Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à La Chaîne info le 19 mai 2003, sur la position du PS dans le débat sur les retraites, la décentralisation dans l'éducation nationale, la désignation des candidatures aux élections régionales et la menace terroriste après les attentas au Maroc.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. Vous venez d'entendre L. Fabius : "La régression est générale, l'opposition doit être frontale". F. Hollande, de son côté, s'est engagé à retirer le plan Fillon si la gauche revenait au pouvoir. Cela ne vous inquiète pas ?
- "La régression, c'est surtout celle des socialistes, parce qu'ils sont en train de virer à l'extrême gauche. Je constate par exemple que la CFDT soutient le sens de l'intérêt général avec les retraites et que, finalement, le Parti socialiste se rallie à la CGT - on n'avait jamais vu ça ! On a entendu d'ailleurs des discours quasiment révolutionnaires, une tonalité anticapitaliste..."
Pas tellement, pas tellement !
- "Monsieur Mélenchon nous a expliqué que "le combat était contre le capitalisme". On croit rêver, on est revenu cinquante ans en arrière ! Le Parti socialiste est un parti gestionnaire, il veut devenir un parti révolutionnaire ? Ecoutez, sur les retraites, pendant cinq ans, il n'a rien fait. C'était une erreur. Aujourd'hui, il veut bloquer la réforme. Ce serait une faute. Et ce serait une faute contre la France, parce que nous, nous nous battons pour l'intérêt général. Nous pourrions aussi avoir une conception de petit intérêt électoraliste mesquin et attendre qu'on arrive dans le mur - parce qu'on va arriver dans le mur..."
Ce serait quoi, le "petit intérêt électoraliste mesquin" ?
- "Eh bien, c'est de ne pas s'occuper des retraites, d'attendre qu'on arrive tranquillement dans le mur, que tout le monde voit à l'horizon et contre lequel on va finir par s'écraser si on ne fait rien. Et puis de dire qu'on reporte, qu'on reporte, comme l'a fait L. Jospin pendant cinq ans. Ce serait misérable. Ce serait peut-être facile à gérer au quotidien, mais ce serait vraiment une trahison par rapport à l'intérêt général. Mauriac disait une chose intelligente : "L'homme d'Etat se reconnaît à sa capacité de discerner chez l'adversaire sa part de l'intérêt général". Monsieur Hollande devrait prendre des leçons."
Avant de prendre des leçons chez Mauriac, je crois que Monsieur Hollande écoute aussi ses militants. Et ses militants sont très braqués contre la réforme des retraites.
- "Oui, ils sont très braqués... On les cultive. Simplement, la seule chose sur laquelle ils soient d'accord au Parti socialiste, c'est être contre le Gouvernement. Et s'il n'y avait pas cette affaire des retraites pour les unifier..."
C'est assez général dans une opposition, quand même ...
- "S'il n'y avait pas ça pour les unifier, ils seraient en train de s'étriper. Mais, fort heureusement, il y a l'opportunité d'une réforme. Quand on fait quelque chose, évidemment, cela mobilise l'opposition. Mais c'est aussi ne pas apercevoir les besoins de notre pays que de se comporter comme cela."
Il n'y a pas que les retraites, il y a aussi l'Education, qui cristallise les positions. Là, vous êtes au centre du débat : la décentralisation de certains personnels de l'Education inquiète beaucoup au PS et la gauche en général.
- "Là aussi, il y a une part de démagogie considérable, parce que quels sont les personnels que nous voulons décentraliser ? Ce sont des personnels qui, d'abord, dans le cadre de l'école primaire, le sont déjà. J'ai entendu, ce matin, par exemple un agent des cantines de collège qui se plaignait. Mais pour les écoles primaires, il y a vingt ans que les personnels des cantines sont décentralisés et le service public marche plutôt mieux aujourd'hui qu'avant. Et pour le reste des personnels, c'est quoi ? Ce sont des électriciens, des maçons, des carreleurs, des réagréeurs de sols. Ce sont des personnels extrêmement techniques, qui sont confiés aux collectivités territoriales."
C'est ce que vous dites...
- "Mais c'est la vérité !"
Oui, mais comme en même temps on rogne le budget de l'Education, il appartiendra aux collectivités territoriales de combler certains vides, notamment l'assistante sociale, tous ces personnels dits "annexes", qui ne le sont pas du tout dans la vie d'un établissement scolaire...
- "Mais ils sont capitaux, ils sont très importants..."
C'est cela qui inquiète aussi...
- "A tort. Si vous vous regardez ce qui s'est passé pour l'école primaire dans les vingt dernières années, et pour les collèges qui ont été confiés aux départements et les lycées aux régions, leur qualité a été triplée, les investissements qui ont été faits ont été considérables, dans toutes les régions. Et il ne faut pas dire que les régions pauvres seront pénalisées par rapport aux régions riches, puisque la Constitution - ça non plus, la gauche ne l'avait pas fait - assure aujourd'hui l'égalité par la péréquation. C'est-à-dire que les régions pauvres vont recevoir davantage d'argent de l'Etat pour remplir leurs objectifs."
D'où part l'égalité et jusqu'où va-t-elle ?
- "L'égalité va dans la compensation pour des régions ou des départements qui ont moins de ressources fiscales, parce que par exemple il n'y a pas de développement économique ou parce qu'elles sont enclavées, parce qu'elles sont en zone de montagne ou en zone rurale éloignée. La compensation qui est celle de la péréquation donnera beaucoup plus d'argent à celles-là qu'autrefois. Et c'est un changement considérable, c'est une tendance vers l'égalité que la gauche n'avait absolument pas fait dans les cinq années qui sont passées."
Vous venez de présenter des lois organiques au Conseil des ministres. Elles vont être débattues avant l'été ?
- "Oui, il y a deux lois organiques : une loi sur le référendum..."
Parce que l'application de la décentralisation...
- "La Constitution a été votée. Et cette Constitution crée aujourd'hui un cadre juridique, contraignant pour l'Etat, qui oblige l'Etat à assurer une égalité qui n'existait pas."
Ma question est : quand est-ce qu'on verra si c'est vrai ?
- "D'abord, pour la décentralisation qui s'est passée en 1982, aujourd'hui, plus personne n'en dit du mal, tout le monde considère que cela a été un plus pour tout le monde. Et personne ne vient nous dire que cela a été inégal. Eh bien, nous allons faire la même chose, c'est "l'acte II" de cette démarche. Nous allons faire la même chose aujourd'hui, pour les vingt années qui viennent."
Les vingt années ?
- "Oui, parce que c'est un processus qui, comme le précédent, prend du temps, cela change les mentalités, cela change les responsabilités, cela change le fonctionnement de la démocratie. C'est une réforme qui est très importante, mais qui donnera beaucoup plus de liberté et beaucoup plus d'égalité."
C'est dans ce contexte que vous placez l'ouverture des magasins le dimanche ?
- "Les magasins le dimanche, je propose que cela soit simplement les villes qui en décident, plutôt que l'Etat, parce que ce sont les élus locaux - c'est aussi un élément de démocratie - qui sont les mieux à-même d'apprécier les conditions de la vie dans leur commune."
A. Juppé a fait savoir que les candidats aux élections régionales, les têtes de liste, ne seraient pas désignés par les militants. Comment seront-ils désignés ?
- "Le principe est que chaque fédération désigne elle-même ses propres candidats. Et dans ma fédération, où j'exerce la responsabilité de secrétaire départemental, je proposerai qu'on procède par la voie de l'élection."
Vous serez une exception ?
- "Non, je pense que beaucoup souhaiteront procéder ainsi, puisque chaque fédération peut décider de son moyen de désigner les candidats. Moi, je crois au moyen démocratique."
Existe-t-il une menace terroriste en France, après la remontée d'un cran du plan Vigipirate ?
- "Il me semble que c'est évident, malheureusement. Ce risque existe dans tous les pays, on voit ce qui vient de frapper le Maroc et qui a surpris. On aurait tort de se croire à l'abri. N. Sarkozy d'ailleurs, sur ce point, est extrêmement vigilant, a pris des dispositions importantes de surveillance et d'organisation de notre territoire, pour faire face à cette menace. Mais elle est évidemment aveugle et très difficile à prévoir."
Est-ce qu'on a des indices ?
- "On n'a pas de menaces précises, mais le climat mondial est mauvais. Et nous échangeons aussi nos renseignements avec tous les pays, à commencer par les Etats-Unis."
A ce propos, a-t-on des renseignements précis ?
- "On n'a pas de renseignements précis à déclarer, en tous les cas."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouverrneent, le 20 mai 2003)