Interview de M. Noël Mamère, député des Verts, à LCI le 15 septembre 2003, à LCI le 15 septembre 2003, sur le résultat négatif du référendum en Suède concernant l'adhésion à la zone euro, l'échec des négociations de l'OMC à Cancun, la politique budgétaire et la situation en Corse.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.- Echec du référendum en Suède, échec à Cancun. En Suède, le "non" à l'euro était prévisible malgré l'assassinat de A. Lindh ?
- "Oui, la Suède cherche à se protéger parce qu'elle a un système social et économique particulièrement performant et quand elle voit ce qui se passe, notamment avec la France qui ne respecte pas le Pacte de stabilité, les Suédois ont marqué des réticences à rejoindre la zone euro, qui est pourtant une zone de protection, de mutualisation. S'il n'y avait pas l'euro, on serait encore soumis à la logique des dévaluations compétitives. C'est vrai qu'aujourd'hui, l'Europe, elle ne fait pas très envie. Elle a montré ses turpitudes, ou en tout cas ses limites, concernant le conflit au Proche-Orient, concernant l'intervention en Irak. Une Europe qui n'a pas de politique commune de défense et de sécurité, une Europe qui n'arrive pas faire respecter un certain nombre de règles par les plus grands pays, comme la France, qui se laisse traiter de vulgaire "bureau" par le Premier ministre français parce qu'il ne respecte pas le Pacte de stabilité."
Donc, vous dites oui à l'austérité, oui à la rigueur ?
- "Non, je ne dis pas oui à l'austérité, oui à la rigueur, je dis que l'Europe est une nécessité pour l'ensemble des pays qui la composent, et en particulier pour la France qui ne peut être que grande dans l'Europe. Je dis qu'il faut que cette Europe se renforce du point de vue social, du point de vue écologique, du point de vue économique. Ce n'est pas en faisant de l'Europe une simple zone de libre-échange, où chacun pourrait faire ce qu'il veut, ce n'est pas de cette Europe-là que nous voulons. [Ce que nous voulons] c'est une Europe fédérale dans laquelle il y ait des institutions communes et respectées et une Europe des citoyens, c'est-à-dire une Europe qui soit représentée à la Commission, qui soit élue, avec un Parlement qui ait beaucoup plus de pouvoir, c'est-à-dire que nous puissions contrôler ceux que nous désignons de manière démocratique."
L'échec à Cancun : hier, les ONG ont crié victoire. Est-ce vraiment une victoire, parce que Cancun tendait quand même à définir des règles dans le commerce international ?
- "C'est en tout cas un échec pour les pays comme l'Europe et les Etats-Unis qui prétendaient imposer leur loi aux pays les plus pauvres du monde. Aujourd'hui, l'humanité dans sa grande majorité est pauvre et les pays riches veulent imposer à l'ensemble de l'humanité leur loi. Nous défendons, avec les altermondialistes - les Verts sont au coeur des altermondialistes -, la question de la souveraineté alimentaire. La réalité, c'est que sur le dossier agricole en particulier, qu'il s'agisse des Etats-Unis ou de l'Europe, on pratique un véritable dumping en favorisant beaucoup les subventions. Je vous rappelle quand même un chiffre : une vache européenne gagne 2,5 $ par jour de subvention, alors que 40 % du continent africain vit avec moins de 2 $ par jour. Tant que l'on vivra avec des inégalités comme celle-ci, il ne faudra pas s'étonner que les pays émergeants et les pays en voie de développement se soient réveillés à l'occasion de Cancun. Il faut que l'OMC ne soit pas l'Organisation mondiale du commerce décidé par les riches mais il faut que ce soit l'Organisation mondiale du commerce équitable, c'est-à-dire qu'il y ait..."
La preuve, c'est que ce sont les pays en voie de développement qui ont fait échoué ; ce n'est pas l'organisation mondiale du commerce des riches.
- "Les pays pauvres ont eu raison de faire échouer cette 5ème session de l'OMC, comme ils avaient aussi fait échouer Seattle, pour une raison très simple, c'est qu'ils ne veulent pas vivre sur la dictature des pays riches qui voulaient leur imposer leur loi. Il faut donc que l'on se décide à ce que ce monde marche sur deux jambes et pas simplement sur celles des pays riches."
Et maintenant ?
- "Je ne sais pas si l'on peut dire que le cycle de Doha est terminé. En tout cas, je pense qu'il n'est pas bon d'en rester là, parce que le multilatéralisme vaut mieux que le bilatéralisme, où un pays riche choisit quels sont ses partenaires. Donc, il faut se battre pour le multilatéralisme. Cela veut dire qu'il faut se battre pour que l'OMC soit réformée, qu'elle soit plus démocratique, c'est-à-dire que les pays pauvres y soient mieux représentés. Se contenter de simplement réformer l'OMC, serait une petite partie de la vaste réforme mondialiste que nous voulons. Il faut aussi réformer le FMI, la Banque mondiale et et l'ONU qui ont montré leurs limites."
Cela ne se fait pas en un jour.
- "Cela ne se fait pas en un jour. En tout, pour ce qui concerne l'OMC, on a dit "stop, ça suffit", on n'en a assez d'être soumis à la logique des grandes multinationales."
Vous disiez tout à l'heure qu'une des raisons de l'échec du référendum en Suède pourrait être le fait que la France ne respecte pas les critères de Maastricht. C'est un peu contradictoire dans la mesure où vous souhaitez quand même la croissance économique...
- "Vous me dites à moi que je souhaite la croissance économique ? Oui, je la souhaite mais quel type de croissance ? Est-ce une croissance économique qui affaiblit les plus pauvres, la croissance économique qui provoque l'effet de serre et la canicule comme on l'a vu, sans se soucier de l'impact sur l'environnement, de l'impact social et économique ? Cette croissance économique-là, elle ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est une croissance à dimension humaine. Plutôt que les indices économiques et les indices comptables, ce que je préfère, ce sont les indices de développement humain. Alors ne me dites pas à moi que je me bats pour la croissance économique ! Les Verts se sont toujours battus pour une croissance ne soit pas seulement une croissance comptable mais qui soit une croissance sur laquelle on puisse juger, par exemple, le niveau de protection de santé, le niveau d'éducation."
Rémunérer les fonctionnaires au mérite, c'est une croissance comment ?
- "Cela fait partie des contradictions de ce Gouvernement. On va rémunérer les fonctionnaires au mérite parce que l'on ne sait pas comment s'y prendre pour aborder une nouvelle négociation salariale. Le ministre n'en veut pas parce qu'il est en difficulté dans la mesure où le Gouvernement a beaucoup de difficultés à boucler son budget. Vous voyez bien que d'un côté, on essaie d'accomplir les promesses du candidat Chirac sur la réduction des impôts pour les plus riches - 3 % de l'impôt sur le revenu - et en même temps, vont tomber sur la tête de tous les Français - les riches seront épargnés, et les plus modestes vont payer - avec des impôts indirects. Des fois, d'ailleurs, on est en train de se demander s'il ne vaudrait pas mieux que les mensonges soient accomplis plutôt que les promesses."
Vous n'êtes pas de ceux qui disent qu'il faut réhabiliter le travail ?
- "Mais le travail existe dans ce pays ; la France est un des pays qui travaille le plus."
Peut-être pas assez.
- "Même avec les 35 heures, l'efficacité économique de la France est grande. La France reste le 3ème pays dans lequel les investissements étrangers sont importants. Donc, la France est un pays qui attire. On ne remet pas en cause les grandes lois sociales comme celle des 35 heures. C'est ce que veut faire ce Gouvernement, qui a choisi, par exemple, une décision emblématique en traitant les Français de fainéants, finalement, puisque pour venir en aide au grand âge et mener une politique sociale d'accompagnement, il paraît qu'il faut supprimer un jour férié, qui est le lundi de Pentecôte. Moi, je propose au Gouvernement de renoncer à ces 3 % de réduction d'impôt sur le revenu, cela fera 20 milliards d'euros qui pourront être mis à la disposition de la politique sociale."
Je voudrais votre avis sur ce qui se passe en Corse : est-ce que vous trouvez normal que des gendarmes soient obligés de quitter une commune parce que deux jeunes gens qui ont, semble-t-il, jeté des cocktails Molotov à l'intérieur de la gendarmerie ont été arrêtés ?
- "Non. La situation corse est une situation que je considère comme particulièrement critique. Je crois que l'échec du référendum a conduit à cette situation que nous risquons de connaître pendant pas mal de temps. L'Etat ne sait plus comment s'y prendre pour essayer de ramener ce qu'il appelle "l'ordre républicain", et donc, on est toujours dans cette valse-hésitation entre la discussion pour une plus grande autonomie et, en même temps, une répression beaucoup plus dure. Cette situation est catastrophique pour l'île, et catastrophique pour ceux qui veulent d'une Corse autonome, avec un statut particulier, comme le proposaient les accords de Matignon. Mais une Corse qui reste dans la République."
Là, on cherche quand même à torpiller toutes les avancées.
- "Que la Corse reste dans la République ; la Sardaigne est toujours dans l'Italie, les Baléares font toujours partie de l'Espagne. Il y a beaucoup d'îles de la Méditerranée qui ont des statuts beaucoup plus autonomes que ceux qui étaient prévus par les accords de Matignon, qui peuvent même lever les impôts et qui ont même des pouvoirs législatifs, et qui restent toujours dans l'unité républicaine."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 septembre 2003)