Texte intégral
Je tiens tout particulièrement à remercier les organisateurs de ce colloque de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous.
La conférence stratégique de l'IRIS est, chaque année, un des évènements internationaux qui réunissent ceux qui étudient les relations internationales et ceux qui les font.
L'occasion n'est pas si fréquente de rassembler théoriciens et praticiens.
Le thème de votre rencontre, cette année, est d'une extraordinaire acuité.
Il fut sans doute déterminé il y a plusieurs mois, mais cela témoigne de votre aptitude à la prospective.
Attention aux effets pervers du calendrier et que poser la question du lien transatlantique lorsqu'elle constitue LE sujet du moment ne fausse la sérénité des débats.
Le recul nécessaire nous manque, et l'on entend bien des déductions hâtives, fondées sur des faits ou des mots spectaculaires, mais largement surinterprétés.
Que la relation transatlantique soit à redéfinir est une évidence que je ne contesterai pas.
Mais cette nécessité ne date pas de la crise irakienne.
Je souhaite vous convaincre d'une réalité plus nuancée que les apparences.
La France, pour sa part, a pour politique et pour ambition de préserver l'Alliance en la rénovant.
Depuis la disparition de la menace qui avait provoqué son apparition, nombreux sont ceux qui prédisent la fin de l'Alliance.
Je dirai qu'elle traverse plutôt une série de crises d'identité qui imposent des mutations.
La première de ces crises survient bien sûr dès 1989, avec la chute du Mur, et la disparition de l'URSS en tant qu'adversaire stratégique.
Cette première remise en question a été finalement surmontée de façon pragmatique.
D'un antagonisme de coalitions, nous sommes passés à un système de sécurité collective.
L'intégration à l'Alliance de la plupart des anciens pays du Pacte de Varsovie constitue à cet égard autant un geste politique qu'un accroissement des capacités militaires.
Les attentats du 11 septembre ont constitué une autre épreuve pour l'OTAN.
C'est un paradoxe puisque pour la première fois les Alliés ont fait jouer l'article 5 en faveur de l'un des leurs, affichant ainsi leur solidarité.
Mais que le bénéficiaire ait été les Etats-Unis a peut-être un peu faussé l'esprit de l'Alliance.
On a eu le sentiment que ceux-ci utilisaient l'OTAN comme une boîte à outils.
Les divergences fondamentales qui ont éclaté à l'occasion de la crise irakienne au sein de l'Europe et entre l'Europe et les Etats-Unis sont trop connues pour que j'y revienne.
Je tiens cependant à affirmer ma totale conviction que les démocraties ne sauraient s'affronter longtemps sur la question du respect du droit.
Il constitue la force principale de nos systèmes.
Pour autant, les signes se multiplient pour annoncer que le gros de la crise est derrière nous.
Certes, il est difficile de déterminer quand se cicatriseront réellement les plaies qui ont été ouvertes.
Je pense en particulier au dommage fait aux relations franco-américaines auprès de l'opinion publique.
Mais les politiques, eux, sont des pragmatiques.
L'administration américaine n'est pas univoque.
Nombreux, en son sein, ceux qui sont désireux de ne pas accentuer artificiellement le différend.
Je crois donc fermement que la rivière finira par rentrer dans son lit.
Certaines indications montrent que ces retrouvailles pourraient avoir lieu au sommet d'Evian.
Plus fondamentalement, les deux rives de l'Atlantique Nord sont solidaires parce que complémentaires et indissolublement liées.
Nous partageons évidemment les mêmes valeurs démocratiques.
C'est à dire avant tout le respect du droit dans les rapports entre les hommes et les communautés.
Nos intérêts sont inextricablement liés :
L'interdépendance économique et technologique transatlantique engendre naturellement la solidarité.
Javier Solana rappelait par exemple récemment, dans un discours à Harvard, qu'il y avait davantage d'investissements européens dans l'Etat du Texas que d'investissements américains au Japon.
Cela relativise les théories sur le déplacement vers le Pacifique du centre de gravité mondial.
De cette communauté d'intérêts naît tout naturellement une communauté de menaces.
Nous avons les mêmes dépendances et les mêmes contraintes en énergie et en matières premières.
Le terrorisme a frappé nos pays et leurs citoyens bien avant les attentats du 11 septembre.
Je rappelle que la solidarité de la France avec les Etats-Unis dans la lutte contre
Al-Qaida a été immédiate.
Elle reste totale.
C'est ensemble que nous devons lutter contre le terrorisme.
Mais nous devons être attentifs à combattre non pas seulement ses manifestations, mais aussi ses causes.
Pour lutter contre la mauvaise gouvernance, apaiser la région du Moyen-Orient, Etats-Unis et Europe ont des atouts complémentaires à faire valoir.
Il faut donc renforcer et rénover la relation transatlantique pour l'adapter à ces nouvelles menaces.
C'est la mission volontariste qu'entend proposer la France.
Notre volonté est de rénover la relation transatlantique pour la préserver.
Que l'on ne se méprenne pas : pour la France, l'OTAN reste au cur du système de défense de l'Europe, et donc de notre pays.
Mais l'Alliance doit être adaptée aux défis du monde contemporain, radicalement différent de ceux qui ont présidé à sa création.
Elle doit tenir compte de l'évolution des menaces : la NRF est une réponse que nous soutenons et appuyons.
Elle doit tenir compte de l'émergence d'une Union européenne appelée à jouer son rôle et à assumer ses responsabilités sur son propre continent.
La PESD existe de plus en plus, et pas seulement sur le plan des traités.
Elle a déjà relevé l'OTAN en Macédoine.
Elle s'apprête à le faire en Bosnie-Herzégovine.
Il ne s'agit pas d'une éviction.
Ces opérations se déroulent, ou se dérouleront, avec le soutien de l'OTAN.
Il ne faut cependant pas exclure, à terme, que nous montions des actions de façon autonome, à mesure que se renforceront nos capacités.
Nous devons aussi prendre en considération le fait que les priorités américaines se portent, dans la mesure où notre continent est largement sécurisé vers d'autres régions du monde.
Rénover l'Alliance, c'est aussi repenser les rapports qui unissent ses membres.
Je pense en premier lieu aux Etats qui l'ont rejoint récemment.
Ils doivent être aidés à jouer pleinement leur rôle de partenaires, ce que l'état actuel de leurs forces armées ne permet objectivement que de façon marginale.
Cela suppose bien sûr une remise à niveau de leurs matériels, mais aussi une véritable acculturation.
Pour que celle-ci soit pleinement acceptée, cela suppose que les rapports à l'intérieur de l'Alliance soient fondés sur le respect de chacun, la prise en compte des différences, la confiance.
Les alliés, pour agir comme tels, doivent être traités comme tels.
Notre diversité est notre richesse ; il faut l'utiliser.
Il appartient parallèlement aux Européens de prouver, en premier lieu à nos amis américains, qu'ils sont prêts à se donner les moyens de se défendre.
Le thème du partage du fardeau est une vieille antienne des relations transatlantiques.
L'évolution des menaces le met désormais à notre portée.
Actuellement, trois pays européens seulement consacrent à la défense une part proche de 2% de leur PIB.
Il s'agit de la France, de la Grande-Bretagne et de la Grèce.
Il est hautement souhaitable que d'autres nations fassent un effort similaire.
Leurs positions seraient davantage prises en considération.
La France désormais, vous le savez, montre dans ce domaine l'exemple.
Je ne manque jamais de le rappeler à mes collègues européens.
L'industrie de défense européenne, qui est un élément essentiel de notre maintien dans la course technologique, ne pourrait qu'en bénéficier.
La construction de l'Europe n'a jamais été facile.
Mais force est de constater que l'Europe de la défense, de façon peut-être moins spectaculaire, se construit plus vite que l'Europe de la monnaie.
Je ne doute pas qu'elle connaîtra un succès similaire.
Parce qu'elle se construit dans le respect de nos valeurs, de nos amitiés et de nos fidélités.
Un monde multipolaire est en train de se reconstruire.
La préservation du lien transatlantique continuera à y jouer un tôle déterminant.
Le pôle européen s'élabore.
Il a pour vocation de demeurer le partenaire privilégié du pôle américain.
Je vous remercie de votre attention
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 9 mai 2003)
La conférence stratégique de l'IRIS est, chaque année, un des évènements internationaux qui réunissent ceux qui étudient les relations internationales et ceux qui les font.
L'occasion n'est pas si fréquente de rassembler théoriciens et praticiens.
Le thème de votre rencontre, cette année, est d'une extraordinaire acuité.
Il fut sans doute déterminé il y a plusieurs mois, mais cela témoigne de votre aptitude à la prospective.
Attention aux effets pervers du calendrier et que poser la question du lien transatlantique lorsqu'elle constitue LE sujet du moment ne fausse la sérénité des débats.
Le recul nécessaire nous manque, et l'on entend bien des déductions hâtives, fondées sur des faits ou des mots spectaculaires, mais largement surinterprétés.
Que la relation transatlantique soit à redéfinir est une évidence que je ne contesterai pas.
Mais cette nécessité ne date pas de la crise irakienne.
Je souhaite vous convaincre d'une réalité plus nuancée que les apparences.
La France, pour sa part, a pour politique et pour ambition de préserver l'Alliance en la rénovant.
Depuis la disparition de la menace qui avait provoqué son apparition, nombreux sont ceux qui prédisent la fin de l'Alliance.
Je dirai qu'elle traverse plutôt une série de crises d'identité qui imposent des mutations.
La première de ces crises survient bien sûr dès 1989, avec la chute du Mur, et la disparition de l'URSS en tant qu'adversaire stratégique.
Cette première remise en question a été finalement surmontée de façon pragmatique.
D'un antagonisme de coalitions, nous sommes passés à un système de sécurité collective.
L'intégration à l'Alliance de la plupart des anciens pays du Pacte de Varsovie constitue à cet égard autant un geste politique qu'un accroissement des capacités militaires.
Les attentats du 11 septembre ont constitué une autre épreuve pour l'OTAN.
C'est un paradoxe puisque pour la première fois les Alliés ont fait jouer l'article 5 en faveur de l'un des leurs, affichant ainsi leur solidarité.
Mais que le bénéficiaire ait été les Etats-Unis a peut-être un peu faussé l'esprit de l'Alliance.
On a eu le sentiment que ceux-ci utilisaient l'OTAN comme une boîte à outils.
Les divergences fondamentales qui ont éclaté à l'occasion de la crise irakienne au sein de l'Europe et entre l'Europe et les Etats-Unis sont trop connues pour que j'y revienne.
Je tiens cependant à affirmer ma totale conviction que les démocraties ne sauraient s'affronter longtemps sur la question du respect du droit.
Il constitue la force principale de nos systèmes.
Pour autant, les signes se multiplient pour annoncer que le gros de la crise est derrière nous.
Certes, il est difficile de déterminer quand se cicatriseront réellement les plaies qui ont été ouvertes.
Je pense en particulier au dommage fait aux relations franco-américaines auprès de l'opinion publique.
Mais les politiques, eux, sont des pragmatiques.
L'administration américaine n'est pas univoque.
Nombreux, en son sein, ceux qui sont désireux de ne pas accentuer artificiellement le différend.
Je crois donc fermement que la rivière finira par rentrer dans son lit.
Certaines indications montrent que ces retrouvailles pourraient avoir lieu au sommet d'Evian.
Plus fondamentalement, les deux rives de l'Atlantique Nord sont solidaires parce que complémentaires et indissolublement liées.
Nous partageons évidemment les mêmes valeurs démocratiques.
C'est à dire avant tout le respect du droit dans les rapports entre les hommes et les communautés.
Nos intérêts sont inextricablement liés :
L'interdépendance économique et technologique transatlantique engendre naturellement la solidarité.
Javier Solana rappelait par exemple récemment, dans un discours à Harvard, qu'il y avait davantage d'investissements européens dans l'Etat du Texas que d'investissements américains au Japon.
Cela relativise les théories sur le déplacement vers le Pacifique du centre de gravité mondial.
De cette communauté d'intérêts naît tout naturellement une communauté de menaces.
Nous avons les mêmes dépendances et les mêmes contraintes en énergie et en matières premières.
Le terrorisme a frappé nos pays et leurs citoyens bien avant les attentats du 11 septembre.
Je rappelle que la solidarité de la France avec les Etats-Unis dans la lutte contre
Al-Qaida a été immédiate.
Elle reste totale.
C'est ensemble que nous devons lutter contre le terrorisme.
Mais nous devons être attentifs à combattre non pas seulement ses manifestations, mais aussi ses causes.
Pour lutter contre la mauvaise gouvernance, apaiser la région du Moyen-Orient, Etats-Unis et Europe ont des atouts complémentaires à faire valoir.
Il faut donc renforcer et rénover la relation transatlantique pour l'adapter à ces nouvelles menaces.
C'est la mission volontariste qu'entend proposer la France.
Notre volonté est de rénover la relation transatlantique pour la préserver.
Que l'on ne se méprenne pas : pour la France, l'OTAN reste au cur du système de défense de l'Europe, et donc de notre pays.
Mais l'Alliance doit être adaptée aux défis du monde contemporain, radicalement différent de ceux qui ont présidé à sa création.
Elle doit tenir compte de l'évolution des menaces : la NRF est une réponse que nous soutenons et appuyons.
Elle doit tenir compte de l'émergence d'une Union européenne appelée à jouer son rôle et à assumer ses responsabilités sur son propre continent.
La PESD existe de plus en plus, et pas seulement sur le plan des traités.
Elle a déjà relevé l'OTAN en Macédoine.
Elle s'apprête à le faire en Bosnie-Herzégovine.
Il ne s'agit pas d'une éviction.
Ces opérations se déroulent, ou se dérouleront, avec le soutien de l'OTAN.
Il ne faut cependant pas exclure, à terme, que nous montions des actions de façon autonome, à mesure que se renforceront nos capacités.
Nous devons aussi prendre en considération le fait que les priorités américaines se portent, dans la mesure où notre continent est largement sécurisé vers d'autres régions du monde.
Rénover l'Alliance, c'est aussi repenser les rapports qui unissent ses membres.
Je pense en premier lieu aux Etats qui l'ont rejoint récemment.
Ils doivent être aidés à jouer pleinement leur rôle de partenaires, ce que l'état actuel de leurs forces armées ne permet objectivement que de façon marginale.
Cela suppose bien sûr une remise à niveau de leurs matériels, mais aussi une véritable acculturation.
Pour que celle-ci soit pleinement acceptée, cela suppose que les rapports à l'intérieur de l'Alliance soient fondés sur le respect de chacun, la prise en compte des différences, la confiance.
Les alliés, pour agir comme tels, doivent être traités comme tels.
Notre diversité est notre richesse ; il faut l'utiliser.
Il appartient parallèlement aux Européens de prouver, en premier lieu à nos amis américains, qu'ils sont prêts à se donner les moyens de se défendre.
Le thème du partage du fardeau est une vieille antienne des relations transatlantiques.
L'évolution des menaces le met désormais à notre portée.
Actuellement, trois pays européens seulement consacrent à la défense une part proche de 2% de leur PIB.
Il s'agit de la France, de la Grande-Bretagne et de la Grèce.
Il est hautement souhaitable que d'autres nations fassent un effort similaire.
Leurs positions seraient davantage prises en considération.
La France désormais, vous le savez, montre dans ce domaine l'exemple.
Je ne manque jamais de le rappeler à mes collègues européens.
L'industrie de défense européenne, qui est un élément essentiel de notre maintien dans la course technologique, ne pourrait qu'en bénéficier.
La construction de l'Europe n'a jamais été facile.
Mais force est de constater que l'Europe de la défense, de façon peut-être moins spectaculaire, se construit plus vite que l'Europe de la monnaie.
Je ne doute pas qu'elle connaîtra un succès similaire.
Parce qu'elle se construit dans le respect de nos valeurs, de nos amitiés et de nos fidélités.
Un monde multipolaire est en train de se reconstruire.
La préservation du lien transatlantique continuera à y jouer un tôle déterminant.
Le pôle européen s'élabore.
Il a pour vocation de demeurer le partenaire privilégié du pôle américain.
Je vous remercie de votre attention
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 9 mai 2003)