Déclaration de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur la place de l'énergie nucléaire dans la politique énergétique de la France et sur l'engagement du gouvernement à développer les énergies renouvelables, Paris, le 5 juillet 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque "Sortir du nucléraire" à Paris, le 5 juillet 2000

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs,
Hasard du calendrier ou ruse de l'histoire, l'annonce, le 14 juin dernier, d'un accord sur l'arrêt du nucléaire civil entre le gouvernement de Berlin et les principales entreprises allemandes de production d'électricité pose, en France, la question du nucléaire civil sous un jour nouveau. Faut-il imiter nos voisins rhénans ? Je ne doute pas que cette question est au cur de vos réflexions d'aujourd'hui et je suis heureux d'y contribuer en vous exposant les principales orientations de la politique énergétique de la France.
A mon sens, un tel débat exige bien sûr des précautions - et je veux dire qu'elles ne doivent pas être uniquement oratoires. Bien davantage que des mots est en jeu et en cause. Aussi faut-il même poser à toute discussion sur le sujet un préalable : se défier de la rhétorique diffusée par certains groupes de pression qui tentent de réduire un débat exigeant à une alternative fictive : " le tout ou rien nucléaire ".
Car la discussion sur l'énergie d'origine nucléaire est en effet rarement dépassionnée, trop souvent conflictuelle. Du chercheur atomicien au militant écologiste, les arguments employés décrivent une gamme de sensibilités plutôt contrastée. Comme Ministre en charge de l'énergie, mon devoir est politique. Il suppose de comprendre et de synthétiser toutes les approches, bien évidemment celles qui forment le socle politique de notre majorité plurielle. Il exige d'affirmer pour la France une politique énergétique responsable, à long terme, guidée par la raison - et non provoquée par la pression ou l'impression.
Tout d'abord les situations, et donc les politiques énergétiques, ne sont pas comparables. Une différence résume cette réalité : la France retire 80 % de son électricité du nucléaire, l'Allemagne 30 %. Ces chiffres sont le résultat de choix politiques, économiques, scientifiques. Ils ont une histoire : la nôtre, celle de nos ressources naturelles, de la conquête de notre indépendance énergétique lors de la reconstruction après-guerre. La France ne possède pas de pétrole, très peu de gaz, et ses gisements de charbon étaient déclinants dès les années 50. Les ressources hydro-électriques sont intégralement exploitées, les autres énergies non fossiles encore dans les limbes. Le nucléaire est à l'évidence la meilleure voie pour apporter l'électricité dans tous les foyers français.
Le débat sur l'avenir demande une vision d'ensemble de la politique énergétique. Le nucléaire en est l'un des piliers, il n'en est bien sûr pas le tout. Ma conception de la politique énergétique est guidée par la volonté d'organiser un développement évidemment respectueux de l'environnement, également soucieux d'un patrimoine industriel et social que le nucléaire civil a contribué à bâtir.
La politique énergétique ne peut se faire au détriment des équilibres naturels qui sont consubstantiels à l'existence même de l'espèce humaine. Lors de la conférence de Kyoto, le Premier Ministre Lionel Jospin a pris l'engagement ferme que la France maintiendrait ses émissions de CO2 en 2010 au niveau de 1990. Sans son parc électronucléaire, la France, qui est déjà le pays industrialisé le plus propre et le plus indépendant, ne serait pas en mesure de relever ce lourd défi.
Préserver l'environnement pour les générations futures, c'est également regarder en face, sans dogmatisme d'un côté ou de l'autre, la question des déchets nucléaires. Chaque habitant produit par année 10 grammes de déchets de haute activité à vie longue. Le même habitant génère dans la même année 2,5 tonnes de déchets industriels et envoie dans l'atmosphère 1,8 tonnes de carbone pur. En d'autres termes nous rejetons l'équivalent de 108 millions de tonnes de charbon dans le ciel - vingt fois notre production annuelle totale ! Par le rapprochement de ces ordres de grandeur, je souhaite simplement ramener à de justes mesures certaines craintes qui s'expriment. En réalité, le nucléaire est confronté au même problème que d'autres industries ou activités économiques toutes aussi essentielles à la vie et à la production de richesses que l'agriculture, le médicament, la chimie. Le nucléaire dispose cependant d'un atout particulier de taille : une sorte de fiscalité écologique innée. Il provisionne le coût économique du retraitement de ses déchets et de son démantèlement futur, et l'intègre - au contraire de toutes les autres énergies - dans le coût du kilowattheure.
Mais le patrimoine dont nous avons à assurer la pérennité pour les générations futures est aussi social : c'est l'accès, pour tous, à un coût économique supportable par tous, à l'énergie et finalement au progrès. Ce progrès social, le gouvernement le défend également au travers de la récente loi sur le service public de l'électricité, par la mise en place des tarifs sociaux, la réaffirmation des valeurs du service public confié à EDF, la modernisation du statut du personnel des industries électriques et gazières.
Il s'agit, enfin, d'un patrimoine industriel et technologique. De grandes entreprises mondiales se sont bâties autour de la volonté politique liée au nucléaire : EDF, la COGEMA et FRAMATOME. Elles figurent parmi les toutes premières au monde ; elles exportent, elles créent de la richesse donc de l'emploi. Des centres de recherche d'excellence mondiale ont vu le jour. Le Commissariat à l'Energie Atomique a été à l'origine de milliers de brevets déposés, ses chercheurs ont essaimé le savoir français dans tous les champs de la science comme les microtechnologies et les sciences du vivant. Il a encore été à l'origine d'une formidable réussite industrielle : celle de STMicroelectronics, aujourd'hui capable de tenir la dragée haute aux américains INTEL ou MOTOROLA.
Idéaliser un seul type d'énergie concéderait un recul. Au contraire, une politique énergétique doit être équilibrée et diversifiée. La réalité, c'est que toutes les sources d'énergies sont complémentaires. Choisir a priori entre elles, pour en exclure certaines, confinerait à l'obscurantisme. Quelles solutions, d'ailleurs, proposent ceux qui revendiquent l'arrêt total du nucléaire ? Par exemple, davantage de centrales à cycle combiné à gaz ? Des experts de tous pays prophétisaient, il y a peu encore, un prix du pétrole et donc du gaz durablement bas. Ils viennent d'être multipliés par trois en moins d'un an : l'erreur est lourde. Si les émissions de carbone étaient taxées, ces inconvénients seraient encore plus manifestes.
Face à ces exigences, la politique énergétique de la France est claire : le nucléaire demeure la composante majoritaire de la production d'électricité. Même si sa part doit être résolument rééquilibrée au profit des énergies nouvelles renouvelables. Leur développement est un engagement résolu voulu par le Premier Ministre. Avec lui, je l'ai rappelé lors du colloque " Energies renouvelables ", le 30 mai dernier. Le décret obligeant EDF à acheter une grande part de ces énergies sera bientôt publié. Demain après-midi, j'inaugurerai dans la Drôme la ferme éolienne de Donzère. Ce programme soutenu par les pouvoirs publics dans le cadre de la procédure Eole 2005 est plus qu'un symbolique : c'est là encore le signe de notre engagement. De même, la Présidence française de l'Union européenne va encourager l'adoption de la Directive en leur faveur. Autant de signes de la volonté du gouvernement de contribuer au progrès et à la diffusion globale des énergies écologiques. Sans passer ni les points d'excellence de notre industrie, ni ses conquêtes sociales, par pertes et profits.

(source http://www.industrie.gouv.fr, le 7 juillet 2000)