Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France Inter le 10 septembre 2003, sur ses relations avec le gouvernement, l'état économique, budgétaire et financier de la France, le déficit de l'assurance maladie, le calendrier des urgences politiques et le projet de constitution européenne.

Prononcé le

Média : France Inter

Texte intégral

Pierre LE MARC : François Bayrou bonsoir.
La France est un pays qui devrait aller bien et qui va mal. On se souvient de l'état des lieux que vous avez dressé lors du débat de censure en juillet dernier ; vous appeliez alors le Gouvernement à prendre les problèmes à bras le corps, à parler vrai et courageux, à changer de méthode.
Deux mois plus tard, à la lumière des événements de cette rentrée, estimez-vous avoir été entendu à travers les choix qui ont été faits par le premier Ministre en matière budgétaire ou en ce qui concerne les grands dossiers qui sollicitent des réformes de fond, l'école, la santé, la dépendance de l'État ?
Percevez-vous les corrections de cap et les changements de méthode attendus ? Bref, estimez-vous que le pouvoir élu en 2002 met, comme vous le souhaitez, le pays en capacité de s'adapter au Monde et d'y compter ?
Un monde qui tâtonne, dramatiquement parfois, à la recherche de nouveaux équilibres ; on le voit avec les échecs, en Afghanistan, en Irak, au Proche Orient, de la réponse américaine aux attentats du 11 septembre, avec les tensions accumulées au sommet de l'O.M.C. à Cancun ou encore dans le rapport de force préoccupant qui se noue autour du projet européen de Constitution, à la veille d'une conférence intergouvernementale tout à fait décisive.
Pour vous interroger ce soir avec moi, Christophe BARBIER de l'Express et Hélène JOUAN de France Inter.
Ce qui caractérise la rentrée 2003, quinze mois après le changement radical de la donne politique de 2002 et les potentialités dont il était porteur, c'est l'inquiétude. Inquiétude sur l'évolution économique du pays, l'avenir de l'emploi, l'avenir des réformes. Comment expliquez-vous cette évolution ?
Ce qui marque la rentrée, c'est une très profonde inquiétude, j'allais dire de tous les milieux sociaux français, avec l'impression que les problèmes sont mal identifiés et que les réponses sont peu claires. C'est cela qui, me semble-t-il, explique le climat dans lequel nous vivons.
Quel est mon appréciation ? Vous le savez bien depuis le premier jour. Depuis le mois de mai et juin 2002, ma vision était qu'il ne fallait pas raconter au pays que cela allait bien et qu'on allait s'en sortir sans difficulté, puisque le changement d'équipe suffirait. Je ne l'ai jamais cru ! J'ai pensé que la France est un pays qui devrait aller bien et qui va mal pour des raisons profondes qui tiennent à sa démocratie et au fait qu'elle n'a pas accompli les réformes, qu'elle les évite, qu'elle s'en détourne et qu'elle cherche des prétextes au lieu de les affronter en face.
PLM : Qu'est-ce qui aurait dû être fait et qui ne l'a pas été ?
Ce qui aurait dû être fait dès le premier moment, c'est expliquer la gravité des problèmes qui se posent au pays, notamment, dans les questions de dépenses publiques, notamment parce que des secteurs entiers, depuis l'Éducation nationale - à laquelle on a prêté une attention tardive et encore lorsque ça a bougé - jusqu'à l'hôpital, on a vu hélas cet été le drame qu'a représenté pour 10000, 15000, certains disent 20000 morts supplémentaires, l'organisation française. Des morts qui sont Français, alors que la canicule a frappé partout et qu'ailleurs, dans les pays qui nous entourent, il n'y a pas le même bilan catastrophique.
L' état du pays est préoccupant et ne pas avoir exposé dès le premier jour la gravité et le poids des choix qu'il fallait faire, nous a conduit dans la situation incertaine et dangereuse où nous sommes.
Christophe BARBIER : Dans ce malentendu tragique entre des réformes qui ne se font pas et un tension qui persiste, comment expliquez-vous qu'il y ait de plus en plus de tensions et toujours pas de vrais blocages, d'explosion dans un pays qui est habitué à fonctionner comme cela ? Quel est votre pronostic pour les mois à venir ? Va-t-on aller vers une crise majeure, qu'on l'appelle mai 58 ou 68, ou va-t-on continuer à gérer à la petite semaine, avec des petites soupapes la gestion de ces tensions ?
Je crains qu'un jour il y ait une crise. Mais, cela peut être dans un mois, dans un an, dans trois ans
On a l'impression que vous le souhaitez parfois, que vous jouez les Cassandre avec ce Gouvernement
Non, sûrement pas. Lorsqu'on fait un diagnostic, qu'on a une conscience aiguë des difficultés d'un pays et que celui-ci est le vôtre, que vous l'aimez, le devoir élémentaire est de dire, attention il y a des risques. Si vous ne le dites pas, vous êtes, ou bien lâche, ou bien complaisant ; je ne suis ni l'un ni l'autre.
Je ne sais pas si vous vous rendez compte que la situation que rencontre la France, le fait qu'elle ne conduise pas ces changements, se traduit par des millions de Français au chômage - ils croyaient en être sortis, ils y retombent - cela se traduit par le fait, que l'égalité des chances n'est pas assurée, par de l'inquiétude pour vivre pour beaucoup de gens et quelquefois, hélas, on l'a vu, par des drames encore plus profonds.
Alors, oui, j'ai choisi de le dire
C.B. : vous le dites à France Inter, pourquoi ne le dites-vous pas à Jacques Chirac ?
Quand je parle à France Inter, d'une certaine manière c'est à lui aussi que je parle
P.L.M. : Il ne vous invite pas, vous ne le rencontrez pas, vous ne rencontrez pas le Premier ministre ?
Non
P.L.M. : Pourquoi ce type de relation ?
Parce qu'il n'y a pas de partenariat, il n'y a pas de reconnaissance de la légitimité des acteurs de la démocratie française. Il y a le fait que l'on considère que le pouvoir doit être concentré entre les seules mains d'un seul parti, celui du Président de la République, et vous savez que je n'ai jamais cru que cette situation pouvait conduire à quelque chose de bon.
Hélène JOUAN : Vous parlez de partenariat. Alain Juppé en a parlé ce week-end à Moliets. Effectivement il a mis deux conditions : soutenir le Président de la République et soutenir le Premier ministre et le Gouvernement. Êtes-vous prêt à remplir ces deux conditions ?
C'est très simple. Je soutiendrais le Gouvernement avec foi quand il fera des choix que je considère comme bons pour la France. Quand il fera des choix qui me paraissent incertains ou inquiétants, je le dirais à mon pays.
H.J. : Mais jusque là, vous en avez soutenu très peu depuis un an et demi ?
J'ai soutenu les retraites, alors que peut-être, d'autres choix existaient, parce que je considérais que c'était vital pour le pays. Mais chaque fois que le Gouvernement a fait des choix que je considérais comme hasardeux, je l'ai dit, je ne l'ai jamais regretté.
Il y a un an, à la même époque exactement, le Gouvernement nous annonçait que nous aurions 2,5 % de croissance dans l'année. J'ai dit que nous ne les aurions pas et que c'était " dorer la pilule " au pays. Je suis sûr que le débat aurait été utile sur ce point.
De la même manière, lorsque le Gouvernement a fait le choix de changer, de manière absurde, le mode de scrutin pour les élections régionales, j'ai dit attention, ceci est dangereux et le Conseil Constitutionnel a annulé le texte.
De la même manière, sur les intermittents du spectacle, j'ai dit qu'il y avait peut-être un autre approche qui consistait à s'attaquer " aux gros ", aux grosses sociétés de production et d'audio visuelle et pas aux petits. Peut-être le débat aurait-il été utile ?
Quand j'ai dit que l'Éducation nationale devait être la priorité des priorités, alors que le Gouvernement ne le mettait pas dans sa liste, on s'est aperçu quelques mois après d'où conduisaient des erreurs de jugement de cet ordre.
Donc, chaque fois que j'aurais le sentiment qu'il y a sur des choix fondamentaux des erreurs qui se préparent ou des incertitudes qui subsistent, je le dirais parce que c'est mon devoir. Si un responsable politique n'est pas face à son pays en lui disant ce qu'il croit être le plus juste et le plus vrai, c'est alors un carriériste. Ce n'est pas mon cas et j'espère que ça ne le sera pas demain.
P.L.M. : Parlons de l'état de l'économie. L'inquiétude principale qui s'exprime aujourd'hui concerne l'état économique, budgétaire et financier du pays. Êtes-vous de ceux qui pronostiquent malgré tout une reprise en 2004, c'est ce que laisse espérer le Gouvernement ? Est-ce qu'il trompe encore les Français en le faisant ?
Le chiffre que donne le Gouvernement cette année, est plus raisonnable que le chiffre qu'il donnait l'an dernier. C'est déjà un plus
H.J. : Ce peut être une stratégie inverse ?
Il dit 1,5 %. Beaucoup d'acteurs économiques seraient heureux si nous arrivions à ce chiffre là. Aujourd'hui, on discerne la reprise aux États-Unis, on la devine, pour certains, au Japon - après une période noire qui a duré huit ans - on n'en voit pas l'indice en Europe.
P.L.M. :ça frémit un peu quand même ?
D'après ce que me disent les économistes, on n'en voit pas les indices en Europe. J'attendrais donc de voir. Mais le chiffre est plus raisonnable que l'an dernier. Ce choix est meilleur. Les autres, on va y venir - baisse des impôts et déficit - sont des choix plus inquiétants.
C.B. : Directement liée à la réflexion sur la croissance, il y a cette stratégie à long terme de Jean Pierre Raffarin : baisser les impôts, laisser de l'argent dans la poche des Français. Vous êtes contre cette baisse de 3 %. Ne faites-vous pas une erreur ? D'abord parce que le fardeau fiscal est lourd sur les épaules des Français qui travaillent et puis il y a ce calcul à long terme : laissons dans la poche des Français l'argent qu'ils vont investir ou consommer et qui produira la croissance qui, demain, nous permettra de réduire les déficits ?
Vous n'avez dit qu'une moitié de ma phrase. J'ai alerté sur la baisse des impôts de 3 % parce qu'elle creuse le déficit de la France. Si nous avions une situation dans laquelle nous avions baissé parallèlement les dépenses de l'État pour baisser les impôts, j'aurais dit que c'était un choix cohérent et juste. Tout le monde sait que les prélèvements obligatoires sont trop lourds en France.
Mais la France est le dernier pays de l'Europe en matière de déficit, avec des déficits qui deviennent des abîmes ; je vous cite un chiffre : La France représente a peu près 15 % de l'Union européenne, tant en population qu'en richesses ; la France participe pour 27 ou 28 % au déficit de l'Union ; l'année prochaine, 35 % !
Il y a une inquiétude lourde à croire que l'on peut financer la croissance par le déficit. D'ailleurs, si la croissance était favorisée par les déficits, cela se saurait. Comme nous avons le déficit le plus important de l'Union, nous aurions la croissance la plus importante de l'Union et ce n'est pas le cas. Les pays qui ont de la croissance, qui l'ont maintenue - je pense à l'Espagne en particulier mais aussi la Suède - sont des pays qui ont trouvé l'équilibre.
Je ne crois donc pas, même si dans la majorité tout le monde ne partage pas, sur ordre, ce sentiment - au fond d'eux-mêmes beaucoup de responsables, y compris de l'U.M.P., pensent exactement ce que je dis - que ce soit par le déficit, c'est-à-dire par la dette que l'on va financer sainement la croissance.
P.L..M. : Pouvez-vous alors voter un budget monté sur une erreur stratégique aussi importante ?
Le budget n'a pas été présenté, la discussion n'a pas eu lieu
P.L.M. :Vous savez bien que le choix fondamental est quand même là ?
Non, parce que la question centrale du vote d'un budget est " est-ce que vous appartenez à la majorité ou pas " ?
Je suis dans la majorité.
P.L.M. : Vous cautionnez l'erreur du Gouvernement que vous dénoncez ?
Je ne la cautionne pas, je la dénoncerai.
P.L.M. : Vous la cautionnez par votre vote !
Non. Encore une fois, le budget n'est pas sur la table et les votes ne sont pas là. Vous avez entendu Valéry Giscard d'Estaing au week-end de l'U.M.P., dire en termes directs même s'ils étaient soft
P.L.M. : Une recommandation
Disons que je fais la même recommandation. Nous ne sommes d'ailleurs pas tous seuls. Beaucoup de gens le pensent mais très peu osent le dire.
La bonne baisse des impôts - et il faut alléger les prélèvements - est la baisse équilibrée par une baisse parallèle des dépenses. La baisse des impôts qui ne sert qu'à creuser le déficit et augmenter la dette déjà énorme que nous avons, est une baisse peu saine.
H.J. : Il peut y avoir débat sur l'efficacité de la stratégie économique choisie par le Gouvernement. Mais, après tout, ce qui est le plus important n'est-ce pas de tenir ses promesses en politique et, du coup, peut-être, de tenir les promesses électorales faites par Jacques Chirac pendant la campagne de 2002 ?
Vous voyez ce que cela signifie : que Jacques Chirac tienne ses promesses, je trouve cela très bien. Mais qu'on le fasse en déséquilibrant la France pour longtemps, je trouve cela infiniment plus discutable.
Nos enfants devraient manifester devant l'Assemblée nationale et les sièges des décisions gouvernementales ; nos enfants, pas les journalistes économiques ou les commissaires de Bruxelles. Notre génération n'a pas eu de dettes à payer. Quand Giscard - le dernier de la série des gouvernants sérieux - est parti, la dette de la France était la plus légère de toute l'Europe ; Barre y avait contribué. Avant lui, le Président Pompidou, le Général de Gaulle. Nous nous retrouvons aujourd'hui avec une dette qui représente 1 000 milliards d'euros
H.J. : Elle n'est pas née avec Monsieur Raffarin
Non. Les gouvernements socialistes portent une très lourde responsabilité, puisqu'ils avaient la croissance et qu'ils ne s'en sont pas servis pour rééquilibrer les choses.
Je vais vous dire ce que signifient ces chiffres tellement astronomiques. Lorsqu'on est cinq autour de la table - les parents et trois enfants -, cela veut dire que l'on aura à rembourser dans les vingt années qui viennent quelque chose comme -en francs pour que tout le monde comprenne - 550 000 Francs. Une famille moyenne aura à porter sur son dos le prix du remboursement d'une petite maison. Et on va laisser faire et creuser encore ? Cette année, on a augmenter cette dette pour la même famille de 30 000 francs !
De 520 000 francs on est passé à 550 000 francs, en une seule année ; Et ce sera encore cela l'an prochain ?
On n'est pas responsable quand on accepte de plomber de la sorte l'avenir de ses enfants. Nos enfants le paieront en niveau de vie et en emplois qu'on n'aura pas, parce qu'il y a trop de charges sur l'emploi en France. Ce ne sont pas des choses en l'air.
Je voudrais que tous les responsables publics, de quelque bord qu'ils soient, se décident à changer cela pour alléger l'avenir des enfants et pas le plomber.
C.B. : L'une des solutions, en tout cas, l'une des urgences, est de réduire les dépenses. Où, comment ? On ne veut pas moins d'infirmières, de policiers, d'enseignants, de fonctionnaires ; on ne veut pas bien d'État. Ou sont les économies ?
C'est une question qui, me semble-t-il, n'a jamais été abordée de manière sérieuse pour des raisons que je citerai plus tard.
On refuse de faire la distinction nécessaire dans l'uvre de l'État entre ce qui est du terrain et sur lequel on ne fera pas d'économies substantielles : les infirmières, les policiers, les juges, les enseignants. En revanche, c'est sur l'autre face de l'État que j'appelle " l'État de papier ", l'État d'administration , de contrôle
C.B. : Les politiques s'y essaient et se cassent les dents. Christian Sautter y a laissé sa place à Bercy et d'autres après
Je vais vous citer un exemple. J'aime bien le ministre de l'économie, c'est un homme estimable. Mais la première décision prise par ce Gouvernement en arrivant, c'est que l'on ne ferait pas pour l'impôt sur le revenu, la retenue à la source. Or, celle-ci est faite dans tous les autres pays européens et c'est au moins un sujet qui permet de reclasser ou d'économiser des dizaines de milliers d'emplois.
Il y a des secteurs entiers sur lesquels on peut faire des économies mais il faut les distinguer des autres.
J'avais dit qu'il y avait des causes, j'en cite une : les secteurs qui ne veulent pas que l'on fasse des économies sur eux poussent les autres en première ligne et se cachent derrière en disant "on va dire qu'on va faire des économies sur les profs et comme on ne pourra pas les faire sur eux on ne les fera pas non plus sur nous" !
P.L.M. : Faites-vous confiance au Gouvernement pour poursuivre les réformes ?
Je voudrais qu'il y ait une mobilisation du Gouvernement, de la majorité et des Français. Mon rôle est d'appeler à cette mobilisation. C'est plus dur quand on est minoritaire dans la majorité mais c'est nécessaire.
P.L.M. : Le Gouvernement appelle à une mobilisation autour de l'école avec une grand débat ; peut-on croire en ce grand débat ou masque-t-il l'impuissance de l'Etat, du Gouvernement, à réformer l'Éducation nationale ?
Vous savez dans quel contexte a lieu ce débat, contexte de crise de confiance. J'ai dit que si ce débat était un loyal, public, j'y participerais parce que c'est mon devoir.
P.L.M. : Vous en doutez ?
Je doute du débat en France. La manière dont on organise les débats depuis des années et des années, en dehors de quelques uns - j'ai organisé autrefois un débat sur l'école qui s'appelait "le nouveau contrat pour l'école" dont tous les acteurs ont conservé un souvenir juste en tout cas - les débats récents que l'on vient d'avoir sur la décentralisation par exemple, le débat sur l'énergie qui, dit-on, a eu des développements depuis six ou sept mois, ne sont pas de véritables débats. C'est de la mise en scène pour faire croire que l'on débat.
Je suis pour un véritable débat. Je souhaite qu'il soit juste et s'il est organisé honnêtement, j'y participerais. Si c'est de la publicité, je le dirais et je n'y participerais pas.
C.B. : Le Gouvernement a décidé d'étaler le défi de l'assurance maladie et des déficits - diagnostic en 2004, concertation en 2005, décision en 2006 environ - Approuvez-vous cette méthode ? N'est-on pas face à un choix de société ? Ne faut-il pas dire aux Français : "nous allons dépenser beaucoup pour la santé par ce que nous allons tous vieillir et nous voulons vieillir bien ; donc, il faut payer plus, vous paierez plus ?"
Surtout, ce que je crains, c'est qu'il y ait le feu à la maison. C'est-à-dire, à la fois du point de vue des comptes qui sont terribles quand on voit s'accumuler les déficits mais ce n'est pas le pire ; au même temps, du point de vue de l'organisation de la santé en France, il y a le feu !
C.B. : on sera moins bien soigné demain qu'aujourd'hui ?
Cela va très mal dans les hôpitaux, dans la médecine. Il y a un climat absolument terrible. Les 35 heures ont désorganisé l'hôpital de manière considérable et puis on est au bout d'un système qu'il faut rebâtir, peut-être sur des principes nouveaux. En tout cas, en n'ayant pas peur d'attaquer directement l'hôpital.
Un pays qui vient d'avoir ou d'accepter 15 000 morts qui n'auraient pas dû arriver, simplement parce qu'il a une vague de chaleur alors que les pays qui l'entourent n'ont pas ce bilan, ce pays-là doit se poser la question de l'organisation de ses services de santé, de l'organisation de ses services d'urgence - j'ai eu ce matin la troisième réunion en trois mois avec le docteur Pelloux, porte-parole des urgentistes. Ce pays-là doit aborder clairement les difficultés qui sont les siennes et non pas attendre 2006 avant de le faire. Il y a le feu à la maison et mon diagnostic est que l'urgence est plus grande qu'on ne le croit.
P.L.M. : Le Premier ministre recale les objectifs, le calendrier, les méthodes du Gouvernement. Qu'attendez-vous de l'agenda 2006 qu'il a annoncé et par lequel il entend se redonner une crédibilité ?
Je ne sais pas ce que c'est ! J'ai entendu le mot comme vous mais sur l'agenda je ne sais pas ce qu'il y a.
P.L.M. : Mais, vous, que souhaitez-vous qu'il y ait sur cet agenda ?
On vient d'aborder le sujet de l'organisation de la santé en France, cela me paraît être sur l'agenda, le plus urgemment possible ; l'Éducation, le plus urgemment possible ; la recherche, le plus urgemment possible ; la réorganisation de la démocratie française et des pouvoirs publics en France devrait être une priorité. On a une démocratie qui ne marche pas , un Parlement qui ne joue pas son rôle. Tout cela, ce sont des urgences.
Si on devait caractériser la différence, pour ne pas dire la divergence, entre le Gouvernement et nous, l'UDF, je dirais que la divergence est dans le sentiment de l'urgence.
P.L.M. : Que n'a pas le Premier ministre ?
Il l'a au fond de lui-même. Mais il est placé entre des contraintes contradictoires. Les uns lui disent qu'il faut absolument baisser les impôts, les autres lui disent qu'il faut respecter nos engagements européens. C'est impossible à concilier. Sur bien des sujets, ces contraintes contradictoires paralysent forcément l'action du Gouvernement , c'est ainsi du moins que je le ressens. Mais, pour moi, il y a urgence.
C.B. : Puisque vous êtes en désaccord sur le fond sur certaines réformes et totalement par rapport à ce calendrier des urgences, comment pouvez-vous faire croire encore à l'U.M.P. que vous allez négocier avec eux pour les futures élections régionales et faire des listes communes ? Vous êtes dans l'opposition ?
Je ne suis pas dans l'opposition. J'ai une rancur à l'égard du Gouvernement précédent, comme beaucoup de Français devraient l'avoir, qui, non seulement, n'a pas saisi les chances qu'il avait pour améliorer les choses mais les a aggravées dans bien des secteurs - on a parlé des 35 heures. Dieu sait que je n'ai pas envie de voir ce genre d'erreurs se reproduire.
C.B. : Mais votre posture critique actuelle vous interdit des accords électoraux !
Ce n'est pas une posture critique, c'est une posture de gravité, de sentiment de l'urgence. Si l'on devait décrire les objectifs que le Gouvernement fixe, je les signerais volontiers. Simplement, je constate que, sur bien des points, les choix qui ont été faits ou n'ont pas été faits, conduisent à une situation où je n'ai pas le sentiment que l'on va avoir des améliorations rapides ; alors, je le dis. Cela n'empêche que je me sens partie prenante de la majorité.
Je vais vous faire une confidence :il y a des millions de Français de la majorité qui pensent comme moi et je suis leur porte-parole. Dans la majorité, il n'y a pas que l'U.M.P., même si le Président de l'U.M.P. dit qu'ils ont une vocation largement majoritaire. Tout le monde a une vocation largement majoritaire ; l'UDF a cette vocation, l'U.M.P. aussi.
Il faut les deux. Il faut que dans la majorité puissent s'exprimer des voix différentes pour que le choix du Gouvernement se fasse en connaissance de cause.
H.J. : Si vous n'êtes pas dans l'opposition mais dans la majorité, vous allez accepter la proposition de l'U.M.P. d'être tête de liste pour les régionales en Aquitaine ?
Lorsque ma décision sera prise, je vous le dirais
H.J. : Mais Alain Juppé, dit " très vite " !
Je pense qu'Alain Juppé adresse cette recommandation à toutes les personnalités qui pourraient conduire des listes dans toutes les régions.
H.J. : Qu'est-ce qui vous fait hésiter ?
Ce sont d'abord des choix personnels, de vie, j'ai des responsabilités par ailleurs et puis, j'ai besoin de me faire une idée politique. Donc, quand ma décision sera prise, je vous le dirais.
C.B. : A l'autre bout ou presque de l'échiquier, on dit que Michel Rocard vous a approché parce qu'il ne sera peut-être pas reconduit comme député européen au PS et donc, pour les élections européennes, il viendrait avec l'UDF ? Christian Blanc, rocardien, est venu chez vous ; vous êtes entre le centre droit et le centre gauche. C'est vrai, il y a des contacts ?
Première nouvelle ! Mais vous savez, j'entends dire qu'il y a tellement de gens qui sont intéressés par des contacts avec l'UDF ! Au fond, j'accueille cela comme un signe de ce que je crois être utile pour la France. Vous savez bien que je ne crois pas à la coupure irrémédiable du pays en deux, un bord contre l'autre. Je pense qu'on s'en sortira dans ce pays quand on sera capable de réunir ou de fédérer des gens venant d'horizons différents qui pensent la même chose. Pas des gens d'horizons différents qui pensent des choses différentes, qu'on essaie d'assembler et cela fait comme une assemblée de grenouilles : ça saute de tous les côtés.
Mais bien sûr, il y a en France des gens qui pensent la même chose, venant de cette deuxième gauche dont vous parlez, venant du centre droit en même temps et je pense que ceux-là, un jour, ont vocation à travailler ensemble ; en tout cas, j'y travaillerai.
P.L.M. : Nous venons de faire un tour d'horizon de la situation française. La situation internationale n'est pas enthousiasmante non plus. Il y a deux ans, New York était cruellement frappée par le terrorisme islamique. Le bilan de la réponse stratégique des États-Unis, au drame, au défi du 11 septembre est inquiétant :qu'il s'agisse de l'Afghanistan, de l'Irak, du Proche Orient . Sur quelles bases peut être reconstruite, organisée, une réponse plus efficace à la réalité du terrorisme ?
Le terrorisme reculera si l'on a le sentiment que le Droit et la Justice avancent dans le Monde. C'est pourquoi ce qui se passe à Cancun aujourd'hui est aussi un enjeu.
Deuxièmement, oui, il est nécessaire de faire front, c'est-à-dire, par exemple, de ne plus accepter les paradis fiscaux que nous acceptons depuis des années parce que c'est là aussi que se nourrit le financement de ces choses ; d'être capables de montrer, au moins en France, que nous avons à l'égard des intégrismes des attitudes fermes et claires ; et d'être capables d'être des acteurs majeurs, nous Européens, là où ça va mal, en particulier au Proche Orient.
L'absence de l'Europe dans le drame du Proche Orient est une circonstance qui favorise l'échec. J'entendais tout à l'heure le premier titre de votre journal : la feuille de route n'est pas morte parce que Bush l'a dit ! C'est bien que le Président des États-Unis s'exprime. Moi je voudrais qu'une voix européenne s'exprime, parle dans ce sujet. Si nous ne sommes pas capables d'intervenir comme Européens dans ce sujet, il manquera une chance pour la paix. Voilà au moins trois éléments qui me paraissent importants.
C.B. : Prenons le dernier, l'émergence d'une Europe politique forte,
On en est loin !
C.B. : N'êtes-vous pas désespéré par ce glissement de l'U.M.P. vers une sorte d'euro scepticisme à travers l'attitude du Président Chirac vis à vis des petits pays et à travers les propos de Jean Pierre Raffarin sur les déficits ? Et puis, avez-vous perdu tout espoir qu'il y ait un referendum continental sur cette future Constitution européenne tel que vous l'appeliez de vos vux ?
Je ne suis pas désespéré ; je suis volontaire. Il manque une voix forte pour parler d'Europe aux Européens. Il manque un mouvement politique fort pour parler d'Europe aux européens. A droite, comme à gauche, l'euro scepticisme a gagné. Ma famille politique, celle des hommes qui ont fait l'Europe alors que c'était beaucoup plus difficile - on sortait d'une guerre où on venait de se faire, hélas, des millions de morts et des millions d'horreurs - il nous appartient de réinvestir le terrain européen et de dire en effet que, sans Europe politique, rien ne marchera ! Sans transparence démocratique, rien ne marchera !
Les deux arguments du referendum suédois qui semble se diriger vers le " non " sont : regardez les déficits français et allemand , voilà ce que cela veut dire pour votre monnaie ; c'est vous, les Suédois qui êtes sérieux, qui paierez pour les autres. Dans le même temps au Portugal on dit la même chose :ils étaient revenus vers l'équilibre, maintenant les Portugais disent que si la France et l'Allemagne ne respectent pas, quelle raison y a-t- il pour que nous, respections. Il y a un débat très vif au Portugal sur ce sujet.
Le deuxième argument est de dire : " vous ne pourrez pas participer aux décisions, elles sont trop fermées ; jamais les citoyens n'y sont invités, ne sont informés ".
Premièrement, des disciplines consenties en commun et que l'on respecte en commun. Une parole est une parole ! Et comme on le sait, on peut se faire confiance pour l'avenir. Deuxièmement, une démocratie vraie.
L'avenir de l'Europe passe par ces deux choses.
P.L.M. : Ne craignez-vous pas que la conférence intergouvernementale du 4 octobre ne démantèle le projet de Constitution que la Commission, présidée par Valéry Giscard d'Estaing, a eu tant de mal à préparer et à mettre au point.
J'ai salué la qualité du travail de Valéry Giscard d'Estaing et je le lui ai dit. Il a fait un travail exceptionnel que, je crois, personne d'autre n'aurait pu faire à sa place. Mais pour moi on est encore très loin de ce qui faudrait.
On n'a pas, par cette Constitution, l'Europe que l'on voudrait, que les Européens voudraient.
H.J. : Que manque-t-il ?
Il manque une démocratie plus claire, une politique économique commune, il manque une politique fiscale, une politique sociale, une défense. Ce sont des secteurs très importants. Si vous demandiez aux citoyens européens, ils répondraient " oui " à tout cela, ils veulent cela.
On nous dit en plus que l'on va détricoter cela ; il y a de quoi s'inquiéter !
Il faut que les gouvernements, le Gouvernement français par exemple, prennent ses responsabilités dans la crise qui menace.
P.L.M. : L'UDF a été construite sur le refus de toute alliance avec l'extrême droite et sur une volonté d'assainissement des comportements politiques. Que pensez-vous, à cet égard, de la nomination de Charles Millon comme Ambassadeur de la France auprès de la FAO ?
Tout cela est très triste. Ce sont des signes de connivence qui sont faits à des attitudes politiques que, pour ma part, j'ai rejetée et que par exemple, le Président de la république a dit qu'il rejetait aussi.
C.B. : Enfin, ça règle problème à Lyon pour Anne-Marie Comparini qui dirige la région, ça vous arrange aussi ?
Si la République, c'est ça, ce n'est pas le modèle qui est le mien
H.J. : Vous regrettez que Jacques Chirac ait procédé à cette nomination ?
Devinez ! Je trouve que les postes d'ambassadeurs de la République française ne sont pas faits pour des arrangements de cet ordre.


(source http://www.udf.org, le 17 septembre 2003)