Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de Force Ouvrière, sur France 2 le 12 septembre 2003, sur la dégradation de la situation de l'emploi et le financement des retraites et sur les dépenses de l'assurance maladie.

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Circonstance : Rencontre entre les représentants de Force ouvrière et M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, à Paris le 12 septembre 2003

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Françoise Laborde .- Nous allons parler de la rentrée sociale évidemment, et d'ailleurs de votre dernière rentrée sociale, puisqu'en février prochain, quelqu'un prendra votre succession à la tête de Force ouvrière. Ce matin, à 11h00, vous allez voir J.-P. Raffarin à Matignon. Vous allez lui parler de quoi en priorité ? Les retraites ? La réforme de l'assurance maladie ?
Marc Blondel .- "En priorité, je vais lui parler de l'emploi, parce qu'il y a un véritable problème, il est d'importance. J'ai remarqué que l'autre jour, dans sa déclaration, il avait pour la première fois constaté qu'il y avait une désindustrialisation. Moi, c'est un point sur lequel j'insiste depuis de nombreuses années maintenant. En France, on est en train de perdre des emplois régulièrement par les délocalisations..."
Dans l'industrie...
- "Dans l'industrie, comme on a un problème aussi dans le secteur primaire avec l'agriculture. On voit maintenant les conséquences vis-à-vis des services. Donc il est grand temps de regarder les choses et de voir comment en utilisant la vie, les avatars, les difficultés etc., on peut retourner la situation en essayant de maintenir ou de développer l'emploi industriel dans ce pays."
Cela veut dire quoi ? Ouvrir des grands chantiers ? Revenir à une politique un peu planifiée ?
- "Ça, c'est le problème européen. Vous avez vu que l'Europe a désigné W. Kok, l'ancien Premier ministre hollandais, pour cette charge. Je connais bien d'ailleurs W. Kok, il était du mouvement syndical hollandais. Mais ceci étant, je ne dis pas qu'on va résoudre le problème de l'emploi, mais utiliser le phénomène de la canicule, avec l'air conditionné etc., se demander si on ne peut pas construire du matériel, si on ne peut pas avoir besoin d'agents de maintenance etc., comment aider les Français à s'équiper en air conditionné ?"
La politique du ventilateur !
- "Mais ça, c'est une formule. Ceci étant, mais j'aimerais autant qu'elle ne soit pas du vent, cette formule, d'ailleurs au passage. Mais ceci étant, utiliser les choses... Pour les vieilles personnes qui montent cinq étages ou six étages, pourquoi ne pas regarder si on ne pourrait pas équiper en ascenseurs, plutôt que de faire des baisses d'impôts aussi mal ciblées que celles qui sont faites ? Dire que si vous vous équipez de telle ou telle façon, on vous aidera de telle façon, on vous prêtera de l'argent ou au contraire, on fera une exonération partielle d'impôt..."
Donc, première suggestion que vous allez faire à J.-P. Raffarin ce matin. Sur l'assurance maladie, qu'est-ce que vous allez lui dire ? Qu'il faut effectivement mieux prendre en charge le problème des personnes âgées ?
- "Pour l'instant sur l'assurance maladie, la consultation de M. Mattei est de nous dire que M. Mattei est très compétent en la matière, est de dire "ni privatisation, ni étatisation". C'est la position de mon organisation. Et puis quand on discute, il va même jusqu'à dire que la dépense maladie peut aller plus loin que la croissance. On ne peut pas être ligoté strictement par les questions d'argent. Il fait plutôt, je dirais, l'homme compréhensif, généreux, sur la tradition. Il a dit - et ça je confirme parce qu'il l'a dit à d'autres - que la Sécurité sociale c'est 1945, 1967 et 2004, ce qui veut dire en termes clairs et politiques, que nous abandonnons le concept Juppé, c'est-à-dire la maîtrise comptable. Et je pense que ça c'est un bien, sauf que..."
Après ce qui s'est passé cet été, on a bien compris qu'on ne pouvait pas réduire les dépenses !
- "Oui, il est difficile d'avoir un discours différent, parce qu'il est peut-être bon de rappeler que l'assurance maladie, c'est ce qui finance les hôpitaux, c'est ce qui finance les maisons de retraite, avec le prix de journée etc. Donc c'est clair, quand on a des avatars comme ceux que nous avons connus, il est clair qu'il faut résoudre le problème et il y a deux solutions : la solution, celle que j'avais cru comprendre chez le président de la République et qui m'avait irrité, celle de l'appel à la générosité, on va taper pour voir si la voisine est encore vivante ; et la vraie solution, celle qui serait là républicaine, celle de l'égalité, c'est d'affecter de l'argent. Mais permettez-moi de faire remarquer que c'était mon discours sur la retraite. On ne peut pas dire qu'on va être plus préoccupé des anciens, sans réaffecter macro-économiquement de l'argent. C'était le cas de la retraite, c'était le cas de l'allocation dépendance qu'ils ont remis partiellement en cause et tout... Il faut maintenant réaffecter de l'argent, c'est tout à fait normal."
Est-ce qu'il faut ouvrir un cinquième guichet dans l'assurance maladie, c'est-à-dire faire, après effectivement la Sécurité sociale, après l'assurance maladie, les retraites, est-ce qu'on peut faire quelque chose sur la vieillesse par exemple ?
- "On ne peut pas considérer la vieillesse comme un accident de travail, ce n'est pas possible. On ne peut pas considérer la vieillesse, puisqu'on y va tous, il faut être clair, ce n'est pas une maladie particulière la vieillesse, ce n'est pas une maladie... C'est ce qui nous arrive, le plus longtemps possible d'ailleurs au passage. Il est clair que la notion de dire un cinquième risque est une notion que j'accepte quant au raisonnement, mais pas de créer un cinquième risque, parce que tout simplement, on va faire sinon un système pour vieux indigents. Or c'est le contraire de la Sécurité sociale, c'est le contraire de l'égalité. Je suis pour que ça rentre dans le système de Sécurité sociale en général, y compris l'allocation dépendance, mais très clairement que ce soit latéral et que ce soit diffus, parce qu'on peut très bien être malade à 20 ans, ne plus l'être à 80, et inversement, et bien être malade à 70 et puis ne pas l'être à 40."
Statistiquement, c'est vrai que les personnes âgées sont plutôt plus malades que les plus jeunes...
- "C'est un constat, et on a même fait des études. Alors, ça, c'est très intéressant, les technocrates ont des idées majeures, ils ont constaté qu'on consommait plus de médicaments cinq ans avant de mourir. J'ai eu peur qu'ils en prennent comme conclusion : "Mourrez tous cinq ans avant, on fera des économies" ! Il me semblait, pour ma part, que la Sécurité sociale c'était l'inverse, c'était d'essayer de soigner le plus longtemps possible, et je sais que je m'adresse à quelqu'un qui connaît ça, le plus longtemps possible et le plus dignement possible, pour qu'on vive le plus longtemps possible le plus dignement et que ma foi, on voit la mort debout quoi !"
Autre thème, les retraites. On a vu qu'il y avait un peu d'irritation du côté de la CFDT, F. Chérèque...
- "C'est curieux, cette irritation... Je vous rappelle que F. Chérèque a bousillé l'ARPE, c'est-à-dire justement ce qui permettait aux gens qui avaient commencé à travailler à 14 ans de partir. Il a bousillé ça et bien entendu son substitut était d'essayer de l'intégrer dans la retraite. Apparemment, il s'est flatté d'accepter les propositions de Fillon parce qu'il avait cette satisfaction. La réalité..."
Rappelons que les personnes qui ont commencé à travailler très jeunes ...
- " ... pourraient partir après quarante ans de cotisations. C'était très exactement ce qui était là. Peut-être faisait-il amende honorable, il avait obtenu ça de M. Fillon, et comme je l'ai dit, et je le confirme, la réforme M. Fillon, c'est du bidon, il n'a pas de quoi financer. C'est clair, il faut le savoir. Il faut savoir que pour le financement pour le secteur privé de la retraite Fillon, il faut qu'on descende en dessous de 5 % de chômage ; on est 9,6 et, au moment où ils l'ont décidé, on était à 9,3. La tendance est plutôt inverse. Je ne m'en félicite pas, parce que c'est une catastrophe pour le pays, mais quand même, il faut descendre en dessous de 5 %. Ce qui fait que bien entendu, M. Fillon devrait décider des décrets etc. Il faut qu'il les fasse assez rapidement, sinon tout ce que se gargarise la CFDT ne se réalisera pas. Et pour l'instant d'ailleurs, se posera la question de savoir comment on finance. Comment on va financer ? Est-ce que c'est le régime complémentaire qui va financer ou est-ce que c'est le régime de base ? Cela change considérablement les choses. Cela veut dire que d'une certaine façon, la réalisation du plan Chérèque-Fillon, vous savez cette comédie-là qu'on a vécu, elle est entre les mains de la négociation entre les patrons et nous."
[...]
Aujourd'hui, l'opposition syndicale, politique, est-elle dans les partis, dans les syndicats ou dans ceux qui s'appellent les altermondialistes qui sont réunis à Cancun ?
- "Je vois très bien ce que vous voulez poser. Moi, je ne suis pas une opposition, je suis la défense des intérêts des travailleurs dans une société démocratique. Je ne me bats pas d'une manière différente quand c'est M. Raffarin ou M. Jospin, c'est pas ça mon problème. Mon problème est de défendre les intérêts des travailleurs. Ce qui m'ennuie, c'est qu'effectivement, dans ce pays, il n'y a pas, pour l'instant, un discours d'opposition très clair et très net. C'est autre chose, c'est leur boulot à le faire, c'est aux politiques de le faire. Maintenant, il y a une confusion avec les altermondialistes, parce que tout simplement, on a le sentiment que ce n'est ni un parti ni un syndicat. Vous ne pouvez quand même pas me dire que je suis comme M. J. Bové qui est, lui, représentant d'une confédération paysanne, c'est-à-dire les propriétaires terriens. Je n'ai quand même pas cette démarche là moi, bon ! Il faut qu'il existe, c'est son droit le plus absolu. Sauf qu'ils sont en train un peu de mélanger les choses et je ne veux pas qu'on nous fasse le procès de dire systématiquement, pour des raisons politiques, que l'organisation syndicale est contre le Gouvernement, ce qui n'est pas vrai. Et les problèmes que nous devrions traiter, ça va faire partie du dialogue social, de la réalité concrète de ce que veut nous dire le Gouvernement."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 septembre 2003)