Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à Europe 1 le 15 mai 2003, sur la négociation sur la réforme des retraites, notamment le financement de l'allongement de la durée des cotisations par la CSG et l'unité syndicale.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

Jean-Pierre Elkabbach - Bienvenu, bonjour François Chérèque.
François Chérèque - Bonjour.
Ça fait des nuits courtes courtes courtes..
Oui, deux heures c'est un peu court oui.
Est-ce que ce matin pour la CFDT un accord est encore possible ?
Ecoutez j'ai le sentiment ce matin d'un travail inachevé, c'est-à-dire qu'on a travaillé sur le fond sur des sujets importants, on a avancé, le gouvernement nous fait des ouvertures, sur les basses pensions, on a gagné 10% par rapport à se dernière proposition, sur le départ pour ceux qui ont commencé à travailler jeunes, mais le gouvernement ne nous dit pas à quel âge ils doivent partir, donc il y a encore quelque chose à faire, il doit être fait le plus rapidement possible.
Quand vous dites c'est inachevé, c'est une autocritique, ça aurait pu être achevé, c'est de votre faute ?
Nous nous sommes prêts à en discuter, je l'ai dit, jour et nuit, je pense qu'il y a eu un moment de fatigue à la fin de la nuit, je suis prêt à rouvrir ces discussions, dès que le gouvernement le souhaite, et je lui dis dans une heure, quand il veut.
Il n'y a pas de rendez-vous aujourd'hui, il n'y a pas de téléphone prévu, mais quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?
Il n'y a pas de rendez-vous prévu, mais comme moi je suis dans une démarche de négociations jusqu'au bout, je vais prendre contact avec le ministre du travail en lui disant il faut rediscuter et finir ce travail là.
Oui, finir ce travail avant la manifestation du 25 mai ou après ?
J'ai toujours dit qu'il y avait des moments pour manifester, on l'a fait le 1er février, puis pour se concerter, pour dialoguer, on l'a fait, c'est pour ça qu'on n'est pas allé à la manifestation le 3 avril. Après la manifestation du 13 mai, et qui est un fort soutien à la négociation, nous sommes nous dans une phase de négociations, donc nous voulons pousser la négociation jusqu'au bout et terminer, je le dis, le travail qui est inachevé, aujourd'hui ou demain, si le gouvernement le souhaite, nous y sommes prêts.
Vous n'attendez pas telle ou telle manif ?
Pour le moment nous ne sommes pas dans une démarche de manifestation, nous sommes dans une démarche de négociations. Le gouvernement n'est pas allé assez loin vis-à-vis de nos propositions, on peut recommencer le dialogue dans une heure s'il le faut.
Vous reconnaissez qu'il y a des avancées de la part de François Fillon, c'est-à-dire des concessions, peut-être même au delà de ce qu'il avait prévu de concéder, comme Olivier Samain l'a raconté toute la nuit, on a l'impression que chez vous aussi François Chérèque, l'appétit est venu en mangeant.
Quand on est dans une négociation, qu'on y rentre et qu'on est dans une vraie discussion sur les différents paramètres, par exemple pour les contreparties chez les fonctionnaires on a presque la totalité de ce qu'on a demandé, donc c'est quelque chose d'important, mais là je le dis bien, j'ai un sentiment d'inachevé. Il faut par exemple que le gouvernement me dire ceux qui ont commencé à travailler à 16 ans à quel âge ils vont partir. Il me dit avant 60 ans sous certaines conditions, que je ne connais pas, si c'est 59 ans c'est pas bon, c'est si 58 ans ça peut se discuter.
Mais vous croyez qu'on peut mettre le pays dans l'état où il est, pour, c'est important, mais c'est des problèmes qui peuvent se régler en deux heures, trois heures.
Ce problème peut se régler très rapidement, une demi-journée, une heure s'il le faut, mais il faut avancer, le gouvernement sait ce que veut la CFDT, eh bien il faut qu'il lui réponde.
Est-ce que je peux vous poser une question ? enfin une de plus, est-ce que vous pouvez, vous, signer, dans la CGT et sans Marc Blondel ?
Même si nous ne sommes pas dans une démarche de signature puisqu'il y aura la loi, la CFDT prendra sa décision, donnera un avis sur ce texte indépendamment des autres organisations, mais en fonction de ce qu'il y a dedans. Or aujourd'hui le gouvernement sait qu'il y a une différence entre ce qu'on demande et ce qu'il nous propose, eh bien il faut faire le pas, l'un vers l'autre, pour avancer vers une solution acceptable.
Donc ce matin vous dites pas de rupture, je suis prêt à reprendre le plus vite possible. Est-ce que vous dites vous aussi, encore que Bernard Thibault ne le fasse pas, appel à la grève générale ?
Non écoutez, on est dans une phase de discussions, aujourd'hui il y a des grèves par exemple à la RATP à Paris, le ministre nous a encore dit hier qu'ils n'étaient pas concernés, en aucun cas, par cette réforme.
Qui n'étaient pas concernés, vous voulez dire les régimes spéciaux, la RATP, la SNCF etc ?
En particulier ce régime-là, donc je ne comprends pas pourquoi ils continuent cette grève qui n'est pas sur le sujet des retraites puisqu'ils ne sont pas concernés, à moins qu'ils aient d'autres intentions, mais ce n'est pas les nôtres.
Vous disiez hier que vous ne les compreniez pas, d'autant plus que, je vous cite, ils bénéficient de la solidarité nationale, c'est-à-dire que tous payent pour eux, et aujourd'hui, est-ce que vous avez vu la rue ce matin, vous venez d'arriver, vous avez vu hier les encombrements interminables, la peine et la fatigue des usagers, ça ne vous choque pas ?
La CFDT n'est pas en grève à la RATP, parce qu'ils ont bien compris, eux, qu'ils n'étaient pas concernés par cette réforme, donc inévitablement on voit bien que les intentions sont ailleurs, donc ça c'est un vrai problème, naturellement cette grève ne devrait pas avoir lieu, on est dans une phase de discussion qui ne les concerne pas, nous nous voulons continuer cette discussion, le pire, je l'ai toujours dit, vous savez, le pire c'est qu'il n'y ait pas de réforme parce qu'on va sanctionner d'une part les plus modestes qui eux n'auront pas les moyens d'épargner pour leur retraite, et puis les plus jeunes qui demain vont avoir seuls l'ardoise de financer la réforme pour les plus anciens. Donc il faut faire cette réforme là, d'autant plus qu'ils ne sont pas concernés, donc il faut continuer, le gouvernement doit m'entendre, il y a une différence entre nos propositions et ce qu'il nous propose, on peut faire la différence mais il faut le faire vite bien évidemment.
Comment débloquer ?
Monsieur Fillon doit m'entendre, il connaît mes exigences sur les basses pensions, mes exigences sur les carrières longues, s'il m'entends, eh bien écoutez..
Vous voyez ce que vous venez de dire, mes exigences. Quand on fait une négociation l'un et l'autre doit faire des concessions, vous dites mes exigences, et en fait est-ce que vous ne laissez pas, François Chérèque, le choix douloureux à un gouvernement ou plus de déficit, ou une ponction fiscale et financière de plus ?
Non mais là le gouvernement il est parti, selon moi, sur une seule mesure qui est l'allongement de la durée de cotisations pour financer le total, nous nous proposons une petite CSG de 0,2 % pour financer quelques mesures qui sont des mesures de justice sociale, c'est là qu'il est bloqué parce qu'il ne veut pas débloquer là dessus, donc je pense que ce pas il peut le faire et il doit le faire aujourd'hui dans la journée.
Une petite CSG.
Oui.
Et en plus vous prenez un air malheureux pour dire une petite CSG de 0,2.
Oui, une petite CSG de plus de 0,2 parce que tout le monde a compris dans notre pays qu'on était en capacité de le financer parce qu'on est sur les salariés les plus modestes au niveau de leur niveau de pension, et ceux qui ont travaillé le plus longtemps, donc là on est dans une démarche de justice sociale.
Est-ce que vous avez chiffré ce que vous demandez ? Globalement.
Globalement, je vous l'ai dit, par rapport à tout ce qui a été discuté dans le plan, on est sur grosso modo 2 milliards d'euros par rapport aux moyens qu'on a là, ce qui fait 0,2 % de CSG, je crois que c'est atteignable pour tout le monde.
Cette réforme elle concerne, et on l'a répété à plusieurs reprises, tous les Français, leurs élus du Parlement, est-ce que de temps en temps vous n'oubliez pas les autres interlocuteurs socio-politiques, est-ce que vous ne considérez pas, pas seulement vous CFDT mais CGT etc, que vous avez le monopole des réformes et des retraites ? ou des blocages de réformes ?
Ecoutez, la CFDT demande cette réforme depuis cinq ans, donc on fait la réforme quand on a aussi les politiques qui ont le courage de la faire devant nous, là on a un gouvernement qui nous dit on veut faire cette réforme, donc on ne peut pas dire à la CFDT vous avez le monopole du blocage des réformes. Je le dis, la pire des choses ça serait de ne pas faire de réforme, encore faut-il nous entendre sur le niveau et le contenu de cette réforme, qui je le répète, est nécessaire, mais là on a encore un écart entre ce qu'il nous propose et ce que nous on propose, c'est de la négociation, on est dans une phase de négociation, on est dans une dramatisation qui arrive, mais il faut qu'on s'en sorte, si le gouvernement fait un geste, nous on est prêt à faire l'autre.
Vous dites négociation, vous avez négocié hier.
A partir du moment où on change les paramètres des propositions et qu'on les fait évoluer, oui je considère que c'est une négociation.
Si ça marche pas, s'il y a une impression de rupture, c'est un échec pour le gouvernement, vous considérerez que c'est un échec aussi pour vous ?
Inévitablement lorsqu'on est dans un dialogue social entre partenaires sociaux si on arrive pas à aller jusqu'au bout, c'est un échec pour tout le monde, ça sera surtout un échec pour les Français qui vont avoir une grande difficulté par rapport à leur régime par répartition.
En 2003 le régime général de la Sécurité Sociale va connaître un déficit considérable, deux fois les prévisions de la loi votée en 2002, les comptes s'envolent, les déficits aussi, vous êtes un expert dans cette matière, qu'est-ce que vous proposez ?
Très simplement, il n'est pas question là de se dire on augmente effectivement comme vous avez dit, d'un façon simpliste les prélèvements pour régler le déficit, si
C'est-à-dire que là vous ne dites pas ce matin il faut une plus grande CSG, la toute petite pour les retraites et la plus grande pour l'Assurance Maladie.
Si on ne règle pas la façon dont on maîtrise les dépenses demain, c'est-à-dire qu'on décide pas qu'est-ce qu'on finance dans la Sécurité Sociale et qui c'est qui a la maîtrise du système, inévitablement on va faire une augmentation de CSG tous les deux ans. Donc là le gouvernement doit faire cette réforme de fond, qui donne la possibilité à la Sécurité sociale, avec les mutuelles, de pouvoir gérer financièrement les dépenses, qu'il le fasse, fasse cette réforme, après on discutera du financement.
C'est-à-dire pas se contenter de réduire le remboursement des médicaments, d'inciter les médecins à respecter les honoraires et les tarifs, pas de bricolage. La vraie médecine
Non, parce que ça c'est une fuite en avant qui pèse uniquement sur les ménages, donc là on a besoin d'une réforme de fond, on l'a dit c'est la deuxième, elle est socialement plus dangereuse et plus importante que la première, donc ne nous loupons pas à la première, si le gouvernement veut aussi avec la CFDT pouvoir faire la deuxième.
Vous allez dormir là ou vous allez ouvrir tout de suite votre portable pour savoir si François Fillon vous appelle ?
Moi je suis disponible, nous sommes disponibles de rouvrir la discussion dès qu'il le souhaite.
Au passage, je dis François Fillon, mais vous préférerez Fillon ou le Premier ministre ?
A partir du moment que les propositions sont bonnes, peu importe, celui qui les propose, nous c'est sur le texte et le contenu qu'on se décidera.
(source http://www.cfdt.fr, le 15 mai 2003)