Interview de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, à "Radio Classique" le 2 juin 2003, sur la situation économique internationale, notamment sur l'endettement persistant des pays pauvres et sur la question de l'accès de l'Afrique aux médicaments.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

- "Oui, bonjour M. Lauret."
Aujourd'hui, c'est évidemment à Evian la rencontre Chirac/Bush qui va retenir toute l'attention, mais sur le fond des choses, on y a parle depuis hier déjà des dossiers lourds, des dossiers de croissance bien sûr, le déséquilibre structurel grave entre les riches et les pauvres, le Nord, le Sud. Et puis, il y a aussi les OGM, les médicaments, la dette, bref ça fait beaucoup beaucoup de choses. Ce sont d'ailleurs autant de dossiers auxquels vous êtes, vous-même, confronté durant vos très très nombreux voyages dans les pays émergeants. Par exemple vous rentrez d'Afrique, F. Loos, la semaine dernière en fin de semaine, et il a notamment été question précisément de l'accès de ce pays aux médicaments.
- "Oui c'est vrai, je rentre du Mali et j'ai rencontré les responsables de la santé et aussi des centres de soins pour le Sida. C'est très intéressant de vous citer les chiffres parce qu'il y a au Mali environ 130 000 personnes réputées ayant le Sida. Aujourd'hui, 600 sont soignées, 600 ont des médicaments. J'étais dans un centre de soins qui en soigne à Bamako 213, c'est-à-dire qu'ils donnent, ils vendent des médicaments à un certain prix, il y en a 213 qui peuvent payer. Dans tout le pays il y en a 600. Ils ont une liste d'attente de 4500. Et alors évidemment, comment faire pour traiter 213 et ne pas traiter 4500 qui sont dans la même situation ? Vous imaginez les drames humains que ça représente, la situation difficile. Ils sont admirables, ils sont formidables les gens qui font ça, mais on voit bien qu'il faut arriver à passer au-dessus."
Comment passer au-dessus, F. Loos, précisément ?
- "Ils ont une demande d'aide au Fonds mondial contre le Sida, de 30 millions de dollars, que nous appuyons, et évidemment pour que ces 30 millions de dollars aient le maximum d'effets, il faut que le prix du médicament auquel ils l'achètent, eux, soit le plus bas possible. Donc, il faut à la fois obtenir des laboratoires pharmaceutiques les rabais les plus importants pour ces situations humanitaires, et il faut l'argent suffisant pour pouvoir traiter les cas qu'ils connaissent."
On se souvient évidemment tous du sommet de Johannesburg, les difficultés qui sont apparues pour convaincre précisément une grande partie de l'industrie pharmaceutique mondiale à coopérer.
- "Moi, je suis optimiste là-dessus parce que les accords de l'OMC, même s'ils n'ont pas été pris, impliquent que les pays émergeants puissent produire des médicaments hors brevets. Aujourd'hui, tout le monde n'est pas d'accord sur ça mais dans la pratique ça se fait. Ceci a eu comme effet que le prix de vente de ces médicaments est de l'ordre de 10 à 20 % de ce qu'il est chez nous et donc devient plus abordable et évidemment la condition c'est qu'il n'y ait pas de réexportation parallèle vers nos pays. Nous avons pris une directive européenne, l'Europe a pris une directive européenne pas plus tard que la semaine dernière, rendant les sanctions très très lourdes en cas de réexportation parallèle. Parce que c'est de la contrebande, c'est pire que de la contrebande de cigarettes, parce que non seulement ça rapporte très gros, mais en plus ça prive les gens qui pourraient avoir ces médicaments de les avoir, puisqu'ils repartent au moment où ils arrivent en Afrique."
Bien entendu. Alors, évidemment d'un côté baisser le prix des médicaments autant que faire ce peut, et de l'autre, il va de soi, aussi, qu'il faut aider concrètement ces pays. G. Bush a annoncé déjà qu'il serait prêt par principe à débloquer 15 milliards de dollars d'aides sur cinq ans pour la lutte contre le Sida et J. Chirac lui a dit hier " banco ", bien entendu.
- "Ecoutez, tant mieux."
Les pays du Sud n'ont pas malheureusement que des problèmes de médicaments, ils ont aussi des problèmes de dettes, c'est même un sujet récurrent, souvenez-vous, on en parlait déjà au sommet historique de Cancún en 82. Alors comment aider ces pays nécessiteux qui ne peuvent pas acquitter leurs factures ? Est-ce qu'il faut effacer purement et simplement l'ardoise, comme le demandent par exemple les alter mondialistes ?
- "Si vous voulez c'est comme le débat que nous avons eu en France sur le surendettement. Je pense qu'il faut regarder les choses avec précision et la situation du pays est très différente, vous avez toutes les catégories, vous avez des très pauvres très endettées, vous avez des très pauvres pas endettés, vous avez des gens qui ont des ressources minières..."
Ils ne sont pas très nombreux ceux-là.
- "Tout existe, et la vraie question ensuite c'est de l'étalement de cette dette, enfin c'est plus technique que ça n'en a l'air. Ce qui est important, c'est de restaurer la confiance et de restaurer la capacité d'entrevoir un futur, d'avoir une décision concernant son propre destin, et que la confiance et la durée soient là pour donner aux projets la vigueur nécessaire pour qu'ils aient un effet sur le pays, que la mentalité du don, si vous voulez, cette espèce d'idée que de toute façon c'est en plaisant aux Organismes internationaux de financement qu'on va avoir des dons et ces dons régleront les problèmes, n'est pas une mentalité opérationnelle. Il faut avoir une mentalité du projet, mais pour ça il faut avoir la stabilité, des institutions solides, une confiance dans l'avenir."
Justement, au bord du lac Leman, J. Chirac a invité de fortes personnalités comme le président brésilien Lula. Celui-ci estime que les pays riches, justement, devraient investir beaucoup, il ne dit pas aider, il dit investir beaucoup plus dans le Sud car au fond, ce sont les pays du Sud qui vont aussi porter la croissance. Est-ce que c'est ça la bonne martingale ?
- "Aujourd'hui, une entreprise doit essayer de créer de la richesse et pour cela, elle a à choisir entre des investissements qu'elle peut faire aux Etats-Unis et des investissements qu'elle peut faire dans un pays émergeant, des investissements qu'elle peut faire en France, et si elle a des moyens pour faire des investissements, elle a à faire des arbitrages entre les pays. Aujourd'hui, une des difficultés, c'est qu'il y a plus de marchés potentiellement importants dans un pays comme les Etats-Unis ou le Japon, que dans un pays émergeant..."
Oui, mais le coût de la main d'oeuvre est infiniment moins élevé dans les pays émergeants que justement au Japon ou aux Etats-Unis.
- "Bien sûr, c'est notre intérêt collectif, c'est notre intérêt politique de réussir cela, cet enjeu, mais c'est normal que pour les entreprises, la réflexion soit différente, ne soit pas forcément la même, puisque le choix, disons l'orientation politique, il faut qu'on la soutienne quelquefois, et c'est pour ça que les questions de stabilité, de vision à long terme, d'assurance par rapport aux risques, sont très importantes."
Sans redémarrage de la croissance, puisque c'est un sujet de fonds aussi celui-là, le monde sera en grande difficulté, l'Amérique bien sûr, l'Asie, l'Europe, les pays du Sud, enfin tout le monde. Comment relancer cette machine qui est en panne, F. Loos, vous qui rencontrez énormément d'acteurs de l'économie mondiale ?
- "Pour la croissance, il faut de la confiance dans l'avenir, il faut de la stabilité, il faut avoir une vision, il faut se dire, je peux investir et.."
Oui, mais il faut quoi précisément ?
- "Mais ce qui génère la croissance, c'est le rattrapage économique. Nous avons connu ça avec l'entrée de l'Espagne dans l'Union européenne, nous espérons connaître ça avec l'entrée des pays de l'élargissement dans l'Union européenne. Nous avons un phénomène de rattrapage économique, c'est-à-dire que ce qui fait la croissance, c'est quand quelqu'un a envie d'obtenir quelque chose qu'ont les plus riches que lui et qu'il essaye de l'obtenir. Alors, c'est ce rattrapage qui produit aujourd'hui le plus d'effets de croissance, c'est-à-dire que quand les Iraniens achètent beaucoup de voitures, quand les Chinois se mettent à acheter des voitures, à acheter des vêtements occidentaux, eh bien ça génère de la croissance. Quand nous achetons des nouveaux téléphones avec ceci ou avec cela, quand nous achetons.. ça génère de la croissance, quand nous avons des choses qui ont été inventées ou quand on a des choses qui existent ailleurs et que nous n'avons pas chez nous, c'est ça qui génère de la croissance. Ça, ça la génère. Mais pour la rendre durable, il faut qu'il y ait la confiance ; il faut que les investissements structurels nécessaires pour permettre par exemple l'usage du téléphone dans le pays, il faut que quelqu'un puisse les faire."
Vous parlez de croissance durable, donc de développement durable aussi. Est-ce que ce n'est pas un concept un peu fumeux, pardon de le dire comme ça, pour des pays riches en mal d'éthique, ou bien est-ce que c'est une vraie perspective pour vous de progrès social, de progrès économique et de progrès en matière d'environnement ?
- "Moi, je pense que commerce et développement durable sont énormément associés, c'est-à-dire que ce à quoi aspirent les gens, c'est ce que le commerce leur donne. Il faut qu'on se rende compte qu'une entreprise vend des choses pour répondre à une aspiration d'un client. Et il n'y a pas d'un côté un monde économique et d'un autre côté un monde social et ensuite un monde de l'environnement. Ce sont des aspirations auxquelles les entreprises répondent. Et les entreprises ne peuvent pas répondre à toutes les aspirations, donc l'Etat joue évidemment un rôle important également dans la réponse à ces aspirations, mais la plupart du temps, ce qui génère de la croissance, c'est des aspirations auxquelles les entreprises répondent."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juin 2003)