Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur les préoccupations divergentes des pays de l'Union européenne relatives aux migrations et à la notion de codéveloppement notamment par rapport à la gestion des flux migratoires et sur les perspectives de la coopération au développement, Paris le 7 juillet 2000.

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Circonstance : Séminaire européen sur "le codéveloppement et les migrants" à Paris du 6 au 7 juillet 2000

Texte intégral

Monsieur le Commissaire,
Monsieur le Haut-Commissaire,
Mesdames, Messieurs les Représentants des Etats européens,
Mesdames, Messieurs, les Représentants des Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'avoir bien voulu participer à ce séminaire, le premier de la Présidence française, sur "le codéveloppement et les migrants". Je regrette de n'avoir pu assister à l'ensemble de vos travaux mais les conclusions de ces deux journées témoignent de la qualité des analyses et de l'intérêt de tous pour cette question.
Il m'appartient ici de restituer l'essentiel de vos discussions. Le premier enseignement que nous pouvons tirer de ce séminaire est qu'il nous faut aborder avec humilité le codéveloppement :
- parce que cette politique s'attache à un phénomène complexe, mouvant : la migration, et qui renvoie à des préoccupations divergentes.
- parce que cette politique se cherche à travers l'échange d'expériences concrètes, encore peu nombreuses et peu significatives. Vous avez cet après-midi avancé dans sa clarification et sa mise en oeuvre et je veux m'en réjouir.
1- On note des divergences d'approches entre les pays membres de l'UE, la discussion que j'ai pu avoir avec Clare Short mercredi l'atteste, j'ai pu le vérifier lors de récentes discussions sur ce thème avec Poul Nielson. Des divergences qui s'expliquent par l'histoire particulière de chaque pays, selon leur situation géographique, je pense à l'Allemagne, à l'Italie dont la proximité avec les Balkans a fait des terres de premier refuge, ou encore selon les contraintes de politique intérieure, les préoccupations ne sont pas les mêmes. Je pourrais même considérer que c'est un domaine sur lequel les clivages politiques justifient les différences.
Cette divergence s'exprime essentiellement dans l'objectif premier assigné à ce que nous, Français, nommons le codéveloppement et je suis prêt à convenir que le terme n'est pas complètement adéquat. Le point saillant, peut être, est à rechercher dans l'intérêt qui fait agir? Un intérêt strictement national, c'est à dire de maîtrise des flux migratoires ou un intérêt partagé entre nous et les pays d'origine de ces migrants? Je préfère cette seconde ambition sans oublier la première. C'est la mixité de ces intérêts partagés, en organisant un partenariat : négociation avec le pays partenaire dans le cadre d'une coopération solidaire et qui s'efforce d'être la plus généreuse.
Cela est important car les préoccupations sont largement différentes selon ces deux approches. Je ne voudrais pas que le codéveloppement soit compris comme une manière "d'acheter" une gestion des flux migratoires, une manière de "troquer" une politique d'éloignement contre une politique de coopération au développement. L'opacité sur le terme d'approche globale retenu lors du sommet de Tampéré mérite d'être dissipée.
Tout le monde en convient désormais, Il faut une approche globale des politiques de migration, dans un monde "globalisé", ce qui signifie marqué par le mouvement et la circulation des biens et des personnes dont on voit bien qu'il serait vain de les empêcher, au mieux, les organiser. Cette conception se fonde sur le triptyque, intégration, maîtrise des flux et développement. Mais le codéveloppement ne se résume pas à l'un de ces aspects, ni ne constitue un gage pour réussir l'un et l'autre.
En ce qui concerne la position française, le ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement a rappelé hier notre position sur cette question : "le codéveloppement n'est pas un moyen de maîtrise des flux migratoires".
Mais vos débats ont aussi permis de montrer que cette divergence qui s'exprime au niveau européen, apparaît aussi au niveau des gouvernements de chaque pays. Ainsi, en France, on a pu penser que la politique de codéveloppement, en se focalisant sur la régularisation des sans-papiers, il est vrai qu'il y avait simultanéité entre des événements ce qui pouvait entretenir la confusion, devait constituer une réponse aux difficultés nationales liées à l'immigration. Des politiques spécifiques existent pour y répondre. Nous devons essayer de parvenir à une harmonisation de ces politiques au niveau européen. La politique de codéveloppement ne doit pas se substituer à une politique de maîtrise des flux. Or il faut se garder de s'en remettre trop rapidement au codéveloppement comme réponse aux migrations, sur le court terme, on risquerait une mystification .
Néanmoins, ces écarts ne peuvent occulter le fait que la problématique du codéveloppement a d'ores et déjà acquis une dimension européenne et votre présence nombreuse ici en témoigne. La décision de nos chefs d'Etat et de gouvernement, lors du sommet de Tampéré en octobre 1999, d'inscrire le codéveloppement dans la réflexion de l'Union européenne sur les migrations, a posé les jalons d'une nouvelle approche de nos politiques d'immigration, et c'est là, toute l'ambition du codéveloppement.
2- Il s'agit désormais de trouver des points de convergence et c'est là tout l'enjeu de ce séminaire qui, il me semble, peut être considéré, à cet égard, comme une avancée.
a) Une convergence sur un constat, tout d'abord, à savoir que l'immigration ne se tarira pas dans les prochaines années et l'on peut dire, les experts nous le montrent, qu'elle ira croissante. Bref, notre approche du phénomène migratoire, souvent restrictive, va devoir évoluer.
L'immigration ne constitue pas un danger, si ce n'est, malheureusement, pour les migrants eux-mêmes. L'actualité récente l'a montré. Lors du Conseil de Feira, tous les pays partenaires se sont unis pour dénoncer de telles tragédies. Elles nous font une obligation d'empêcher ces trafics intolérables.
b) Convergence aussi sur la nécessité de faire évoluer nos politiques sur l'immigration par une approche globale et cohérente. Le terme global pourra surprendre : la perpective positive d'une approche de la migration qui doit s'extraire de la seule vision sécuritaire, pour être envisagée dans ses trois dimensions : maîtrise, intégration et développement. C'est toute l'ambition d'une politique de codéveloppement qui entend porter un nouveau regard sur les migrations. De quoi s'agit-il ? Pour nous, le codéveloppement est d'abord du développement, une modalité du développement. Ce qui la rend particulière, c'est qu'elle intègre à la fois la valeur ajoutée créée par l'action des migrants et la valeur ajoutée apportée par le pays d'accueil. C'est là que l'harmonisation des politiques européennes doit prendre son sens.
Il s'agit aussi de rappeler, et le représentant de l'Espagne l'a bien montré, que "la relation entre le codéveloppement et les migrations n'est pas linéaire" même si, sur le long terme, le développement peut avoir une incidence sur les migrations comme dans le cas de l'Espagne qui, en 20 ans, est devenue une terre d'immigration. Ce n'est donc pas par hasard que l'Espagne a su inventer, avec le Maroc, un programme original d'aménagement du territoire de la région Nord avec l'appui de sa coopération.
3- Certes des incertitudes, des désaccords, subsistent, mais l'important c'est qu'un début d'accord ait pu être trouvé sur le projet de texte de référence ainsi que sur des projets concrets à mettre en oeuvre, peut-être dans le cadre du groupe de haut niveau. En effet, il était important que ce séminaire aboutisse à des perspectives, aussi concrètes que possible, à même de servir de base à notre discussion au niveau européen .
C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que le codéveloppement figure au programme de la Présidence française et de la coopération au développement.
A ce jour, les discussions ont eu lieu essentiellement sous l'angle de la Justice et des Affaires intérieures sans prendre en compte le volet Développement. Il nous faut aller de l'avant.
Le moment me semble venu de construire la passerelle entre ces deux approches. Les ministres du Développement de l'Union doivent intégrer cette dimension de nos relations avec les pays tiers et examiner de quelle manière les instruments dont disposent l'Europe peuvent être appliqués à ces nouvelles options.
Un pas a été franchi, en février dernier, lorsque le groupe des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, a accepté d'inscrire la dimension migratoire dans le dialogue politique renforcé que nous entendons mener sur la base du nouvel accord de partenariat, signé le 23 juin à Cotonou. J'y étais, je suis convaincu que j'ai partagé un moment historique, en dépit de tous les pessimismes que l'actualité pouvait justifier. Face à une économie mondialisée qui peut imposer la loi du plus fort, choisissons le partage, choisissons l'intérêt partagé, le vrai partenariat. D'ici le Conseil de développement du 10 novembre, il nous faut inventer des moyens et des projets pour concrétiser des nouvelles alliances.
Permettez-moi, au moment de clore mon propos, d'avoir une pensée pour mon ami Pierre Guidoni... Ce séminaire aurait du être présidé par Pierre Guidoni dont je souhaite ici saluer la mémoire. Sachez la vive émotion qui a été la mienne à l'annonce de sa disparition. Pierre Guidoni s'est toujours attaché, dans ses multiples activités, à lier ses convictions et son souci du partage à un travail exigent. Son action à la MICOMI en constitue un exemple. Sa présidence, pendant quelques mois, a fortement contribué à sa redynamisation et à l'aboutissement de la réflexion sur la politique de codéveloppement liée aux migrations.
Au revoir, bon retour.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juillet 2000)