Interviews de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, sur les enjeux de la cinquième conférence de l'OMC à Cancun, dans "Le Parisien" le 7 septembre, à "LCI" le 8 septembre, dans "Le Monde" le 9 septembre 2003.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - La Chaîne Info - Le Monde - Le Parisien - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. Vous vous apprêtez à partir pour le Sommet de l'OMC à Cancun. Vous allez vous y rendre, avec H. Gaymard, le ministre de l'Agriculture. Quelle est votre feuille de route ?
- "Nous avons une priorité, qui est de faire aboutir, à terme, la volonté de développement des pays en voie de développement, qui s'est inscrite dans le programme de Doha. Et pour faire cela, nous allons aider les pays africains dans leurs initiatives, notamment dans le domaine du coton, comme nous avons aidé les pays en voie de développement qui étaient désireux d'accéder aux médicaments dans les mois précédents, et ceci, c'est réglé. Nous avons évidemment une feuille de route plus large, qui consiste à procurer de l'emploi aux entreprises, en aidant à la croissance économique. Il y a des zones dans le monde qui sont en croissance importante. Il est important que les échanges que nous avons avec ces pays puissent se développer ; il est important aussi que les zones qui n'ont pas encore connu cette entrée dans la croissance puissent en bénéficier."
Pardonnez-moi, mais tout cela est un peu nébuleux. Quand "les altermondialistes", comme on les appelle, J. Bové en tête, nous disent : "le monde n'est pas une marchandise", c'est quand même beaucoup plus facile à comprendre que, lorsque vous expliquez qu'il faut négocier sur ceci, sur cela, sur les services, sur l'agriculture. Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas un message clair sur la mondialisation, sur l'OMC ?
- "Le message clair, c'est que le monde devient de plus en plus interconnecté et que la mondialisation est une réalité. "
On ne peut pas l'empêcher ?
- "Elle existe. Comme un jour on a constaté que l'Europe existait. Et ce message clair, c'est que, à partir de là, il se crée, si on laisse jouer les règles du marché, des rapports de force inégaux et des équilibres. Et il faut corriger ces rapports de force."
Ils existent.
- "Ils existent, bien sûr. Et ceux qui les dénoncent ont tout à fait le droit et le devoir à la limite de les dénoncer. C'est normal que l'on dénonce ce qui est déséquilibré. Et l'OMC est censée trouver la réponse à ces rapports de force. Est-ce que l'OMC, telle qu'elle est organisée, avec les moyens qu'elle a, avec le système de 146 pays qui sont, les uns très très grands, les autres très très petits, y arrivent ? Il y a une raison d'être un peu optimiste, c'est qu'au sein de l'OMC, il y a aussi un tribunal qui condamne les pays qui ont exagéré. Et les Etats-Unis ont déjà été condamnés. Ce qui veut dire que l'OMC est quand même un organisme qui arrive à corriger des rapports de force inégaux. Et c'est cela son objectif. C'est donc utile."
C'est utile mais on ne le ressent pas beaucoup.
- "Vous ne ressentez pas, mais les pays en voie de développement sont ceux qui souffrent le plus de ce déséquilibre. Nous, on le ressent à travers les emplois qui sont créés dans le domaine de l'exportation. Nous, on le ressent lorsque la Chine baisse ses droits de douane de 64 à 15 % dans le domaine du vin, c'est quelque chose que tous les viticulteurs européens, français en particulier, vont pouvoir bénéficier. C'est parce que la Chine a décidé de rentrer dans l'OMC et de s'appliquer les règles du jeu international normales. Ce processus est lent, il est aussi lent que l'a été la construction européenne, c'est un processus dans lequel les rapports de force ne se corrigent pas du jour au lendemain. C'est pour cette raison qu'il faut les dénoncer, et en même temps qu'il faut voir qu'est-ce qu'on peut faire contre. Progressivement, on a des réponses à proposer. La France, a des propositions."
C'est la France ou c'est l'Europe ? On a l'impression que chacun joue sa partition.
- "La France a des propositions qui sont d'abord à "européaniser". C'est le sens, par exemple, de l'initiative africaine du président de la République au début de l'année. Nous avons proposé d'aider les pays africains à faire une agriculture rentable, grosso modo."
Est-ce que là, on ne jour pas double jeu quand on dit : on propose d'aider les pays africains. Or, les pays africains et les autres pays émergents souffrent des subventions agricoles que l'on accorde à l'agriculture française et européenne, et surtout française. Que faire ?
- "Si nous on peut faire des progrès dans ce domaine, on ne peut les faire que si les autres, qui font la même chose, font les mêmes progrès. Et donc, nous avons besoin d'une réponse qui est multilatérale, qui est mondiale. C'est l'Union européenne..."
"Les autres" ce sont les Américains ?
- "Les autres" ce sont principalement les Américains, le Japon aussi. Et si vous avancez, la France et l'Europe tout seules, que se passe-t-il ? Cela va au profit des pays comme le Brésil, l'Australie, et surtout l'Australie. On a vu après le round précédent qui s'est arrêté à Marrakech. Là, la production de céréales européenne a d'abord diminué - 5 millions de tonnes -, en quelques années, et la production australienne a augmenté de 5 millions de tonnes. Ce qui fait que..."
Un déséquilibre s'est créé au sein des pays riches ?
- "Oui, tout à fait. Il faut être capables de gérer ces quantités. En Europe, nous savons gérer nos quantités. Un des problèmes que nous avons à voir avec les Américains, c'est comment font-ils pour gérer leurs quantités ? Aujourd'hui, ils ne gèrent plus leurs quantités dans le domaine agricole."
Qu'est-ce qui serait un bon accord ?
- "Un bon accord à Cancun est un accord qui est précis et dans lequel on inscrit des limites aux ambitions. Un accord qui est vague et qui renvoie tout à plus tard, est un mauvais accord. Mais c'est encore mieux d'en avoir un que de ne pas en avoir parce que le signal important pour l'économie mondiale..."
Et quand les ONG vous disent : surtout ne signez pas ?
- "Les ONG, toutes les ONG ont des points de vue extrêmement intéressants. Mais je n'entends pas les ONG dire cela. J'ai travaillé beaucoup avec les ONG, parce qu'elles font un travail sur la mondialisation. Quand je dis que "le monde se mondialise", cela veut dire qu'il faut avoir une compréhension de ce qui se passe dans le monde. Aujourd'hui, nous avons une compréhension de ce qui se passe en France, un peu de ce qui se passe en Europe, et encore on est très peu informés de ce qui se passe dans les autres pays européens. Mais nos concitoyens ne savent pas la moyenne de ce qui se passe dans le monde, qu'est-ce qu'il faut faire pour résoudre..."
Quel est le message du Gouvernement ?
- "Le message, c'est que cette mondialisation est une réalité, et face à cette réalité, il faut corriger les rapports de force, et sur cette correction des rapports de force, nous avons des propositions, comme nous en avons eu sur les médicaments ; nous en avons aujourd'hui sur le coton..."
"Les médicaments", c'est acté ? C'est-à-dire que les pays pauvres vont pouvoir bénéficier des médicaments génériques de fait, c'est le vrai problème...
- "Non, au tarif du générique des médicaments récents. Et donc, pour guérir les maladies des crises sanitaires - malaria, sida... La question était qu'il leur fallait pour cela le droit d'utiliser des licences obligatoires. Et ce droit est acquis. Alors, les modalités font l'objet de critiques, et sans doute à juste titre, parce que c'est toujours un accord qui est à l'unanimité. Mais le droit est acquis. Ce droit, ils ne l'avaient pas, et donc le rapport de force a été corrigé, nous avons fait une déclaration d'utilité publique internationale pour corriger un problème économique par une décision politique."
Et quand vous entendez des personnalités, comme le patron du FMI, de la Banque mondiale et de l'OCDE, supplier, de fait, les pays riches d'abandonner les subventions agricoles, que dites-vous ?
- "La vraie question, c'est celle du niveau de prix international. Aujourd'hui, vous produisez à un prix, et le cours du marché international qui se fait avec 3 - 4 % des échanges, est inférieur. Et ceux qui sont exportateurs, c'est-à-dire les pays pauvres, qui ont des productions pour exporter, pour avoir des devises, sont obligés d'exporter au cours international qui n'est que le cours d'une toute petite proportion. Ce qu'il faut, c'est ce que nous avons mis dans notre initiative africaine, c'est répondre à cette question-là : c'est assurer les agriculteurs des pays en voie de développement, et notamment de l'Afrique parce que c'est elle qui a le plus de retard dans cette aventure, c'est notamment permettre à l'Afrique d'avoir des prix suffisamment rémunérateurs pour ces agriculteurs."
Faut-il d'abord convaincre les Européens ou toute l'0MC ?
- "Les Européens sont convaincus de cela, et nous nous appuyons souvent sur les ONG. Mais c'est la différence d'approche entre les Européens, la méthode que proposent les Européens, la méthode que proposent les Américains, doit être accordée. C'est là-dessus que nous devons des progrès."
Partez-vous pour obtenir un accord ou pas d'accord ?
- "Il vaut mieux avoir un accord, parce que ça montrera que nous sommes capables de nous mettre d'accord. Mais il ne faut pas non plus faire cet accord au prix des concessions sur les valeurs que nous défendons."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 septembre 2003)
Q - Qu'attendez-vous de la Conférence de Cancun et quels ont été selon vous, les progrès réalisés avant son démarrage ?
Cette conférence ministérielle qui s'inscrit dans le cadre de l'Agenda du développement lancé à Doha en novembre 2001, devrait permettre de donner aux pays en développement (PED) la chance de voir leurs demandes prises en considération. Y compris sur les questions agricoles qui constituent l'une de leurs priorités.
Les progrès réalisés à ce jour ne sont pas négligeables. Les ministres disposent à présent d'un projet de déclaration qui est une base de travail concrète commune, par opposition aux simples propositions faites jusque-là par chacune des parties concernées. Des avancées importantes ont été enregistrées sur la question vitale des médicaments génériques - sur laquelle nous aurons un accord formel - et sur l'agriculture, qui a bénéficié d'une plate-forme d'accord entre les Etats-Unis et l'Union européenne (UE).
Q - Quels sont les autres dossiers sur lesquels vous comptez peser ?
R - Nous voulons avancer aussi sur la question des produits non agricoles. Au cours des trente dernières années, tandis que le volume des échanges mondiaux passait de quelque 50 milliards de dollars réalisés par une trentaine de pays à plus de 6 000 milliards de dollars avec 146 pays aujourd'hui, le droit de douane moyen a été très abaissé. Il est de 3,8 % en Europe et sensiblement identique aux Etats-Unis.
Mais il reste des pays qui pratiquent encore des droits de douane exorbitants, par exemple dans l'industrie automobile en Asie de l'Est. Nous souhaitons obtenir auprès des pays émergents en croissance une baisse de leurs droits de douane. C'est une question importante pour les ventes des entreprises françaises à l'étranger, lesquelles génèrent 5 millions d'emplois, autant que le nombre de salariés que les entreprises françaises emploient à l'étranger.
Q - Qu'en est-il des nouveaux sujets dits "de Singapour" ? Pensez-vous qu'un accord puisse être trouvé sur l'investissement en dépit de l'hostilité des PED ?
R - Il faut que nous parvenions à une internationalisation des règles du jeu sur l'investissement. Nous souhaitons une totale transparence sur le sujet et que les intérêts et les préoccupations des PED soient pris en compte, notamment par le respect de leur souveraineté nationale.
Sur le thème de la concurrence, ce ne sont pas les PED qui font obstacle, mais les Etats-Unis. Un accord global sur ces nouveaux sujets est naturellement souhaitable, mais il ne faut pas exclure un accord, secteur par secteur, à Cancun.
Q - L'une des revendications des PED est l'accès aux marchés. Etes-vous prêts à les soutenir ?
R - Parmi la cinquantaine de pays les moins avancés de la planète figurent 37 pays africains qui, déjà, ont accès aux marchés européens. Cela correspond à notre concept de "zone de solidarité". D'ailleurs, l'Europe applique déjà ce concept par le biais de la préférence communautaire. Nous y tenons, et c'est pour cela que nous souhaitons que soient maintenues des dérogations à la clause de la nation la plus favorisée en vigueur à l'OMC.
Tout simplement parce que les PED ne sont pas tous sur un pied d'égalité. La situation du Botswana n'a rien à voir avec celle du Brésil, et les conséquences de certaines décisions peuvent être gravissimes. Par exemple, nous achetons du sucre aux îles Fidji auxquelles nous lient les accords ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Si on supprime ce type d'accord au nom du libre-échange, c'est toute l'économie locale qui s'effondrera.
La théorie du marché ne peut pas s'appliquer bêtement au domaine agricole qui, par nature, ne fonctionne pas de manière parfaite. La rémunération des agriculteurs ne peut pas être le fruit d'une spéculation de quelques opérateurs sur le marché international. Il faut aboutir à un système plus équitable
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 septembre 2003)

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