Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur les incidences de la téléphonie mobile sur la santé, Paris le 19 mars 2003.

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Circonstance : Séminaire "Téléphonie mobile et santé" organisé par l'Association française des opérateurs mobiles à Paris le 19 mars 2003

Texte intégral

Monsieur le Délégué général,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais tout d'abord remercier Monsieur Russo pour son invitation à m'exprimer devant vous à l'occasion de cette importante réunion sur les relations entre la téléphonie mobile et la santé publique.
J'ai tenu à me rendre disponible pour cette invitation en raison de l'importance que j'attache à cette question en elle-même.
Mais aussi parce qu'elle représente une illustration intéressante des tensions qui existent entre l'innovation et le développement technologique, d'une part, et les interrogations du public sur l'impact éventuel de ces nouveaux équipements sur sa santé ou son environnement, d'autre part.
Comment distinguer, en effet, entre ce qui est interrogation légitime et sincère, source d'un comportement responsable d'anticipation d'un éventuel risque, et fond de commerce de ceux qui capitalisent sur les peurs infondées et les inquiétudes irrationnelles ?
Je me félicite, en outre, que cette réunion résulte d'une initiative conjointe des trois grands opérateurs de téléphonie mobile implantés sur le sol français, et qui, s'ils sont naturellement en concurrence, ont su se regrouper pour éclairer ce débat sur les effets des radiofréquences sur la santé.
Par ma présence ici cet après-midi, je souhaite encourager votre démarche commune pour plus de dialogue et de transparence lors de la mise à disposition des nouvelles technologies dans la vie quotidienne de nos concitoyens.
La téléphonie mobile est emblématique du hiatus qui existe aujourd'hui, pour une part de la population, entre une société post-industrielle, où les technologies de l'information et de la communication accroissent chaque jour nos facultés d'action, et une perception suspicieuse du progrès technologique qui, dans une remise en cause de principe, cherche à en souligner les éventuels effets négatifs.
Un français sur deux possède aujourd'hui un téléphone mobile. Il existe peu d'exemples de technologies complexes et représentant des investissements de mise en oeuvre aussi élevés qui aient pénétré aussi rapidement dans notre société.
Pour nombre de nos concitoyens, le " portable " est aujourd'hui un élément banal de la vie quotidienne, que ce soit au travail, à la maison ou lors des déplacements. En moins de dix ans, il est devenu, pour beaucoup d'entre nous, gage d'efficacité, de sécurité et de confort, en un mot, indispensable. Songeons aux exemples de sauvetages rendus possibles, même dans les endroits les plus isolés, par un appel téléphonique émis à partir d'un portable.
Deux simples chiffres sont éloquents : début 2003, ce sont 34 millions de téléphones mobiles en France et 98 % du territoire couverts.
C'est un succès extraordinaire pour une technologie jeune et encore en pleine évolution dont de nouveaux usages, par exemple dans le domaine de l'internet mobile, pourraient encore accroître la diffusion parmi nos concitoyens.
Je me félicite du dynamisme de la France dans ce domaine et du soutien apporté par mon ministère, via le Réseau national de recherche en télécommunications et en partenariat avec le ministère chargé de l'industrie, au développement de ces formidables outils de communication.
La rançon de ce succès, c'est l'installation d'un grand nombre d'antennes sur des pylônes, des édifices publics, des immeubles de bureau ou d'habitation, afin d'assurer la couverture optimale du territoire.
Ces dix dernières années, les Français ont été spectateurs de cette prolifération d'équipements, dont ils ne comprennent pas toujours les propriétés. Ces antennes relais ou stations de base sont aujourd'hui au nombre d'environ 30 000, qui s'ajoutent aux 50 000 stations radioélectriques déjà existantes : antennes de radiodiffusion, de télévision, de radio professionnelle, qui émettent également des signaux radioélectriques. L'interaction des radiofréquences, et des ondes électromagnétiques en général, avec le corps humain est donc ancienne. C'est un élément de confiance dans les résultats à long terme à prendre en compte.
Cette multiplication, souvent perçue comme anarchique, en particulier à proximité de bâtiments publics - crèches, écoles, hôpitaux, services publics - ou sur les immeubles d'habitation, a fait naître progressivement une inquiétude dans une certaine fraction de la population, inquiétude renforcée lorsqu'il s'agit de la santé des enfants ou des adultes les plus fragiles.
Nous devons être à l'écoute de ces comportements et répondre aux questions qui sont posées, sous les formes les plus appropriées, aussi précisément que possible, en sollicitant la recherche. Chacun adoptera ensuite la position et le comportement qui lui sembleront les plus justes.
A l'issue de cette journée, pendant laquelle le sénateur Daniel Raoul et le professeur Denis Zmirou ont largement analysé les données scientifiques disponibles, vous êtes aussi précisément informés que possible sur les effets biologiques et sanitaires connus des rayonnements électromagnétiques.
En écoutant ces experts, vous aurez certainement acquis comme moi la conviction que, quels que soient les progrès dans les connaissances déjà acquis, ces effets ne sont pas encore aussi complètement connus que nous pourrions le souhaiter.
A côté des effets thermiques à court terme, bien caractérisés et, heureusement, facilement évitables en respectant les seuils d'exposition recommandés au niveau européen depuis 1999, ainsi que le permettent les équipements actuellement autorisés à la vente, les autres effets biologiques, et surtout les effets à long terme, restent l'objet d'interrogations dans les conditions d'exposition réalistes - même si, à ce jour, aucune évidence de risque n'est établie.
Dans cette situation d'incertitude, à l'issue de plus de dix ans de parutions d'articles scientifiques et de rapports, la voix d'associations ou de simples citoyens se fait entendre de plus en plus fortement, pour exprimer une inquiétude face à un risque imprécisément identifié.
Cette inquiétude concerne d'abord le risque de développement de cancers, notamment sous forme de tumeurs cérébrales ou de leucémies.
La récente enquête sanitaire sur la commune de Saint-Cyr-l'Ecole, dans les Yvelines, est une illustration supplémentaire de ce climat de suspicion. D'autres craintes, moins dramatiques, mais exprimées souvent avec une égale virulence, concernent des troubles fonctionnels, comme des difficultés d'attention, des troubles de l'humeur ou du comportement, en particulier chez des enfants.
Face à la conviction intime de certains de nos concitoyens, qui sont parfois des élus, et face à l'activisme, handicapant pour votre profession, de certaines associations, quelle attitude devons-nous adopter ?
Votre présence aujourd'hui est le résultat de ce questionnement et vous avez tenté cet après-midi d'y apporter des réponses auxquelles je souscris largement.
L'expression d'un réelle volonté de transparence, d'explication et de concertation est essentielle de votre part. Ce mouvement est déjà amorcé avec la signature de chartes avec certaines communes.
Cette action doit comporter, lors de l'implantation des antennes, la recherche systématique d'une limitation de l'exposition de la population, en particulier dans les sites sensibles, qui doivent être bien identifiés. La réalisation de cet objectif doit ensuite être validée par des campagnes de mesures sur le terrain, dont les résultats doivent être rendus publics.
Vous vous inscrivez déjà dans cette logique et je tiens à vous conforter dans cette démarche de transparence et de dialogue, qui, seule, pourra aboutir à une pacification des tensions que vous vivez actuellement.
Parallèlement à ces actions qui vous incombent directement, en liaison avec les administrations compétentes, des actions de recherche, qui sont d'abord du ressort des pouvoirs publics, doivent être conduites afin de réduire l'incertitude sur les effets biologiques et sanitaires des radio-fréquences.
Comme cela a été évoqué ce matin, nous n'arrivons pas ici sur un terrain vierge. Dès 1999, les ministères chargés de la recherche et de l'industrie ont cofinancé un premier programme appelé COMOBIO, pour Communications mobiles et biologie, qui avait pour objectifs :
- de contribuer au processus de mise en place de la certification des téléphones mobiles,
- d'améliorer les méthodes de dosimétrie,
- et de réaliser des expériences biologiques ciblées pour explorer les mécanismes des effets sanitaires potentiels.
Placé sous la responsabilité de Bernard VEYRET, directeur de recherche au CNRS et qui dirige le laboratoire de Physique des Interactions Ondes-Matière à l'Université Bordeaux I, ce programme a rassemblé les compétences de plusieurs équipes académiques françaises et des trois opérateurs de téléphonie mobiles, ainsi qu'Alcatel et la SAGEM. L'une des retombées concrètes de ce programme a été, par exemple, l'optimisation des antennes fonctionnant à 1800 MHz.
Cependant, ce programme est resté encore trop limité sur le volet biologique. J'ai donc décidé de relancer, dès 2003, une action incitative spécifique visant à explorer plus avant les effets biologiques - sur des modèles in vitro, des modèles animaux, ou des volontaires sains - et les effets sanitaires - via des études épidémiologiques - des radiofréquences utilisées dans la téléphonie mobile.
Pierre BUSER, de l'Académie des Sciences, a accepté de présider le conseil scientifique de cette action incitative, dont l'appel d'offre doit être publié dans les prochaines semaines.
A côté du volet biologique et sanitaire, il est important de poursuivre notre effort de recherche dans le domaine de la dosimétrie et de la modélisation, afin de mieux planifier et contrôler la réduction de l'exposition de la population.
Le projet ADONIS, pour Analyse dosimétrique des systèmes de téléphonie mobile de 3ème génération, financé par le Ministère chargé de l'Economie, va ainsi contribuer à l'élaboration de méthodes de vérification de la conformité des systèmes de télécommunications de troisième génération en termes d'exposition des personnes.
Enfin, le RNRT prépare un appel à projets sur l'étude et la validation d'outils de référence pour la simulation des champs magnétiques à proximité des émetteurs radio.
Je suis convaincue que la combinaison de votre action, dans la précaution et la transparence sur les installations des stations de base, et de l'effort de recherche mobilisé par les pouvoirs publics sont indispensables à l'amélioration de la perception sociale du développement de la téléphonie mobile.
Les recherches requises pour apporter à nos concitoyens les éléments d'information susceptibles de les rassurer, en particulier dans le domaine épidémiologique et sur des
pathologies de faibles incidences, pourraient cependant exiger des moyens difficilement mobilisables à court terme sur les ressources publiques.
Il faut donc ici nous interroger, en suivant la suggestion des sénateurs Lorrain et Raoul, sur l'opportunité de mettre en place une fondation dont la vocation serait la recherche et la formation dans le domaine de la téléphonie mobile et de la santé.
Je serais pour ma part favorable à une telle initiative, qui pourrait rapidement voir le jour dans le cadre rénové défini par le projet de loi relatif au mécénat et aux fondations, qui sera examiné à l'Assemblée nationale le 25 mars prochain.
Une telle fondation, dont la gestion scientifique devrait être assurée en toute indépendance sur des critères d'excellence, pourrait considérablement accélérer les recherches dans un domaine difficile où l'abondance de résultats non concluants tend à démobiliser les meilleures équipes.
Le succès déjà considérable de la téléphonie mobile et ses bénéfices déjà démontrés pour notre société me rendent confiante sur la possibilité de résoudre la tension actuelle entre votre profession et le public.
A l'inverse, les résistances actuelles démontrent clairement que la suspicion qui tend à se développer dans notre pays vis-à-vis du progrès technologique peut toucher un secteur déjà largement accepté dans les faits. Nous devons donner à nos concitoyens soif de science afin qu'ils puissent se forger leur propre jugement.
Les difficultés que vous rencontrez et la stratégie que nous devons mettre en oeuvre ensemble pour les résoudre doivent nous enseigner à mieux prendre en compte les interrogations, parfois diffuses, de nos concitoyens face à la science et à la technologie.
Je vous remercie.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 20 mars 2003)