Texte intégral
LE FIGARO : "Tous les ministres doivent tenir compte de leurs erreurs et des attitudes qui n'ont pas été bonnes", disiez-vous fin juillet. Au lendemain de la crise de la canicule, avez-vous des regrets quant à votre attitude et celle du gouvernement ?
Jean-Pierre RAFFARIN : J'ai vécu cette crise comme une épreuve pour le pays comme pour le gouvernement dont nous devons tirer toutes les conclusions pour l'organisation de nos systèmes d'alerte et de nos urgences. La centralisation de l'information a conduit à une insuffisance de réactivité: j'ai été choqué qu'il faille si longtemps pour obtenir des chiffres, et encore sans garantie de fiabilité. Il faudra aussi repenser la continuité des services publics au cours de ces périodes estivales. J'ai donné des instructions en ce sens. La concentration des vacances sur le mois d'août est excessive. Nous avions anticipé les besoins en dégageant un plus grand nombre de places disponibles à l'hôpital qu'en 2002. Nous préparons dès maintenant un programme pour les personnes âgées et dans l'avenir nous disposerons d'un véritable " plan canicule ".
Êtes-vous déterminé à supprimer un jour férié pour financer l'aide aux personnes âgées?
Cette idée, lancée il y a plusieurs mois par des associations, correspond à un véritable appel à la fraternité nationale. L'objectif est que la richesse produite par cette journée supplémentaire travaillée serve au financement d'un dispositif de prise en charge des besoins liés aux besoins des personnes vulnérables. Cette idée mérite d'être étudiée, mais j'y mets deux conditions : il est hors de question que cet effort soit supporté par les seuls salariés. Ce sont tous les Français, toutes les entreprises, qui devraient participer à cet effort collectif, donner de leur temps, de leur travail, d'eux-mêmes pour un surcroît de fraternité et il devra être clairement prévu que le produit de cette journée travaillée ne soit affecté à rien d'autre qu'à ce dispositif.
Avez-vous choisi le jour à supprimer ?
Je constate que le lundi de Pentecôte est le jour le plus fréquemment cité. C'est un jour dont la suppression ne porterait atteinte à aucune conviction.
Quelle hypothèse de croissance retenez-vous pour l'élaboration du budget 2004 ?
Il existe un consensus entre les experts pour estimer que la croissance 2004 s'établira entre 1,5% et de 1,9 %. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi l'hypothèse moyenne de 1,7%.
En 2003, vous vous étiez également appuyé sur les prévisions des experts pour tabler sur une croissance de 2,5%. Ce précédent ne vous incite-t-il pas à être plus prudent ?
L'année dernière, les experts avaient revu leurs estimations à la baisse entre juin et septembre. Cette année, à l'inverse, nous percevons en septembre un redémarrage qui n'était pas perceptible avant l'été. Je crois donc que l'hypothèse de 1,7 pour 2004 est prudente. C'est un socle. Je mets mon énergie au service de meilleurs résultats.
Quel sera le niveau de la baisse des impôts ?
Nous avons choisi de maintenir le cap et de baisser l'impôt sur le revenu de 3 %. En deux ans, l'impôt sur le revenu aura été réduit de près de 10 %. Dans le même temps, pour ceux qui ne payent pas l'impôt, nous augmenterons la prime pour l'emploi de près de 500 millions d'euros. Croissance et solidarité sont mes deux priorités. C'est bon pour l'emploi.
Il y aura d'autres mesures fiscales notamment pour les emplois familiaux : le plafond pour la réduction d'impôt pour l'aide à domicile sera portée à 10.000 euros (contre 7 400 euros aujourd'hui). Des dispositions particulières seront mises en uvre en faveur des personnes handicapées (achat d'équipement et adaptation de leur cadre de vie et des personnes âgées en établissement de longs séjours. Nous avons aussi mis en place un dispositif très favorable pour développer le mécénat, pour encourager la recherche en dynamisant le Crédit Impôt Recherche, favoriser les investissements dans les DOM-TOM et pour la création d'entreprise (jeunes entreprises innovantes).
Quand la TVA à 5,5 % dans la restauration pourra-t-elle entrer en vigueur ?
J'espère obtenir un accord suffisamment rapide de tous nos partenaires européens pour qu'elle s'applique dans le courant de l'année 2004.
Beaucoup, y compris dans la majorité, vous demandaient de renoncer aux baisses d'impôt, notamment pour financer des priorités nouvelles.
Régler les problèmes en faisant appel à l'impôt est une attitude archaïque. Ce dont nous avons besoin dans notre pays, c'est d'encourager le travail. Toute notre politique économique vise à créer une dynamique de croissance durable au service de l'emploi. Pour partager les fruits de la croissance, il faut d'abord créer de la richesse. Cela veut dire : réhabiliter le travail plutôt que réhabiliter l'impôt. Notre choix est clair, ce serait une grave erreur de changer de stratégie au moment où nous percevons les signes du retour de la croissance.
On sait désormais que le déficit public sera de 4 % en 2003. Quand et comment reviendrez-vous sous la barre des 3 % fixée par le pacte de stabilité et de croissance ?
Nous sommes attentifs aux critères de Maastricht et nous travaillons évidemment à la maîtrise de nos déficits. Mais j'intègre la réalité européenne aux priorités françaises. Nous avons choisi de nous attaquer au déficit structurel. D'où notre décision d'une augmentation zéro de nos dépenses. Compte tenu des priorités à financer, cela suppose d'importants redéploiements et des efforts de tous les ministères. Grâce à cette exigence, le retour de la croissance signifiera le retour des recettes et donc la baisse des déficits.
Pour réhabiliter le travail, une remise en cause plus radicale des 35 heures est-elle nécessaire ?
Nous avons déjà créé les outils législatifs permettant un assouplissement des 35 heures dans le secteur privé. D'une manière générale, je suis favorable à tout ce qui peut avancer par la voie de la négociation sociale. Mais la question de l'emploi ne se limite pas à la durée légale du travail. J'attends beaucoup des négociations entre partenaires sociaux sur la formation professionnelle qui doit aboutir ce mois-ci. Je souhaite que nos outils de formation soient tous tournés vers l'emploi notamment pour les PME. Nous devons avancer sur l'emploi des seniors. N'oublions pas les contrats sans charge pour les jeunes. L'intervention de l'État, sur le dossier Alstom, même si elle est ponctuelle, participe de ce combat pour l'emploi et contre la désindustrialisation de notre pays. Le combat est également une exigence européenne. Je vais prochainement rencontrer mes homologues anglais, allemand, espagnol et italien pour que nous agissions ensemble dans les domaines des infrastructures, de la recherche, de la formation et de l'innovation. Croissance et emploi doivent être davantage des priorités européennes.
Le déficit de l'assurance maladie sera de l'ordre de 10 milliards d'euros en 2003. Comment allez-vous le combler ?
Notre objectif est de stabiliser le déficit en 2004. Puis nous proposerons un plan santé : un programme d'ensemble qui concernera tous les sujets, de l'hôpital aux médicaments, et permettra à la fois de sauver notre système d'assurance maladie et de répondre aux souhaits des Français en matière de santé.
Ce programme fera l'objet d'une discussion avec tous les acteurs du monde de la santé. Un conseil d'orientation sera mis en place prochainement. Je présenterai notre démarche à l'occasion de son installation. Les mesures entreront ainsi en vigueur à la fin 2004.
Pouvons nous attendre jusque là alors que les déficits se creusent chaque jour ?
Le devoir du gouvernement est de dire la vérité mais il doit agir en confiance : le mal français, c'est la peur. Nous maîtriserons les déficits et des efforts seront nécessaires, mais nous nous pouvons pas prétendre régler tous les problèmes d'un seul coup. Avec le dossier des retraites, nous avons vu qu'il était possible de réformer la France ; chacun a pu constater également que le gouvernement savait " tenir bon " dans l'intérêt du pays. C'est la victoire des français. Nos retraites sont désormais garanties et préservées. Nous avons su faire une réforme difficile alors que nous n'avions plus de croissance. Dans le budget des dispositions nouvelles seront d'ailleurs introduites pour favoriser l'épargne retraite populaire. Dans un contexte de reprise de la croissance, nous réussirons à régler nos problèmes avec moins de tensions.
Une augmentation de la CSG est-elle prévue dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale présenté cet automne ?
Non, ce n'est pas à l'ordre du jour.
Pour éviter d'affronter de nouvelles grèves d'enseignants, avez-vous renoncé à toute réforme dans l'Education nationale ?
L'immobilisme est une voie sans issue pour la France. C'est vrai aussi dans l'Education nationale. J'ai tenu à parler du fond des sujets avec les responsables syndicaux. C'est la première fois que je les rencontrais, c'est pourquoi je les ai reçus seuls, sans les ministres, tout comme j'avais rencontré seul Bernard Thibault, François Chérèque ou Marc Blondel. Avec eux, j'ai senti que nous pourrions parvenir à un diagnostic partagé sur les forces et les faiblesses de l'école. Nous avons besoin d'un grand débat pluraliste qui débouchera sur une loi d'orientation.
Avez-vous des pistes de réflexion ?
Elles sont nombreuses. Le débat les précisera : il nous faut par exemple réfléchir à l'évaluation de la lecture pour que celle-ci soit un acquis pour tous les élèves de CE2. Je pense aussi au développement de l'enseignement professionnel. Je suis aussi soucieux de donner une dimension européenne à nos universités. J'aimerais que nous donnions à chaque jeune de 18 ans la possibilité d'aller au moins une fois dans un pays européen ; c'est un droit à l'Europe. Un renouveau de l'enseignement des langues donnera des chances nouvelles à la Jeunesse de France. D'autres projets devront aussi concerner les étudiants, force vive de la Nation.
L'un des différends portait sur la décentralisation des salariés TOS (personnels non enseignants). Certains syndicats affirment que ce projet est reporté. Qu'en est-il ?
J'avais promis de ne pas transmettre le projet de loi au Conseil d'État avant les négociations. La rédaction du projet de loi a été vue ensemble. Le texte est désormais transmis au Conseil d'État et le projet de loi sera discuté au Sénat au début du mois d'octobre. Il prévoit que les salariés TOS seront transférés au 1er janvier 2005.
Luc Ferry a-t-il encore le crédit suffisant pour conduire les réformes ?
L'équipe de la Rue de Grenelle a la volonté et la capacité de replacer l'Education au cur de la nation. Les difficultés rencontrées tiennent au caractère interministériel des sujets en débat (les retraites, la décentralisation, la fonction publique...) C'est pourquoi j'ai voulu que l'ensemble du gouvernement s'implique. Cela ne signifie pas la moindre défiance pour mes ministres. Ils savent pouvoir compter sur moi. Ensemble, nous voulons agir pour que la Nation exprime sa confiance dans les enseignants.
L'échec du référendum en Corse ne sonne-t-il pas le glas de toute évolution des structures administratives en France ?
Pas du tout. Plusieurs territoires nous ont déjà fait savoir qu'ils se mobilisaient sur ce type de consultations, lesquelles peuvent d'ailleurs être organisées par les collectivités territoriales elles-mêmes. Le processus de la consultation populaire est en marche, il ne s'arrêtera pas.
Après le "non" du 6 juillet, que pouvez-vous faire en Corse ?
Nous devons d'abord veiller au retour de la sécurité et au respect de l'État de droit. Nous devons ensuite poursuivre la mise en uvre du programme exceptionnel d'investissement de 2 milliards d'euros, pour le développement économique de l'île. Je suis enfin persuadé que le débat institutionnel pourra reprendre avec les assemblées locales élues au printemps prochain. Avec ces nouveaux élus, nous pourrons travailler à un projet " Corse 2010 ".
Vous avez inscrit votre action dans la perspective d'un "agenda 2006". Cela signifie-t-il que vous souhaitez rester à Matignon jusqu'à cette date ?
C'est au Président de la République de le décider, il sait que je suis ici en homme libre, au service de ma mission. J'assume mes responsabilités avec un vrai effacement personnel. Cela me donne beaucoup de liberté et de sérénité. Si ma présence ici en réjouit certains, tant mieux si leur nombre augmente !.. Parler d'un agenda 2006, c'est donner un sens à notre action, car on ne gouverne pas par trimestres. Notre débat politique reste marqué par la campagne de 2002. C'est bien d'avoir une ligne de départ, mais il faut aussi avoir une ligne d'horizon : une France plus ouverte dans un Monde plus juste.
L'affaiblissement de certains de vos ministres vous conduit-il à envisager un remaniement ?
Il n'y a pas aujourd'hui de nécessité de remanier le gouvernement. Être au gouvernement, c'est remplir une mission. L'épreuve fait aussi partie de la mission. Dans une bonne équipe, les relations humaines sont importantes et lorsqu'un ministre rencontre des difficultés, mon devoir de chef de la majorité est de l'aider. Je me réjouis vraiment que, nous ne soyons pas tiraillés par des ambitions personnelles qui stériliseraient l'action.
Quand je regarde les Universités d'été du Parti socialiste à La Rochelle, je constate que la compétition des ambitions et la question non réglée des alliances conduit au silence de la pensée. Leur seul ciment, c'est la critique du gouvernement. Mais le rejet ne fait pas le projet.
A l'UMP, la mise en place de courants est-elle nécessaire à la bonne organisation du débat interne ?
Les groupes parlementaires fonctionnent très bien, sans courant. La notion même de courant est porteuse d'idéologie. Je me méfie de l'idéologie car j'ai trop souffert dans le passé de l'esprit de chapelle. Pourquoi faudrait-il que l'on se retrouve dans un même courant sur tous les sujets ? Selon que l'on parle d'économie, d'Europe, de culture, on ne sera pas d'accord avec les mêmes personnes à chaque fois. Je préfère que nous mettions en place une éthique de la discussion avec, pourquoi pas, une instance de coordination du débat qui soit distincte de la direction du parti. Alain Juppé peut compter à la fois sur ma confiance et mon amitié pour conduire l'UMP.
Sur quelles bases doit se faire selon vous l'accord entre l'UMP et l'UDF pour les élections régionales ?
L'ouverture doit être pour chacun un impératif. Les électeurs ne veulent plus que les logiques partisanes l'emportent sur les logiques territoriales. Souvenez-vous des élections municipales de 2001 : les électeurs ont rejeté les plans élaborés par les structures partisanes et donné une prime aux listes construites autour de projets locaux. Il en sera de même aux élections régionales.
Quelles règles fixerez-vous pour les ministres désireux d'être candidats ?
Je souhaite qu'il puisse y avoir des ministres qui soient candidats. Ils pourront évidemment rester au gouvernement durant la campagne. Mais, après l'élection, il ne sera pas possible d'être à la tête d'un exécutif local et ministre à la fois. A chacun de choisir ce qu'il fera en cas de victoire. L'important est de dire les choses clairement avant le scrutin.
Dans une assemblée locale, il y a finalement deux fonctions : une fonction exécutive, incompatible avec une responsabilité ministérielle, et une fonction délibérative, comme par exemple la présidence du groupe majoritaire, qui ne l'est pas. On peut très bien imaginer des régions où une liste soit conduite par un tandem correspondant à ces deux tâches.
Quoi qu'il en soit, ces élections ne seront pas pour le gouvernement des élections de " mid-term ", comme on dit aux États-Unis. Je suis trop attaché aux territoires pour accepter que le débat national tue les débats locaux. C'est pourquoi je proposerai que pour les scrutins qui suivront ceux de 2004, les élections locales n'aient pas lieu le même jour dans toutes les régions. C'est ce qui se passe chez la plupart de nos voisins européens.
Serez-vous vous-même candidat en Poitou-Charentes ?
Je ne l'exclus pas, mais il est trop tôt pour répondre à cette question. Dans le passé, je n'ai jamais constitué mes listes avant la fin janvier.
Souhaitez-vous que Nicolas Sarkozy soit candidat en Ile-de-France ?
Je le laisse apprécier la situation. Il a des qualités multiples, adaptées aussi bien à une grande collectivité qu'au gouvernement. Mais je suis très heureux de son travail au sein de notre équipe et je n'ai aucune raison de souhaiter son départ du gouvernement.
Croyez-vous à l'émergence électorale de l'extrême-gauche ?
Les attitudes politiques violentes, les tentatives de blocages sont démocratiquement préoccupantes. La question de l'extrême-gauche est donc grave et le Parti socialiste a tort de penser que c'est en courant derrière qu'il réglera le problème. Certains en ont fait l'expérience.
Quelle est finalement votre position quand à la participation de ministres au projet d'émission de télé-réalité de TF1 ?
L'expression politique a besoin de créativité et je suis prêt à observer toute innovation, mais je suis opposé à ce que les ministres s'expriment en dehors de leur champ de responsabilité, dans un cadre qui ne respecte pas la dignité de leur fonction. On n'a pas besoin d'être en pyjama pour exprimer ses convictions. J'ai donné à mes ministres le conseil amical de ne pas se mettre dans ce type de situation.. Et je suis très exigeant sur l'amitié.
Les feux de forêt ont également ému l'opinion durant l'été. Etes-il possible de mieux sanctionner les auteurs d'incendies volontaires ?
Je souhaite qu'on puisse étendre la qualification de "crime" aux auteurs de graves incendies volontaires et les traduire ainsi systématiquement en Cour d'assises. Avec la même conviction, nous renforcerons les moyens humains et techniques nécessaires aux enquêtes pour traquer et arrêter ce type de criminels.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 5 septembre 2003)
Jean-Pierre RAFFARIN : J'ai vécu cette crise comme une épreuve pour le pays comme pour le gouvernement dont nous devons tirer toutes les conclusions pour l'organisation de nos systèmes d'alerte et de nos urgences. La centralisation de l'information a conduit à une insuffisance de réactivité: j'ai été choqué qu'il faille si longtemps pour obtenir des chiffres, et encore sans garantie de fiabilité. Il faudra aussi repenser la continuité des services publics au cours de ces périodes estivales. J'ai donné des instructions en ce sens. La concentration des vacances sur le mois d'août est excessive. Nous avions anticipé les besoins en dégageant un plus grand nombre de places disponibles à l'hôpital qu'en 2002. Nous préparons dès maintenant un programme pour les personnes âgées et dans l'avenir nous disposerons d'un véritable " plan canicule ".
Êtes-vous déterminé à supprimer un jour férié pour financer l'aide aux personnes âgées?
Cette idée, lancée il y a plusieurs mois par des associations, correspond à un véritable appel à la fraternité nationale. L'objectif est que la richesse produite par cette journée supplémentaire travaillée serve au financement d'un dispositif de prise en charge des besoins liés aux besoins des personnes vulnérables. Cette idée mérite d'être étudiée, mais j'y mets deux conditions : il est hors de question que cet effort soit supporté par les seuls salariés. Ce sont tous les Français, toutes les entreprises, qui devraient participer à cet effort collectif, donner de leur temps, de leur travail, d'eux-mêmes pour un surcroît de fraternité et il devra être clairement prévu que le produit de cette journée travaillée ne soit affecté à rien d'autre qu'à ce dispositif.
Avez-vous choisi le jour à supprimer ?
Je constate que le lundi de Pentecôte est le jour le plus fréquemment cité. C'est un jour dont la suppression ne porterait atteinte à aucune conviction.
Quelle hypothèse de croissance retenez-vous pour l'élaboration du budget 2004 ?
Il existe un consensus entre les experts pour estimer que la croissance 2004 s'établira entre 1,5% et de 1,9 %. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi l'hypothèse moyenne de 1,7%.
En 2003, vous vous étiez également appuyé sur les prévisions des experts pour tabler sur une croissance de 2,5%. Ce précédent ne vous incite-t-il pas à être plus prudent ?
L'année dernière, les experts avaient revu leurs estimations à la baisse entre juin et septembre. Cette année, à l'inverse, nous percevons en septembre un redémarrage qui n'était pas perceptible avant l'été. Je crois donc que l'hypothèse de 1,7 pour 2004 est prudente. C'est un socle. Je mets mon énergie au service de meilleurs résultats.
Quel sera le niveau de la baisse des impôts ?
Nous avons choisi de maintenir le cap et de baisser l'impôt sur le revenu de 3 %. En deux ans, l'impôt sur le revenu aura été réduit de près de 10 %. Dans le même temps, pour ceux qui ne payent pas l'impôt, nous augmenterons la prime pour l'emploi de près de 500 millions d'euros. Croissance et solidarité sont mes deux priorités. C'est bon pour l'emploi.
Il y aura d'autres mesures fiscales notamment pour les emplois familiaux : le plafond pour la réduction d'impôt pour l'aide à domicile sera portée à 10.000 euros (contre 7 400 euros aujourd'hui). Des dispositions particulières seront mises en uvre en faveur des personnes handicapées (achat d'équipement et adaptation de leur cadre de vie et des personnes âgées en établissement de longs séjours. Nous avons aussi mis en place un dispositif très favorable pour développer le mécénat, pour encourager la recherche en dynamisant le Crédit Impôt Recherche, favoriser les investissements dans les DOM-TOM et pour la création d'entreprise (jeunes entreprises innovantes).
Quand la TVA à 5,5 % dans la restauration pourra-t-elle entrer en vigueur ?
J'espère obtenir un accord suffisamment rapide de tous nos partenaires européens pour qu'elle s'applique dans le courant de l'année 2004.
Beaucoup, y compris dans la majorité, vous demandaient de renoncer aux baisses d'impôt, notamment pour financer des priorités nouvelles.
Régler les problèmes en faisant appel à l'impôt est une attitude archaïque. Ce dont nous avons besoin dans notre pays, c'est d'encourager le travail. Toute notre politique économique vise à créer une dynamique de croissance durable au service de l'emploi. Pour partager les fruits de la croissance, il faut d'abord créer de la richesse. Cela veut dire : réhabiliter le travail plutôt que réhabiliter l'impôt. Notre choix est clair, ce serait une grave erreur de changer de stratégie au moment où nous percevons les signes du retour de la croissance.
On sait désormais que le déficit public sera de 4 % en 2003. Quand et comment reviendrez-vous sous la barre des 3 % fixée par le pacte de stabilité et de croissance ?
Nous sommes attentifs aux critères de Maastricht et nous travaillons évidemment à la maîtrise de nos déficits. Mais j'intègre la réalité européenne aux priorités françaises. Nous avons choisi de nous attaquer au déficit structurel. D'où notre décision d'une augmentation zéro de nos dépenses. Compte tenu des priorités à financer, cela suppose d'importants redéploiements et des efforts de tous les ministères. Grâce à cette exigence, le retour de la croissance signifiera le retour des recettes et donc la baisse des déficits.
Pour réhabiliter le travail, une remise en cause plus radicale des 35 heures est-elle nécessaire ?
Nous avons déjà créé les outils législatifs permettant un assouplissement des 35 heures dans le secteur privé. D'une manière générale, je suis favorable à tout ce qui peut avancer par la voie de la négociation sociale. Mais la question de l'emploi ne se limite pas à la durée légale du travail. J'attends beaucoup des négociations entre partenaires sociaux sur la formation professionnelle qui doit aboutir ce mois-ci. Je souhaite que nos outils de formation soient tous tournés vers l'emploi notamment pour les PME. Nous devons avancer sur l'emploi des seniors. N'oublions pas les contrats sans charge pour les jeunes. L'intervention de l'État, sur le dossier Alstom, même si elle est ponctuelle, participe de ce combat pour l'emploi et contre la désindustrialisation de notre pays. Le combat est également une exigence européenne. Je vais prochainement rencontrer mes homologues anglais, allemand, espagnol et italien pour que nous agissions ensemble dans les domaines des infrastructures, de la recherche, de la formation et de l'innovation. Croissance et emploi doivent être davantage des priorités européennes.
Le déficit de l'assurance maladie sera de l'ordre de 10 milliards d'euros en 2003. Comment allez-vous le combler ?
Notre objectif est de stabiliser le déficit en 2004. Puis nous proposerons un plan santé : un programme d'ensemble qui concernera tous les sujets, de l'hôpital aux médicaments, et permettra à la fois de sauver notre système d'assurance maladie et de répondre aux souhaits des Français en matière de santé.
Ce programme fera l'objet d'une discussion avec tous les acteurs du monde de la santé. Un conseil d'orientation sera mis en place prochainement. Je présenterai notre démarche à l'occasion de son installation. Les mesures entreront ainsi en vigueur à la fin 2004.
Pouvons nous attendre jusque là alors que les déficits se creusent chaque jour ?
Le devoir du gouvernement est de dire la vérité mais il doit agir en confiance : le mal français, c'est la peur. Nous maîtriserons les déficits et des efforts seront nécessaires, mais nous nous pouvons pas prétendre régler tous les problèmes d'un seul coup. Avec le dossier des retraites, nous avons vu qu'il était possible de réformer la France ; chacun a pu constater également que le gouvernement savait " tenir bon " dans l'intérêt du pays. C'est la victoire des français. Nos retraites sont désormais garanties et préservées. Nous avons su faire une réforme difficile alors que nous n'avions plus de croissance. Dans le budget des dispositions nouvelles seront d'ailleurs introduites pour favoriser l'épargne retraite populaire. Dans un contexte de reprise de la croissance, nous réussirons à régler nos problèmes avec moins de tensions.
Une augmentation de la CSG est-elle prévue dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale présenté cet automne ?
Non, ce n'est pas à l'ordre du jour.
Pour éviter d'affronter de nouvelles grèves d'enseignants, avez-vous renoncé à toute réforme dans l'Education nationale ?
L'immobilisme est une voie sans issue pour la France. C'est vrai aussi dans l'Education nationale. J'ai tenu à parler du fond des sujets avec les responsables syndicaux. C'est la première fois que je les rencontrais, c'est pourquoi je les ai reçus seuls, sans les ministres, tout comme j'avais rencontré seul Bernard Thibault, François Chérèque ou Marc Blondel. Avec eux, j'ai senti que nous pourrions parvenir à un diagnostic partagé sur les forces et les faiblesses de l'école. Nous avons besoin d'un grand débat pluraliste qui débouchera sur une loi d'orientation.
Avez-vous des pistes de réflexion ?
Elles sont nombreuses. Le débat les précisera : il nous faut par exemple réfléchir à l'évaluation de la lecture pour que celle-ci soit un acquis pour tous les élèves de CE2. Je pense aussi au développement de l'enseignement professionnel. Je suis aussi soucieux de donner une dimension européenne à nos universités. J'aimerais que nous donnions à chaque jeune de 18 ans la possibilité d'aller au moins une fois dans un pays européen ; c'est un droit à l'Europe. Un renouveau de l'enseignement des langues donnera des chances nouvelles à la Jeunesse de France. D'autres projets devront aussi concerner les étudiants, force vive de la Nation.
L'un des différends portait sur la décentralisation des salariés TOS (personnels non enseignants). Certains syndicats affirment que ce projet est reporté. Qu'en est-il ?
J'avais promis de ne pas transmettre le projet de loi au Conseil d'État avant les négociations. La rédaction du projet de loi a été vue ensemble. Le texte est désormais transmis au Conseil d'État et le projet de loi sera discuté au Sénat au début du mois d'octobre. Il prévoit que les salariés TOS seront transférés au 1er janvier 2005.
Luc Ferry a-t-il encore le crédit suffisant pour conduire les réformes ?
L'équipe de la Rue de Grenelle a la volonté et la capacité de replacer l'Education au cur de la nation. Les difficultés rencontrées tiennent au caractère interministériel des sujets en débat (les retraites, la décentralisation, la fonction publique...) C'est pourquoi j'ai voulu que l'ensemble du gouvernement s'implique. Cela ne signifie pas la moindre défiance pour mes ministres. Ils savent pouvoir compter sur moi. Ensemble, nous voulons agir pour que la Nation exprime sa confiance dans les enseignants.
L'échec du référendum en Corse ne sonne-t-il pas le glas de toute évolution des structures administratives en France ?
Pas du tout. Plusieurs territoires nous ont déjà fait savoir qu'ils se mobilisaient sur ce type de consultations, lesquelles peuvent d'ailleurs être organisées par les collectivités territoriales elles-mêmes. Le processus de la consultation populaire est en marche, il ne s'arrêtera pas.
Après le "non" du 6 juillet, que pouvez-vous faire en Corse ?
Nous devons d'abord veiller au retour de la sécurité et au respect de l'État de droit. Nous devons ensuite poursuivre la mise en uvre du programme exceptionnel d'investissement de 2 milliards d'euros, pour le développement économique de l'île. Je suis enfin persuadé que le débat institutionnel pourra reprendre avec les assemblées locales élues au printemps prochain. Avec ces nouveaux élus, nous pourrons travailler à un projet " Corse 2010 ".
Vous avez inscrit votre action dans la perspective d'un "agenda 2006". Cela signifie-t-il que vous souhaitez rester à Matignon jusqu'à cette date ?
C'est au Président de la République de le décider, il sait que je suis ici en homme libre, au service de ma mission. J'assume mes responsabilités avec un vrai effacement personnel. Cela me donne beaucoup de liberté et de sérénité. Si ma présence ici en réjouit certains, tant mieux si leur nombre augmente !.. Parler d'un agenda 2006, c'est donner un sens à notre action, car on ne gouverne pas par trimestres. Notre débat politique reste marqué par la campagne de 2002. C'est bien d'avoir une ligne de départ, mais il faut aussi avoir une ligne d'horizon : une France plus ouverte dans un Monde plus juste.
L'affaiblissement de certains de vos ministres vous conduit-il à envisager un remaniement ?
Il n'y a pas aujourd'hui de nécessité de remanier le gouvernement. Être au gouvernement, c'est remplir une mission. L'épreuve fait aussi partie de la mission. Dans une bonne équipe, les relations humaines sont importantes et lorsqu'un ministre rencontre des difficultés, mon devoir de chef de la majorité est de l'aider. Je me réjouis vraiment que, nous ne soyons pas tiraillés par des ambitions personnelles qui stériliseraient l'action.
Quand je regarde les Universités d'été du Parti socialiste à La Rochelle, je constate que la compétition des ambitions et la question non réglée des alliances conduit au silence de la pensée. Leur seul ciment, c'est la critique du gouvernement. Mais le rejet ne fait pas le projet.
A l'UMP, la mise en place de courants est-elle nécessaire à la bonne organisation du débat interne ?
Les groupes parlementaires fonctionnent très bien, sans courant. La notion même de courant est porteuse d'idéologie. Je me méfie de l'idéologie car j'ai trop souffert dans le passé de l'esprit de chapelle. Pourquoi faudrait-il que l'on se retrouve dans un même courant sur tous les sujets ? Selon que l'on parle d'économie, d'Europe, de culture, on ne sera pas d'accord avec les mêmes personnes à chaque fois. Je préfère que nous mettions en place une éthique de la discussion avec, pourquoi pas, une instance de coordination du débat qui soit distincte de la direction du parti. Alain Juppé peut compter à la fois sur ma confiance et mon amitié pour conduire l'UMP.
Sur quelles bases doit se faire selon vous l'accord entre l'UMP et l'UDF pour les élections régionales ?
L'ouverture doit être pour chacun un impératif. Les électeurs ne veulent plus que les logiques partisanes l'emportent sur les logiques territoriales. Souvenez-vous des élections municipales de 2001 : les électeurs ont rejeté les plans élaborés par les structures partisanes et donné une prime aux listes construites autour de projets locaux. Il en sera de même aux élections régionales.
Quelles règles fixerez-vous pour les ministres désireux d'être candidats ?
Je souhaite qu'il puisse y avoir des ministres qui soient candidats. Ils pourront évidemment rester au gouvernement durant la campagne. Mais, après l'élection, il ne sera pas possible d'être à la tête d'un exécutif local et ministre à la fois. A chacun de choisir ce qu'il fera en cas de victoire. L'important est de dire les choses clairement avant le scrutin.
Dans une assemblée locale, il y a finalement deux fonctions : une fonction exécutive, incompatible avec une responsabilité ministérielle, et une fonction délibérative, comme par exemple la présidence du groupe majoritaire, qui ne l'est pas. On peut très bien imaginer des régions où une liste soit conduite par un tandem correspondant à ces deux tâches.
Quoi qu'il en soit, ces élections ne seront pas pour le gouvernement des élections de " mid-term ", comme on dit aux États-Unis. Je suis trop attaché aux territoires pour accepter que le débat national tue les débats locaux. C'est pourquoi je proposerai que pour les scrutins qui suivront ceux de 2004, les élections locales n'aient pas lieu le même jour dans toutes les régions. C'est ce qui se passe chez la plupart de nos voisins européens.
Serez-vous vous-même candidat en Poitou-Charentes ?
Je ne l'exclus pas, mais il est trop tôt pour répondre à cette question. Dans le passé, je n'ai jamais constitué mes listes avant la fin janvier.
Souhaitez-vous que Nicolas Sarkozy soit candidat en Ile-de-France ?
Je le laisse apprécier la situation. Il a des qualités multiples, adaptées aussi bien à une grande collectivité qu'au gouvernement. Mais je suis très heureux de son travail au sein de notre équipe et je n'ai aucune raison de souhaiter son départ du gouvernement.
Croyez-vous à l'émergence électorale de l'extrême-gauche ?
Les attitudes politiques violentes, les tentatives de blocages sont démocratiquement préoccupantes. La question de l'extrême-gauche est donc grave et le Parti socialiste a tort de penser que c'est en courant derrière qu'il réglera le problème. Certains en ont fait l'expérience.
Quelle est finalement votre position quand à la participation de ministres au projet d'émission de télé-réalité de TF1 ?
L'expression politique a besoin de créativité et je suis prêt à observer toute innovation, mais je suis opposé à ce que les ministres s'expriment en dehors de leur champ de responsabilité, dans un cadre qui ne respecte pas la dignité de leur fonction. On n'a pas besoin d'être en pyjama pour exprimer ses convictions. J'ai donné à mes ministres le conseil amical de ne pas se mettre dans ce type de situation.. Et je suis très exigeant sur l'amitié.
Les feux de forêt ont également ému l'opinion durant l'été. Etes-il possible de mieux sanctionner les auteurs d'incendies volontaires ?
Je souhaite qu'on puisse étendre la qualification de "crime" aux auteurs de graves incendies volontaires et les traduire ainsi systématiquement en Cour d'assises. Avec la même conviction, nous renforcerons les moyens humains et techniques nécessaires aux enquêtes pour traquer et arrêter ce type de criminels.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 5 septembre 2003)