il faut tenir compte des conséquences de toute hausse de la masse salariale sur la richesse nationale, et cesser de raisonner uniquement en opposant l'indice de l'inflation à l'indice de la fonction publique: je pense qu'il faut désormais prendre en compte des critères plus nombreux, et se poser la question de savoir quelle part de la croissance nationale nous pouvons consacrer aux salaires publics.
Cela dit, je remarque que si les syndicats sont attachés à l'évolution du point d'indice et aux salaires de base, ils le sont tout autant à la notion de justice dans les rémunérations.
C'est pourquoi je souhaiterais, avec eux, impulser un profond changement.
LE FIGARO. Pour favoriser la rémunération au mérite, par exemple ?
Aujourd'hui, les fonctionnaires font principalement carrière à l'ancienneté, et leurs salaires évoluent quelle que soit leur performance. Il existe bien un système de notation qui permet en principe d'accélérer la carrière des meilleurs. Mais arrêtons d'être hypocrites: un système d'évaluation où tout le monde finit par avoir 20 sur 20 est dévoyé. Une vraie notation devrait pouvoir se justifier, s'expliquer et se motiver. Je souhaite que nous arrivions à instaurer un nouveau système de responsabilisation, individuelle et collective, qui ait pour conséquence une réflexion sur le rythme des carrières. Pourquoi un fonctionnaire motivé et investi ne pourrait-il pas faire carrière plus rapidement qu'un autre?
Bien sûr, la rémunération doit être la traduction de ce changement culturel. On peut imaginer qu'une partie de la rémunération soit basée sur le point d'indice, une partie sur la fonction, et une autre, sur la prise de responsabilité. Cette dernière serait liée à des critères précis, et des contrats d'objectifs. Aujourd'hui, l'administration est une machine à déresponsabiliser. Elle stérilise véritablement la prise de risque. Il faut donc mettre en place un système de reconnaissance permettant de reconnaître la valeur de chaque agent.
LE FIGARO. On parle de 4 500 à 5 000 suppressions d'effectifs l'année prochaine. Qu'en est-il ?
Ce débat sur les suppressions d'emplois est un faux débat. Avec les nombreux départs en retraite, les talents vont disparaître, ce qui va créer un appauvrissement de la Fonction publique. Il faut donc anticiper la réorganisation, plutôt que la subir. Les quelques milliers de postes qui ne seront pas renouvelés cette année sont la conséquence de la réorganisation nécessaire à l'adaptation des missions. L'Etat continuera de recruter massivement mais sans doute moins, parce qu'il se modernise ou s'organise mieux ou supprime des missions qui ne sont plus essentielles.
LE FIGARO. Quelles missions par exemple ? Quelles propositions avez-vous reçu des ministres ?
Les ministres sont en train de travailler à la réforme de leur propre ministère: ils doivent me remettre dans quelques semaines leurs stratégies de réforme qui seront ensuite présentées au Parlement d'ici à la fin de l'année.
En France, chacun met beaucoup d'intelligence à défendre sa structure, un peu moins à l'adapter. Nous devons encore faire des efforts d'évaluation et d'analyse, et un effort d'honnêteté intellectuelle: il y a encore beaucoup à faire dans la réforme des structures et des missions d'Etat. La superposition est une erreur et le maintien à tout prix de certaines missions, un conservatisme à l'évidence inutile. Un exemple: le seul fait de transférer la gestion des prestations familiales des fonctionnaires à la Caisse nationale des allocations familiales permettrait la réaffectation ou l'économie de 1 200 emplois à temps plein.
Une fois le constat dressé, lorsque nous aurons une vision claire de nos missions, avec des objectifs précis et quantifiés, il faudra adapter le management, les structures et en toute fin, les effectifs.
Cela demandera une implication plus forte des ministres vis-à-vis de leur ministère. Chacun d'entre eux doit être responsable, sur son propre budget, de la gestion de la masse salariale de ses agents, de leur recrutement, de leur rémunération, de leur promotion. Tous les ministres doivent arriver à bâtir un contrat d'objectifs et de performance pour leur ministère, et à y adjoindre une politique de ressources humaines.
LE FIGARO. Quel calendrier proposez-vous ?
Le 15 et le 16 septembre, je vais recevoir les syndicats un à un, et j'ouvrirai la discussion avec eux. Je vais leur proposer une méthode, afin de négocier la conduite du changement, avec deux clés: la responsabilisation comme moteur et l'agent comme acteur. Nous aborderons la réforme des salaires, des déroulements de carrières, de la formation continue, de la mobilité, et du recrutement. Je compte ensuite proposer, d'ici à la fin de l'année, une loi sur la fonction publique. Le projet de loi aura notamment pour objectif politique de rendre son attractivité à l'administration.
Après une année de réflexion, j'entre dans une année de décision pour la Fonction publique.
(Source http://www.u-m-p.org, 16 septembre 2003)