Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO à France 2 le 25 avril 2003, sur la réforme des retraites, notamment l'allongement des cotisations, les pensions des bas revenus et la mobilisation syndicale.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

G. Leclerc-. Voyez notre confrère Le Parisien : "Retraites, cette fois, Fillon a tout dit"...
- "C'est pour ça que je ne devrais pas dire "Bonjour"."
Justement, j'allais vous le dire, il a tout dit, notamment sur l'allongement de cotisation, qui sera un effort important pour les fonctionnaires. 40 ans pour tous en 2008, 41 ans dès 2012, 42 ans dès 2020. Vous êtes rassuré ?
- "Ah oui, vous parlez ! C'est confirmation de ce que je craignais. Je crois qu'il faut bien voir l'affaire. J'ai écouté, F. Fillon, hier, avec beaucoup d'intérêt. Techniquement, c'était bien fait : l'homme était sûr, on aurait dit un bon élève qui passait le baccalauréat et qui était au-delà de son sujet, il était très compétent. Le problème, c'est que, manifestement, il y a une ambiguïté permanente, parce que ce qu'il a fait, c'est pas du tout la pérennisa tion des retraites. Ce qu'il a fait, il a réglé le problème du budget. En définitive, c'est ça qui compte. En définitive, c'est de réduire le budget. On n'a pas parlé des retraites complémentaires, on a parlé strictement des pensions des fonctionnaires, dont je rappelle qu'ils ne sont pas par répartition. Il n'y a pas de caisse de retraite pour les fonctionnaires. C'est la garantie de l'Etat, c'est le grand livre de la dette publique. Cela n'a rien à voir avec une caisse qu'il faudrait équilibrer. On maintient l'ambiguïté pour, en quelque sorte, irriter un petit peu les uns contre les autres. Par contre, on a parlé alors de la Sécurité sociale, du régime de sécurité sociale, et je suis en train de me rendre compte qu'il ne fera pas bon dans quelques années d'avoir 75 ans et d'être malade. Parce que, premièrement, on aura une retraite à la baisse, et pas sûr encore d'avoir quelques années plus tard une retraite... Avant, nous avions des retraites garanties. Maintenant, tous les cinq ans, il n'est pas du tout sûr qu'on ne va pas aller rechercher un équilibre qui remettra en cause la retraite précédente."
F. Fillon a quand même dit justement qu'il garantissait une retraite...
- "Il ne garantit pas!"
... En moyenne les deux tiers du revenu de référence, et puis pour les bas revenus, il a dit que ça serait 75 % du Smic.
- "Mais attendez ! Pardonnez-moi, sauf que F. Fillon a dit que, pour garantir tout ça, il fallait avoir de l'espérance pour ce qui concerne le chômage... Tout son système tient par un équilibre en 2006, équilibre qui serait le retournement de la démographie et qui ferait qu'il y aurait moins de chômeurs en 2006 que maintenant. Ca reste à démontrer. Je rappelle que depuis 1975 dans ce pays, il y a un chômage récurrent, et qu'en définitive, on est toujours autour de 8 jusqu'à 10 %. 2 %, ça fait beaucoup en plus, bien entendu, mais ça veut dire qu'il y a un chômage permanent dans ce pays. Et je ne vois pas ce qui permet à F. Fillon de dire : en 2006 nous allons rééquilibrer les choses, nous allons trouver l'argent en 2006, parce qu'on baissera les cotisations de l'Unedic. Je ne suis pas du tout d'accord avec lui. J'ai un jugement peut-être tout simplement plus concret, pardonnez-moi, moins théorique. Le problème est relativement simple : ça sera l'ouverture du marché européen à 25, ça sera le problème d'émigration, ça sera le problème des délocalisations parce que les entreprises, ça sera encore plus facile, de faire faire une partie de la production dans les pays voisins."
Vous savez que F. Fillon a dit que de toute façon, il n'y avait pas le choix, qu'il fallait désamorcer une bombe, et qu'il n'y avait pas d'alternative, notamment de la part des syndicats.
- "Non, alors là ... Je m'associe d'ailleurs à ce qu'a dit Thibault - on a fait des propositions différentes - sauf qu'il part d'un postulat, F. Fillon. Vous savez ce qu'il est en train de nous faire ? Il est en train de nous faire la maîtrise comptable des retraites comme on a fait en sont temps la maîtrise comptable de la Sécurité sociale avec les conséquences que l'on connaît. En termes clairs, il a dit : on ne dépensera pas plus d'argent pour les retraites que par le passé. Vous allez vieillir, vous allez être ... mais on ne réaffectera pas une part de richesse. Ca veut dire, en termes clairs : pas de prélèvements sociaux supplémentaires."
Les salariés seront contents.
- "Pourquoi ?"
Parce qu'ils ne paieront pas plus, justement.
- "Mais attendez, les prélèvements, c'est pas simplement les salariés. Moi, j'ai fait des propositions à F. Fillon, notamment de taxer les bénéfices non réinvestis. Je regarde l'état à l'heure actuelle du pays. Vous voulez que je donne des chiffres - on va encore dire que je fais le provocateur : vous savez qu'à l'heure actuelle il y a déjà pratiquement plus de 9,3 % des cotisations Urssaf qui sont des exonérations. Cela veut dire qu'à l'heure actuelle, pour créer des emplois, on fait des efforts considérables vis-à-vis des entreprises. Et quand on regarde de plus près, vous n'allez quand même pas me dire que les entreprises qui sont au CAC-40 ne font pas des
bénéfices ! Pourquoi alors leurs présidents gagnent 500 et quelquefois le Smic à l'année ? Il faut quand même remettre les choses au point. Il y a des richesses dans ce pays. Le problème du vieillissement, c'était comment affecter et faire que les retraités puissent garder en quelque sorte, un pouvoir d'achat qui soit un pouvoir d'achat qui en font des acteurs économiques, au même titre que les actifs."
Là, le ministre a quand même a donné des garanties. Je répète, il a dit : deux tiers du salaire de référence et 75 % pour le Smic. C'est des garanties ça.
- "Non, mais vous savez ce que ça fait 75 % du Smic ? Vous savez ce que ça fait comme revenus ? Vous voulez m'expliquer à moi, que quelqu'un de 75 ans, qui risque d'être malade, dont on fait remarquer que, sur le plan de la Sécurité sociale, ce sont eux qui consomment le plus, et qui demain n'auront plus de couverture, qui demain vont être obligés d'aller devant une mutuelle ! Le niveau des mutuelles, pour prendre les gens qui ont 75 ans, maintenant, ça équivaut pratiquement à 10 % de la mensualité du retraité. Il faut regarder ce genre d'affaire ! Il ne va pas faire bon vieillir en France d'ici dix ou quinze ans. Je le dis tout à fait clairement."
Le ministre a également évoqué, justement pour compléter, deux dispositifs pour encourager la capitalisation, étendre ce qu'on appelle la Préfon chez les fonctionnaires, et puis, l'extension également des plans d'épargne d'entreprise, donc un nouvel étage de retraite par capitalisation.
- "Oui, mais là aussi, c'est aussi possible à faire quand on a de l'argent. Bien entendu. Je n'ai rien contre les gens personnellement placent de l'argent, etc. S'ils en ont, s'ils peuvent le faire. Or, l'ennui, c'est que, manifestement, dans les situations présentes, à l'heure actuelle, mis à part des gens qui sont arrivés à l'apogée de leur activité professionnelle, sinon le reste n'a pas d'argent. Il faut bien regarder. En définitive, il y a quelque chose que je n'ai pas compris du tout, mais pas du tout, il nous a expliqués que nous étions le pays où il y avait le plus de chômage de jeunes et où il y avait le plus d'inactivité chez les plus âgés - entre 50 et ... Bon. Je voudrais rappeler que, là aussi, c'est une spéculation sur le comportement des patrons. Les patrons ne s'engagent pas à maintenir les gens au-delà de... Vous croyez que les gens de Métaleurop, ceux de Daewoo, etc, ne voulaient pas travailler jusqu'à 60 ans ? Ils voulaient tous travailler jusqu'à 60 ans."
Alors, face à cette réforme donc que vous contestez, quelle riposte possible ? Le ministre a dit qu'il ira au bout. Est-ce que c'est pas perdu d'avance pour vous ?
- "Pourquoi voulez-vous que ce soit perdu d'avance ? Ou alors, il passera aux forceps, mais ça c'est autre chose. Mais on est dans une démocratie. Cela veut donc dire, vous le savez, les organisations syndicales se sont vues, elles sont discuté, elles ont considéré que sur leur ligne, les uns et les autres, sur leur orientation, nous allons faire du 13 mai une journée de revendications, une journée de manifestations et de grève".
Un baroud d'honneur non ?
- "Non, c'est pas un baroud d'honneur. Non, surtout pas. Je pense, au contraire, parce qu'on est en train de nous faire - il faut bien regarder le timing - mai, juin et ça va sortir pour le 14 Juillet. Le président de la République se félicitera d'avoir pérennisé les retraites. Et après, c'est les vacances. C'est très exactement ce que Balladur nous a faits. Je reçois encore tous les jours du courrier des gens..."
Oui, mais qu'est-ce que vous faites face à ça ?
- "Justement, le 13 mai !"
Et ça suffira ?
- "Non. Nous reprendrons, le cas échéant, au-delà du 13 mai, autre chose pour marquer. Et on va voir un peu comment l'opinion publique réagit. On va voir si F. Fillon a convaincu comme il l'espère. On va voir si les gens ont bien compris. Si les gens ont bien compris, eh bien c'est clair, c'est net et précis, il va y avoir une réaction. C'est évident. Bien entendu, réaction qui viendra et de la fonction publique et du privé. C'est clair. Il y aura même une réaction, je le souhaite, parce qu'il n'a pas été très brillant sur le chômage hein !"
Si, si, il a dit clairement que le chômage allait se stabiliser à l'automne et la courbes serait inversée l'an prochain.
- "Sur quoi ? Sur quelles bases ?"
La courbe du chômage.
- "Vous ne vous souvenez pas, il y a quelques temps, j'ai soutenu F. Fillon, parce qu'il parlait d'une task force, oui. Vous avez entendu, et qu'on allait, en quelque sorte, prendre le problème du chômage à bras-le-corps, etc. Qu'est-ce qui nous a ressorti hier ? Tous les classiques : la formation, l'inadéquation, etc, etc. Je regrette, la France est en train de se désindustrialiser. Il regarde passer les trains, ils ne font rien ! Ce qui veut dire en termes clairs, qu'il y aura de plus en plus un chômage qui sera un chômage récurrent. On restera à 8 ou 10 %. Ce qui veut dire qu'on ne pourra pas aller appréhender l'argent dont parle F. Fillon, ce qui veut donc dire que, d'ores et déjà, il fallait parler : voilà, nous voulons maintenir le système de retraite de telle façon et on va voir maintenant comment on va procéder à son financement. C'est ainsi qu'on aurait dû faire et ne pas faire l'inverse. Je rappelle d'ailleurs, que monsieur Raffarin, sur votre antenne, l'avait avoué en quelque sorte, il avait dit : on va tout mettre à plat pour se redonner des marges. Cela veut dire quoi ? Si on met à plat pour se donner des marges, ça veut dire que ce qu'on proposer c'est inférieur à ce qui existait préalablement. Et ça, c'es pas une réforme, c'est une contre-réforme."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 avril 2003)