Déclaration de Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, sur l'insertion professionnelle des déficients visuels, Paris le 17 juillet 2003.

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Circonstance : Conférence internationale organisée par European Blind Union sur l'emploi des mal-voyants à Paris du 17 au 20 juillet 2003

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs,
En cette année européenne du handicap, je me réjouis d'ouvrir votre congrès international consacré à l'insertion professionnelle des personnes déficientes visuelles.
Ce congrès intervient à un moment où la France a manifesté sa volonté de voir de nouvelles avancées dans la prise en charge et l'intégration sociale des personnes handicapées.
Votre choix est d'autant plus symbolique que la question de l'insertion professionnelle des personnes handicapées est plus que jamais d'actualité. Les personnes handicapées sont dans notre pays trois fois plus victimes du chômage que les personnes valides : leur taux de chômage est de 26 % contre 9 %.
Sur 840.000 personnes handicapées, 622.000 exercent aujourd'hui une activité professionnelle et 219.000 sont inscrites à l'Agence Nationale Pour l'Emploi. Cette situation n'est pas acceptable.
Aussi, je me réjouis que vous vous soyez saisis de ce problème, en abordant la question d'une manière globale, c'est à dire par la formation, l'information des entreprises, le soutien dans l'emploi, la recherche des nouveaux débouchés professionnels et le rôle des associations.
Depuis la loi du 30 juin 1975, l'éducation, la formation, l'orientation professionnelle et l'emploi sont une obligation nationale.
Deux textes régissent actuellement l'intégration des personnes handicapées en France : la loi du 30 juin 1975, que je viens d'évoquer, et la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des personnes handicapées..
Le handicap que vous représentez est sans doute moins touché par le chômage que d'autres. Notamment, parce que le développement de l'informatique a constitué une véritable opportunité pour les déficients visuels.
Et cela est bien, puisque les possibilités d'emploi dans les métiers traditionnellement occupés par les déficients visuels diminuent. Mais s'il faut favoriser l'accès aux nouvelles technologies, celles-ci ne résolvent pas tous les problèmes. Les difficultés liées à l'insertion sont encore nombreuses : accès à la documentation, déplacements externes (par exemple, l'absence du permis de conduire, souvent demandé dans les offres d'emploi, ferme beaucoup de portes), la communication avec les autres salariés de l'entreprise.
Une éducation adaptée ou une rééducation sont donc nécessaires à l'intégration professionnelle.
Vous avez choisi, pour votre conférence, le thème du rôle des associations et organismes spécialisés dans l'insertion professionnelle des déficients visuels. Leur rôle est irremplaçable et vous l'avez démontré, puisque dès le début du 20ème siècle vos associations ont fondé des écoles.
Je pense à l'Association Valentin Haüy qui a fondé en 1906 l'une des toutes premières écoles de massage en France.
Cette école offre aujourd'hui à près de 200 non voyants une formation qualifiante en trois ans : aujourd'hui plus de 2 000 personnes aveugles et malvoyants exercent cette profession.
Je citerai également l'action du centre de formation que dirige Monsieur Philippe CHAZAL, votre organisateur : outre la formation aux métiers d'agent d'accueil, de bureautique et de secrétariat, ce centre offre à ceux qui ont le plus de difficultés des stages d'adaptation destinés à les aider à définir leur projet professionnel.
L'action que vous menez au travers de ce centre, en partenariat avec l'Association Valentin Haüy est exemplaire au regard de ce que les associations peuvent faire pour relever le défi de l'insertion professionnelle des personnes handicapées.
A mon tour je voudrais vous faire part de quelques-unes unes de mes convictions.
L'école constitue le premier pas vers l'intégration
La formation est un des éléments clés de la réussite de l'intégration. C'est la raison pour laquelle j'ai donné, dès mon arrivée au poste de Secrétaire d'État aux personnes handicapées, avec Luc FERRY et Xavier DARCOS, la priorité à l'intégration scolaire. Tous les enfants qui le peuvent doivent être accueillis à l'école ordinaire. Les non voyants sont d'autant plus concernés que une fois l'acquisition du braille faite, il ne devrait pas y avoir d'obstacles à un parcours scolaire normal, sous réserve, bien entendu, des aides techniques et humaines qui leur sont nécessaires.
L'école est le premier pas vers l'intégration sociale. Les progrès de la médecine et des connaissances font qu'aujourd'hui beaucoup moins d'enfants naissent aveugles.
En revanche pour les de la population déficient visuel, ce handicap apparaîtra avant l'âge de 20 ans : cette déficience est grave, définitive et stabilisée. Une étude menée, il y a 5 ans auprès des déficients visuels a montré qu'environ 80 % des personnes qui avaient répondu avaient un niveau inférieur au brevet des collèges, 10 % un niveau bac ou un bac + 2.
Pour ceux là, le niveau de formation ne constitue pas un réel obstacle à l'emploi. Pour autant une formation peu diversifiée est manifestement un frein à l'emploi au regard des exigences actuelles des entreprises.
L'orientation professionnelle doit s'appuyer sur les potentialités de la personne
C'est là où l'orientation professionnelle est indispensable : il faut qu'elle soit réaliste, de bonne qualité et qu'elle prenne en compte les besoins des entreprises.
Je pense que nos organismes de formation comme l'AFPA, les Centres de Rééducation Professionnelle ou l'ANPE doivent être plus à l'écoute des entreprises et attentifs à l'évolution des technologies.
Ceci passe par une évaluation individuelle de chaque personne, et cela au-delà de la simple évaluation clinique de son acuité visuelle. Cette évaluation doit partir des potentialités de la personne, et non de ses incapacités : il faut raisonner en termes de compétences, d'intérêt, de motivations, et de possibilités.
Cette démarche suppose un changement d'attitude de la part de ceux qui orientent et éventuellement accompagnent. C'est une exigence qui devra s'imposer à tous de plus en plus.
Au-delà de l'orientation, c'est la formation qui devra prendre le relais. Je plaide pour une ouverture et une complémentarité des dispositifs actuels qui sont trop cloisonnés entre eux.
C'est la solution nécessaire pour combattre les réticences des entreprises à embaucher des personnes handicapées.
La peur, parfois même les discriminations, sont des freins à l'emploi des personnes handicapées. Mais en même temps, lorsqu'on analyse les accords d'entreprise, on voit très bien qu'il ne suffit pas d'en signer pour que cela marche. L'engagement du chef d'entreprise joue un rôle majeur : ceci explique sans doute pour partie les raisons pour lesquelles ce sont les entreprises de moins de 20 salariés qui embauchent le plus.
Plus on facilitera l'accès à la formation, et plus celle-ci sera proche des besoins des entreprises, plus ces dernières accueilleront des personnes handicapées.
L'amélioration de la situation passe des mesures incitatives
Dans la future loi que je déposerai avant la fin de l'année 2003, j'envisage de renforcer les mesures incitatives à l'emploi. Celles-ci concernent les entreprises, mais aussi les personnes handicapées.
Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que la sanction est le seul levier de l'insertion professionnelle. C'est méconnaître la réalité, tant des personnes handicapées que des entreprises. Je ne pense pas non plus que toutes les personnes handicapées peuvent travailler : certaines n'accéderont jamais à l'emploi et celles là il faut leur donner aussi les moyens d'avoir une vie digne. La future loi s'y attachera.
Pour revenir à l'insertion professionnelle, il me semble plus efficace d'ouvrir, de part et d'autres, les possibilités d'emploi pour atteindre le quota actuel de 6 % : la formation qualifiante, le contrat d'alternance, l'accueil de stagiaires doivent être encouragés.
Je n'oublie pas pour autant le maintien dans l'emploi et la rééducation : il faut donner aux personnes la possibilité de conserver un emploi lorsqu'elles n'ont plus les mêmes capacités sensorielles qu'auparavant.
L'incitation passe également par une réforme du système actuel de l'allocation aux adultes handicapés et de l'ACTP.
L'AAH n'est pas incitative au travail du fait des règles actuelles de cumul de ressources. Je propose de séparer ce qui relève des ressources d'existence, de ce qui relève de la compensation du handicap, et je pense pour vous aux aides techniques, animalières ou humaines, ou aux surcoûts dans la vie quotidienne liés à votre déficience. L'application du droit à compensation permettra cette distinction entre revenus directs et ressources liées à la compensation.
Il faut que le nouveau système de ressources permette à ceux qui veulent travailler même à temps partiel de le faire et de gagner plus. L'activité professionnelle ne doit pas être pénalisante ou inintéressante. Le travail est une source d'épanouissement personnel, et reste aujourd'hui un des vecteurs privilégiés de l'intégration sociale.
Nous avons un défi à relever : changer les mentalités
Quand je regarde la situation française, je m'interroge sur notre capacité à mieux faire pour l'insertion des personnes handicapées et j'ai la conviction que nous avons un énorme problème à résoudre, celui des mentalités à l'égard des personnes handicapées.
Les personnes handicapées sont victimes d'une image ambivalente, liée au regard que nous portons trop souvent sur eux.
Le handicap, quelle qu'en soit la nature et la gravité, est perçu comme une altération des capacités professionnelles, entendues au sens du savoir-faire. Cette vision négative partagée par beaucoup de chefs d'entreprises ou des salariés, sous-entend qu'il y a très peu de postes accessibles aux personnes handicapées ou alors des emplois subalternes.
Forts de ces préjugés, les uns et les autres renvoient à la solidarité nationale le soin de remédier à la situation.
Cet état d'esprit doit évoluer, et nous avons chacun notre part de responsabilité. Vous, en tant qu'association par ce que vous pouvez accompagner les évolutions nécessaires, nous en tant qu'État en favorisant les politiques d'insertion et en banalisant le handicap dans notre société.
C'est en unissant nos efforts respectifs que nous parviendrons à des résultats.
Mesdames, Messieurs :
Vous avez choisi d'échanger durant ces deux jours sur les bonnes pratiques en matière d'insertion professionnelle.
Je souhaite que ce congrès apporte des solutions concrètes en faveur de l'emploi des personnes handicapées visuelles, et que vous m'en fassiez part.
Je vous dis : bons travaux et bon partage d'expériences.
Je vous remercie de votre attention.


(Source http://www.handicap.gouv.fr, le 31 juillet 2003)