Texte intégral
Monsieur le Président,
Messieurs les Commissaires,
Monsieur le Ministre de l'agriculture d'Indonésie,
Monsieur le représentant de la FAO,
Monsieur le représentant du ministère de l'agriculture du Brésil,
Chers collègues,
Je remercie la présidence italienne pour son hospitalité. Je la remercie également pour avoir mis à l'ordre du jour ce thème important des politiques agricoles et des politiques de développement : le document de la présidence est une base de réflexion intéressante, qui démontre notamment que des politiques agricoles sont utiles au Nord comme au Sud. Comme l'a rappelé M. Fischler, il convient aussi de tirer les conséquences de l'après Cancun.
De l'absence de résultat lors de la conférence ministérielle de Cancun, je retiens un enseignement principal : bien que ce mot ait été abondamment cité à Cancun, le développement reste le grand absent de la conférence. L'Europe et les Etats-Unis ont proposé une différenciation entre les pays pauvres et les pays émergents, afin de concentrer les efforts sur les premiers. Ces propositions, ainsi que celles de l'Europe sur les préférences à accorder aux pays les moins avancés et aux pays d'Afrique subsaharienne, restent sur la table. A nous de les faire mieux connaître et partager.
La Conférence a révélé les nombreux obstacles à surmonter pour enfin prendre en compte les préoccupations des pays les plus pauvres. La diversité des intérêts des pays en développement a constitué une source de blocage et évincé l'objectif principal de favoriser le développement des pays les plus vulnérables.
Nous savons tous qu'il existe une hétérogénéité considérable dans les degrés de participation des pays en développement au commerce mondial. Certains pays exportateurs hautement compétitifs réalisent la majeure partie des exportations des régions en développement et évincent ainsi les pays les plus pauvres. L'Amérique latine et l'Asie ont gagné une importance croissante dans les flux de produits agricoles à l'exportation au cours du précédent cycle, alors que le continent africain a vu sa part déjà réduite se contracter (elle n'est même plus de 4 % du commerce mondial !).
Il est devenu urgent de mettre un terme à l'isolement des pays les plus pauvres. Pour cela, deux voies me paraissent à privilégier : adapter à la diversité des situations réelles le traitement spécial et différencié, et sécuriser les régimes préférentiels existants.
Concernant le traitement spécial, des critères d'éligibilité doivent être envisagés afin de concentrer nos efforts sur les pays qui en ont le plus besoin. Une modulation du traitement spécial et différencié pourrait alors être envisagée sur cette base et aboutir à des mesures concrètes en faveur des pays les plus vulnérables, comme l'attribution de contingents spécifiques.
Sur les régimes préférentiels, des règles précises devraient être inscrites dans un futur accord, s'il voit finalement le jour, afin de permettre le maintien de dispositions préférentielles au moins aussi favorables que celles déjà accordées par l'Union européenne aux pays en développement les plus vulnérables. Je pense en particulier au dispositif "Tout sauf les armes" de l'Union européenne vis-à-vis des PMA, qui devrait être appliqué par tous les pays développés et par les pays émergents. Je pense aussi à nos accords avec les pays ACP. Des mesures sont également nécessaires pour limiter l'érosion des préférences tarifaires de ces pays, comme ils l'ont fortement exprimé à Cancun. Faute de quoi la libéralisation se traduira pour eux, paradoxalement, par une diminution constante de l'accès à nos marchés.
Parce que nous devons répondre à l'enjeu global du développement de ce cycle, les propositions contenues dans l'initiative pour l'Afrique présentée par le Président de la République lors du dernier G 8 à Evian restent d'actualité, notamment pour remédier aux difficultés engendrées par la volatilité des prix mondiaux des matières premières.
Nous ne pourrons atteindre l'objectif du développement fixé à Doha qu'en adoptant une vision nouvelle de la place de l'OMC dans cette entreprise globale. L'OMC ne peut plus limiter ses centres d'intérêt aux questions qui intéressent les seules grandes puissances exportatrices du Nord et du Sud. Elle doit être attentive à la situation des pays qui ont un vaste marché intérieur à construire pour garantir la sécurité de leurs approvisionnements. Elle doit aussi mieux distinguer les pays les plus pauvres. Au moment où l'Europe va s'ouvrir à dix nouveaux pays membres dont certains sont moins riches que certains pays en développement à l'OMC, nous devons repenser profondément la question du développement et du partage de l'effort commercial et de solidarité vis-à-vis des plus pauvres.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 1e octobre 2003)
Cher Luis Fernando de AZAOLA,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de me donner l'occasion - et, j'ajouterai, le plaisir - de m'exprimer une nouvelle fois devant votre forum.
L'an dernier, votre séminaire posait une question centrale - quel projet agricole pour l'Europe ? - dans un contexte de négociations européennes et internationales à la fois chargé et très incertain : nous n'avions pas encore trouvé de solution à l'élargissement de l'Europe aux dix nouveaux Etats-membres ; les discussions à Bruxelles sur la réforme de la Politique Agricole Commune étaient le plus souvent présentées comme la querelle des " anciens " et des " modernes " ; enfin, les négociations à l'OMC laissaient craindre que les discussions de Cancun se focalisent sur la seule question de l'agriculture.
Un an plus tard, votre colloque intervient dans un contexte profondément modifié : des transformations se sont opérées en Europe, tandis que des défis considérables continuent à préoccuper la communauté internationale. L'Europe a réformé sa politique agricole en juin dernier, à Luxembourg, et prend désormais mieux en compte la situation des pays en développement. Elle a plafonné sa dépense agricole jusqu'en 2013, alors que les Etats-Unis l'ont substantiellement augmentée. En revanche, l'OMC n'a toujours pas véritablement abordé, au-delà des discours, la question du développement des pays les plus pauvres.
Avant d'entamer mon propos, vous me permettrez - j'en suis sûr - de faire deux remarques :
- En consacrant votre débat à la question des équilibres alimentaires et des politiques agricoles, vous montrez, tout d'abord, à quel point l'alimentation est au cur des politiques agricoles.
C'est, d'abord, manifeste dans le cas de l'Europe : après avoir recouvré la sécurité de ses approvisionnements, la Communauté, puis l'Union Européenne se sont fixées pour objectif d'atteindre des niveaux de qualité, de sécurité et de traçabilité, qui constituent encore aujourd'hui une référence internationale.
C'est également vrai pour les pays du Sud : la poursuite de leur insertion dans l'échange international passe évidemment par une élévation de la sécurité sanitaire des produits. Il est de notre devoir de les y aider, à travers nos politiques d'aide publique au développement. C'est, d'ailleurs, pour fédérer l'offre française de formation et d'assistance technique destinée aux pays en développement que j'ai récemment créé le groupement d'intérêt public France Vétérinaire International.
Au Nord comme au Sud, l'agriculture ne peut se construire et se fortifier dans l'indifférence de ses bénéficiaires et de ses clients, c'est-à-dire des citoyens et des consommateurs. Plusieurs volets de la réforme de la PAC, tels que le développement rural et la mise aux normes des exploitations, vont dans ce sens, parce que l'alimentation est un des moyens privilégiés pour réconcilier les citoyens avec leur agriculture. C'est également dans cet esprit que j'inaugurerai, dimanche 12 octobre, la Semaine du goût, une manifestation qui entend, avant tout, mettre en valeur la richesse des aliments, des produits et des recettes, qui constituent notre patrimoine culinaire.
- Seconde remarque, la voix de l'Europe dans les négociations internationales s'est singulièrement affermie depuis l'année dernière.
André MALRAUX écrivait qu' " une civilisation lui paraissait se définir à la fois par les questions qu'elle pose et par celles qu'elle ne pose pas ". Face aux tenants d'une libéralisation des échanges et d'un alignement des prix régionaux sur les cours mondiaux des matières premières, l'Union Européenne propose une libéralisation maîtrisée des échanges agricoles selon les secteurs, et régulée entre les pays, afin d'accroître la concurrence entre les producteurs professionnels, tout en maintenant un tissu d'exploitations vivrières familiales, au Nord comme au Sud.
Plus l'Europe est unie, plus elle est forte dans les négociations internationales sur l'agriculture où elle veut défendre ses valeurs. Dans l'histoire des négociations commerciales multilatérales, jamais l'Union Européenne n'avait avant Cancùn fait montre d'une telle unité dans la défense de son modèle agricole.
Le projet de l'Union Européenne est clair : faire reconnaître les spécificités du secteur agricole par rapport aux autres marchandises ; faire émerger des règles équitables pour discipliner les échanges internationaux, en traitant l'ensemble des instruments de politique agricole et commerciale ; et faire contribuer l'OMC, en bonne intelligence avec les autres organisations internationales compétentes, au développement des pays les plus pauvres.
L'Europe ne se contente pas d'avoir un projet ; elle met ses actes en conformité avec ses paroles. Je pense aux décisions prises à Bruxelles, en octobre dernier, et à Luxembourg, le 26 juin. Je pense également aux propositions de la Commission, répondant aux attentes exprimées par les pays africains à Cancun, sur l'OCM coton.
Dans le jeu des alliances qui se sont noués avant puis à l'occasion du sommet de Cancùn, nous ne devons pas laisser l'arbre dissimuler la forêt. Des interrogations subsistent sur la portée exacte de l'alliance dite du G 21 et sur la convergence des intérêts agricoles de ses différents membres. Et nous ne serons véritablement fixés à ce sujet que lorsque nous entrerons pleinement dans la substance de la négociation.
A l'inverse, une réelle convergence d'intérêts sur l'agriculture peut émerger entre l'Europe et les Etats-Unis. L'un et l'autre sont attachés à la défense de politiques agricoles fortes. Pour cette raison, l'un et l'autre sont attaqués par les pays du groupe de Cairns, et il est très révélateur que les critiques sur les politiques agricoles du Nord ne visent plus en premier lieu l'Europe, comme c'était encore le cas il y a quelques années.
Lors de mon déplacement aux Etats-Unis au début de cette année, j'ai pu mesurer que nous partageons avec les Etats-Unis un certain nombre de points de convergence : l'importance croissante que nous attachons aux politiques de développement durable, à la sécurité alimentaire et à la qualité des produits, même si nous partons sur tous ces points de positions et de perceptions culturelles très éloignées ; le sentiment que nos agricultures ne peuvent faire face à la concurrence des grandes puissances émergentes, comme le Brésil, dans un univers international qui reposerait sur la concurrence sauvage et l'ultra-libéralisme.
Nous continuerons, bien-sûr, à avoir avec les Etats-Unis des discussions âpres sur divers sujets : je pense aux marketing loans, à la fausse aide alimentaire, ou aux crédits à l'exportation. Mais là n'est pas l'essentiel, en vérité. Et je souhaite que l'Europe puisse mettre à profit le temps supplémentaire qui nous est accordé dans les négociations de l'OMC pour convaincre, sans esprit de polémique, notre partenaire américain de la nécessité de changer sa vision des négociations agricoles internationales, qui ont trop longtemps reposé sur des considérations tactiques, et de mieux prendre en compte les besoins des pays en développement, et en particulier ceux des pays les plus pauvres.
Sur ce dernier point, les Etats-Unis ont soutenu l'Europe. Avec elle, ils ont réclamé à l'OMC que les pays en développement bénéficient d'un traitement différencié, afin que les efforts d'ouverture des marchés profitent en priorité aux pays les plus pauvres. Nous devons désormais aller plus loin, et prendre davantage en compte la dimension du développement dans le choix de nos instruments de politique agricole. A cet égard, l'Europe a un rôle particulier à jouer pour convaincre les Etats-Unis de la nécessité d'avancer dans cette direction, qui inspira les réformes de la PAC engagées depuis le début des années 1990, notamment la maîtrise des volumes de production et la réduction des formes d'aide les plus déstabilisantes pour les marchés internationaux.
Nous savons, par exemple, que les marketing loans déconnectent les agriculteurs américains des signaux du prix mondial et qu'ils introduisent de sérieuses perturbations sur les marchés internationaux, que ce soit au détriment de l'Afrique - je pense au coton - ou de l'Europe - je pense aux céréales. Je souhaite que nous développions un dialogue ouvert et franc entre les autorités chargées de concevoir et de mettre en oeuvre les politiques agricoles à travers le monde, afin de parvenir ensemble à une meilleure compréhension et à un dialogue plus aisé entre les nations et entre les cultures, car l'agriculture - ne nous y trompons pas - est aussi et avant tout un sujet culturel. L'OMC a, certes, beaucoup à gagner à cette meilleure compréhension mutuelle, que j'appelle de mes voeux, mais elle ne me paraît pas, en vérité, être l'enceinte pertinente pour conduire ce dialogue informel sur la manière de conduire les politiques agricoles.
Il y a là pour nous, sur tous ces sujets, matière à réflexion pour les mois et les années qui viennent.
J'en viens maintenant au sujet qui nous réunit aujourd'hui, à savoir les équilibres alimentaires et les politiques agricoles.
Dans trente ans, la planète comptera 8,5 milliards d'habitants, dont 7 milliards vivront dans des pays en développement.
Les agricultures pourront-elles répondre, par des productions suffisantes, à cette croissance démographique considérable ? Saura-t-on faire face à l'augmentation attendue, au rythme de 3 % par an, de la population de l'Afrique subsaharienne dans les vingt prochaines années ?
Nourrir les hommes constituera - à vrai dire - un défi pour la planète dans les années et les décennies qui viennent.
Selon l'Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), et dans l'hypothèse où le rythme actuel de progression des productions agricoles se maintiendrait à son niveau actuel, le déficit alimentaire des pays aujourd'hui en développement pourrait passer d'environ 100 millions de tonnes de céréales actuellement à une fourchette de 250 à 450 millions de tonnes en 2025.
L'idée même de combler ce déficit par des flux d'importation ou d'aide alimentaire en provenance des pays développés est à la fois matériellement irréalisable et politiquement inacceptable : il n'est pas compatible avec l'objectif de développement durable poursuivi par les Nations-Unies.
La solution ne peut venir que d'un encouragement à la production agricole et à une gestion raisonnée des ressources naturelles dans les pays en développement, conformément aux recommandations du Sommet Mondial de l'Alimentation, auquel j'ai participé le 10 juin 2002 à Rome.
La France et l'Allemagne apportent une contribution active aux travaux de la FAO en ce domaine, en particulier dans le cadre du groupe de travail intergouvernemental, créé lors du dernier Sommet Mondial, afin de définir des solutions pour la mise en oeuvre du droit à une alimentation adéquate.
Au-delà des débats traditionnels sur la contribution respective des pays en développement et des pays développés à la réalisation concrète de ces droits, et du caractère nécessairement général des textes qui seront élaborés, une réflexion doit être menée sur la manière d'interpréter utilement le concept d'équilibres alimentaires par les pays, en fonction de leur niveau de développement et de leur degré d'autosuffisance alimentaire - je pense en particulier à la situation des pays importateurs nets.
Un constat s'impose à nous d'emblée : comment pourrait-on aborder le concept d'équilibres alimentaires de la même manière à Paris, à New-Delhi et à Bamako ?
- Pour les pays les plus pauvres, d'abord, la prise en compte des équilibres alimentaires signifie, avant tout, le maintien de communautés rurales dynamiques et la préservation de leur production agricole. Ces pays doivent pouvoir, en conséquence, protéger leur agriculture et bénéficier d'une aide publique au développement forte pour le développement des infrastructures essentielles.
- Pour les pays intermédiaires, ensuite, cette prise en compte des équilibres alimentaires justifie une meilleure insertion dans l'échange international, par le moyen d'ouvertures de marché asymétriques mais réciproques, et par l'accueil des investissements étrangers. Ce mouvement ne peut être que progressif, comme l'illustre l'exemple de l'Inde.
L'Inde a cherché, dans un premier temps, à écarter le spectre de la famine par le développement de la production intérieure. D'où une protection tarifaire, des prix rémunérateurs pour les agriculteurs et un contrôle de la circulation intérieure des produits. Ces dernières années, l'Inde est, d'ailleurs, devenue le premier producteur mondial de riz, de blé, d'arachide, de lait, et elle possède désormais le cheptel le plus important.
Le développement de la production a entraîné une modification de la politique indienne : réduction progressive de la place de l'Etat, notamment dans la distribution ; maintien d'une intervention sur les prix ; ouverture progressive sur le commerce international, qui assure en tant que de besoin des débouchés lorsque des productions telles que le riz et le blé sont excédentaires par rapport à la consommation intérieure.
L'Inde est emblématique de ces puissances agricoles qui se sont construites, d'abord, par le marché intérieur, pour la satisfaction des besoins domestiques, et non suivant un modèle mercantiliste sacrifiant tout à l'export, qu'on présente souvent, à tort, comme le remède miracle pour le développement agricole des pays du Sud. Lors du dernier Congrès de la FIPA, le Président des Agriculteurs de l'Inde ne déclarait-il pas : " Moi qui représente 800 millions d'agriculteurs, je peux assurer que nous avons sauvé notre peuple grâce à une politique un peu similaire à la PAC, c'est à dire permettant d'assurer un minimum de règles pour éviter des fluctuations de prix trop importantes " ? Son exemple peut inspirer nombre de pays intermédiaires, et les encourager dans leur démarche d'intégration régionale.
- Pour les pays développés, enfin, la prise en compte des équilibres alimentaires suppose aujourd'hui le respect des équilibres des territoires et la sécurité des approvisionnements en produits sains, de qualité, dans lesquels les consommateurs puissent avoir confiance, alors que se multiplient les risques de tromperie et d'usurpation. C'est notamment la raison pour laquelle l'Europe attache une grande importante à la promotion et à la protection de ses indications géographiques dans le cadre des négociations en cours à l'OMC.
L'OMC a un rôle important à jouer, aux côtés de la FAO et des institutions de Bretton Woods, pour permettre et encourager la mise en oeuvre de politiques agricoles fortes, garantissant les équilibres alimentaires.
J'en évoquerai ici trois illustrations :
- tout d'abord, l'affirmation claire du droit à conduire des politiques agricoles, au nom de la sécurité des approvisionnements, du respect des équilibres alimentaires et de ce que l'on appelle, dans le jargon de l'OMC, les préoccupations non commerciales, qui recouvrent notamment l'équilibre des territoires, la préservation de l'environnement, l'innocuité et la qualité des produits. Les Ministres des pays membres devront donner un signal politique fort en ce domaine ;
- seconde illustration, une meilleure reconnaissance des préférences commerciales pour les pays les plus pauvres. Les dispositifs actuels de l'OMC sont, à cet égard, insuffisants. C'est la raison pour laquelle l'Europe a proposé que les pays développés et les grands pays émergents accordent des concessions particulières aux pays les moins avancés, à l'instar de ce qu'a fait l'Europe depuis plus de deux ans avec son dispositif " tout sauf les armes ". Un partage plus équitable de l'effort vis-à-vis des plus pauvres est indispensable. En parallèle, nous devons donner aux préférences - je pense notamment à celles que l'Europe accorde aux pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, les pays ACP - une véritable sécurité juridique à l'OMC ;
- troisième illustration, des règles équitables régissant les échanges et les politiques agricoles. Je l'ai mentionné en introduction, certains instruments, certaines pratiques ne sont actuellement pas - ou pas suffisamment - soumis à des disciplines à l'OMC. Cela est vrai pour l'aide alimentaire comme pour les crédits à l'exportation, les entreprises commerciales d'Etat, ou les marketing loans. Une telle situation modifie la donne entre les grandes puissances commerciales, mais n'apporte rien aux pays les plus pauvres. Il est aujourd'hui temps que nous tirions les leçons de dix ans de mise en oeuvre du cycle de l'Uruguay et que nous progressions d'une façon décisive vers plus d'équité.
Cher Luis Fernando de AZAOLA, Mesdames, Messieurs,
Je ne peux m'empêcher, au moment de conclure mon propos, de partager avec vous ma perplexité face à une communauté internationale qui perd la vision générale des situations et des priorités, et prend parfois des orientations bien peu compréhensibles pour l'opinion publique.
Depuis ma prise de fonctions, les négociations européennes auxquelles j'ai participé ont toutes été orientées dans un sens malthusien, guidées par le souci de maîtriser nos productions européennes, afin de limiter les perturbations occasionnées aux marchés internationaux.
Dans le même temps, les flux d'aide publique au développement ont été diminués, en particulier ceux qui bénéficient à l'agriculture. Dans le même temps, rien n'a été fait, ni dans les politiques d'ajustement structurel, ni dans les négociations commerciales internationales, pour permettre aux pays qui en ont besoin de développer leur production agricole.
A la FAO, la communauté internationale s'était pourtant accordée sur l'objectif ambitieux de réduire de moitié le nombre des mal-nourris d'ici à 2015.
Dans de telles circonstances, il appartient aux politiques de redonner, dans les différentes discussions internationales, des perspectives pour le développement. C'est, d'ailleurs, tout le sens de l'engagement pris par le Président de la République à Monterrey dans le domaine de l'aide publique au développement. C'est également tout le sens de son initiative, reprise depuis par l'Europe, en faveur de l'Afrique subsaharienne. C'est enfin l'esprit du travail de conviction que je mène dans les différentes enceintes internationales, et qui me tient à coeur.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 2 octobre 2003)
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Je remercie le groupe UMP d'avoir pris l'initiative de ce débat dans le cadre de la séance qui lui est réservée. Il est, en effet, très important de tirer les conséquences de l'absence de résultat de la négociation de Cancùn.
Depuis dix-huit mois l'agenda en matière agricole a été très chargé sur le plan international. Nous avons dû mener, l'an dernier, la négociation sur l'adhésion à l'Union européenne de dix nouveaux pays, avec pour enjeu de ne pas sacrifier la PAC sur l'autel de l'élargissement. Grâce à l'accord intervenu entre le Président de la République et le Chancelier Schröder avant le sommet de Copenhague de décembre 2002, nous aurons désormais une PAC durable, avec un budget fixé jusqu'à 2013, ce qui ne s'était jamais vu.
Seconde échéance, la révision à mi-parcours de la PAC - j'y reviendrai.
Enfin, troisième échéance, cette négociation de l'OMC. Longtemps l'agriculture n'a pas fait l'objet de discussions dans le cadre du GATT. C'est à partir de l'Uruguay Round, en 1986, qu'elle a été intégrée aux négociations. M. François Guillaume a été le premier ministre de l'agriculture français à y participer et pour ma part, j'étais à Cancùn aux côtés de M. François Loos, chef de la délégation française.
Je remercie le président Balladur pour ses remarques et propositions : c'est vrai que les échecs répétés - Seattle, Cancùn - montrent bien qu'il faut repenser la mondialisation et les liens entre les sujets commerciaux et les autres.
Les propositions de votre assemblée contribueront à une meilleure prise en compte de la dimension humaine de cette mondialisation qui suscite des débats idéologiques extrêmement confus. Il est très important que le Parlement soit étroitement associé aux négociations. Je le dis à Jean-claude Lefort, à Jean-Paul Bacquet, à Marc Laffineur et à tous les parlementaires de la délégation, ce contact direct et permanent doit perdurer. Les parlements du monde doivent faire entendre leur voix, et nous nous félicitons de la motion adoptée par l'UIP.
Je remercie Jean Lassalle pour le vent frais qu'il a fait souffler tout à l'heure. Pour moi aussi, cette participation à une négociation commerciale multilatérale était une première. Cela mérite d'être vécu : c'est surréaliste, hypermédiatisé et logomachique. Cela relève plus du théâtre d'ombres que de la négociation réelle, et c'est bien l'un des problèmes de l'OMC.
En matière agricole, plusieurs questions se posent. Fallait-il ou non, s'est demandé Antoine Herth, réformer la PAC avant Cancùn ? Si nous l'avons fait, c'est d'abord pour assurer une visibilité sur les dix prochaines années. Dès lors que nous avions arrêté le budget de la PAC pour 2003-2013, il était plus cohérent que ses règles d'utilisation suivent le même calendrier.
Les décisions prises le 26 juin à Luxembourg nous ont permis d'adopter à Cancùn une posture de négociation offensive. Le découplage partiel des aides nous a par exemple permis d'en classer davantage dans la fameuse " boîte verte ".
Pour un Etat membre de l'union européenne, la négociation à l'OMC a une spécificité puisque c'est le commissaire chargé du commerce international qui négocie : les négociations commerciales multilatérales font partie des compétences délivrées par le traité de Rome.
Patrick Ollier et Marc Laffineur l'ont rappelé, il était important que l'Europe présente un front uni à Cancùn. Cela n'a pas toujours été le cas : Edouard Balladur en sait quelque chose, lui dont le Gouvernement dut payer en 1993 les conséquences de décisions prises mal à propos l'année précédente. Il faut donc se féliciter que les Quinze aient pu défendre en 2003 une position unie qui était aussi celle de la Commission.
Fallait-il ou non, se sont interrogés MM. Lefort et Bacquet, élaborer le 14 août un document commun avec les Etats-Unis, qui aura servi de " chiffon rouge " et entraîné l'essor du groupe des 21 ? Certes, ce document a pu alimenter les rancoeurs. Mais il ne faut pas oublier qu'à Montréal, en juillet, PVD et pays émergents avaient adjuré les Américains et les Européens de s'entendre pour débloquer la situation. Ne regrettons donc pas ce moment qui a permis de lancer la négociation.
Contrairement à ce que l'on entend souvent dire, les Etats-Unis et l'Europe sont au moins d'accord sur un point : la nécessité d'une politique agricole. Comme je l'ai fait observer moi-même à nos partenaires américains, les politiques agricoles contemporaines sont nées sous le New Deal et la PAC n'a fait qu'en consacrer le principe trente ans plus tard. Nombre de nos responsables agricoles et politiques avaient du reste fait le voyage américain dans les années 1950 pour observer ce qu'était une politique agricole. Il y a indéniablement des divergences sur les moyens et sur les finalités. Reste qu'aucun accord sur l'agriculture ne peut se faire à l'OMC sans un minimum de consensus entre l'Europe et les Etats-Unis.
J'en viens aux PVD et plus particulièrement à l'Afrique. La plus grande confusion intellectuelle prévalant en la matière, permettez-moi de citer Jacques Julliard : " les nations riches n'ont pas toujours tort par le fait qu'elles sont riches. Les nations pauvres n'ont pas toujours raison par le fait qu'elles sont pauvres ".
M. Jean-Claude Lefort - En somme ils ont tort d'être pauvres !
M. le Ministre - C'est aujourd'hui l'Union européenne qui achète le plus de produits agricoles aux PVD : 60 % des exportations des pays du Sud se font à destination de l'Europe. C'est aussi l'Europe, et plus particulièrement la France, qui consacre la plus grande part de ses richesses à l'aide au développement. Nous n'avons donc aucune leçon à recevoir - même si nous pouvons et devons faire davantage - de la part d'autres pays ou d'institutions internationales.
Le Président de la République a pris en février des " initiatives Afrique ". Une de ses propositions - un moratoire sur les subventions aux exportations à destination de l'Afrique subsaharienne - est devenue une proposition européenne. Le Président de la République a également proposé de renforcer le système de préférence spécifique dont bénéficient les PVD, comme nous le faisons depuis 1975 dans le cadre de la convention de Lomé, et d'_uvrer à la stabilisation des cours des matières premières. Les variations erratiques des cours du café ou du cacao ne sont pas dues à la PAC, mais à un système qui ne fonctionne pas au profit des économies du Sud.
Sur le plan agricole, le sommet de Cancùn pose des problèmes de court et de moyen terme. A court terme, celui de la clause de paix, qui expire le 31 décembre prochain. Nul n'est en mesure de prévoir ce qui se passera ensuite. Allons-nous assister à une guerre commerciale et à la multiplication des procédures devant l'organe de règlement des différends de l'OMC ? L'excès de panels va-t-il tuer les panels ? Entrerons-nous dans une guerre commerciale confuse ?
Personne ne le sait. Ainsi que Mme Kosciusko-Morizet l'a dit, on ne connaît pas encore tous les prolongements de l'échec de Cancùn, mais certaines questions sont d'ores et déjà posées. En matière agricole, il en est deux principales : l'organisation commune de marché du sucre, pour laquelle il existe déjà un panel, et nos subventions aux exportations, c'est-à-dire les restitutions - dont je voudrais tout de même souligner qu'elles ne représentent plus que 5 % du budget de la PAC, contre 30 % il y a dix ans ! Sur ce sujet crucial pour l'agriculture européenne, si effort il devait y avoir, il devrait être partagé - je pense notamment aux aides américaines.
En ce qui concerne le moyen terme, des questions se posent quant à l'organisation de la mondialisation et à l'évolution de la théorie économique. La mondialisation a mis à mal certaines idées reçues. Ainsi, la théorie de l'avantage comparatif poussée jusqu'à l'absurde aboutirait à ce qu'un seul pays nourrisse tous les autres - le Brésil par exemple -, un autre fournisse tous les services - l'Inde - et un troisième produise tous les biens industriels, la Chine. On voit bien que c'est impossible et que cette théorie est donc relative et contingente.
Une autre réflexion devra concerner le prix mondial. En matière agricole, la supercherie est ruineuse : le prix mondial ne correspond à aucun équilibre, ni économique, ni environnemental, ni social. Pour les produits tropicaux par exemple, il s'agit d'un marché purement spéculatif. Pour le lait, seuls 5 % de la production mondiale font l'objet d'échanges internationaux ; il n'y a aucune raison pour que le prix des 95 % restants soit fondé sur les intérêts des exportateurs néo-zélandais. Pour beaucoup d'autres productions enfin, le prix mondial est celui de produits issus d'exploitations latifundiaires très éloignées du modèle européen. Or, ces questions ne sont jamais débattues à l'OMC : il existe des chapitres sur les soutiens internes et externes et un sur l'accès aux marchés, mais aucun débat de fond puisque la théorie de l'échange international classique est considérée comme une vérité immanente !
Nous sommes au début d'un nouveau moment de l'histoire. Il ne convient pas d'être grandiloquent, mais de comprendre que les raisonnements retenus par l'OMC et le FMI ne correspondent pas à notre vision de l'agriculture. Nous avons donc un rude travail devant nous, pour lequel devront _uvrer parlements, gouvernements, professionnels agricoles et ONG. C'est ce travail que nous continuerons à faire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 14/10/2003)
Messieurs les Commissaires,
Monsieur le Ministre de l'agriculture d'Indonésie,
Monsieur le représentant de la FAO,
Monsieur le représentant du ministère de l'agriculture du Brésil,
Chers collègues,
Je remercie la présidence italienne pour son hospitalité. Je la remercie également pour avoir mis à l'ordre du jour ce thème important des politiques agricoles et des politiques de développement : le document de la présidence est une base de réflexion intéressante, qui démontre notamment que des politiques agricoles sont utiles au Nord comme au Sud. Comme l'a rappelé M. Fischler, il convient aussi de tirer les conséquences de l'après Cancun.
De l'absence de résultat lors de la conférence ministérielle de Cancun, je retiens un enseignement principal : bien que ce mot ait été abondamment cité à Cancun, le développement reste le grand absent de la conférence. L'Europe et les Etats-Unis ont proposé une différenciation entre les pays pauvres et les pays émergents, afin de concentrer les efforts sur les premiers. Ces propositions, ainsi que celles de l'Europe sur les préférences à accorder aux pays les moins avancés et aux pays d'Afrique subsaharienne, restent sur la table. A nous de les faire mieux connaître et partager.
La Conférence a révélé les nombreux obstacles à surmonter pour enfin prendre en compte les préoccupations des pays les plus pauvres. La diversité des intérêts des pays en développement a constitué une source de blocage et évincé l'objectif principal de favoriser le développement des pays les plus vulnérables.
Nous savons tous qu'il existe une hétérogénéité considérable dans les degrés de participation des pays en développement au commerce mondial. Certains pays exportateurs hautement compétitifs réalisent la majeure partie des exportations des régions en développement et évincent ainsi les pays les plus pauvres. L'Amérique latine et l'Asie ont gagné une importance croissante dans les flux de produits agricoles à l'exportation au cours du précédent cycle, alors que le continent africain a vu sa part déjà réduite se contracter (elle n'est même plus de 4 % du commerce mondial !).
Il est devenu urgent de mettre un terme à l'isolement des pays les plus pauvres. Pour cela, deux voies me paraissent à privilégier : adapter à la diversité des situations réelles le traitement spécial et différencié, et sécuriser les régimes préférentiels existants.
Concernant le traitement spécial, des critères d'éligibilité doivent être envisagés afin de concentrer nos efforts sur les pays qui en ont le plus besoin. Une modulation du traitement spécial et différencié pourrait alors être envisagée sur cette base et aboutir à des mesures concrètes en faveur des pays les plus vulnérables, comme l'attribution de contingents spécifiques.
Sur les régimes préférentiels, des règles précises devraient être inscrites dans un futur accord, s'il voit finalement le jour, afin de permettre le maintien de dispositions préférentielles au moins aussi favorables que celles déjà accordées par l'Union européenne aux pays en développement les plus vulnérables. Je pense en particulier au dispositif "Tout sauf les armes" de l'Union européenne vis-à-vis des PMA, qui devrait être appliqué par tous les pays développés et par les pays émergents. Je pense aussi à nos accords avec les pays ACP. Des mesures sont également nécessaires pour limiter l'érosion des préférences tarifaires de ces pays, comme ils l'ont fortement exprimé à Cancun. Faute de quoi la libéralisation se traduira pour eux, paradoxalement, par une diminution constante de l'accès à nos marchés.
Parce que nous devons répondre à l'enjeu global du développement de ce cycle, les propositions contenues dans l'initiative pour l'Afrique présentée par le Président de la République lors du dernier G 8 à Evian restent d'actualité, notamment pour remédier aux difficultés engendrées par la volatilité des prix mondiaux des matières premières.
Nous ne pourrons atteindre l'objectif du développement fixé à Doha qu'en adoptant une vision nouvelle de la place de l'OMC dans cette entreprise globale. L'OMC ne peut plus limiter ses centres d'intérêt aux questions qui intéressent les seules grandes puissances exportatrices du Nord et du Sud. Elle doit être attentive à la situation des pays qui ont un vaste marché intérieur à construire pour garantir la sécurité de leurs approvisionnements. Elle doit aussi mieux distinguer les pays les plus pauvres. Au moment où l'Europe va s'ouvrir à dix nouveaux pays membres dont certains sont moins riches que certains pays en développement à l'OMC, nous devons repenser profondément la question du développement et du partage de l'effort commercial et de solidarité vis-à-vis des plus pauvres.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 1e octobre 2003)
Cher Luis Fernando de AZAOLA,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de me donner l'occasion - et, j'ajouterai, le plaisir - de m'exprimer une nouvelle fois devant votre forum.
L'an dernier, votre séminaire posait une question centrale - quel projet agricole pour l'Europe ? - dans un contexte de négociations européennes et internationales à la fois chargé et très incertain : nous n'avions pas encore trouvé de solution à l'élargissement de l'Europe aux dix nouveaux Etats-membres ; les discussions à Bruxelles sur la réforme de la Politique Agricole Commune étaient le plus souvent présentées comme la querelle des " anciens " et des " modernes " ; enfin, les négociations à l'OMC laissaient craindre que les discussions de Cancun se focalisent sur la seule question de l'agriculture.
Un an plus tard, votre colloque intervient dans un contexte profondément modifié : des transformations se sont opérées en Europe, tandis que des défis considérables continuent à préoccuper la communauté internationale. L'Europe a réformé sa politique agricole en juin dernier, à Luxembourg, et prend désormais mieux en compte la situation des pays en développement. Elle a plafonné sa dépense agricole jusqu'en 2013, alors que les Etats-Unis l'ont substantiellement augmentée. En revanche, l'OMC n'a toujours pas véritablement abordé, au-delà des discours, la question du développement des pays les plus pauvres.
Avant d'entamer mon propos, vous me permettrez - j'en suis sûr - de faire deux remarques :
- En consacrant votre débat à la question des équilibres alimentaires et des politiques agricoles, vous montrez, tout d'abord, à quel point l'alimentation est au cur des politiques agricoles.
C'est, d'abord, manifeste dans le cas de l'Europe : après avoir recouvré la sécurité de ses approvisionnements, la Communauté, puis l'Union Européenne se sont fixées pour objectif d'atteindre des niveaux de qualité, de sécurité et de traçabilité, qui constituent encore aujourd'hui une référence internationale.
C'est également vrai pour les pays du Sud : la poursuite de leur insertion dans l'échange international passe évidemment par une élévation de la sécurité sanitaire des produits. Il est de notre devoir de les y aider, à travers nos politiques d'aide publique au développement. C'est, d'ailleurs, pour fédérer l'offre française de formation et d'assistance technique destinée aux pays en développement que j'ai récemment créé le groupement d'intérêt public France Vétérinaire International.
Au Nord comme au Sud, l'agriculture ne peut se construire et se fortifier dans l'indifférence de ses bénéficiaires et de ses clients, c'est-à-dire des citoyens et des consommateurs. Plusieurs volets de la réforme de la PAC, tels que le développement rural et la mise aux normes des exploitations, vont dans ce sens, parce que l'alimentation est un des moyens privilégiés pour réconcilier les citoyens avec leur agriculture. C'est également dans cet esprit que j'inaugurerai, dimanche 12 octobre, la Semaine du goût, une manifestation qui entend, avant tout, mettre en valeur la richesse des aliments, des produits et des recettes, qui constituent notre patrimoine culinaire.
- Seconde remarque, la voix de l'Europe dans les négociations internationales s'est singulièrement affermie depuis l'année dernière.
André MALRAUX écrivait qu' " une civilisation lui paraissait se définir à la fois par les questions qu'elle pose et par celles qu'elle ne pose pas ". Face aux tenants d'une libéralisation des échanges et d'un alignement des prix régionaux sur les cours mondiaux des matières premières, l'Union Européenne propose une libéralisation maîtrisée des échanges agricoles selon les secteurs, et régulée entre les pays, afin d'accroître la concurrence entre les producteurs professionnels, tout en maintenant un tissu d'exploitations vivrières familiales, au Nord comme au Sud.
Plus l'Europe est unie, plus elle est forte dans les négociations internationales sur l'agriculture où elle veut défendre ses valeurs. Dans l'histoire des négociations commerciales multilatérales, jamais l'Union Européenne n'avait avant Cancùn fait montre d'une telle unité dans la défense de son modèle agricole.
Le projet de l'Union Européenne est clair : faire reconnaître les spécificités du secteur agricole par rapport aux autres marchandises ; faire émerger des règles équitables pour discipliner les échanges internationaux, en traitant l'ensemble des instruments de politique agricole et commerciale ; et faire contribuer l'OMC, en bonne intelligence avec les autres organisations internationales compétentes, au développement des pays les plus pauvres.
L'Europe ne se contente pas d'avoir un projet ; elle met ses actes en conformité avec ses paroles. Je pense aux décisions prises à Bruxelles, en octobre dernier, et à Luxembourg, le 26 juin. Je pense également aux propositions de la Commission, répondant aux attentes exprimées par les pays africains à Cancun, sur l'OCM coton.
Dans le jeu des alliances qui se sont noués avant puis à l'occasion du sommet de Cancùn, nous ne devons pas laisser l'arbre dissimuler la forêt. Des interrogations subsistent sur la portée exacte de l'alliance dite du G 21 et sur la convergence des intérêts agricoles de ses différents membres. Et nous ne serons véritablement fixés à ce sujet que lorsque nous entrerons pleinement dans la substance de la négociation.
A l'inverse, une réelle convergence d'intérêts sur l'agriculture peut émerger entre l'Europe et les Etats-Unis. L'un et l'autre sont attachés à la défense de politiques agricoles fortes. Pour cette raison, l'un et l'autre sont attaqués par les pays du groupe de Cairns, et il est très révélateur que les critiques sur les politiques agricoles du Nord ne visent plus en premier lieu l'Europe, comme c'était encore le cas il y a quelques années.
Lors de mon déplacement aux Etats-Unis au début de cette année, j'ai pu mesurer que nous partageons avec les Etats-Unis un certain nombre de points de convergence : l'importance croissante que nous attachons aux politiques de développement durable, à la sécurité alimentaire et à la qualité des produits, même si nous partons sur tous ces points de positions et de perceptions culturelles très éloignées ; le sentiment que nos agricultures ne peuvent faire face à la concurrence des grandes puissances émergentes, comme le Brésil, dans un univers international qui reposerait sur la concurrence sauvage et l'ultra-libéralisme.
Nous continuerons, bien-sûr, à avoir avec les Etats-Unis des discussions âpres sur divers sujets : je pense aux marketing loans, à la fausse aide alimentaire, ou aux crédits à l'exportation. Mais là n'est pas l'essentiel, en vérité. Et je souhaite que l'Europe puisse mettre à profit le temps supplémentaire qui nous est accordé dans les négociations de l'OMC pour convaincre, sans esprit de polémique, notre partenaire américain de la nécessité de changer sa vision des négociations agricoles internationales, qui ont trop longtemps reposé sur des considérations tactiques, et de mieux prendre en compte les besoins des pays en développement, et en particulier ceux des pays les plus pauvres.
Sur ce dernier point, les Etats-Unis ont soutenu l'Europe. Avec elle, ils ont réclamé à l'OMC que les pays en développement bénéficient d'un traitement différencié, afin que les efforts d'ouverture des marchés profitent en priorité aux pays les plus pauvres. Nous devons désormais aller plus loin, et prendre davantage en compte la dimension du développement dans le choix de nos instruments de politique agricole. A cet égard, l'Europe a un rôle particulier à jouer pour convaincre les Etats-Unis de la nécessité d'avancer dans cette direction, qui inspira les réformes de la PAC engagées depuis le début des années 1990, notamment la maîtrise des volumes de production et la réduction des formes d'aide les plus déstabilisantes pour les marchés internationaux.
Nous savons, par exemple, que les marketing loans déconnectent les agriculteurs américains des signaux du prix mondial et qu'ils introduisent de sérieuses perturbations sur les marchés internationaux, que ce soit au détriment de l'Afrique - je pense au coton - ou de l'Europe - je pense aux céréales. Je souhaite que nous développions un dialogue ouvert et franc entre les autorités chargées de concevoir et de mettre en oeuvre les politiques agricoles à travers le monde, afin de parvenir ensemble à une meilleure compréhension et à un dialogue plus aisé entre les nations et entre les cultures, car l'agriculture - ne nous y trompons pas - est aussi et avant tout un sujet culturel. L'OMC a, certes, beaucoup à gagner à cette meilleure compréhension mutuelle, que j'appelle de mes voeux, mais elle ne me paraît pas, en vérité, être l'enceinte pertinente pour conduire ce dialogue informel sur la manière de conduire les politiques agricoles.
Il y a là pour nous, sur tous ces sujets, matière à réflexion pour les mois et les années qui viennent.
J'en viens maintenant au sujet qui nous réunit aujourd'hui, à savoir les équilibres alimentaires et les politiques agricoles.
Dans trente ans, la planète comptera 8,5 milliards d'habitants, dont 7 milliards vivront dans des pays en développement.
Les agricultures pourront-elles répondre, par des productions suffisantes, à cette croissance démographique considérable ? Saura-t-on faire face à l'augmentation attendue, au rythme de 3 % par an, de la population de l'Afrique subsaharienne dans les vingt prochaines années ?
Nourrir les hommes constituera - à vrai dire - un défi pour la planète dans les années et les décennies qui viennent.
Selon l'Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), et dans l'hypothèse où le rythme actuel de progression des productions agricoles se maintiendrait à son niveau actuel, le déficit alimentaire des pays aujourd'hui en développement pourrait passer d'environ 100 millions de tonnes de céréales actuellement à une fourchette de 250 à 450 millions de tonnes en 2025.
L'idée même de combler ce déficit par des flux d'importation ou d'aide alimentaire en provenance des pays développés est à la fois matériellement irréalisable et politiquement inacceptable : il n'est pas compatible avec l'objectif de développement durable poursuivi par les Nations-Unies.
La solution ne peut venir que d'un encouragement à la production agricole et à une gestion raisonnée des ressources naturelles dans les pays en développement, conformément aux recommandations du Sommet Mondial de l'Alimentation, auquel j'ai participé le 10 juin 2002 à Rome.
La France et l'Allemagne apportent une contribution active aux travaux de la FAO en ce domaine, en particulier dans le cadre du groupe de travail intergouvernemental, créé lors du dernier Sommet Mondial, afin de définir des solutions pour la mise en oeuvre du droit à une alimentation adéquate.
Au-delà des débats traditionnels sur la contribution respective des pays en développement et des pays développés à la réalisation concrète de ces droits, et du caractère nécessairement général des textes qui seront élaborés, une réflexion doit être menée sur la manière d'interpréter utilement le concept d'équilibres alimentaires par les pays, en fonction de leur niveau de développement et de leur degré d'autosuffisance alimentaire - je pense en particulier à la situation des pays importateurs nets.
Un constat s'impose à nous d'emblée : comment pourrait-on aborder le concept d'équilibres alimentaires de la même manière à Paris, à New-Delhi et à Bamako ?
- Pour les pays les plus pauvres, d'abord, la prise en compte des équilibres alimentaires signifie, avant tout, le maintien de communautés rurales dynamiques et la préservation de leur production agricole. Ces pays doivent pouvoir, en conséquence, protéger leur agriculture et bénéficier d'une aide publique au développement forte pour le développement des infrastructures essentielles.
- Pour les pays intermédiaires, ensuite, cette prise en compte des équilibres alimentaires justifie une meilleure insertion dans l'échange international, par le moyen d'ouvertures de marché asymétriques mais réciproques, et par l'accueil des investissements étrangers. Ce mouvement ne peut être que progressif, comme l'illustre l'exemple de l'Inde.
L'Inde a cherché, dans un premier temps, à écarter le spectre de la famine par le développement de la production intérieure. D'où une protection tarifaire, des prix rémunérateurs pour les agriculteurs et un contrôle de la circulation intérieure des produits. Ces dernières années, l'Inde est, d'ailleurs, devenue le premier producteur mondial de riz, de blé, d'arachide, de lait, et elle possède désormais le cheptel le plus important.
Le développement de la production a entraîné une modification de la politique indienne : réduction progressive de la place de l'Etat, notamment dans la distribution ; maintien d'une intervention sur les prix ; ouverture progressive sur le commerce international, qui assure en tant que de besoin des débouchés lorsque des productions telles que le riz et le blé sont excédentaires par rapport à la consommation intérieure.
L'Inde est emblématique de ces puissances agricoles qui se sont construites, d'abord, par le marché intérieur, pour la satisfaction des besoins domestiques, et non suivant un modèle mercantiliste sacrifiant tout à l'export, qu'on présente souvent, à tort, comme le remède miracle pour le développement agricole des pays du Sud. Lors du dernier Congrès de la FIPA, le Président des Agriculteurs de l'Inde ne déclarait-il pas : " Moi qui représente 800 millions d'agriculteurs, je peux assurer que nous avons sauvé notre peuple grâce à une politique un peu similaire à la PAC, c'est à dire permettant d'assurer un minimum de règles pour éviter des fluctuations de prix trop importantes " ? Son exemple peut inspirer nombre de pays intermédiaires, et les encourager dans leur démarche d'intégration régionale.
- Pour les pays développés, enfin, la prise en compte des équilibres alimentaires suppose aujourd'hui le respect des équilibres des territoires et la sécurité des approvisionnements en produits sains, de qualité, dans lesquels les consommateurs puissent avoir confiance, alors que se multiplient les risques de tromperie et d'usurpation. C'est notamment la raison pour laquelle l'Europe attache une grande importante à la promotion et à la protection de ses indications géographiques dans le cadre des négociations en cours à l'OMC.
L'OMC a un rôle important à jouer, aux côtés de la FAO et des institutions de Bretton Woods, pour permettre et encourager la mise en oeuvre de politiques agricoles fortes, garantissant les équilibres alimentaires.
J'en évoquerai ici trois illustrations :
- tout d'abord, l'affirmation claire du droit à conduire des politiques agricoles, au nom de la sécurité des approvisionnements, du respect des équilibres alimentaires et de ce que l'on appelle, dans le jargon de l'OMC, les préoccupations non commerciales, qui recouvrent notamment l'équilibre des territoires, la préservation de l'environnement, l'innocuité et la qualité des produits. Les Ministres des pays membres devront donner un signal politique fort en ce domaine ;
- seconde illustration, une meilleure reconnaissance des préférences commerciales pour les pays les plus pauvres. Les dispositifs actuels de l'OMC sont, à cet égard, insuffisants. C'est la raison pour laquelle l'Europe a proposé que les pays développés et les grands pays émergents accordent des concessions particulières aux pays les moins avancés, à l'instar de ce qu'a fait l'Europe depuis plus de deux ans avec son dispositif " tout sauf les armes ". Un partage plus équitable de l'effort vis-à-vis des plus pauvres est indispensable. En parallèle, nous devons donner aux préférences - je pense notamment à celles que l'Europe accorde aux pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, les pays ACP - une véritable sécurité juridique à l'OMC ;
- troisième illustration, des règles équitables régissant les échanges et les politiques agricoles. Je l'ai mentionné en introduction, certains instruments, certaines pratiques ne sont actuellement pas - ou pas suffisamment - soumis à des disciplines à l'OMC. Cela est vrai pour l'aide alimentaire comme pour les crédits à l'exportation, les entreprises commerciales d'Etat, ou les marketing loans. Une telle situation modifie la donne entre les grandes puissances commerciales, mais n'apporte rien aux pays les plus pauvres. Il est aujourd'hui temps que nous tirions les leçons de dix ans de mise en oeuvre du cycle de l'Uruguay et que nous progressions d'une façon décisive vers plus d'équité.
Cher Luis Fernando de AZAOLA, Mesdames, Messieurs,
Je ne peux m'empêcher, au moment de conclure mon propos, de partager avec vous ma perplexité face à une communauté internationale qui perd la vision générale des situations et des priorités, et prend parfois des orientations bien peu compréhensibles pour l'opinion publique.
Depuis ma prise de fonctions, les négociations européennes auxquelles j'ai participé ont toutes été orientées dans un sens malthusien, guidées par le souci de maîtriser nos productions européennes, afin de limiter les perturbations occasionnées aux marchés internationaux.
Dans le même temps, les flux d'aide publique au développement ont été diminués, en particulier ceux qui bénéficient à l'agriculture. Dans le même temps, rien n'a été fait, ni dans les politiques d'ajustement structurel, ni dans les négociations commerciales internationales, pour permettre aux pays qui en ont besoin de développer leur production agricole.
A la FAO, la communauté internationale s'était pourtant accordée sur l'objectif ambitieux de réduire de moitié le nombre des mal-nourris d'ici à 2015.
Dans de telles circonstances, il appartient aux politiques de redonner, dans les différentes discussions internationales, des perspectives pour le développement. C'est, d'ailleurs, tout le sens de l'engagement pris par le Président de la République à Monterrey dans le domaine de l'aide publique au développement. C'est également tout le sens de son initiative, reprise depuis par l'Europe, en faveur de l'Afrique subsaharienne. C'est enfin l'esprit du travail de conviction que je mène dans les différentes enceintes internationales, et qui me tient à coeur.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 2 octobre 2003)
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales - Je remercie le groupe UMP d'avoir pris l'initiative de ce débat dans le cadre de la séance qui lui est réservée. Il est, en effet, très important de tirer les conséquences de l'absence de résultat de la négociation de Cancùn.
Depuis dix-huit mois l'agenda en matière agricole a été très chargé sur le plan international. Nous avons dû mener, l'an dernier, la négociation sur l'adhésion à l'Union européenne de dix nouveaux pays, avec pour enjeu de ne pas sacrifier la PAC sur l'autel de l'élargissement. Grâce à l'accord intervenu entre le Président de la République et le Chancelier Schröder avant le sommet de Copenhague de décembre 2002, nous aurons désormais une PAC durable, avec un budget fixé jusqu'à 2013, ce qui ne s'était jamais vu.
Seconde échéance, la révision à mi-parcours de la PAC - j'y reviendrai.
Enfin, troisième échéance, cette négociation de l'OMC. Longtemps l'agriculture n'a pas fait l'objet de discussions dans le cadre du GATT. C'est à partir de l'Uruguay Round, en 1986, qu'elle a été intégrée aux négociations. M. François Guillaume a été le premier ministre de l'agriculture français à y participer et pour ma part, j'étais à Cancùn aux côtés de M. François Loos, chef de la délégation française.
Je remercie le président Balladur pour ses remarques et propositions : c'est vrai que les échecs répétés - Seattle, Cancùn - montrent bien qu'il faut repenser la mondialisation et les liens entre les sujets commerciaux et les autres.
Les propositions de votre assemblée contribueront à une meilleure prise en compte de la dimension humaine de cette mondialisation qui suscite des débats idéologiques extrêmement confus. Il est très important que le Parlement soit étroitement associé aux négociations. Je le dis à Jean-claude Lefort, à Jean-Paul Bacquet, à Marc Laffineur et à tous les parlementaires de la délégation, ce contact direct et permanent doit perdurer. Les parlements du monde doivent faire entendre leur voix, et nous nous félicitons de la motion adoptée par l'UIP.
Je remercie Jean Lassalle pour le vent frais qu'il a fait souffler tout à l'heure. Pour moi aussi, cette participation à une négociation commerciale multilatérale était une première. Cela mérite d'être vécu : c'est surréaliste, hypermédiatisé et logomachique. Cela relève plus du théâtre d'ombres que de la négociation réelle, et c'est bien l'un des problèmes de l'OMC.
En matière agricole, plusieurs questions se posent. Fallait-il ou non, s'est demandé Antoine Herth, réformer la PAC avant Cancùn ? Si nous l'avons fait, c'est d'abord pour assurer une visibilité sur les dix prochaines années. Dès lors que nous avions arrêté le budget de la PAC pour 2003-2013, il était plus cohérent que ses règles d'utilisation suivent le même calendrier.
Les décisions prises le 26 juin à Luxembourg nous ont permis d'adopter à Cancùn une posture de négociation offensive. Le découplage partiel des aides nous a par exemple permis d'en classer davantage dans la fameuse " boîte verte ".
Pour un Etat membre de l'union européenne, la négociation à l'OMC a une spécificité puisque c'est le commissaire chargé du commerce international qui négocie : les négociations commerciales multilatérales font partie des compétences délivrées par le traité de Rome.
Patrick Ollier et Marc Laffineur l'ont rappelé, il était important que l'Europe présente un front uni à Cancùn. Cela n'a pas toujours été le cas : Edouard Balladur en sait quelque chose, lui dont le Gouvernement dut payer en 1993 les conséquences de décisions prises mal à propos l'année précédente. Il faut donc se féliciter que les Quinze aient pu défendre en 2003 une position unie qui était aussi celle de la Commission.
Fallait-il ou non, se sont interrogés MM. Lefort et Bacquet, élaborer le 14 août un document commun avec les Etats-Unis, qui aura servi de " chiffon rouge " et entraîné l'essor du groupe des 21 ? Certes, ce document a pu alimenter les rancoeurs. Mais il ne faut pas oublier qu'à Montréal, en juillet, PVD et pays émergents avaient adjuré les Américains et les Européens de s'entendre pour débloquer la situation. Ne regrettons donc pas ce moment qui a permis de lancer la négociation.
Contrairement à ce que l'on entend souvent dire, les Etats-Unis et l'Europe sont au moins d'accord sur un point : la nécessité d'une politique agricole. Comme je l'ai fait observer moi-même à nos partenaires américains, les politiques agricoles contemporaines sont nées sous le New Deal et la PAC n'a fait qu'en consacrer le principe trente ans plus tard. Nombre de nos responsables agricoles et politiques avaient du reste fait le voyage américain dans les années 1950 pour observer ce qu'était une politique agricole. Il y a indéniablement des divergences sur les moyens et sur les finalités. Reste qu'aucun accord sur l'agriculture ne peut se faire à l'OMC sans un minimum de consensus entre l'Europe et les Etats-Unis.
J'en viens aux PVD et plus particulièrement à l'Afrique. La plus grande confusion intellectuelle prévalant en la matière, permettez-moi de citer Jacques Julliard : " les nations riches n'ont pas toujours tort par le fait qu'elles sont riches. Les nations pauvres n'ont pas toujours raison par le fait qu'elles sont pauvres ".
M. Jean-Claude Lefort - En somme ils ont tort d'être pauvres !
M. le Ministre - C'est aujourd'hui l'Union européenne qui achète le plus de produits agricoles aux PVD : 60 % des exportations des pays du Sud se font à destination de l'Europe. C'est aussi l'Europe, et plus particulièrement la France, qui consacre la plus grande part de ses richesses à l'aide au développement. Nous n'avons donc aucune leçon à recevoir - même si nous pouvons et devons faire davantage - de la part d'autres pays ou d'institutions internationales.
Le Président de la République a pris en février des " initiatives Afrique ". Une de ses propositions - un moratoire sur les subventions aux exportations à destination de l'Afrique subsaharienne - est devenue une proposition européenne. Le Président de la République a également proposé de renforcer le système de préférence spécifique dont bénéficient les PVD, comme nous le faisons depuis 1975 dans le cadre de la convention de Lomé, et d'_uvrer à la stabilisation des cours des matières premières. Les variations erratiques des cours du café ou du cacao ne sont pas dues à la PAC, mais à un système qui ne fonctionne pas au profit des économies du Sud.
Sur le plan agricole, le sommet de Cancùn pose des problèmes de court et de moyen terme. A court terme, celui de la clause de paix, qui expire le 31 décembre prochain. Nul n'est en mesure de prévoir ce qui se passera ensuite. Allons-nous assister à une guerre commerciale et à la multiplication des procédures devant l'organe de règlement des différends de l'OMC ? L'excès de panels va-t-il tuer les panels ? Entrerons-nous dans une guerre commerciale confuse ?
Personne ne le sait. Ainsi que Mme Kosciusko-Morizet l'a dit, on ne connaît pas encore tous les prolongements de l'échec de Cancùn, mais certaines questions sont d'ores et déjà posées. En matière agricole, il en est deux principales : l'organisation commune de marché du sucre, pour laquelle il existe déjà un panel, et nos subventions aux exportations, c'est-à-dire les restitutions - dont je voudrais tout de même souligner qu'elles ne représentent plus que 5 % du budget de la PAC, contre 30 % il y a dix ans ! Sur ce sujet crucial pour l'agriculture européenne, si effort il devait y avoir, il devrait être partagé - je pense notamment aux aides américaines.
En ce qui concerne le moyen terme, des questions se posent quant à l'organisation de la mondialisation et à l'évolution de la théorie économique. La mondialisation a mis à mal certaines idées reçues. Ainsi, la théorie de l'avantage comparatif poussée jusqu'à l'absurde aboutirait à ce qu'un seul pays nourrisse tous les autres - le Brésil par exemple -, un autre fournisse tous les services - l'Inde - et un troisième produise tous les biens industriels, la Chine. On voit bien que c'est impossible et que cette théorie est donc relative et contingente.
Une autre réflexion devra concerner le prix mondial. En matière agricole, la supercherie est ruineuse : le prix mondial ne correspond à aucun équilibre, ni économique, ni environnemental, ni social. Pour les produits tropicaux par exemple, il s'agit d'un marché purement spéculatif. Pour le lait, seuls 5 % de la production mondiale font l'objet d'échanges internationaux ; il n'y a aucune raison pour que le prix des 95 % restants soit fondé sur les intérêts des exportateurs néo-zélandais. Pour beaucoup d'autres productions enfin, le prix mondial est celui de produits issus d'exploitations latifundiaires très éloignées du modèle européen. Or, ces questions ne sont jamais débattues à l'OMC : il existe des chapitres sur les soutiens internes et externes et un sur l'accès aux marchés, mais aucun débat de fond puisque la théorie de l'échange international classique est considérée comme une vérité immanente !
Nous sommes au début d'un nouveau moment de l'histoire. Il ne convient pas d'être grandiloquent, mais de comprendre que les raisonnements retenus par l'OMC et le FMI ne correspondent pas à notre vision de l'agriculture. Nous avons donc un rude travail devant nous, pour lequel devront _uvrer parlements, gouvernements, professionnels agricoles et ONG. C'est ce travail que nous continuerons à faire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 14/10/2003)