Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur l'hommage aux Résistants et aux otages juifs fusillés au Mont Valérien pendant la deuxième guerre mondiale, le 20 septembre 2003.

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Circonstance : Inauguration du monument à la mémoire des fusillés du Mont-Valérien le 20 septembre 2003

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les officiers généraux,
Monsieur le Président Badinter,
Monsieur le Président et Mesdames les Présidentes des fondations de mémoire,
Mesdames et Messieurs les présidents d'associations des familles,
Mesdames et Messieurs les présidents d'associations patriotiques,
Mesdames et Messieurs,
L'émotion ici est saisissante, en pénétrant dans cette clairière des Fusillés, après avoir vu le lieu dans lequel ces hommes vivaient leurs derniers instants, après avoir emprunté ce terrible chemin que nous venons d'emprunter et qui les conduisait à la mort ; cette émotion ne peut pas retomber. C'est une émotion que nous pouvons imaginer pour les familles mais que nous devons imaginer pour la Nation. Une émotion profonde, une émotion intense, une émotion violente. Mais elle ne doit pas nous faire en effet oublier l'essentiel : c'est bien au bout de ce chemin la Liberté qui a triomphé sur la barbarie.
Ces hommes mais aussi ces femmes - vos parents, vos grands-parents, vos frères, vos amis, vos compagnons ou vos camarades -, ces hommes ne sont pas morts en vain. Leur sacrifice n'a pas été inutile. Les crimes barbares dont ils ont été les victimes ne sont pas restés impunis. Car c'est bien la République qui l'a emporté. Et c'est bien la France, telle qu'ils l'aimaient, telle qu'ils la voulaient passionnément, qui aujourd'hui leur rend hommage aujourd'hui.
La France, tous l'incarnaient, ici, au moment de tomber.
Résistants, qui se sont levés pour refuser l'occupation, l'oppression, l'abaissement de l'homme. Résistants de toutes les tendances, cela a été dit. D'Honoré d'Estienne d'Orves, en août 1941, à Gabriel Péri, en décembre de la même année, dans ce long cortège de leurs camarades. Résistants et otages juifs, face à la tragédie monstrueuse des persécutions antisémites qui non seulement, anéantissent leur communauté, mais reste l'une des hontes de la civilisation. Et face à tous les retours possibles de ces hontes, notre révolte trouve ici la force de rester intacte.
Otages, victimes d'une occupation sans cesse plus inhumaine et plus criminelle, ils sont les témoins de nos devoirs.
Hommes de la Main d'oeuvre Immigrée, Manouchian et les combattants de "l'Affiche rouge" fusillés le 21 février 1944. Etrangers d'origine et Français de coeur, ils versèrent leur sang pour la patrie des droits de l'homme.
Au nom du Gouvernement de la République, je m'incline devant la mémoire de chacun de ces "visages de la France".
Aujourd'hui, il n'est sans doute pas un Français, quelle que soit son Histoire, quelles que soient sa condition, ses convictions philosophiques ou politiques, qui ne puisse trouver dans ce lieu un point de ralliement. On comprend que le Général de Gaulle ait choisi ici d'édifier le Mémorial de la France combattante.
A vous, les familles et les camarades de combat et de Résistance, j'adresse un salut respectueux et fraternel. Vous qui avez traversé les épreuves, vous qui en portez le lourd héritage depuis l'enfance, j'ai admiration et gratitude pour votre fidélité. La fidélité est une forme parmi les plus élevées de l'honneur. C'est vous qui, jour après jour, année après année, dans l'indifférence des temps ordinaires, avez contribué à entretenir le souvenir de ce lieu de mémoire.
Et je crois, comme le disait le président Badinter, qu'il sera utile que les petits enfants viennent voir le nom de leurs grands-parents, mais en pensant que ces aïeuls avaient vingt ans. Il ne n'agit pas, aujourd'hui, de nous rassembler sans penser à tous les prolongements qui doivent être ceux de cette cérémonie. Je pense, après en avoir parlé quelques instants tout à l'heure, qu'il nous fait faire en sorte que la jeunesse de France vienne ici entendre le message de cette jeunesse qui est morte pour la France.
Je salue la volonté et le rôle du président Robert Badinter, dont la force de conviction et l'énergie sont connues de tous, et qui ont permis de mener à bien ce projet nécessaire. Ses mots forts et justes ont montré le sens de son engagement.
Je remercie tous ceux dont le travail a permis aux fusillés aujourd'hui de retrouver leur nom.
Un nom qui figure désormais, et pour toujours, dans le bronze d'une uvre exceptionnelle, par sa beauté et sa puissance symbolique.
Et en découvrant tout à l'heure cette sculpture, m'est venue à l'esprit la cloche qu'évoque André Malraux dans son inoubliable hommage à Jean Moulin. Celle qui sonna la fin du martyr de Paris. Celle qui sonne désormais pour la jeunesse de France.
La jeunesse, voilà bien le véritable enjeu. C'est à elle que nous nous adressons. C'est aussi souvent elle qui nous interpelle en nous demandant, nous réclamant des valeurs, des repères.
Ici, elle peut mesurer le prix de la République, le prix de la démocratie, le prix de l'engagement, en voyant le coût de la barbarie. Le monument, lui, désigne des modèles crédibles, ces hommes qui sont allés jusqu'au sacrifice suprême pour leur patrie, pour leurs convictions, pour leurs principes. Elle peut aussi, cette jeunesse, découvrir la figure humaine et lumineuse de l'Abbé Stock qui, sachant dépasser avec courage le nationalisme exacerbé de ces temps, sut accompagner les ultimes moments des condamnés. Sur ce lieu emblématique, les jeunes peuvent prendre conscience des différentes cicatrices de la France, de la France dans cette période que nous devons toujours chercher à mieux comprendre avec l'ensemble de ces événements, avec son lot de lâchetés mais aussi d'héroïsme, de martyrs et de traîtres, avec ses tragédies immenses mais aussi ses heures de gloire. La lumière intérieure des fusillés descendant ce chemin ici, doit pour nous éclairer notre rôle dans l'immense chaîne de l'Humanité.
La mobilisation ne doit pas cesser pour rendre hommage aux témoins et pour transmettre vers la jeunesse l'héritage de la Résistance. C'est le sens de la commémoration, par le Président de la République, du soixantième anniversaire de la première réunion du Conseil National de la Résistance. C'est celui des premiers "relais de mémoire", auxquels j'ai voulu participer au musée de la France Libre, avec des grands témoins de ces événements et aussi de nombreux jeunes. C'est celui enfin des commémorations du soixantième anniversaire de notre Libération, qui ont commencé il y a quelques jours en Corse et qui prendront une ampleur croissante l'année prochaine.
Mesdames et Messieurs, dans quelques instants, la vie quotidienne reprendra, les discussions qui nous sont chères renaîtront. Mais dans ce lieu, en pensant aux Fusillés du Mont Valérien, nous savons, nous comprenons ce qui nous est commun. Nous savons que face à des choix essentiels, tous les démocrates, tous les républicains de coeur et de raison, tous les humanistes, se retrouvent pour défendre les valeurs de liberté, de l'égalité et de la fraternité.
Tous, ici, aujourd'hui, nous pouvons en convenir, il est un idéal plus grand que nous, qui a valu la peine pour un grand nombre des [...] personnes dont le nom a retrouvé la dignité sur la cloche, d'essayer d'exprimer cette vérité : l'Histoire, la France, la Liberté sont plus grandes que chacun d'entre nous. Cette passion qui les rassemble, cette passion qui nous rassemble, c'est la France.
Je ne peux oublier ces messages, notamment dans ces lettres de ces derniers moments de ces hommes allant dans la mort. Je pense à jeune Courteau disant : "Mon très cher papa, je n'ai pas peur de mourir, mais je crains pour ceux que j'aime tant."
Je crois en effet que ce sont des lettres, une fois qu'on a pu les lire, qu'on ne peut à jamais oublier. Quand on entend : "J'ai été heureux de vivre pendant les vingt ans que j'ai vécu sur la terre", il ne faut pas regretter le passé. Mais on pourrait lui répondre aujourd'hui : il ne faut pas non plus l'oublier.
Merci à vous.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 22 septembre 2003)