Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Les Echos" du 22 septembre 2003, sur son projet d'amendement du budget, l'ampleur de la dette et la position de l'UDF par rapport à la loi de finances.

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Hier, lors de journées parlementaires de l'UDF, qui se tenaient à Semur-en-Auxois (Côte d'Or), vous vous êtes montré très dur à l'égard des choix budgétaires du gouvernement. Vos troupes se montrent un peu gênées par cette radicalité. Etes-vous prêt à aller jusqu'à voter contre le budget.
Nous n'y sommes pas encore, nous sommes toujours dans la préparation du budget. Les parlementaires UDF ont le devoir de modifier, par voie d'amendements, les options du gouvernement. Ensuite, ils jugeront de l'équilibre atteint.
Est-ce à dire que vous vous fixez comme règle de ne jamais voter contre le budget ?
Je n'ai qu'une seule règle : c'est de dire ce que je pense et ce que les Français pensent. La liberté de parole de l'UDF, nous l'avons chèrement payée, nous n'y renoncerons pas. Mais la critique n'est pas une posture : nous critiquons quand nous pensons que ce qui est décidé n'est pas sérieux, et que nous allons dans le mur.
C'est le cas des baisses d'impôts ?
Les baisses d'impôts sont nécessaires, mais pas aux dépens de l'équilibre. Je conteste le fait qu'elles soient financées par du déficit et par une augmentation de la dette. Accumuler ainsi de la dette, c'est se préparer à des effets désastreux sur le niveau de vie future Les générations de Gaulle, Pompidou, Giscard n'ont pas laissé de dette. Celles qui viennent vont subir le vieillissement de la population et le poids du financement des retraites . Si en plus on leur met sur le dos le poids de la dette, c'est incivique. Les jeunes Français devraient manifester contre cela. Et puis je ne crois absolument pas que cette politique va relancer la croissance, elle risque au contraire de la plomber. Tous les pays européens qui sont au-dessus de nous en taux de croissance, sont à l'équilibre budgétaire ou presque.
Ils ont aussi pour la plupart moins de prélèvements...
Souvent oui. Mais la Suède, par exemple, fait contraste. Encore une fois, à quoi rime cette politique ? si la majorité est convertie au keynésianisme, qu'elle le dise clairement ! Un foyer français moyen (5 personnes) a aujourd'hui une dette publique de 80.000 euros. Et en 2004 on va lui rajouter encore 4.500 euros. Ca n'est pas raisonnable. On cherche à alléger les
prélèvements avec de l'argent que l'on n'a pas.
Que proposeriez-vous pour relancer la croissance ?
En tout cas sûrement pas l'illusion que la croissance peut être relancée par une baisse de l'impôt sur le revenu, qui représente à peine 0,1 % du PIB. La feuille d'impôts moyenne va être réduite de 30 euros, et pour les hauts revenus on sait très bien que l'essentiel ira à l'épargne. Sans compter que dans le même temps, les impôts locaux augmentent de 2,5 % et le gazole de 3 centimes : or au bout du compte, le contribuable est le même. En revanche, je crois aux réformes structurelles de l'Etat, notamment à celles de la santé et de la sécurité sociale qu'il ne faudrait surtout pas différer, même d'un an comme veut le faire le gouvernement. Sur ce sujet, les rustines ne servent à rien. Mais pour qu'une réforme réussisse, il faut qu'elle soit soutenue par la nation et pour cela que les gens aient un sentiment de justice. En baissant l'impôt sur le revenu, on fait le contraire.
Le gouvernement veut revaloriser la prime pour l'emploi...
Certes. Mais je reste sceptique. L'idée que pour rémunérer le travail, l'Etat prélève un impôt puis le redistribue, ne me paraît pas saine. Ce qu'il faudrait, c'est du salaire direct, grâce à un allègement de charges.
Dans quelle direction les parlementaires UDF vont-ils chercher à infléchir la loi de finances ?
Nous contestons la hausse du gazole et, plus encore, la suppression de l'allocation aux chômeurs en fin de droit. Nous allons donc proposer de les supprimer, en équilibrant ce chois par une limitation à 1 % de la baisse des impôts.
Vous ne croyez pas non plus au plan de croissance franco-allemand ?
Ce plan est sympathique mais ce ne sont pas des leviers suffisants. Je ne crois vraiment pas que le développement de la visiophonie sur le téléphone mobile puisse suffire à relancer la croissance.
Les tensions entre Paris et Bruxelles porte-t-elle un coup au projet européen ?
Je suis très inquiet du climat qui a été créé. En quelques jours, le gouvernement a fait progresser le sentiment anti-européen alors que Bruxelles ne fait que faire respecter des disciplines que la France elle même a voulu. Notre attitude a notamment beaucoup pesé sur le référendum en Suède. La seule vraie garantie qu'ont les " petits " états, c'est le respect de la parole des " grands ".
Ne contribuez vous pas, vous aussi, à brouiller le message européen en critiquant le projet de Constitution de Valéry Giscard d'Estaing ?
Je salue l'effort de Valéry Giscard d'Estaing, mais s'il y a des manquements dans ce texte, notamment l'absence de politique économique commune, je les signale. Ce n'est pas être anti-européen que de le dire. Au contraire : le problème qu'a rencontré Valéry Giscard d'Estaing, c'est qu'il n'y a plus de grands défenseurs de l'idée européenne en Europe.
Mon objectif est de faire renaître ce courant.
Votre sévérité à l'égard du gouvernement semble incompatible avec un accord avec l'UMP pour les régionales.
Je ne suis pas critique mais juste, du moins j'essaie de l'être. Les régionales se prépareront, avec leur logique propre, dans les mois qui viennent.
Certains élus UDF semblent mal à l'aise. Notamment les conseillers régionaux qui, à quelques mois des élections, sont plutôt dans une logique d'union.
Tous les élus régionaux de l'UDF sont sur la même ligne que moi : dire la vérité, même quand elle ne fait pas plaisir. Et chercher la justice, même quand c'est difficile.
Propos recueillis par Cécile Cornudet et Yann Rousseau
(source http://www.udf.org, le 23 septembre 2003)