Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à France-Inter le 2 avril 2003, sur la réforme des retraites et la participation de la CFDT à la journée de grève et de manifestations du 3 avril.

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Média : France Inter

Texte intégral

La question des retraites divise t-elle la CFDT ? Le syndicat avec la CFTC fait bande à part et ne participera pas demain à la journée de grève et de manifestations à l'appel de Force ouvrière, de la CGT, de la FSU et de l'UNSA. Mais au niveau fédéral ou régional, certains à la CFDT parlent de lâchage de leurs instances dirigeantes. Invité de Question Directe, François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, bonjour !
Bonjour !
Elle passe mal votre décision apparemment !
Oh non, nous avons là ces jours-ci justement une réunion de tous nos responsables de fédérations de régions. Nous avons pris cette décision à l'unanimité de notre bureau national moins une voix, moins une abstention. Deux ou trois structures ne sont pas tout à fait d'accord avec cette démarche, mais vous savez ce débat des retraites, c'est un débat qui a des contradictions dans la société française et il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas aussi chez nous des contradictions. On est représentatif des salariés à ce niveau là à la CFDT.
Oui, mais enfin les mots sont forts quand même, l'Union régionale d'Auvergne parle de lâchage, voire de méthodes qui cassent l'unité, je cite les termes à peu près du comité. Méthode qui casse l'unité de la lutte, qui fait le jeu du Medef et de la droite.
Nous ne sVous savez moi, j'ai un mandat très clair des militants de la CFDT qui m'a été donné, congrès après congrès. Ce mandat il se repose sur un diagnostic clair, si on ne fait pas une réforme des retraites, ce sont les salariés les plus modestes, ceux qui ont les salaires aujourd'hui les plus bas qui vont trinquer. Parce que leur niveau de retraite va baisser de 20 % dans les années qui viennent et qu'on met en danger tout le système. Donc mon mandat, il est simple : faire une réforme des retraites et réduire les inégalités qu'il y a entre les Français. Que ce soit entre les Français du public et du privé, mais à l'intérieur des systèmes de retraite du privé et aussi à l'intérieur des systèmes de retraite du public, réduire les inégalités dans un cadre de plus d'équité entre les salariés. Donc voilà le mandat, entre la durée de cotisation pour certains de 37 ans et demi et la durée de cotisation pour d'autres qui va jusqu'à 46 ans pour certains salariés aujourd'hui en France. On a 840.000 salariés du privé aujourd'hui qui ont déjà 40 ans de cotisation et qui vont cotiser pour certains jusqu'à 46 ans. On a dans les Fonctions publiques, des salariés aujourd'hui qui cotisent plus de 40 ans, donc entre les uns et les autres, et non pas entre le public et le privé comme certains veulent nous le faire croire, mais entre les salariés, il y a une réforme nécessaire pour que tout le monde ait les mêmes accès à la retraite et éviter que les plus modestes d'entre eux soient sanctionnés demain.
Monsieur Chérèque, quand y verra t-on clair ? En effet, vous avez raison, c'est une question qui concerne tous les Français, c'est une question qui divise un peu l'opinion, sauf qu'on ne sait toujours pas où on en est. Alors qu'est-ce que cela a donné ce mois de concertation entre les partenaires sociaux et le gouvernement là, vous vous êtes quittés samedi sur quoi ?
On s'est quitté samedi sur un texte, que j'ai là devant moi, qui reprend mot à mot en tout point les éléments de la déclaration commune intersyndicale de début février. C'est-à-dire de garantir un système par répartition, de mettre une réforme progressive, de viser un haut niveau de retraite, de confirmer le droit de départ à 60 ans
On ne le précise pas au niveau de retraite, c'est très bien, mais c'est quoi au niveau de retraite ?
Déjà on a toutes ces orientations qui sont point par point les orientations de la déclaration commune. Donc je ne vais pas aujourd'hui appeler les salariés du public et du privé contre une démarche qui est celle sur laquelle on s'est mis d'accord avec les syndicats. Maintenant il faut qu'on précise, donc on va rentrer maintenant dans la discussion pour préciser et c'est là que nous, on attend le gouvernement. On attend le gouvernement sur trois points : qu'est-ce que c'est qu'un haut niveau de retraite ? Aujourd'hui on a des salariés qui partent à la retraite avec une retraite en dessous du SMIC. Nous, on veut que leurs retraites, pour les salariés qui ont un salaire au SMIC toute leur carrière aient une carrière 100 % du SMIC. Si on n'a pas ça, il y aura un blocage avec la CFDT. On nous dit, on va discuter les carrières longues, nous on souhaite que les salariés qui ont cotisé 40 ans puissent partir à la retraite avant 60 ans. Si on ne l'obtient pas, il y aura un blocage avec la CFDT.
Il y a un risque de remise en cause du droit de la retraite à 60 ans ou pas à vos yeux, dans le texte là ?
Non, dans le texte, il est clairement affirmé que la retraite à 60 ans sera garantie.
Mais pourquoi la CGT s'inquiète de ça en disant : on n'est pas sûr du tout.
On a un désaccord aujourd'hui avec la CGT sur la façon de mener l'action syndicale. Nous avons fait, le 1er février, une manifestation publique, privée pour défendre ces propositions qui sont reprises dans le texte qui nous est proposé par le gouvernement. Maintenant nous souhaitons avoir les premières propositions concrètes sur les lignes que je viens de vous dire et si on n'a pas des réponses précises sur nos demandes, la CFDT, à ce moment là, aura un désaccord avec le gouvernement et il y aura un blocage, il y aura inévitablement un blocage et un conflit avec la CFDT. Donc nous sommes en désaccord sur cette approche. Le risque de la manifestation de demain, c'est de monter les salariés du public contre les salariés du privé et vous le dites ce matin depuis 6 heures et demi à tous vos journaux radio. C'est que c'est une manifestation uniquement pour les gens du public, service public, fonction publique. Or cette réforme est utile pour tous les salariés, c'est mon obsession personnelle, c'est de faire en sorte qu'on ait une réforme équitable pour tous les salariés du public et du privé. On a aujourd'hui dans les Fonctions publiques et j'en connais, des salariés qui cotisent plus de 40 ans, et il n'est pas normal que ces salariés là cotisent plus de 40 ans. Donc une équité, c'est l'équilibre entre chaque régime.
Mais ce flou dans lequel nous sommes tous, nous, plus que vous, parce qu'on n'a pas eu accès au dossier que vous avez entre les mains. Qu'est-ce qu'il dit tout de même de la question du financement des retraites, c'est peut-être la plus importante de toutes et c'est celle où on y voit le moins clair, comment on finance ?
Cette question du financement doit inévitablement rentrer dans le débat et effectivement, nous commençons à faire des propositions à la CFDT. Nous souhaitons que les retraites par répartition soient financées par le travail, c'est-à-dire les cotisations ou la durée de cotisation. Mais qu'on ait un débat aussi sur les avantages hors retraites, des avantages familiaux qui soient financés par la CSG. Et puis le fonds de réserve des retraites, il est écrit dans ce texte du gouvernement : doter le fonds de réserve des retraites d'un bon niveau pour permettre de passer le cap difficile au niveau démographique. Donc il faut doter ce fonds de réserve de moyens et pour nous, cela doit venir, en particulier d'une contribution sociale sur les bénéfices des entreprises, tel que le gouvernement JOSPIN l'a mis en place.
Et vous dites quoi des propositions du Medef par exemple qui dit, il faudrait peut-être ré allonger la cotisation dans le privé et passer de 40 à 41 ans ?
Alors déjà je dois noter que le Medef parlait de 46 ans, il y a quelques mois, il parle de 41 ans, nous on parle de 40 ans, à la CFDT. Déjà on voit bien qu'ils ont un peu baissé leur prétention. Il n'est pas possible aujourd'hui, alors que l'on met au chômage ou en pré retraite les salariés entre 55 et 60 ans dans notre pays, il n'est pas possible d'avoir de la visibilité sur un allongement de la durée de cotisation au-delà de 40 ans. Donc le premier point qu'il faut travailler avec le MEDEF, c'est faire en sorte que les salariés seniors de plus de 50 ans restent au travail et ensuite, on discutera de ce problème là. Mais globalement le Medef ne peut pas avoir un contre discours : augmenter le nombre de pré retraites, des licenciés. On a doublé le nombre de licenciements entre 58 ans et 60 ans, en 2002 en France, donc on ne peut pas mettre les gens au chômage à 58 ans et demander qu'ils travaillent plus longtemps, c'est incohérent.
Cela ne vous inquiète pas, Monsieur Chérèque, de voir quand même sur une question aussi importante, aussi centrale que celle des retraites, qui nous concerne décidément tous, de voir les syndicats, tout de même à ce point divisés ?
Mais nous ne sommes pas divisés... Notamment, tenez la CGT qui disait, voyez, nous aussi on peut être des réformistes, un peu comme la CFDT revendiquait d'être le seul à l'être, comme syndicat jusqu'ici. Eh bien voilà, le réformisme s'arrête, les syndicats se divisent, qu'est-ce qui se passe là ?
Je crois qu'actuellement, on a un débat qui est sur le mode d'action pour arriver à cette réforme. On s'est mis d'accord avec la CGT sur des éléments d'une réforme. Aujourd'hui le gouvernement les a reprises dans ce texte, aujourd'hui on a un désaccord sur la façon de faire. Nous, nous disons, le gouvernement va nous faire ses propositions concrètes sur le niveau des retraites, le niveau des pensions, la durée de cotisation à la mi-avril. Si la CFDT n'a pas de réponse sur ces points là, on aura à ce moment là une action et on aura une action des salariés du public et du privé. Arrêtons d'opposer les salariés du public et du privé, je suis à la tête d'un syndicat où on a 60 % des adhérents qui sont du privé, 40 % du public. On souhaite et je le dis, je le répète, c'est une obsession chez moi, une réforme qui soit pour tous les salariés du public et du privé. Une fois qu'on se sera mis d'accord là-dessus, je crois que tous les syndicats pourront avancer d'un même pas. n
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( Source http://www.cfdt.fr, le 3 avril 2003)