Interview de M. Philippe Douste-Blazy, secrétaire général de l'UMP, dans "Le Monde" du 8 avril 2003, sur les objectifs de la commission d'enquête parlementaire sur la gestion des entreprises publiques

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Qu'attendez-vous de la commission d'enquête parlementaire sur les entreprises publiques que vous présidez ?
La commission ne dispose légalement que de six mois. Nous avons donc choisi de nous focaliser sur un nombre limité d'entreprises - France Télécom, EDF, probablement La Poste, Areva et France Télévisions - et d'aller au fond des choses, en auditionnant toutes les parties prenantes : dirigeants, administrateurs, auditeurs, syndicats, ministres, anciens ministres, membres du Trésor... Le rôle de la commission d'enquête est de pousser à la transparence, qui ne caractérise pas aujourd'hui le système de gestion des entreprises publiques. Nous chercherons à dégager d'éventuelles responsabilités individuelles ou collectives. Et nous proposerons des mesures pour la définition d'une nouvelle gouvernance.
Comment juger de la gestion d'une entreprise publique, par rapport à une société privée, qui rend des comptes essentiellement à ses actionnaires ?
Il est évident que le critère des résultats financiers ne peut pas être le seul. On doit d'abord définir ce que doit être une entreprise publique, faire la différence entre ce qui relève du secteur public pur, et ce qui relève du domaine concurrentiel. Il faut dépasser les débats idéologiques, mais ne pas hésiter pour autant à assumer des choix politiques. Par exemple, l'Etat a choisi de rester à 51 % dans le capital de France Télécom : il ne peut venir se plaindre ensuite de la crise de liquidités et de l'endettement provoqués par les acquisitions. Ou alors, il faut en tirer les conséquences politiques et ouvrir davantage le capital pour mettre l'entreprise en situation d'égalité avec ses concurrents privés.
EDF a annoncé des résultats dégradés, notamment du fait de ses acquisitions à l'international. Peut-on établir un parallèle avec France Télécom ?
C'est toute la question. EDF, me semble-t-il, pose avant tout un problème de stratégie. C'est, du reste, une question cruciale pour toute entreprise publique : où se décide la stratégie, au conseil d'administration ou dans des cabinets fermés ? A France Télécom, nous avons découvert que l'achat de MobilCom, pour 3,75 milliards d'euros, et de NTL, pour 6,69 milliards, n'est pas passé devant le conseil d'administration ! La composition des conseils est l'un des problèmes soulevés : l'Etat ne donne pas toujours son avis devant le conseil, mais avant ; les représentants des salariés transgressent parfois la confidentialité des débats ; les personnalités qualifiées sont souvent des fournisseurs ou des clients de l'entreprise.
Le ministre des finances a choisi de retenir l'une des propositions du rapport Barbier de la Serre, prévoyant la création d'une agence regroupant toutes les participations de l'Etat. Qu'en pensez-vous ?
Les membres de la commission d'enquête sont partagés sur ce point. Si le directeur de cette agence est nommé par le ministre, où est le progrès par rapport au système actuel de tutelle du Trésor ? Et si on donne son indépendance à cette agence, on enlève au ministre un levier important de son pouvoir. Aucun actionnaire privé n'accepterait de se dessaisir d'un tel pouvoir.
Michel Bon a été soutenu puis finalement lâché par le gouvernement. A EDF, certains soupçonnent la droite de vouloir la tête de François Roussely...
Le débat sur les nominations est trop grave pour être politicien. La seule façon d'assainir la situation, c'est d'avoir un vrai conseil d'administration, avec des procès-verbaux transparents. Si, à un moment donné, l'Etat a une stratégie qui n'est pas acceptée par le président de l'entreprise, ou vice versa, il peut y avoir un conflit, ouvert, transparent, dont on tire les conséquences ; il en va de même si la gestion des dirigeants se révèle désastreuse. N'importe quel responsable d'entreprise privée est soumis à ce principe de responsabilité par ses actionnaires.
Francis Mer a annoncé que le programme de privatisation serait poursuivi. Ne faudrait-il pas faire une pause, en attendant les conclusions de votre commission d'enquête ?
De toute façon, l'état du marché boursier nous oblige à faire une pause. On ne peut limiter la discussion à la seule ouverture du capital. Il me paraît essentiel d'avoir au préalable défini un véritable projet industriel, à présenter aux salariés, aux syndicats et aux Français. Ensuite, on donne les moyens à l'entreprise d'affronter la concurrence, au besoin par l'ouverture du capital. En tout état de cause, c'est au politique de définir le projet industriel qu'il souhaite pour les entreprises publiques.
Propos recueillis par Pascal Galinier et Christophe Jakubyszyn
(Source http://www.u-m-p.org, le 17 avril 2003)