Interview de François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, dans "Capital" au mois d'août 2003, sur les questions soulevées par la réforme des retraites, notamment la situation de l'emploi, la formation professionnelle et la bipolarisation du paysage syndical.

Prononcé le 1er août 2003

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Média : Capital - presse économique

Texte intégral

Philippe Genet .- Pour que la réforme des retraites, soutenue par votre syndicat, équilibre les comptes, il faudrait que le taux de chômage redescende à 4,5 % en 2010. La moitié de son niveau actuel. Est-ce bien réaliste ?
François Chérèque .- " C'est envisageable. N'oubliez pas qu'à partir de 2008, la France connaîtra un retournement démographique majeur qui pourrait favoriser l'emploi. Et que les pénuries de main-d'oeuvre, qui frappent déjà le bâtiment, la santé et les services, s'accentueront. Nous devons aujourd'hui redoubler d'efforts en matière de formation pour répondre à ces besoins. Sinon, il faudra recourir à des travailleurs étrangers et notre taux de chômage restera , effectivement, élevé. Nous reprochons d'ailleurs au Medef son manque d'ambition dans ce domaine et au gouvernement son absence de politique de l'emploi ".
Comment faire en sorte que les entreprises ne se séparent plus des salariés approchant la soixantaine et n'ayant pas cotisé assez pour partir avec une retraite complète ?
" Pour gagner ce pari-là, nous attendons beaucoup de la négociation sur la formation et celle prévue sur la pénibilité : à partir de 50 ans, les salariés devraient pouvoir s'orienter vers des fonctions mieux adaptées à leurs capacités physiques ou changer de métier. La responsabilité du Medef sur ce sujet délicat sera très lourde de conséquences. Si les entreprises ne trouvent pas une solution, l'assurance-chômage financera en quelque sorte une partie des retraites, ce qui serait absurde ".
En s'opposant vivement à la réforme et en soutenant la CGT, le Parti socialiste ne vous a pas facilité la tâche...
" Il est toujours plus facile d'avoir des idées quand on est dans l'opposition que de les mettre en oeuvre quand on est au pouvoir. À quelques mesures près, les socialistes n'auraient pas procédé différemment de François Fillon. Je comprends que les politiques mettent l'accent sur les risques des réformes. Mais qu'ils ne critiquent pas ceux qui ont le courage d'aller de l'avant. C'est l'immobilisme qui menace les acquis sociaux ! Heureusement, le PS commence à évoluer vis-à-vis de cette loi, en reconnaissant que des acquis importants ont été obtenus par la CFDT ".
Les querelles entre les grands syndicats ne favorisent-elles pas la montée des corporatismes, qui bloquent les réformes en France.
" Deux pôles sont en train de se créer : le premier, réformiste, est regroupé autour de la CFDT et se bat pour obtenir des résultas. Le second pôle, incarné par la CGT se pose les mêmes questions, mais a du mal à s'engager concrètement dans le compromis. Il est nécessaire de recoller les morceaux pour retravailler ensemble, comme au début des discussions sur les retraites. Sinon, le mouvement syndical risque de s'émietter, ouvrant ainsi la porte aux actions violentes, que nous condamnons, et à une radicalisation attisée par l'extrême gauche. Prenons garde à la défiance des salariés vis-à-vis des syndicats ! Elle ressemble à celle exprimée par les électeurs à l'égard des politiques lors de la dernière présidentielle ".
Votre soutien aux réformes crée des remous au sein de la CFDT ? Craignez-vous une scission ?
" À ce jour, 3 syndicats sur 1 500 ont décidé de nous quitter. Cela ne me surprend pas : leurs responsables, engagés à l'extrême gauche, n'étaient pas d'accord avec notre recentrage réformiste décidé en 1979 Les choses se sont ainsi clarifiées, nous maintenons le cap et ne sommes pas inquiets. En 1994, nous avions subi 4 000 départs et avons ensuite poursuivi de plus belle notre progression. La CFDT compte aujourd'hui 900 000 adhérents ".
N'avez-vous pas l'impression que Jean-Pierre Raffarin, qui a eu chaud avec les retraites, marche à reculons pour s'attaquer au problème suivant, celui du déficit de la Sécurité sociale.
" Le gouvernement a raison d'être prudent sur ce sujet. Les mesures à prendre sont importantes. Il faudra à la fois trouver de nouvelles recettes, réorganiser le système pour dépenser mieux, faire en sorte que l'allongement de la durée de vie ne creuse pas de nouveaux déficits. Le tout sans remettre en cause le niveau de protection et de remboursement des soins, car si c'était le cas, nous nous y opposerions fermement, on l'a prévenu ".
Une fois de plus, les cotisations salariales vont donc augmenter...
" Je ne le souhaite pas. Avec cette solution, seuls les salariés paieraient alors que l'assurance maladie concerne tous les Français. Une augmentation de la CSG serait plus équitable, puisqu'elle taxerait tout le monde et tous les revenus, y compris ceux du capital ".
La vocation de la CFDT est de lutter contre les inégalités sociales. Trouvez-vous normal qu'on maintienne des régimes spéciaux de retraite plus généreux que le régime général, comme ceux de la RATP et de la SNCF, dont les agents ont bloqué la France en mai et juin derniers ?
" Ce comportement est en effet choquant. Car les Français vont continuer à faire un effort de solidarité pour que ces agents conservent leurs avantages. Le choix du gouvernement de traiter d'abord le problème général était sage. Mais il faudra bien qu'un jour, les bénéficiaires des régimes spéciaux se décident à ouvrir ce débat pour garantir l'avenir de leurs retraites ".
(source http://www.cfdt.fr, le 13 août 2003)