Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à RTL le 25 avril 2003, sur la position de la CFDT sur le projet gouvernemental de réforme des retraites.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : RTL

Texte intégral

R. Elkrief-. F. Chèrèque, bonjour.
- " Bonjour. "
Vous avez regardé F. Fillon hier soir sur France 2. Il est allé beaucoup plus loin dans les précisions sur la réforme de la retraite. Première information importante : il nous a annnoncé que les fonctionnaires cotiseraient quarante ans et plus 37 ans et demi, mais aussi que les salariés du privé, en 2012, cotiseraient 41 ans, et en 2020 42 ans. Réaction ?
- " Vous commencez effectivement par le point dur de l'annonce d'hier du ministre, qui est effectivement - enfin, je dirais - a annoncé des mesures concrètes, des directions concrètes. Et maintenant je crois que le débat est clair. Sur les 40 ans en 2008 pour tout le monde c'est une surprise pour personne. "
Vous étiez d'accord ?
- " Le problème, c'est qu'hier, il n'a pas été très clair sur les contre-parties pour les fonctionnaires, on y reviendra. Mais je pense que c'est une logique. Maintenant, la CFDT va avoir un blocage avec le Gouvernement sur le fait d'inscrire une augmentation automatique à 41 ans, puis à 42 ans. "
Pour les salariés du privé.
- " Pour les salariés du privé et du public. Parce que son objectif, c'est de faire les deux. Nous pensons, à ce jour, qu'on n'a pas la visibilité, en termes d'emplois - ce que le ministre a reconnu d'ailleurs - qu'on n'a pas la visibilité en termes économiques, de moyens disponibles, pour prendre des décisions aujourd'hui. Nous voulons laisser totalement ouvert le débat, périodiquement, c'est-à-dire tous les cinq ans comme il nous le propose, pour qu'on puisse décider entre : est-ce qu'on augmente la durée de cotisation, est-ce qu'on augmente les cotisations ? Je fais remarquer au ministre, simplement - c'est un chiffre qu'il n'a pas donné, parmi tous les chiffres qu'il a donnés -, un point de CSG rapporte autant que l'augmentation de deux années de cotisations dans le privé. Donc vous voyez : on a des choix réels, et ces choix là, il faut qu'on les fasse tous les cinq ans. "
Et ça veut dire que les salariés, à votre avis, privé-public, seraient d'accord un jour, pour que ce soit plutot une augmentation des cotisations. Il ne faut pas l'exclure, c'est ce que vous dites ?
- " Inévitablement, aujourd'hui, on doit l'exclure puisqu'on n'a pas la marge de manoeuvre, mais pourquoi l'exclure pour dans cinq ans ? On nous fait rentrer dans une démarche automatique, alors qu'il me semble qu'il faut qu'on garde à chaque fois, à chaque période de la vie, une possibilité entre deux, éventuellement aussi le niveau de pension. A partir du moment où l'on part, comme nous le propose le Gouvernement, dans une logique qui nous amène dans une seule décision, ça ne va pas. Nous on veut proposer une logique qui nous amène à des choix. Et là, il nous empêche de faire ces choix là. On n'est pas d'accord. "
On sait que la CFDT est un des syndicats qui est pour la réforme, et qui discute - je dirais - le plus près avec le Gouvenrement, point par point pour obtenir satisfaction, et n'est pas fermement opposé à la réforme, comme d'autres syndicats. Vous aviez posé trois conditions, trois demandes très précises. Est-ce que vous avez eu satisfaction sur vos trois demandes, hier soir ?
- " Le ministre, hier soir, nous a ouvert trois portes. Et comptez sur moi pour pousser notre avantage le plus loin possible. La première, il l'a dit trois fois : il ne faut pas laisser se dégrader le montant des retraites. Je lis mon papier : c'est ce que j'ai noté hier, trois fois. Il nous a dit : dégradation du montant des retraites, provoquée par les anciennes réformes. "
Celles de Mr Balladur notamment ...
- " Ah oui, pour nous, c'est ...
Mais enfin, vous y croyez quoi ?
- " Il l'a dit trois fois, trois fois. Trois fois, on l'a fait répéter, il l'a dit trois fois. Dans un premier temps, il dit : 75 % du SMIC pour le minimum. Pour nous, c'est cent pour cent pour le minimum. "
Donc ce n'est pas assez ?
- " Ce n'est 'est pas assez. Il a fait une ouverture là dessus. On voit bien qu'il y a encore une marge entre ce que propose la CFDT et ce qu'il nous a proposé. Il nous parle de la possibilité de partir pour les salariés, qui ont commencé à 14 ans - 15 ans, avant 60 ans. Non. Ca veut dire qu'on laisse des salariés qui ont commencé à 16 ans, travailler 44 ans dans le système actuel, sans surcote, comme il nous le propose pour ceux qui travailleront plus de 40 ans, et les autres ? Donc là, il faut qu'il aille plus loin. "
Donc : 16 ans, 17 ans.
- " 16 ans, 17 ans, 18 ans. On a une marge de manoeuvre, une marge de discussions pour aller plus loin. Mais laissons-le le choix avec une surcote. On ne peut pas les empêcher d'avoir une surcote alors que les autres l'auront, s'ils le souhaitent. Donc vous voyez, là, qu'il y a deux ouvertures importantes, qu'il faut pousser et la CFDT compte les pousser. Troisième point - alors c'est là, je dirais un peu la nébuleuse : c'est les contreparties pour les fonctionnaires. On ne parle plus de caisse de retraite complémentaire, c'était une demande de la CFDT. "
C'est vague en tout cas.
- " Alors il a parlé des primes des aides-soignantes ; moi qui viens du milieu hospitalier, ça fait dix ans que je le demande. Si je l'obtiens, j'en serai satisfait. Mais est-ce qu'on va réduire les inégalités entre fonctionnaires sur le niveau des pensions en intégrant certaines primes, et en faisant une démarche avec une volonté de 75 % de moyenne pour tous les fonctionnaires ? Ça, je n'ai pas de réponse. Est-ce qu'on va rediscuter sur le fond le problème des emplois pénibles également ? Il a fait une ouverture chez les infirmières, mais est-ce qu'on va élargir le débat ? Là, il y a quand même une nébuleuse, il faut qu'il aille plus loin. "
Ce qui avait frappé il y a une semaine, c'est que vous aviez dit en sortant d'une réunion : la CFDT aussi n'est pas contente et elle appelle à un mouvement le 13 mai avec les autres syndicats. C'était la première fois clairement. Ce matin, vous changez d'avis, ou vous continuez à appeler pour une manifestation le 13 mai, vous continuez à considérer qu'il faut un front uni des syndicats contre, ou en tout cas, pour discuter la réforme ?
- " Mon sentiment ce matin, c'est que la fermeté commence à payer. Puisque le Gouvernement commence à ouvrir des portes dans le sens de ce que veut la CFDT, ça serait pas raisonnable de ma part de m'arrêter là. Il faut aller plus loin. Il faut aller plus loin, et modifier en particulier sur la durée de cotisations, certaines obligations que le Gouvernement veut nous apporter. Donc, plus encore que la semaine dernière, j'appelle les salariés du public et du privé de nous rejoindre le 13 mai pour faire pression sur le Gouvernement, pour améliorer sa feuille, pour aller plus loin dans les objectifs CFDT et non pas pour s'opposer à une réforme. "
Mais pas pour refuser la réforme. C'est ce que vous dites ? Ça veut dire concrètement que lorsqu'on entend par exemple FO dire : on commence un grand mouvement, on pourra aller à la grève, ça mérite une grève, etc?, ce n'est pas votre discours ?
- " Notre discours a toujours été : nous avons besoins d'une réforme. Je répète et je l'ai toujours dit : le pire serait de ne pas faire de réforme. "
Donc, il n'y a pas de front uni syndical, il n'y a pas de retrouvailles CGT, CFDT, FO et les autres ?
- " Nous avons proposé à l'inter-syndicale avec la CGT, un texte qui aurait pu nous amener vers une démarche, justement sur les points nécessaires à faire évoluer dans la réforme. Force Ouvrière l'a refusée. Donc chacun a ses slogans pour le 13 mai. Mais pour nous, la nécessité, c'est d'améliorer le texte, d'aller plus loin, je l'ai dit, sur ses directions sinon les salariés les plus modestes - on voit bien, 75 % du SMIC - ces salariés là, ils n'auront pas les moyens d'améliorer leur retraite par l'épargne. Ce seront les plus hauts salaires qui le feront. Donc ils seront sanctionnés. Et puis les jeunes. Les jeunes vont être victimes d'une double peine : d'une part, ils vont avoir à payer seuls le montant des retraites de demain, mais eux ils vont être sanctionnés sur leur propre retraite. Donc pour ces jeunes - quand je dis les jeunes c'est les moins de 50 ans, donc c'est eux qui vont cotiser.Je me considère dedans. "
On est jeune aujourd'hui.
- " Pour les 10-50 ans, pour ne pas leur laisser seuls le poids, et donc sanctionner leurs retraites, il faut effectivement faire une réforme. "
Mais le climat : certains disent " décembre 95, etc ", vous y croyez ? Ça peut dégénérer ? ça peut être très dur ?
- " Ce qui est remarquable aujourd'hui, c'est que le vrai débat est posé sur les retraites, que les français commencent à le comprendre. Ils savent qu'il faut faire une réforme, donc on n'est pas dans une démarche d'empêcher toute réforme, car ils savent que le pire serait de ne rien faire. "
Et vous dites : il ne faut pas de grève, par exemple dans la fonction publique.
- " Si les fonctionnaires ont appelé à une grève. Ils feront une grève, chacun déterminera. Mais j'ai du mal. Je suis secrétaire général depuis un an. J'ai du mal moi, F. Chérèque tout puissant, de décider que tous les salariés devraient arrêter de travailler. Je pense aux salariés en particulier des petites entreprises, qui ont des bas salaires, qui ont des difficultés dans la vie, leur dire : vous allez vous arrêter de travailler. Moi c'est des mesures, des grèves presse-boutons, je n'ai pas l'habitude. Et je ne suis pas le super puissant qui peut décider pour ces gens-là. "
Dernière question : on a parlé hier - il y avait des gros titres - ne pas remplacer à son départ un fonctionnaire sur deux après 2004, ce serait le plan du gouvernement, en un mot ?
- " Une nouvelle provocation. Je crois que dans la majorité, il y a une partie de la majorité et du Gouvernement - les plus libéraux de cette majorité - qui, à chaque fois qu'on avance des solutions pour la réforme des retraites, veulent plomber cette réformer et préfèrent avoir un affrontement dur avec les fonctionnaires et avec les syndicats, pour faire de mauvais coups. Et je pense qu'entre ceux qui veulent des réformes comme M. Fillon, et ceux qui veulent la confrontation avec les syndicats, eh bien inévitablement, il y a un combat dans le Gouvernement que le premier ministre devrait faire attention. "
Mr Chérèque appelle Mr Raffarin.. Merci beaucoup.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 mai 2003)