Texte intégral
Ruth Elkrief - Bonjour François Chérèque, merci d'être avec nous. Comment avez-vous jugé la mobilisation d'hier ? Elle vous a surpris ?
François Chérèque - Honnêtement, c'était une très grosse mobilisation, au-delà de nos espérances au départ. On a aujourd'hui un rapport de force qui est très clair. J'ai l'impression que ce soir on va rentrer dans une négociation, avec beaucoup de monde derrière nous pour pousser face au gouvernement. Donc c'est une bonne nouvelle mais qui montre que les salariés français n'ont pas bien compris les objectifs du gouvernement dans la réforme.
Les salariés du public ou les salariés du privé ?
Des salariés du privé, il y en avait aussi beaucoup, surtout en province. Mais ils venaient surtout d'entreprises qui ont connu des plans sociaux et des problèmes d'emploi. Il est évident qu'on ne peut pas - et moi je le comprends très bien - faire accepter à des salariés qui sont licenciés pour la plupart après 55 ans, qu'ils vont devoir travailler plus longtemps. Donc là il y a une contradiction dans le projet du gouvernement et la réalité économique. Discutons tous les cinq ans d'une adaptation entre la durée de cotisations, le montant des cotisations, le montant des pensions et ne nous figeons pas sur une obligation d'augmenter la durée de cotisations, comme ça indéfiniment.
Certains syndicats appellent à la reconduction de la grève. Aujourd'hui, la CGT/RATP continue la grève. Qu'est-ce que vous en pensez ? Vous êtes d'accord ? Vous trouvez que c'est bien ?
Je ne comprends pas moi la position de la CGT à la RATP. Le ministre mardi a été très clair. Cette réforme ne s'adresse pas à eux. Elle ne sera pas appliquée chez eux. Ils continuent à faire cette grève, alors qu'ils bénéficient, eux, de la solidarité nationale. Alors, veulent-ils empêcher une réforme dont le principe a été accepté par tout le monde, ce qui aurait pour résultat de sanctionner en particulier les salariés du privé les plus modestes, qui n'ont pas les moyens d'épargner, ou les jeunes qui vont avoir en charge de financer la réforme de demain, alors qu'eux ne sont pas concernés par la réforme.
Enfin ils disent que ce sera à leur tour un peu plus tard, que maintenant c'est de la prévention presque de la politique de précaution.
Ecoutez, moi les frappes par prévention, je ne reconnais pas ça. Non, le ministre a été clair hier. Il faut faire cette réforme, tout le monde le sait. Et ceux qui veulent l'empêcher, inévitablement sanctionneront d'abord ceux qui aujourd'hui participent à la solidarité vis-à-vis d'eux. Ca ce n'est pas compréhensible.
Alors est-ce que ça veut dire que vous n'appelez pas, comme la CGT par exemple, à la manifestation du 25 mai, qui doit être une grande marche, comme le demande Bernard Thibault ?
Pour la CFDT, appeler à un mouvement le 25 mai aujourd'hui, c'est rentrer dans un échec ce soir ! Moi, je ne préjuge pas qu'on va avoir un échec ce soir. Ce soir j'y vais pour gagner ! J'y vais pour négocier. Pour une fois que l'on va avoir une vraie négociation sur les retraites, dire avant de rentrer dans la négociation que je vais déjà appeler à une manifestation contre ce qui va sortir de la négociation, cela signifierait que j'y vais en perdant. Donc si le ministre a devant lui des syndicats qui ont déjà décidé de s'opposer à ce qui va sortir de la négociation, il ne nous donnera rien ! Donc là on a un rapport de force qui est clair, qui est fort. L'unité syndicale aujourd'hui doit s'exprimer dans la négociation ce soir et tous les syndicats doivent être forts de cette mobilisation pour pousser dans la négociation. On verra si il faut manifester encore après.
Demain ou après-demain vous pourriez appeler si vous n'êtes pas satisfait. Mais revenons sur la négociation précisément : qu'est-ce que vous attendez ? On évoque évidemment l'augmentation du taux de remplacement des pensions les plus basses. On est à 75 % aujourd'hui, vous attendez quoi ? 80 %, 90 % ?
Sur ces retraites les plus basses, à 75 %, c'est 5 % de moins de ce qui se fait aujourd'hui. Moi je ne peux pas vendre quelque chose qui est inférieur à ce qu'on a aujourd'hui. Donc on est loin du but là-dessus. Les longues carrières - 14/15 ans- ce sont 75 000 salariés. Si on obtient 16 ans, ce sont 400 000 personnes.
C'est-à-dire tous les gens qui ont commencé à 16 ans, et qui auraient le droit de partir avant 60 ans à 58 ans. On passerait de 75 000 à 400 000 si on a commencé à 16 ans et à 500 000 si c'est 17 ans. Donc vous voyez les marges sont importantes. Nous sommes loin de nos objectifs !
C'est ce que vous attendez ce soir. Vous y croyez ?
On y croit. Je crois que c'est quelque chose qui est accepté par tout le monde aujourd'hui ! et le gouvernement ne peut pas nous le refuser ou s'il nous le refuse, là on aura un blocage fort. On a toutes les contreparties pour les fonctionnaires, je ne reviens pas sur la caisse de retraite obligatoire
... La retraite complémentaire...
... Les retraites complémentaires. Sur ces carrières difficiles ou atypiques comme les enseignants, le personnel soignant. Il faut rassurer. Il faut régler par ailleurs le problème de l'éducation nationale. Ce n'est pas normal qu'il y ait plusieurs mois de blocage de l'éducation nationale, sans vraie négociation. Là le ministre de l'Éducation doit faire quelque chose. Donc il y a tous ces points là. Mais moi j'ai deux points sur lesquels je veux insister particulièrement ce matin, qui à mon avis sont en mesure de débloquer beaucoup la visibilité de cette réforme. Un : les salariés du privé se rendent compte aujourd'hui qu'ils sont encore dans une dégradation de leurs pensions. Donc on leur propose une réforme qui leur amène encore une dégradation des pensions alors la réforme Balladur n'est pas finie d'être appliquée...
... La réforme Balladur, c'est la loi de 1993, qui prévoit que le niveau des pensions passait des dix meilleures années aux vingt-cinq dernières meilleures années, et donc évidemment ça faisait un peu baisser le niveau...
Cela a fait baisser le niveau un peu de façon importante et aujourd'hui on en est aux vingt meilleures années. Il est prévu de passer progressivement à vingt-cinq. Je propose très clairement au gouvernement de geler cette mesure, d'en rester aux vingt meilleures années, donc d'arrêter la dégradation des pensions...
... Du privé.
Du privé. De telle façon que, tous les cinq ans, on puisse rediscuter le niveau des pensions : est-ce qu'on passe à vingt-cinq dans cinq ans, on discutera de ça. Deuxièmement, les cotisations et troisièmement, la durée des cotisations. De telle façon qu'on ait une réforme adaptable tous les cinq ans. Donc geler cette mesure aujourd'hui.
Mais enfin, ça va coûter de l'argent ça ?
On nous dit : ça coûte de l'argent. Donc je propose, puisque là aussi je crois que c'est compris, il y a un besoin de solidarité nationale, de mettre une petite CSG.
Une petite cotisation sociale généralisée.
Une petite cotisation sur tous les revenus, pour financer cette mesure et financer la mesure de départ avant 60 ans pour les carrières longues. Une petite CSG de 0,2/0,3 % - ça c'est à discuter - qui a l'avantage de faire participer les salariés bien évidemment, les retraités aussi mais tous les revenus, en particulier ceux du capital et du patrimoine. Donc c'est la mesure la plus juste, donc ces deux mesures : le gel de la mesure Balladur, plus une petite CSG, doivent nous permettre de financer ce que la CFDT propose ce matin.
Lorsque François Chérèque vous annoncez cela, lorsque vous nous dites cela ce matin, vous l'avez déjà dit à François Fillon ? Comment cela se passe-t-il ?
Les cinq points que je viens de rappeler ce matin, je les rappelle tous les jours. Dans les médias - comme vous me donnez l'occasion de le faire, et c'est souvent - dans toutes mes rencontres, et inévitablement le ministre nous dit : on vous a ouvert une porte moi j'essaie de la pousser au maximum. Donc j'essaie de la pousser, je téléphone, je vais voir, je le répète et je le répète. Et ça je suis près à y passer la nuit et la journée de demain s'il le faut mais si on obtient ces cinq points, je crois qu'on pourra s'en sortir.
(source http://www.cfdt.fr, le 15 mai 2003)
François Chérèque - Honnêtement, c'était une très grosse mobilisation, au-delà de nos espérances au départ. On a aujourd'hui un rapport de force qui est très clair. J'ai l'impression que ce soir on va rentrer dans une négociation, avec beaucoup de monde derrière nous pour pousser face au gouvernement. Donc c'est une bonne nouvelle mais qui montre que les salariés français n'ont pas bien compris les objectifs du gouvernement dans la réforme.
Les salariés du public ou les salariés du privé ?
Des salariés du privé, il y en avait aussi beaucoup, surtout en province. Mais ils venaient surtout d'entreprises qui ont connu des plans sociaux et des problèmes d'emploi. Il est évident qu'on ne peut pas - et moi je le comprends très bien - faire accepter à des salariés qui sont licenciés pour la plupart après 55 ans, qu'ils vont devoir travailler plus longtemps. Donc là il y a une contradiction dans le projet du gouvernement et la réalité économique. Discutons tous les cinq ans d'une adaptation entre la durée de cotisations, le montant des cotisations, le montant des pensions et ne nous figeons pas sur une obligation d'augmenter la durée de cotisations, comme ça indéfiniment.
Certains syndicats appellent à la reconduction de la grève. Aujourd'hui, la CGT/RATP continue la grève. Qu'est-ce que vous en pensez ? Vous êtes d'accord ? Vous trouvez que c'est bien ?
Je ne comprends pas moi la position de la CGT à la RATP. Le ministre mardi a été très clair. Cette réforme ne s'adresse pas à eux. Elle ne sera pas appliquée chez eux. Ils continuent à faire cette grève, alors qu'ils bénéficient, eux, de la solidarité nationale. Alors, veulent-ils empêcher une réforme dont le principe a été accepté par tout le monde, ce qui aurait pour résultat de sanctionner en particulier les salariés du privé les plus modestes, qui n'ont pas les moyens d'épargner, ou les jeunes qui vont avoir en charge de financer la réforme de demain, alors qu'eux ne sont pas concernés par la réforme.
Enfin ils disent que ce sera à leur tour un peu plus tard, que maintenant c'est de la prévention presque de la politique de précaution.
Ecoutez, moi les frappes par prévention, je ne reconnais pas ça. Non, le ministre a été clair hier. Il faut faire cette réforme, tout le monde le sait. Et ceux qui veulent l'empêcher, inévitablement sanctionneront d'abord ceux qui aujourd'hui participent à la solidarité vis-à-vis d'eux. Ca ce n'est pas compréhensible.
Alors est-ce que ça veut dire que vous n'appelez pas, comme la CGT par exemple, à la manifestation du 25 mai, qui doit être une grande marche, comme le demande Bernard Thibault ?
Pour la CFDT, appeler à un mouvement le 25 mai aujourd'hui, c'est rentrer dans un échec ce soir ! Moi, je ne préjuge pas qu'on va avoir un échec ce soir. Ce soir j'y vais pour gagner ! J'y vais pour négocier. Pour une fois que l'on va avoir une vraie négociation sur les retraites, dire avant de rentrer dans la négociation que je vais déjà appeler à une manifestation contre ce qui va sortir de la négociation, cela signifierait que j'y vais en perdant. Donc si le ministre a devant lui des syndicats qui ont déjà décidé de s'opposer à ce qui va sortir de la négociation, il ne nous donnera rien ! Donc là on a un rapport de force qui est clair, qui est fort. L'unité syndicale aujourd'hui doit s'exprimer dans la négociation ce soir et tous les syndicats doivent être forts de cette mobilisation pour pousser dans la négociation. On verra si il faut manifester encore après.
Demain ou après-demain vous pourriez appeler si vous n'êtes pas satisfait. Mais revenons sur la négociation précisément : qu'est-ce que vous attendez ? On évoque évidemment l'augmentation du taux de remplacement des pensions les plus basses. On est à 75 % aujourd'hui, vous attendez quoi ? 80 %, 90 % ?
Sur ces retraites les plus basses, à 75 %, c'est 5 % de moins de ce qui se fait aujourd'hui. Moi je ne peux pas vendre quelque chose qui est inférieur à ce qu'on a aujourd'hui. Donc on est loin du but là-dessus. Les longues carrières - 14/15 ans- ce sont 75 000 salariés. Si on obtient 16 ans, ce sont 400 000 personnes.
C'est-à-dire tous les gens qui ont commencé à 16 ans, et qui auraient le droit de partir avant 60 ans à 58 ans. On passerait de 75 000 à 400 000 si on a commencé à 16 ans et à 500 000 si c'est 17 ans. Donc vous voyez les marges sont importantes. Nous sommes loin de nos objectifs !
C'est ce que vous attendez ce soir. Vous y croyez ?
On y croit. Je crois que c'est quelque chose qui est accepté par tout le monde aujourd'hui ! et le gouvernement ne peut pas nous le refuser ou s'il nous le refuse, là on aura un blocage fort. On a toutes les contreparties pour les fonctionnaires, je ne reviens pas sur la caisse de retraite obligatoire
... La retraite complémentaire...
... Les retraites complémentaires. Sur ces carrières difficiles ou atypiques comme les enseignants, le personnel soignant. Il faut rassurer. Il faut régler par ailleurs le problème de l'éducation nationale. Ce n'est pas normal qu'il y ait plusieurs mois de blocage de l'éducation nationale, sans vraie négociation. Là le ministre de l'Éducation doit faire quelque chose. Donc il y a tous ces points là. Mais moi j'ai deux points sur lesquels je veux insister particulièrement ce matin, qui à mon avis sont en mesure de débloquer beaucoup la visibilité de cette réforme. Un : les salariés du privé se rendent compte aujourd'hui qu'ils sont encore dans une dégradation de leurs pensions. Donc on leur propose une réforme qui leur amène encore une dégradation des pensions alors la réforme Balladur n'est pas finie d'être appliquée...
... La réforme Balladur, c'est la loi de 1993, qui prévoit que le niveau des pensions passait des dix meilleures années aux vingt-cinq dernières meilleures années, et donc évidemment ça faisait un peu baisser le niveau...
Cela a fait baisser le niveau un peu de façon importante et aujourd'hui on en est aux vingt meilleures années. Il est prévu de passer progressivement à vingt-cinq. Je propose très clairement au gouvernement de geler cette mesure, d'en rester aux vingt meilleures années, donc d'arrêter la dégradation des pensions...
... Du privé.
Du privé. De telle façon que, tous les cinq ans, on puisse rediscuter le niveau des pensions : est-ce qu'on passe à vingt-cinq dans cinq ans, on discutera de ça. Deuxièmement, les cotisations et troisièmement, la durée des cotisations. De telle façon qu'on ait une réforme adaptable tous les cinq ans. Donc geler cette mesure aujourd'hui.
Mais enfin, ça va coûter de l'argent ça ?
On nous dit : ça coûte de l'argent. Donc je propose, puisque là aussi je crois que c'est compris, il y a un besoin de solidarité nationale, de mettre une petite CSG.
Une petite cotisation sociale généralisée.
Une petite cotisation sur tous les revenus, pour financer cette mesure et financer la mesure de départ avant 60 ans pour les carrières longues. Une petite CSG de 0,2/0,3 % - ça c'est à discuter - qui a l'avantage de faire participer les salariés bien évidemment, les retraités aussi mais tous les revenus, en particulier ceux du capital et du patrimoine. Donc c'est la mesure la plus juste, donc ces deux mesures : le gel de la mesure Balladur, plus une petite CSG, doivent nous permettre de financer ce que la CFDT propose ce matin.
Lorsque François Chérèque vous annoncez cela, lorsque vous nous dites cela ce matin, vous l'avez déjà dit à François Fillon ? Comment cela se passe-t-il ?
Les cinq points que je viens de rappeler ce matin, je les rappelle tous les jours. Dans les médias - comme vous me donnez l'occasion de le faire, et c'est souvent - dans toutes mes rencontres, et inévitablement le ministre nous dit : on vous a ouvert une porte moi j'essaie de la pousser au maximum. Donc j'essaie de la pousser, je téléphone, je vais voir, je le répète et je le répète. Et ça je suis près à y passer la nuit et la journée de demain s'il le faut mais si on obtient ces cinq points, je crois qu'on pourra s'en sortir.
(source http://www.cfdt.fr, le 15 mai 2003)