Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en réponse à une question sur l'enquête sur l'assassinat du préfet Erignac, la réunion avec les élus corses sur l'avenir de l'île et le refus d'une amnistie, à l'Assemblée nationale le 8 février 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le député,
Naturellement je reste juge et seul juge de la réponse à la question de savoir si je dois vous répondre et ce sera toujours le cas dans l'avenir. Mais je vous réponds. Je reste libre comme vous êtes libre de vous exprimer, de poser des questions et moi d'y répondre.
Le préfet de Corse, en Corse, à Ajaccio, le ministre de l'Intérieur, à Paris, ont rappelé la mémoire du préfet Erignac, grand préfet de la République et dont il se trouve qu'il était mon ami, puisque nous avons été ensemble, condisciples, les deux mêmes chambres côte à côte à la Cité universitaire d'Antony. Donc, le lien que je garde personnellement avec Claude Erignac, je crois, accompagne le devoir que j'ai à l'égard du préfet, du préfet assassiné. Le ministre de l'Intérieur et le préfet de Corse ont rappelé la mémoire de cet homme et je m'incline une fois de plus, comme nous l'avons fait ensemble, dans une atmosphère à la fois recueillie et unanime, devant la douleur de son épouse et de ses enfants.
Nous avons tout mis en oeuvre et en particulier le ministre de l'Intérieur, mais aussi la Garde des Sceaux dans sa responsabilité, pour trouver, identifier les assassins du préfet Erignac. Nous avons arrêté des hommes d'un groupe que nous avons je crois, au niveau de responsabilité qui est le nôtre, confondus, et nous avons arrêté un groupe de ces hommes qui devront rendre compte de leurs actes devant la justice. L'un des membres de ce commando est en fuite et la justice et la police de notre pays, et le ministre de l'Intérieur en particulier - et nous avons eu l'occasion d'en reparler encore tout récemment -, poursuivrons leurs efforts sans relâche pour que cette personne soit interpellée et traduite devant la justice.
Par ailleurs, sur un plan politique, le 13 décembre dernier, j'ai invité les principaux élus de la Corse, membres de l'Assemblée de Corse, parlementaires, présidents des deux conseils généraux, à venir parler avec moi et avec plusieurs des ministres qui m'entouraient. J'ai pensé que nous étions dans une situation tendue, bloquée, où l'on ne voyait pas d'évolution possible et j'ai voulu donner un espace au dialogue. J'ai voulu qu'une remise en mouvement d'une discussion soit possible. J'ai pensé qu'il était de mon devoir de le faire d'abord avec les élus de la Corse, non pas pour leur en renvoyer la responsabilité car la République, l'Etat, le chef de gouvernement ont à cet égard des responsabilités à assumer. Et pour ce qui concerne la Corse, par cette initiative ou autrement, on ne peut pas dire que je me sois tenu silencieux et qu'on ne m'ait pas entendu. L'on connaît les positions qui sont les miennes et l'on connaît celles du Gouvernement. Nous avons ouvert cette discussion, ce dialogue et je me suis adressé aux élus de la Corse parce que je considère que ces élus de la Corse doivent nous dire ensemble dans leur unité possible, dans leurs convergences espérées ou dans la différence maintenue, de leur point de vue, comment ils voient l'avenir de cette île, dans la République avec ses évolutions possibles. Voilà la démarche que j'ai engagée.
Elle est engagée au grand jour. Je ne dialogue qu'avec les élus de la Corse, ceux qui ont accepté d'être mes interlocuteurs et ils travaillent ensemble à tenter de forger des réponses sur les quelques thèmes que j'ai proposés et certains de vos amis politiques non seulement y participent mais sont parfois têtes de file de ce dialogue, faut-il vous le rappeler ? Je ne leur en fais pas reproche mais je vous le rappelle. C'est cette démarche que je poursuis. Et nous verrons ce que les élus de la Corse sont capables de nous apporter ensemble, le Gouvernement nouera alors le dialogue avec eux. Il n'y aura pas d'autres discussions avec d'autres forces politiques que celles conduites en plein jour avec ces élus de la Corse. Ni hier pour ce qui concerne ce gouvernement, ni aujourd'hui, pour ce qui me concerne, concerne mes collaborateurs ou les membres du Gouvernement, ni demain il n'y aura de conciliabules secrets. Ce temps est passé et il ne reviendra pas. Mais je vais tenter de trouver une démarche et nous verrons si cette démarche est possible.
Quant à cette question de l'amnistie que vous avez évoquée, elle n'est en rien une question que je me pose. Je m'en tiens au dialogue politique que j'ai noué, c'est ce dialogue que je veux avancer, je ne sais pas si je pourrais le faire déboucher, cela dépendra des élus de la Corse, cela dépendra peut-être des Corses eux-mêmes si nous décidons ensemble et avec une autre autorité de l'Etat de leur demander leur avis, qu'elle qu'en soit la forme, cela dépendra sans doute de vous aussi et peut-être d'une autre assemblée si des propositions nous étaient faites. Il faudra bien donc trouver un accord, une forme de consensus pour essayer de trouver des solutions. Mais la question de l'amnistie que vous évoquez, n'est en rien pour moi une question que je me pose. J'ai accepté de discuter sans préalable parce que je préfère l'absence de violence, l'absence d'attentats sans préalable, que le préalable avec les attentats. Je ne sais pas ce que sera l'avenir, et je l'affronterai en responsabilité d'Etat mais en tout état de cause, la question que avez évoquée ne se pose pas à mes yeux, aujourd'hui et n'a en rien à être posée dans le débat politique. S'il n'y a pas de préalable, il n'y a pas non plus ce préalable : que personne ne pense pouvoir faire avancer cette thèse."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 9 février 2000)