Déclaration de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, sur la création d'une chaîne d'information internationale, à l'Assemblée nationale le 30 avril 2003.

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Circonstance : Audition devant la mission d'information sur la création d'une chaîne d'information internationale à l'Assemblée nationale le 30 avril 2003

Texte intégral

Monsieur le président de la mission d'information,
Messieurs les présidents de Commission,
Mesdames et Messieurs les députés,
En 2002, dans son discours devant le Haut Conseil de la Francophonie et dans le discours du Palais Royal, le Président de la République rappelait que le combat pour la francophonie était un combat pour la diversité des langues, des cultures, des pensées. Un combat pour l'avenir, pour la compréhension mutuelle des civilisations. Un combat qui n'emprunte pas seulement les armes traditionnelles de la diplomatie culturelle, mais également celles, moins conventionnelles et plus offensives, d'une véritable politique audiovisuelle au-delà de nos frontières. Dans ce domaine, la France accuse, vous le savez, un retard évident. Le 12 février 2002, le Président de la République déplorait ainsi - je le cite - que nous soyons " encore loin de disposer d'une grande chaîne d'information internationale en français, capable de rivaliser avec la BBC ou CNN. "
La conviction du président de la République est claire, il faut doter la France, sa politique, sa culture, d'un puissant instrument de diffusion et de rayonnement. Après l'appel du Président de la République, de très nombreux projets et propositions ont été présentés. Je me félicite de ce foisonnement, car il montre l'intérêt très vif que les opérateurs privés et publics portent au projet de chaîne internationale. Cet intérêt se retrouve dans l'opinion, l'ampleur du débat en atteste, avivé, il est vrai, par une conjoncture internationale forte.
Au vu de ces nombreuses contributions, il était nécessaire d'énoncer des règles de consultation et de dresser un inventaire des propositions existantes. C'est la raison pour laquelle un groupe de travail piloté par le directeur de cabinet du Premier ministre a été mis en place début janvier 2003. Son secrétariat était assuré par la Direction du développement des médias, service du Premier ministre mis à disposition du ministre de la Culture et de la Communication.
Ce groupe était composé d'une dizaine de personnes, représentants des administrations, directeurs de cabinet des ministres des Affaires Etrangères, de l'Economie et des Finances, du Budget, de la Culture et de la Communication et de cinq personnalités qualifiées, Norbert Balit, François Bonnemain, Eric Cachard, Laurent Dominati et Patrice Duhamel. La tâche lui a été confiée d'organiser une consultation permettant aux différents opérateurs intéressés par le projet de se faire officiellement connaître. La procédure engagée, je le rappelle, n'est pas un appel d'offre fermé, mais plutôt un appel à idées, une consultation pouvant permettre aux pouvoirs publics de prendre connaissance des différents projets existants.
Quatre projets ont été rendus le 22 avril. Ils émanent :
- de France Télévisions associées à RFI,
- de TF1 et sa chaîne thématique LCI,
- de Canal+,
- et enfin d'Alliance TV.
Ces projets sont actuellement à l'étude à la Direction du développement des médias. Certains de ces opérateurs vous ont, je le sais, fait parvenir leur proposition. A ce jour néanmoins, j'estime qu'il serait prématuré de vous communiquer ma position sur chacun de ces dossiers.
Mesurant tous les enjeux de la question, vous vous êtes saisis à votre tour de la question, en créant cette mission d'information commune aux Commissions des affaires étrangères et des affaires culturelles. Le rapport que vous rendrez public dans deux semaines est vivement attendu et contribuera grandement à la décision finale.
Parallèlement à ces travaux, la mission confiée par Dominique de Villepin à M. Philippe Baudillon visait à étudier les chaînes internationales existantes, et à esquisser la stratégie que l'Etat pourrait adopter face à un marché très concurrentiel, très hétérogène et aujourd'hui dominé, d'une, part par les géants anglo-saxons de la communication et, d'autre part, par les chaînes d'information arabes. Je laisse naturellement le soin à mon collègue Dominique de Villepin de vous présenter les suggestions et préconisations contenues dans ce rapport. Le ministre des Affaires étrangères a remis ce rapport au Premier ministre vendredi dernier, et m'en a remis copie.
Quels objectifs visons-nous à travers cette initiative ? Il est bon de le rappeler.
1. Premièrement, la promotion de plus de diversité sur la scène internationale de l'information. Il importe en effet qu'à l'égal des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et des pays arabes, la France dispose avec la chaîne internationale d'information d'un instrument aussi performant que CNN, Fox News, BBC World, Al Jazeera ou Al Arabiya.
2. Deuxièmement, la chaîne internationale d'information doit naturellement porter un point de vue français sur le monde et l'actualité, mais également être une fenêtre sur la France elle-même, la singularité de ses messages, la force de ses productions, de ses initiatives, de ses créations. C'est la raison pour laquelle elle devra répondre aux attentes et aux désirs manifestés à l'endroit de notre pays par tous ceux, en nombre croissant ces derniers mois, qui s'intéressent à la France, et le faire non seulement en période de crise, mais en permanence. La mission traditionnellement dévolue à l'audiovisuel extérieur - mission de souveraineté, de coopération et de promotion de l'image de la France - doit aujourd'hui en effet, de toute évidence, être repensée, et inscrite dans une stratégie plus efficace, une stratégie qui passe d'une simple entreprise de relations extérieures à une vraie politique de promotion de nos idées, de nos savoir-faire, de nos produits.
3. Troisièmement, un objectif linguistique. La chaîne internationale doit assurer la présence de la France et du français, même si d'autres langues seront utilisées dans certains bassins de diffusion, soit par décrochage - comme c'est déjà le cas pour RFI - soit par sous-titrage, soit par ces deux moyens ensemble. La chaîne internationale devra en effet donner une voix forte à la culture et à la vision françaises, et non pas seulement en direction de ceux qui, dans le monde, partagent l'usage de notre langue.
Aujourd'hui, nous disposons de beaucoup d'éléments d'analyse et d'appréciation. Il appartient donc au Premier ministre d'arrêter la façon dont il souhaite que soient examinées les propositions avant que soit instruit un choix définitif.
Quels doivent être, à mes yeux, les critères d'analyse des projets ?
Premier critère, qui est évidemment le plus important, il s'agit de la compétence des équipes et de leur capacité professionnelle en matière d'information. L'information est en effet un vrai métier, qui ne peut être que l'affaire de professionnels reconnus.
Deuxième critère, la capacité du ou des opérateurs à mobiliser des réseaux de diffusion, de distribution et de commercialisation, continent par continent, pays par pays, sur toutes les plate-formes satellitaires, les réseaux câblés, et, pourquoi pas, les réseaux hertziens et l'ADSL.
Troisième critère, la rapidité de la mise en oeuvre. Il s'agit certes d'un projet lourd, mais je considère qu'il n'est pas utile de différer indéfiniment le lancement effectif de cette chaîne. La capacité du ou des opérateurs à se mettre rapidement en ordre de bataille sera par conséquent déterminante.
Quatrième critère, celui de l'équation financière. Vous savez comme moi le coût que représente la mise en oeuvre de ce projet, coût estimé par certains opérateurs entre 40 et 100 millions d'euros par an. Ce projet ne saurait, de toute évidence, être viable sans la mobilisation d'une part au moins de financement public. Pour circonscrire les coûts, il importe cependant à mes yeux que ce projet sache s'appuyer sur le large concours des ressources techniques, professionnelles, rédactionnelles existantes, et joue peut-être davantage le rôle d'un assembleur que celui d'un producteur exclusivement.
Je note d'ailleurs que tous les projets présentés par les opérateurs privés proposent une association étroite avec les opérateurs publics. Ce rendez-vous ne pourrait-il pas être une formidable occasion de répondre à un défi, celui de promouvoir la coopération entre opérateurs publics et privés ? C'est peut-être de cette complémentarité et de cette promotion réciproque entre l'action publique et l'initiative privée que pourrait naître la grande chaîne que nous appelons de nos voeux. Je suis en tout cas attaché à ce que le savoir-faire des opérateurs publics en matière d'information sache y trouver sa place.
Avant de conclure, j'aimerais vous faire part de quelques réflexions personnelles. Il me semble en effet qu'on ne peut pas dégager la question de la création d'une chaîne d'information internationale d'une réflexion sur un meilleur ordonnancement de l'audiovisuel extérieur et, plus largement, de l'ensemble de l'audiovisuel public.
En tant que ministre de la Culture et de la Communication, je m'alarme en effet de la dispersion qui le caractérise, puisque c'est une dizaine d'entreprises qui en composent le paysage, TV5, RFI, RFO, AFP, CFI, Euronews, AI-TV à côté des activités internationales de France Télévisions ou d'Arte.
A cette dispersion s'ajoute la disparité des modes de financement de ces entreprises, tantôt par des crédits budgétaires du Ministère des Affaires étrangères, tantôt par la redevance audiovisuelle.
En créant une chaîne d'information internationale, il ne s'agit donc pas d'ajouter une structure à d'autres structures, d'enrichir le paysage de l'audiovisuel français, mais bien de tenter de le simplifier. Il ne s'agit pas par ailleurs de multiplier des actions non coordonnées, mais de bâtir une stratégie ambitieuse. Les chaînes existantes - je pense à TV5 et à CFI-TV - ne devront en particulier pas entrer directement en concurrence avec la nouvelle chaîne internationale d'information.
En conclusion, je souhaite dire que la création de la chaîne internationale d'information est à la fois une nécessité et une chance. Une nécessité, parce que la France doit étendre l'audience dont elle dispose actuellement sur la scène internationale. Une chance, parce qu'elle nous permettra de rationaliser un paysage audiovisuel extérieur aujourd'hui désorganisé et centrifuge, et d'ériger un instrument moderne, performant, une télévision de qualité au service des valeurs qui sont les nôtres et de la diversité culturelle dont nous avons fait le choix.
Aujourd'hui, les acteurs publics et privés sont conscients de la responsabilité qui sera la leur. Ils devront cultiver le désir de France, le faire naître et le nourrir. La chaîne d'information internationale contribuera au fond à ce que la France soit plus désirée, plus admirée, plus aimée.
Je sais que vous partagez cette ambition nationale. Je tiens à vous remercier de la contribution que vous apportez. Par vos missions à l'étranger, vous avez pu mesurer les défis auxquels la chaîne d'information internationale sera confrontée. Avec le concours de la Représentation nationale, nous parviendrons à les relever.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 16 mai 2003)